Antonio Gamoneda – Cecilia

Tu dors sous la peau de ta mère et ses rêves pénètrent dans tes rêves. Vous allez vous éveiller dans la même confusion lumineuse.
Tu ne sais pas encore qui tu es ; tu demeures indécise entre ta mère et un frémissement vivant….
…Entre en ta mère et ouvre en elle tes paupières,
entre doucement dans son cœur ;
Redeviens fruit dans le silence.
Soyez comme un arbre qui enveloppe la palpitation des oiseaux
et il s’incline, et en descendent le parfum et l’ombre….
plusieurs textes de cet auteur sont visibles, en traduction française sur le blog d’Ahmed Bengriche
Nous n’avons pas affaire à une statue, dont la bouche reste muette – ( RC )

Quel fruit se sépare,
d’un trait
où la largeur de l’infini
a peu de chance
de rentrer ?
La bouche est entr’ouverte,
sur les falaises brillantes
de l’émail des dents.
La soif des mots
se repose un instant,
de la parole…
Il se peut qu’on s’égare
dans les phrases,
quand aucun voile
ne dissimule le visage.
Nous avons dépassé
les vertiges de la censure…
Est-ce l’ombre de la vérité
qui s’exprime
dans la colère ou le sourire ?
Nous n’avons pas affaire
à une statue
dont la bouche reste muette…
Murièle Modely – nature morte
nature morte
peinture Hannah Höch » l’escalier »
sur la droite une feuille blanche grouille de pattes de mouche
sur la gauche une main sèche brune finit de momifier
le tout s’alanguit dans un cadre doré au milieu d’un mur
qui tombe par plaques dans un musée obscur
Quine Chevalier – Neige conçue 4
Neige conçue
dans la trace dévoilée
l’arbre l’air l’ardent
trois prières
un feu vers lequel
tendre les mains
et l’oiseau me tire
d’un rêve
je blottis ma joue
sous le ventre des nuits
Au hasard du chemin
la prairie démêle
oublié sous la glace
le tison chantant
d’un fruit venu
Laetitia Lisa – En habits d’oubli
peinture rupestre grotte de Chaturbhujnath Nala, Inde, environ 10,000 av JC
Je longe le champ de blés verts
hâtant le pas dans l’herbe haute
pour recevoir encore
un dernier baiser du soleil
avant qu’il ne se couche
en draps ocre et dorés
demain la pluie
demain le froid
pour l’heure la douceur du vent
le chant des grillons et les hirondelles en formation
avec elles je me baigne en le ciel
allongent les brasses lorsque les courants frais
effleurent mes bras nus
avec elles je reste immobile un instant
sous les caresses des courants tièdes
je plonge
dans le bleu des montagnes
jusqu’à ce que la nuit revienne parfaire l’esquisse
de ses gris colorés
je ne peux rien contre le froid et la grêle
tueurs des promesses si près d’éclore dans mon verger
je ne peux rien contre le feu du soleil
tueur des promesses si près de porter fruit dans le tien
sur le dos de quelques mots ailés revenus nous chercher
nous dansons en habits d’oubli
ourlés de nuit .
————
plus d’écrits de L L ? voir son site-blog
Henri Rode – Le monstre
LE MONSTRE (fragment)
« Je vois le monstre de préférence (et c’est toujours ici de préférence qu’il s’agit) dans l’objet, le légume, le résidu dont on a su d’abord tirer usage, le fruit pressuré et la montre écrasée, pour les rejeter ensuite dans un coin où l’objet, le fruit, la montre, etc., poursuivent leur existence inutilisable.
Prenons ce tas de pelures d’oignons roux laissé au milieu du fenil apparemment oublié de Dieu et des hommes, une humble toison à peine dorée d’un rayon et qui ne donne au préalable aucune impression de protestation ni même d’existence, qu’un distrait pourrait fouler aux pieds, une araignée traverser sans risque, un balai balayer sans remords. Je songe : trop facile de te passer de toi pour expliquer. Et c’est pourquoi je repasse. Je ne veux pas donner dans le panneau.
C’est au contraire avec un grand souci de sympathie que je me penche sur le tas de pelures. Je les fouille, les sens, des monceaux de vers doivent les travailler mais ici mon observation est courte. Je pourrais expliquer la larve plus l’éclosion sans aboutir à aucune satisfaction personnelle. Chercher une ressemblance n’est jamais le fait du hasard mais d’un besoin intérieur, d’un rassurement dirai-je.
Pour me rassurer quant à la destination de ces pelures prêtes à se dissoudre en poussière, il me faut une expérience neuve et définir pourquoi, pourquoi ? Chaque fois que je passais près du tas et quel que fût mon état d’absence une tristesse incompréhensible me prenait, pourquoi tout déchet, tout objet délaissé dans un coin ne me semblait jamais tout à fait fini ni inutile, et pourquoi en fin de compte mon utilité au jour ne me paraissait ni plus certaine ni plus étonnante que celle du moindre objet, pour peu que je descende aux sources de la création. »
Henri RODE in « Cahiers du Sud » n° 293 (1949)
Dominique Sampiero – La voix
photo: Joan Bardeletti
« la voix s’empare du corps s’ouvre en deux comme un fruit,
une fontaine, quelque chose comme ça.
Mais ça ne se voit pas.
Le corps est dans sa verticale et ruisselle par la bouche.
Les mots que l’on n’a pas dits montent dans tes yeux, et ce n’est plus être seul, mais être.
Plus encore, un être nous envahit dont nous ne savons rien que ces larmes qui sont étranges.
Nous n’avons aucune peine. Sauf cette joie douloureuse de la lumière . »
S.M.Roche – Nocturne
Des ailes bruissent au fond d’un seau,
des formes surgissent de la terre,
d’autres sont accroupies.
La rumeur de leurs mains nappe la ville.
Un dernier fruit tombe du ciel
sur la tôle du poulailler
et les coqs sont réveillés.
Personne ne pense aux étoiles,
il a fait trop chaud tout le jour.
Le dormeur amène la voile,
le songe s’engrave sur le lit,
le poème s’est perdu.
Il reste le bois fendu
d’une nuit sans sommeil.
– A lire, avec beaucoup d’autres sur le site « chemin tournant »
Billie Holiday – Strange fruits
—
C’est bien sûr la superbe chanson interprétée par Billie Holiday… une composition d’Abel Meeropol, dont l’interprétation est synonyme de la voix de Billie ( et emblématique d’une certaine forme de racisme, et de dénonciation de la condition des esclaves )
et dont il existe un équivalent, par la voix de John Martyn

