Edith Södergran – l’appel du feu

L’éclair
éclair qui te caches dans un nuage,
éclair bleu que je vois,
Quand jailliras-tu ?
Eclair, ô toi, béni,
Chargé de foudre, fécondant, purifiant,
Je t’attends, exténuée.
Mon corps gît comme une loque
Pour pouvoir une fois, saisi par des mains électriques,
plus ferme que tous les minerais de la terre,
envoyer l’éclair.
Miguel Angel Asturias – marimba chez les indiens

La marimba pond ses œufs dans les astres…
Oh la la, quel caquet
pour un œuf que tu ponds !
Eh, venez donc le pondre !
La marimba pond des œufs dans les astres…
Le soleil est son coq, il la coche, il la saigne.
La marimba pond des œufs dans les astres.
Oh la la, quel caquet
pour un œuf que tu ponds !
Eh, venez donc le pondre !
Dans les calebasses au trou noir de noix de coco
et aux membranes de tripes tendues il y a des
sanglots de mouches,
de poissons-mouches, d’oiseaux-mouches…
Et le charivari de la perruche verte
et le crépitement de l’oiseau jaune en flammes,
et le vol tournoyant du guêpier bleu de ciel,
et les quatre cents cris du moqueur d’Amérique.
Le moqueur a sifflé, le guêpier a volé
l’oiseau jaune a flambé, la perruche a crié.
Oh la la, quel caquet
pour un œuf que tu ponds !
Eh, venez donc le pondre !
Musique entre les dents et la peur endormie,
jetée par des hommes de pierre-foudre vêtus de blanc,
qui du haut du soleil tendent leur bras de feu
et leurs doigts armés de baguettes brûlées aux longs
cheveux de caoutchouc
qui frappent la face sonore du clavier à peine soutenue
par les fils de quatre couleurs
en bariolant les airs : vert, rouge, jaune, bleu….
Son-roulement de pluie des tissages célestes !
Son-roulement de pluie de la ruche du monde !
Son-roulement de pluie de la sueur des humains !
Son-roulement de pluie du pelage du tigre !
Son-roulement de pluie de la robe de plumes !
Son-roulement de pluie des robes de mais !
Lionel Ray – Ni rides ni raison –

Ni rides ni raison . c’est la foudre aux yeux bleus
qui éclaire les seuils.
fragile est son secret : ce nœud léger du souffle
ces traces de naissance nouvelle ce cri brisé. –
nous serrons contre nous une cage pareille
à la fumée – distance qui déchire.
et nous marchons dans son obscur empire
vers cette vitre innommable, notre voisine sèche.
ainsi nous habitons le mouvement des jours :
l’ombre dans l’ombre va, envol de nul oiseau.
Poésie 84
Janvier Février 1984
Revue dirigée par Pierre SEGHERS
Denise Le Dantec – sept étoiles à la Grande Ourse

Les Hyperboréens ont compté sept étoiles à la Grande Ourse
Lié l’amour à l’adieu dans le champ des pommiers
Nos têtes sont devenues sourdes
Batailleuses nos mains dans l’eau des rocs
Le long de la côte
L’ombre enroule les fils du soleil
Et tire les images de la lumière dans l’herbe
la cendre et la fumée
Face au Nord sur la roche l’Ange s’assied
Et comme un oiseau qui prend son vol,
couleur de soleil, il s’élève
Sourds et nus sont le sable et le poisson sur le rivage
Et comme l’aiguille entraîne le fil le vent
entraîne les nuages
Sous l’archivolte du porche orné de fleurs-paratonnerre
L’Ange pénètre ma chair
Au fond des nuits il y a d’autres nuits
Sous l’ombre des feuilles d’akènes pourries
d’autres ombres
O les repaires insaisissables des bêtes
Dans les tourelles du givre et les rouelles du froid
Les mûres de mes seins sont devenues noires
Plus loin il y a un bois d’hiver noir et profond
qu’on nomme Bois des Loups
Les sentiers sont coupés de branchages si hauts
qu’on les dirait prêts aux bûchers
En novembre les fileuses d’étoupe filent leurs
manteaux de brindilles et de cheveux,
sur les troncs équarriés
Leurs yeux épèlent l’alphabet des étoiles,
Leur écheveau est une torche d’où s’échappent
les mèches de leurs crânes tondus
De leurs bouches s’égoutte le sang de leurs
engelures
L’Ange apaise ma blessure et me porte
Jusqu’à cette église, ô la Sainte,
Aux portes de digitales et de poison
Pour te battre
Comme la mer sur les côtes
Aux portes de misère et de foudre
Où, pour plus de mal encore, tous mes sens m’abandonnent
Eugene Durif – l’étreinte, le temps – 10
Nous ne faisions que nous éloigner,
les étoiles dans le bleu,
prises comme d un tremblement,
et nos mains de glace.
Marchant,
allant, cela suspendu,
cela de nos gestes qui aurait fait de chaque parole une étreinte.
Les bois morts frappés de foudre
(le chemin du remembrement)
signes d abandon.
–
Robert Marteau – La Sagrada Familia

