Robert Piccamiglio – C’est vraiment une grande forêt
Yves LeCoq
C’est vraiment
une grande forêt pour une fois
avec dedans des ours
et des hélicoptères miniatures
Je me couche sur le dos
au milieu des sapins
ils sont hauts
je regarde les fourmis courir
comme des folles
du lever du soleil
au coucher du même soleil
C’est vraiment
une grande forêt
une autoroute la traverse
elle part de l’Est
se faufile vers l’Ouest
les cons en voitures à pieds
la traversent aussi
s’arrêtent pour y manger
et pour y faire pisser
leurs gosses
Je me couche sur le ventre
cette fois
les hélicoptères miniatures
sont au-dessus de ma tête
silencieux et beaux
transparents et gracieux
comme des ombrelles de femme
Alors à ce moment là
de l’histoire
les ours bruns rappliquent
pas la peine d’ouvrir tout grands
vos yeux
d’être étonnés
– je vous ai déjà dit plus haut
qu’il y avait des ours
dans cette forêt
Ils viennent danser avec moi
et moi avec eux forcément
les hélicoptères miniatures
jouent serrés
un vieux truc de John Coltrane
on va essayer pour une fois
de ne pas trop se marcher
sur les pieds
les ours bruns et moi.
(poème affiche Annecy )
Wislawa Szymborska – Avec le vin
peinture André Cohn
D’un regard il amplifia ma beauté
et je la pris pour mienne.
Heureuse j’avalais une étoile.
Je lui permis de m’inventer
à l’image du reflet
dans ses yeux . Je danse, danse
dans les secousses de mes subites ailes.
Table est table. Vin est vin
dans le verre, qui est verre
restant dressé sur la table,
Je suis illusoire,
incroyablement illusoire
imaginée jusqu’au sang.
Je lui parle de ce qu’il veut : de fourmis
mourant d’amour
sous la constellation de pissenlits.
Je jure qu’une rose blanche,
arrosée par le vin, chante.
Je ris, je penche la tête,
avec précaution, comme si je vérifiais
une invention. Je danse, danse
dans une peau étonnée, dans les bras qui me créent
Eve de la côte, Venus des écumes,
Minerve de la tête de Jupiter,
étaient plus réelles.
Quand il me regarde,
Je cherche mon reflet sur le mur.
Et je vois seulement
un clou, duquel on a enlevé son tableau.
Vanité – ( RC )
il est dit
que le son
ne franchira pas
tes lèvres.
Si c’est d’un miel
le temps qu’il s’écoule,
une pâte lourde,
où des miettes noires s’agitent.
Fourmis actives,
aussi nombreuses
que les secondes
courant dans une heure.
Alors, – parlons des jours,
voire, des années,
Les pensées en sont les étoiles,
tapissant la voûte céleste
d’un crâne …
–
RC – juill 2015
Wislawa Szymborska – Quatre heures du matin
Wislawa Szymborska
QUATRE HEURES DU MATIN
Heure de la nuit au jour
Heure du flanc droit au gauche
Heure pour avant la trentaine.
Heure balayée sous le chant des coqs.
Heure où la terre semble nous chasser.
Heure où nous glace le souffle des étoiles éteintes.
Heure de qu’est-ce qui restera-bien-de-nous.
Heure vide,
sourde, aride.
Fond du fond de toutes les autres heures.
Personne n’est vraiment bien à quatre heures du matin.
Si les fourmis sont bien à quatre heures du matin,
Bravo les fourmis! Mais que viennent vite cinq heures,
Si tant est que nous devons survivre.
Roberto Bolaño – Sale, mal vêtu
J’étais malade, certes, mais j’étais vivant.
En el camino de los perros mi alma encontró
a mi corazón. Destrozado, pero vivo,
sucio, mal vestido y lleno de amor.
En el camino de los perros, allí donde no quiere ir nadie.
Un camino que sólo recorren los poetas
cuando ya no les queda nada por hacer.
¡Pero yo tenía tantas cosas que hacer todavía!
Y sin embargo allí estaba: haciéndome matar
por las hormigas rojas y también
por las hormigas negras, recorriendo las aldeas
vacías: el espanto que se elevaba
hasta tocar las estrellas.
Un chileno educado en México lo puede soportar todo,
pensaba, pero no era verdad.
