Fleur anachronique – ( RC )

photo RC jardin des orchidées – Singapour 2022
Fleur anachronique,
c’est fini, l’été
les moussons du Pacifique,
les lointains égarés
où les jardins botaniques
seront là à t’attendre…
Il faudra te contenter
du jardin des orchidées,
des fleurs de gingembre.
On y croise quelques filles,
à l’abri d’une voûte de verre
qui se font tirer le portrait
comme aux Champs Elysées
légèrement en retrait
sur le fond vert.
Elles rêvent de vrais alizés,
de paysages extraordinaires
des plus esthétiques
par-delà les frontières,
et pensent à leur retour
à Singapour
pour que leurs rêves d’avenir
deviennent réalité :
roses de plaisir
dans les endroits exotiques
elles te feront parvenir
comme tu l’espères
ces fleurs anachroniques
de l’autre bout de la terre…
Blanche est ma voix – ( Susanne Derève) –

Mes illusions perdues,
plus pauvre qu’en ma jeunesse, je suis,
et mes cheveux coupés.
Pour vêtir un roi nu, n’ai qu’un maigre édredon
que chacun tire à soi
et quand sur vous, mes frères,
les mâchoires d’acier des frontières se ferment,
j’appelle, j’appelle encore,
blanche est ma voix,
noyée dans le grondement du flot,
blanche,
la supplique qui monte des radeaux
accrochés à nos flancs, au bout de leur errance,
blanche la plainte,
qui fuse des barbelés, le cri du sang
épandu sur la neige,
et sous les bombes, les gravats,
les villes qu’on assiège,
blanches d’horreur les pupilles,
blancs les membres brisés.
Mes illusions perdues …
à Kaboul Ispahan Téhéran ,
blanc le cahier d’écolière,
blancs le niqab et le linceul,
la corde et le nœud coulant,
et quand sur vous mes sœurs,
les mâchoires d’acier des prisons se referment,
j’appelle, j’appelle encore
au delà des frontières , blanche est ma voix …
***
sur la Chapelle Maradène ( commune de Martel, Lot) , acquise par Miklos Bokor ,
dont il a entièrement recouvert les murs intérieurs de fresques monumentales
qu’il a voulues comme « sa mémoire » de la Shoah, voir :
Chapelle Maradène, journée du patrimoine – Martel 2020
Colette Daviles-Estinès – le poème de papier,

Le poète distribuait des poèmes de papier
avec des mots d’encre dessus
et de la joie, et de la peine
dedans les mots
du désespoir, des espoirs
des questions, de la colère
jamais de réponse mais des doutes
Il y avait du passé dedans
et des errances
et du vivant
Il voulait que ses mots ouvrent des chemins
que ses poèmes soient des clefs
dans la serrure des cerveaux
en faire des grenades de soleil
Dégoupiller le soleil
et BOUM sur les frontières
Mais c’est un poème de papier
qu’un passant a jeté par terre
après avoir froissé les mots
dans sa main
J’ai ramassé le poème de papier
l’encre, l’espoir
et le vivant
Défroisser les mots
Etre le cœur qui bat
dans la voix qui les porte
Colette Daviles Estines
Ce n’est pas ici que s’arrête la rivière – ( RC )

photo roc Calascio – Abruzzes Italie
Sur la forteresse noire
que garde la montagne amère
se succèdent les guetteurs
qui ne regardent pas les oiseaux,
se moquant des frontières,
libres comme l’air.
Les murs sans joie
sont si hauts
qu’ils découpent le ciel,
comme avec un couteau.
Mais l’air se referme aussitôt,
compact dans sa jupe claire -.
Le temps a plus de chance,
il ne se laisse pas arrêter,
il ne franchit pas de portes
comme l’eau de la rivière.
Elle , qui reflète aussi bien le soleil
que les étoiles mortes,
dans le flux continu
des heures.
Les guetteurs l’ont perdu de vue
au creux des bras touffus
de la forêt de la plaine.
La matin contourne avec elle
les rochers,
et ne s’arrête qu’arrivé
au bord de la mer
pour reprendre haleine.
Les murs sans joie
ne renferment que de la haine
et une puissance illusoire
qui s’éteint quand le jour décroît,
absorbée par la nuit,
mais ce n’est pas ici
que s’arrête la rivière.
RC oct 2022
Au-delà des fenêtres – ( RC )

