Simon Brest – les fossiles

A chaque équinoxe, vers les parloirs des capitales,
les voitures au point mort dansent et copulent.
Une puissance souterraine monte au matin des soupiraux.
Le brouillard d’un autre brouillard se charge.
La fête des ferrailles ravive l’espérance permanente des objets.
Pour quelques jours les foules, un peu plus courbées,
subiront l’impalpable chape qui englue.
On finira par désigner pour la cérémonie rituelle
quelques impénitentes.
Elles seront tramées à la grue par-delà des remblais.
Si d’insolence le rire d’un enfant
traverse le flot d’un cortège, il suffira d’ouvrir
les vannes des autoroutes
et l’imaginaire diurne reprendra ses droits.
Sous le soleil subjugué rugissent les carrosseries rutilantes.
La robotique des archanges, parquée sous la pénombre des hangars,
défèque pour le grand ordre de l’industrie.
Deux fois l’an seulement la bride est lâchée
quand les saisons basculent.
Mais pour chaque capitale de parade,
en exemplaire unique au fond de l’avenue de Thèbes,
l’avenir est préservé.
Veillés par des arbres en statue,
les dieux, dans le soir, digèrent et rêvent.
extrait des « chroniques du trente février »
Quelques pas vers les dentelles -1 – ( RC )
photo perso : « lieu dit « la grande Montagne »
J’ai risqué quelques pas
Sur les sentiers pierreux
S’écartant des voies tracées.
La végétation soufflait ,
Se reposait de l’été.
Même les vignes sommeillaient,
Et se paraient
d’ors et de rouges.
Les petites grappes tardives encore suspendues
attendaient les oiseaux de passage.
On ne pouvait les saisir
sans que les grains éclatent dans les doigts.
Il fallait les porter à la bouche
pour se gaver de leur suc épais,
Ne tardant pas , comme à aux doigts,
A poisser la bouche.
Entre les rangées,
des herbes farouches,
Heureuses de la suspension des traitements,
Recommençaient à pointer,
Se bousculant entre les blocs de pierre,
Eux, portant parfois
la trace d’anciens occupants,
Morceaux de fossiles en empreinte,
Comme pour dire la présence continue
D’une vie inscrite
en filigrane
dans les siècles.
–
RC – oct 2015
En témoin immobile – ( RC )
En témoin immobile,
Personne ne crie,
Et dans l’attente,
Le mouvement de la terre
Se poursuit, jusqu’aux collines,
Sans tester la distance,
Qui m’en sépare,
Puisque je suis soudé à elle …
Cette terre , avec sa vie propre,
Qui glisse sur elle-même,
Avalant l’impact sourd
Des météorites,
Et des ères salutaires,
Courues d’espèces,
Dont on retrouve les fossiles,
Eux même englués dans la roche.
Et même si des indices,
Nous écrivent ce passé,
Dicté sous nos pieds,
Encore aujourd’hui,
S’étire l’argile,
Détrempée des fins d’hivers,
Comme aussi, sur les pentes,
Se détachent des blocs mutiques.
Laissés sur place,
Au seuil au sommeil ,
Des mers basculées.
> Elles ne disent que leurs lointains.
Et les vagues sont loin,
Justement,
Gelées dans des mémoires.
Les nôtres ne pouvant les contenir.
On se demande,
Quels furent ses habits,
A la terre, encore,
Où ce qui fut forêts denses,
Est maintenant soustrait,
Dans l’étendue ventée ,
D’horizons de pierres,
Et de montagnes effacées…
–
RC – février 2014
Salvatore Quasimodo – Chevaux de la lune et des volcans

peinture: Giorgio de Chirico 1928
–
CHEVAUX DE LA LUNE ET DES VOLCANS
à ma fille
Îles que j’ai habitées
vertes sur des mers immobiles.
D’algues sèches et de fossiles marins
les plages où galopent fous d’amour
les chevaux de la lune et des volcans.
Au moment des secousses,
les feuilles, les grues assaillent l’air :
dans la lumière des alluvions
brillent des ciels chargés ouverts aux astres ;
les colombes s’envolent
des épaules nues des enfants.
Ici finit la terre :
avec de la sueur et du sang
je me construis une prison.
Pour toi je devrais me jeter
aux pieds des puissants,
adoucir mon cœur de brigand.
Mais traqué par les hommes
je suis encore en plein dans l’éclair,
enfant aux mains ouvertes,
aux rives des arbres et des fleuves :
ici l’anatomie féconde de l’oranger grec
pour les noces des dieux.
—
CAVALLI DI LUNA E DI VULCANI
al la figlia
Isole che ho abitato
verdi su mari immobili.
D’alghe arse, di fossili marini
le spiagge ove corrono in amore
cavalli di luna e di vulcani.
Nel tempo delle frane,
le foglie, le gru assalgono l’aria :
in lume d’alluvione splendono
cieli densi aperti agli stellati ;
le colombe volano
dalle spalle nude dei fanciulli.
Qui finita è la terra :
con fatica e con sangue
mi faccio una prigione.
Per te dovrò gettarmi
ai piedi dei potenti,
addolcire il mio cuore di predone.
Ma cacciato dagli uomini,
nel fulmine di luce ancora giaccio
infante a mani aperte,
a rive d’alberi e fiumi:
ivi la latomia d’arancio greco
feconda per gli imenei dei numi.
–
Le repos des sirènes ( RC )

