Roger Wallet – ça ressemble à une vie
photo: Willy Rizzo
Ca ressemble à une vie
bonjour tristesse
le titre qui lui a plu il ne connaît
pas l’auteur mis à part du passé
il ne connaît
pas d’auteur Saint-Ex bien sûr comme tout le monde
et puis l’aîné l’a offert à son frère…
il l’a dans un coin de l’atelier adieu tristesse / bonjour tristesse /
tu es inscrite dans les lignes du plafond / tu es inscrite dans les yeux que j’aime…
ému les yeux que j’aime cette voix…
c’est comme si c’était elle qui lui parlait
et il le relit le sait vite par cœur le poème de P.Eluard au début
je vous le rapporte je il se sent gauche. je l’ai lu.
un silence. c’est très…
il se tait
elle est debout elle le regarde
aurait pas dû venir c’est trop… compliqué ?
prenez-en un autre elle sourit. lui : le cœur qui
bat comme un fou là-dedans
la main tremble elle doit le voir [il pense]. s’approche de la bibliothèque
la dévisage les yeux le nez la bouche
– le mot rien que le mot le fait frissonner
–
vous…
rien d’autre.
tourne le dos s’excuse
il sent sa main sur sa nuque ses yeux sa bouche….
( extrait du site des éditions des Vanneaux )
Yannis Ritsos – le fou
Photo: Moholy Nagy
Que de mensonges l’homme invente pour se ménager un petit coin sur cette terre !
Le soir, les agents de la circulation se retirent, les magasins ferment
Les étoiles s’enhardissent du côté du couchant.
Et plus tard
on entend le fou du quartier avec son bonnet rouge
qui fredonne dans la rue boueuse une rengaine triste,
une rengaine d’enfant chargée de beaucoup, beaucoup de rides
Karlovassi, 9. VII. 87
Ibrahim Koné – J’ai compris
–
J’ai compris.
J’ai compris qu’il vaut mieux se taire quand on veut se faire entendre
Que le silence est une cruche, remplie d’un nectar doux et tendre
Que la patience des braves ne se mesure pas toujours en terme de victoire
Que la vie d’ici bas n’est pas qu’un purgatoire
J’ai compris qu’il vaut mieux sourire en quittant ce monde
Que les larmes sont le signe de l’abandon et du doute
Que le sourire efface la crainte même dans la déroute
Qu’il n’y a rien de meilleur que l’harmonie et la paix profonde
J’ai compris que le temps ne passe pas comme l’on croit
Que c’est nous qui passons dans le temps qui nous tend la main
Que gagner le pain a la sueur de notre front n’est pas une croix
Que la vraie croix est la façon dont nous mangeons ce pain
J’ai compris que la beauté n’est qu’une pale copie de la bonté
Que la parure du cœur vaut mieux que les fards sur le visage
Que les belles paroles ne font pas toujours le sage
Que le sage et le fou sont les deux voix de son immense bonté
J’ai compris que finalement je n’ai rien compris
Que chaque jour révèle que nous n’avons rien appris
Que ma raison n’est pas nécessairement ton tort
Que la vérité n’est pas toujours du coté du plus fort
J’ai compris…
Ibrahim Kone. ( auteur ivoirien)
Raôul Duguay – La mer à boire
La mer à boire
J’étais l’enfant d’un siècle fou
J’avais la tête pleine d’oiseaux
Je construisais de beaux châteaux
Je vidais la mer dans un trou
La mer était belle à mourir
J’étais une fleur à cueillir
La vie était un jeu d’enfant
Je prenais vraiment tout mon temps
J’avais pour moi l’éternité
Pour vider la mer dans un trou
Je me soûlais de liberté
Et je réinventais la roue
J’étais l’enfant d’un siècle chaud
Dans ma petite tête il faisait beau
Mes châteaux se tenaient debout
Et mon royaume était partout
Et je suis devenu un homme
Les mots sont mes plus beaux châteaux
Mais comme une image vaut mille mots
Mes beaux châteaux vont prendre l’eau
Les mots deviennent des numéros
Un plus un égale zéro
Plus on a de zéros plus on vaut
Quand on signe son nom à l’endos
Je suis l’enfant d’un siècle de fous
Les riches creusent aux pauvres un trou noir
Donnez-moi donc un peu à boire
Et tant qu’à y être : versez-moi la mer
Et je rêve encore de boire l’eau de la rivière
Quand j’étais petit je m’y baignais dans la lumière
Ah mais aujourd’hui les rivières prennent l’eau
Et je rêve encore au jour où dans les dictionnaires
On ne trouvera plus le mot guerre qui crée la misère
Et qu’enfin les mots ne prendront plus l’eau
Il reste encore quelques oiseaux
Qui ne chantent pas encore faux
Je vide la mer dans mon verre
–
extrait d’une chanson de l’auteur
Paroles et musique : Raôul Duguay
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–
Anna Niarakis – A tu
Anna Niarakis, auteure grecque, nous transmet ce texte avec quelques maladresses grammaticales ( voulues, je suppose), qui évoquent la saveur d’un accent étranger
A tu
A tu, s’adresse ce poème.
Comme tant d’autres.
A tu, qui tu graves hiéroglyphes
sous la lune d’un désert.
Ou d’une ville déserte, tachant
ses murs sales avec peinture rouge.
Errant, aube
Demi éméché, demi fou
dans les rues, places et des permis
autoroutes,
immobile.
A tu, qui tient à l’écart
de silence, bégayant devant
Le feu et sa colère égarée
Qui tu plantes jacinthes dans un
colline sec de mots morts et
tu attends le printemps.
Corps des impulsions déséquilibres
soigné
solide et lourd
dans la clarté de ta tristesse.
Perdu.
Tu découvres ce que tu
vas perdre encore et encore.
Tu secoues du noir
les épaulettes colorées
et tu tires ta route
Espoir improbable de mon obsession.
À tu,
que je ne connais pas
qui tu es,
Je sais seulement que
tu viens…
.
Anna Niarakis
Stephan Zweig – le joueur d’échecs

photo: Marcel Duchamp, jeu d'échecs. NB: le célèbre artiste, a fait plusieurs peintures représentant le jeu, il existe aussi plusieurs photographies le montrant en "action"... en voici une
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Du matin au soir, je ne voyais que pions, tours, rois et fous et je n’avais en tête que a,b,et c, que mat et roque.
Tout mon être, toute ma sensibilité se concentraient sur les cases d’un échiquier imaginaire .
La joie que j’avais à jouer , était devenue un désir violent, le désir d’une contrainte, d’une manie, une fureur frénétique qui envahissait mes jours et mes nuits.
Je ne pensais plus qu’échecs, problèmes d’échecs, déplacement des pièces.
Souvent , m’éveillant le front en sueur, je m’apercevais que j’avais continué à jouer en dormant.
Si des figures humaines paraissaient dans mes rêves, elles se mouvaient uniquement à la manière de la tour, du cavalier , du fou .