Peinture Andrew Wyeth
Personne ne convoite l’hiver.
Lui se cantonne sous tes fenêtres,
et ton royaume est étanche.
Il y a de ces frontières
qui dépassent les saisons,
amidonnées de givre et de silence.
Il faudra bien cependant un jour
sortir de ta bulle
pour affronter l’avenir.
L’enfance s’est rétrécie toute seule,
et tu l’a perdue de vue,
pourtant tu n’as pas froid
Car insensiblement tout s’est transformé,
et la vie, dans son royaume , s’étend
bien au-delà des fenêtres .
Chassés de l’humanité – ( RC )
sculpture : ancienne statue sumérienne
Il n’y a plus aucune place
laissée à ce que l’on connaît,
mais seulement une nature plane .
Si c’est de l’eau, aucune île ne sert de repère,
Nous avons été chassés de l’humanité,
et l’océan est encore sanglant
de toutes les peines :
une patrie sans porte ni horizon ,
esclaves des frontières effacées ,
avec quelques glaces flottantes:
celles d’une géométrie funéraire,
ne marquant même pas l’emplacement des tombes…
les tempêtes peuvent se déchaîner :
rien n’est prévisible dans le feu blanc :
la terre a sombré corps et âmes
sous les bombes et ouragans ,
et il n’y aura personne pour décrire encore
les paysages spectraux,
immobiles comme les yeux fixes,
des dieux aux regards gelés.
–
RC – dec 2018
Qui chante là-bas ? – ( RC )
–
image extraite du film « qui chante là-bas » de Slobodan Sijan
Je me souviens de l’ex-Yougoslavie
des plaines, de la nostalgie,
de la chanson d’un violon navigant dans le ciel,
et les airs de danse traditionnels.
– Il y a des airs que l’on n’apprend pas,
ils traversent les saisons,
et à travers leurs chansons,
on se demande : » qui chante là-bas ? « .
C’est une musique qui traverse les hivers,
passant outre massacres horreurs
elle triomphe de la mort
et des taches sombres de la guerre
Passant sans encombre par-dessus les frontières .
Entends-tu encore la mélodie ?
celle qui nous dit que la vie
continuera , par-delà les tombes et les cimetières .
–
RC – aout 2018
Des soleils se sont effacés – ( RC )
Tu navigues en terre lointaine.
Des soleils se sont effacés.
Ils ont sombré derrière des rideaux de fumée.
C’est ce que rapportent les oiseaux
qui ne connaissent pas de frontières.
On ne leur a pas encore coupé les ailes.
–
RC – juin 2016
–
en hommage au poète irakien Salah Al Hamdani et plus particulièrement son ouvrage « Rebatir les jours »
Estelle Fenzy – Eldorado Lampedusa
–
Dans une
Poche cousue
Une photo des lettres
Délavées
Voix visages
Abrasés
De ce qui fut amour
Quelle est la faute
Si grande que
Les bras les cœurs
Les frontières
Se ferment
Voyageur des frontières ( RC )
–
Il va, dans l’encaissement des vallées,
Des villes qui débordent,
Du gris et de la rouille,
Et quelques ponts sur la rivière,
Il y va
Sur ces voies,
Où les banlieues cèdent du terrain,
Vers des parcelles en pente.
Il va,
Dans la campagne abandonnée,
D’herbe pelée,
Le bois humide et des pierres anciennes.
Il va,
C’est un espace étroit cerné de montagnes,
Répercutant l’écho des nuages,
Où se hissent péniblement les routes.
Il arrive,
Au delà de la frontière,
Espérant que le gris s’extirpe,
Le langage avenant et solaire…
Il arrive,
Dans un pays, porté d’autres instants
Mais retrouve les vallées encaissées,
Et des villes débordant de gris et de rouille…
–
RC – 24 août 2013
( écrit en repensant au roman de Maurice Pons: « les saisons » )
–
En-jeux ( RC )