photo Céline & Jeremy, de leur blog Paris-Bali: intérieur de la Sagrada Familia – Barcelone — A GAudi
C’est défaite d’abîme, étrange astrologie!
Les vagues prennent corps,coiffent, chaussent l’azur
Du feu le plus léger. Tout s’élève en un mur
Organique de plis, d’entrailles; vers la vie
Tout monte; d’elle tout s’éloigne; la mesure,
Que brise le ressac, que la flamme dévie
En solaire oriflamme, à la pointe surgit
Du métal affiné par la foudre, très pur,
Très saint,unique cri que la pierre répète;
(Sanctus! ) seul cygne ou prend sa forme la trompette,
Dans ce réseau de nerfs clamant son agonie,
Proclamant son triomphe;et sa note s’appuie
Sur la nervure et l’os, le moignon que l’esprit
Reconnaît pour sa voix, son trèfle en broderie
–
ROBERT MARTEAU : extrait de « terres et Teintures »
–
Mohammed Fatha – Je m’en vais la tête haute
Je m’en vais la tête haute
Absorber la misère
Moi l’ami des exilés
Mes dessins animés
Pour maintes évasions
Millénaires
Les regards assassinés
La veille des morts
A toi l’honneur
Monsieur l’Ermite
Dépuceler la sagesse
Les pistes dépeuplées
Nos vierges se complaisent
Dans les couleurs nocturnes
Nos sentiers n’ont jamais été
Impasses
Jamais indiscrets
De minables camarades
Les caravanes anonymes
Les poisons qui se crispent
En dehors des malaises
A long terme l’Exil
Tant de cimetières
Déjà au feu des croisades
AILLEURS
Offre-moi des strapontins
Je suis l’Exil
Et j’ai honte
Car j’ai vécu
Le désarroi des douars
L’enterrement des mille et une nuits
La chasse aux kasbahs
A plat-ventre
Dans mon pays
Il y a des régions oubliées
Dans les bas-fonds des mémoires
Ecartelés sans musique
Sans lecture
Des coupoles de thé
Vert. Non des fraîcheurs
Comme a dit l’Autre
Toute la ville a souffert
De lagunes par toi
Et les miettes à fond noir
Les tombeaux tuberculeux
A même le sol. Hélas
Le ciel pour une fois
S’est effondré dans ma coupe
Je suis sec
Car c’est moi ce prisonnier
Des fantômes à venir
Et non cet homme nu
Là-bas
Qui se cramponne à la foudre
Qui ne sait que pleuvoir
Sur la mer
Une pluie mordue de châtaignes
Et de figues sèches
Moi l’ami des Exilés
Millénaires
Parmi tous ces regards
Assassinés
La veille des morts
J’ai maintes fois dépassé
Les abreuvoirs à tortures
Et je viens vous offrir
Maintenant
Mon cadavre
Non ma pitié
Jamais inerte
Une charogne dérobée
A l’heure sacrilège
Voici les vautours.
–
Ulysse – Ode à ma plume
Ulysse nous fait partager sa « plume », c’est le cas de le dire, avec le titre choisi…
il participe au forum « En Attendant la fin du monde », c’est là que je l’ai « repêché »
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Ode à ma plume
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Je confierai ma plume à la foudre et aux vents,
Aux furieuses tempêtes, aux fauves tremblements.
Je la veux souveraine, insolente et fantasque,
Insensible à la haine, sans faiblesse, sans masque.
Je la veux intrépide, courageuse et libre
Ecrivant sans ambages mon ivresse de vivre.
Quand les vents des passions se seront apaisés
Ma plume cheminera aux sentiers irisés
Des tendresses du soir entre des bras fragiles
Quand la force est vaincue par un battement de cils.
Elle se fera pinceau aux encres de couleurs
Traçant sur le papier les signes du bonheur.
Elle glissera ses mots au milieu de silences
Quand il faudra se taire devant une souffrance.
Je la veux enjouée, folle, primesautière
Sautant dans les ruisseaux, remontant les rivières
Tirant du fond de l’ombre, des perles, des diamants
Accrochant à ses lignes de jolis cerfs volants.
Je dirai à ma plume d’écrire des poèmes
Sur tous les vagabonds et leur vie de bohème
Sur les cris des enfants à la récréation
Sur les mots des amants au feu de la passion.
Et lorsque fumera mon dernier feu de bois
Elle inscrira encore aux branches d’une croix
« Pardonnez lui, Seigneur, d’avoir pris du plaisir »
« Aux rimes polissonnes.., il aimait trop écrire !»
Ulysse 2 février 2012
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