Por las noches mi corazón lloraba. El río del ser, decían
unos labios afiebrados que luego descubrí eran los míos,
el río del ser, el río del ser, el éxtasis
que se pliega en la ribera de estas aldeas abandonadas.
Sumulistas y teólogos, adivinadores
y salteadores de caminos emergieron
como realidades acuáticas en medio de una realidad metálica.
Sólo la fiebre y la poesía provocan visiones.
Sólo el amor y la memoria.
No estos caminos ni estas llanuras.
No estos laberintos.
Hasta que por fin mi alma encontró a mi corazón.
Estaba enfermo, es cierto, pero estaba vivo.
Federico Garcia-Lorca – chanson de l’oranger stérile
peinture Gisele Gautreau
–
Bûcheron.
Coupe moi de mon ombre,
Libère-moi du tourment
de me voir sans fruit.
Pourquoi suis-je né parmi les miroirs?
La journée fait des cercles autour de moi,
et la nuit me copie
dans toutes ses étoiles.
Je veux vivre sans me voir.
Et je vais rêver que les fourmis
et des bavures des chardons sont
mes feuilles et mes oiseaux.
— traduit de la version anglaise suivante par RC:
Song of the Barren Orange Tree
Woodcutter.
Cut my shadow from me.
Free me from the torment
of seeing myself without fruit.
Why was I born among mirrors?
The day walks in circles around me,
and the night copies me
in all its stars.
I want to live without seeing myself.
And I will dream that ants
and thistle burrs are my
leaves and my birds.
Woodcutter.
Cut my shadow from me.
Free me from the torment
of seeing myself without fruit.
« Song of the Barren Orange Tree »
–
–
Caméléon (RC)
Caméléon
Des colonies de fourmis se suivent
C’est à peine si on dirait qu’elles bougent
Même celles à tête rouge
Sagement alignées, – point de rétives.
Sous les vents désignés par la rose
Pucerons aux entrelacs des épines
Sous l’oeil de la grande assassine
Allongée, et qui prend la pose…
Voila , Messieurs, la reine des amantes
Celle assoiffée de globules
Vous copule , aux ciseaux des mandibules
C’est une verte, et lente, une mante
Religieuse, en sa prière
Immobile, en arrêt sur l’image
Compte de ses maris, le carnage
Derrière le rideau de lierre
L’épeire ma voisine, aux pattes, à poils
Fournit de fin tissage, son spectacle
D’une géométrie apparemment sans obstacle
A cueillir les mouches , en son étoile
Le tout bien considéré, … je m’habille en insecte
Je suis immobile, comme feuille verte
Et attend, la coulée des heures, la gueule ouverte
Punaises et moucherons, dont je m’ délecte
Je suis le caméléon, à langue agile
Peint de branches et feuillages
Nouveau costume et d’habillages
Sans grand besoin d’ustensiles
Je me promène, déguisé à ma guise
En lenteurs de promeneur
Et toujours en couleurs,
Des insectes, multipliant les prises.
RC- 6 juin 2012
–
Abdelmadjdid Kaouah – Le sel

lac de cratère de Kelimutu_ Indonésie
Le sel
—
Voilà j’ai atteint la rive noire
Là où le rêve n’a plus de miroir
Ni force pour traîner ses fourmis
Ses dérisoires mensonges et
Ses petites lâchetés en guise
De destin
La rive noire où il n’est plus de Mahatma
Ni de seigneur hautain
Pour répandre les épreuves
Le soleil se lève et se couche
Et la bouche essuie la bave des jours
Le sel est amer sur la table
Et en guise de vie nous redessinons
Les cerceaux boiteux de notre enfance
Voilà la rive noire
Est atteinte par petites brassées
A la cadence d’un survivant
La rive noire
C’est avant toute une saison
La saison mentale de tes premiers poèmes
Te voici à nouveau livré aux feuilles d’automne
La couronne des défaites
Le frémissement d’une chair envoûtée
Et tu sais que rien ne sert de se lamenter
Au seuil d’un nouvel avatar
Le bruit seul s’absente
Et tu ne sais si le chemin t’attend
Pour t’accompagner ou pour effacer
Les traces de ton destin
Ainsi l’automne s’abat
Sur toi comme une proie
–
ABDELMADJID KAOUAH
c’est à cet auteur que Rabah Belamri faisait écho dans « poésie mise à nu »
–