gravure: Otto Dix Les joueurs de carte, 1920, , gravure N°4 sur 11.
–
A battre le carton,
Celui-là, protégé par les dieux,
Fera des envieux…
« Et qui c’est, le patron ? »
Les valets défilent,
Roi, et as de carreau,
Ou bien cartes de tarot,
Entre les doigts habiles,
Les piliers de hantise
Disent une histoire contée,
Dont je n’ai pas les clefs…
Penchent comme tour de Pise,
Je me vois comme Alice,
Face à la dame de pique,
Sévère et mélancolique.
Au destin qui se plisse,
Au gré de ces figures ,
Brûlant du trèfle ou du cœur,
Sous les mains des joueurs
Défilent les augures,
D’une aventure noire,
Les défis se lancent,
A étaler la puissance,
Aux prises de pouvoir.
Remplaçons les jeux
Par d’autres, géographiques,
Aux frontières politiques,
Etendus d’autres en-jeux
Jouer de l’arnaque,
Pour découper la plus belle part de gâteau
Aidé de fusils, chars,et couteaux
S’il faut passer à l’attaque…
Appétits aiguisés,
Chacun étend son territoire,
Des pays de l’or noir,
Aux châteaux des destins croisés.
Ou bien, sur un plateau d’échecs,
Où s’échangent les influences,
En toute indépendance
( Et qui sort son carnet de chèques ? )
A travers la planète,
C’est un drôle de tournoi,
Où bataille l’argent roi…
Trop beau pour être honnête.
Qu’on se le dise,
> Aux jeux des puissants,
Décompte des mille et des sangs, …..
C’est de notre vie, la mise.
– RC – 8 juillet et 18 juillet 2013
–
Ce texte fait référence au livre d’Italo Calvino, « le château des destins croisés »,
mais est aussi inspiré par le poème de Jules Supervielle « les figures » de Les amis inconnus – 1934
Le concert des fausses notes ( RC )
- retable d ‘Issenheim : tentation de St Antoine
–
Les cors essoufflés font avec, les violons langoureux
Un dialogue grisé, qui éteint le décor.
La symphonie fantastique a mille retours
Gnomes et djinns me soufflent au visage
Une haleine soufrée, des cloches fêlées
Les héros politicards, vite endormis
Aux matières sournoises, se drapent dans le pourpre
Et s’entourent de mains molles,
D’anciennes affiches pendantes, en clones plats
Le miroir n’a plus à raconter l’avenir,
L’humanité pleure, le concert des fausses notes
Les saxophones barbotent en faux airs enjoués,
Le fossoyeur, jette une tasse brisée
Avec les fleurs passées du retable d’Issenheim,
Les tarots alignés, montrent bâtons,
Les mères pleurent leurs fils partis
– Combattre d’autres enfants,
…..L’au delà des frontières, appelle chimères.
Chaque coup marqué par les timbales
– cerne le présent , celui d’ ici –
Les hennissements des trompettes…
Après la “marche au supplice’
> Rendez-vous sous l’horloge…
… maintenant avec des chiffres, elle égare ses aiguilles
Qui défilent, et le progrès qu’on emballe;
Cacophonie ouatée, cuivres ternis
Les pères ont disparu – On leur a menti
– La fumée jaunasse des usines
Au dernier mouvement, noie bientôt l’orchestre…
Et ses ressacs d’un matin. – insolvables –
–
RC – 22 septembre 2012
( composé au souvenir d’un panneau du retable d’Issenheim, de Grünewald, dont la
reproduction illustrait la “symphonie fantastiques ” de Berlioz )
- Caricature d’Hector Berlioz par Etienne Carjat, 1858
Exode ( RC )

population en exode – Syrie
Exode, et
Les saisons qui blessent….
– Dirigeants et chefaillons
Empereurs, colonels, et dictatures
Jettent sur les routes,
Pour la gloire des conquérants,
Des colonnes de fuyards
N’emportent rien,
Ou si peu de choses,
Quelques effets,
Valises entrechoquées
Vieux matelas enroulés
Quand la route est longue
Le chemin vers la liberté
Traverse villages incendiés
Véhicules renversés
Et les lieux marqués par l’hostile
Où chacun marche pour une survie.
Bien sûr il y a d’autres pays
Au-delà des montagnes
Mais est encore si ténu,
– Le fil que l’on espère
suivre, au-delà des frontières
Vers des ailleurs qui rient…
Et le vaste océan
Si vaste qu’il promet
Au-delà des tempêtes,
Que l’histoire prenne une autre couleur
Même s’il faut couper ses racines
Perdre sa langue pour une autre.
Et poursuivre sa quête,
Hors de soi-même – en exode .
–
RC – 6 février 2013
–

peinture Sigmar Polke, ss titre 1999
–
Le Petit Prince, et la musique du monde ( RC )
–
C’est, extrait du livre de l’enfance,
Le Petit Prince, qui met le pied
Sur une frêle planète,
On y entend, si on écoute, une brise
Qui chante dans les arbres, la vie
loin de avions qui passent
Et la caresse chaude des jours de l’été.
Le Petit Prince progresse, il ne lui faut pas longtemps
Pour faire le tour de la terre, et passer le gué
Des îles aux continents, sans se mouiller les pieds.
Il s’interroge avec insistance, sur la forme des montagnes,
Le silence blanc des déserts, l’aventure des rivières
La succession des villes, et des maisons jouets
Sagement alignées, le long des routes,
Et les supermarchés,sont une grande attraction.
S’il veut dessiner des moutons, demander son chemin,
Il n’obtient pas de réponse, car on ne le comprend pas,
Déjà les hommes ne se comprennent pas d’une région à une autre
Et se barricadent chez eux, derrière des frontières,
Mais au-delà des murs on entend de la musique
Qui passe sans rien dire
Comme le vol des colombes
Sur la frêle planète
On entend, si on l’écoute,
Tout de l’amour, et des langages, sans paroles.
Elle ne disait rien, et finit par tout nous dire.
–
RC- 18 octobre 2012
–
Jules Supervielle – Livrez vos mains aux miennes

peinture : Georges de La Tour détail de Job et sa femme
Livrez vos mains aux miennes,
Ecoutez la rumeur:
Nos âmes attardées
Viennent de leurs frontières.
Voici qu’elles se touchent.
C’est l’ombre et la lumière
Qui se croient immobiles
Et tremblent de changer.
–
Jules Supervielle
–

peinture: Georges de La Tour: détail : le nouveau né