Art roman: chapiteau aux sirènes – Eglise Ste Eutrope Saintes ( Charentes Maritimes)
–
C’est le repos des sirènes sur les rochers
Leur longue quête les mène sur les îles
Et point de traces, au jour, juste des fossiles
Repérés par les bateliers s’en revenant pêcher
Ces femmes-poissons, – c’est une blague
Dit-on, …. ce qu’il faut d’imaginaire
Au fantasme des hommes de la mer
Ayant fait un détour par Copenhague
Ou bien, entourant un bateau en détresse
Se portant au secours des naufragés
Elles se sont, sous eux, allongées
Tout en délicatesse
Et leur ont fait jurer secret,
Sous serment, de ne rien dire,
Une langue étrange qu’on ne peut traduire…
Sur ces sujets il faut rester discret
Ce sont, peut-être des anges de l’eau
– Au profil aérodynamique
Accompagnant par le fond, le Titanic
Et bien d’autres paquebots…
Et même si tu vas à confesse,
Avec l’envie de tout dire, c’est pas la peine
D’essayer de convaincre une sirène
Ou sur la terre, alerter la presse…
Tu as scellé ta promesse,
Mieux qu’une lettre aux sept cachets
L’eau profonde, garde ses secrets cachés
Comme celui du monstre du Loch Ness.
Les sirènes auraient plusieurs vies
Et surtout, les plus beaux chants
Pour nous, bien sûr, aguichants
Une fois entendus, toujours poursuivis.
Dans l’eau salée, les sons se propagent,
Ceux des dauphins,les chants des baleines
Et tu voyages, à en perdre haleine
Au berceau de la mer, en héros ou bien otage…
–
RC – 21 janvier 2013
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photo: JM Boutaud – petite Sirène de Copenhague – qu’on peut retrouver sur le site « jolie lumière » de JM B
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On efface tout, et on recommence ( RC )

peinture : Ludolf Bakhuizen : bateaux en détresse 1667
Il y a le ressac, et toujours la mer
Qui se lance à l’assaut des îles
El le monde qui tangue,
Puis cède, des pans entiers de falaises,
Et, à marcher, ce pas, et le suivant, puis un encore
Un temps, une heure, une semaine, puis toute une vie
C’est aller plus loin, et peut-être errer
Dans nos heures minuscules,
Que les vagues basculent,
Comme elles sont poussé les navires,
Vers les dangers des cotes,
Lorsque le serein cédait à la tempête.
–
A notre échelle, c’est un regard
Qui voyait la fureur, et les horizons se mélanger
Au delà des repères, au delà des lignes
Qui marquent ces évènements marquants
Que l’on reporte consciencieusement dans les carnets
Pour témoigner, de tout ce qui fut,
Mais qui fuit
Comme gouttes d’eau entraînées vers la pente.
Et se fondent , alors indiscernables – en ruisseau
Qui suit son cours, comme l’histoire la sienne
Au point d’en perdre l’origine,
Comme une mémoire d’amnésie.
–
L’histoire , la grande, – enfin celle que l’on croit –
N’existe pas, au regard des ères géologiques…
Les plateaux se soulèvent sans fracas
Du moins, on ne peut pas les entendre
Fleuves et rivières empruntent d’autres chemins,
Les profondeurs toussent lave et basaltes,
Avec pour seuls témoins, ceux dont la mémoire s’est éteinte
Et enfouie, tels fossiles, au creux de la pierre.
La mer s’est déplacée, a glissé plus loin
Quelques étages plus bas,…. – on dirait cette expérience
Des vases communicants, assaut de lenteurs…
Et toujours le ressac, se lançant à l’assaut des îles.
RC 26 août 2012