pochette de l’album de john Martyn, ce titre fait partie du CD dans » a church with one bell »
–
Strange Fruit
–
Southern trees bear strange fruit
Blood on the leaves
Blood at the root
Black bodies swinging in the southern breeze
Strange fruit hanging from the poplar trees.
Pastoral scene of the gallant south
The bulging eyes and the twisted mouth
The scent of magnolia sweet and fresh
Then the sudden smell of burning flesh
Here is a fruit for the crows to pluck
for the rain to gather
for the wind to suck
for the sun to rot
for the tree to drop
Here is a strange and bitter crop
Composed by Abel Meeropol
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Les arbres du Sud portent un étrange fruit
Du sang sur leurs feuilles et du sang aux racines
Un corps noir se balançant dans la brise du Sud
Un fruit étrange suspendu aux peupliers
Scène pastorale du vaillant Sud
Les yeux exorbités et la bouche tordue
Parfum du magnolia doux et frais
Puis la soudaine odeur de chair brûlée.
Fruit à déchiqueter pour les corbeaux,
Pour la pluie à récolter, pour le vent à assécher
Pour le soleil à mûrir, pour les arbres à perdre,
Etrange et amère récolte !
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Strange Fruit (Fruit Etrange ) Chanson composée en 1946
par Abel Meeropol afin de dénoncer les Necktie Party ( pendaisons )
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Edith Södergran – Moi, je suis une étrangère en ce pays
–
Moi
Je suis une étrangère en ce pays,
s’étendant profondément sous le poids de la mer,
les regards du soleil sont rayons qui se faufilent
et l’air s’écoule entre mes mains.
On dit que je suis née en captivité –
ici pas un visage qui me soit connu.
Étais-je une pierre, qu’on jeta au fond ?
Étais-je un fruit, trop lourd pour la branche ?
Ici je m’étends, à l’affût, au pied de l’arbre qui murmure,
comment puis-je me mettre debout sur les racines glissantes ?
Là-haut les cimes oscillent et se rencontrent,
ici je veux rester, et guetter
la fumée des cheminées de mon pays natal…
Edith Södergran –
–
Mireille Fargier-Caruso – Aller vers l’immense
–
Aller vers l’immense
Dès le lever du jour
Un impératif
Une urgence
Ces gestes qui les lient
Au delà de l’absence
Qui fondent l’essentiel
Pas à pas
Et puis l’odeur
Depuis toujours
Plus forte
L’odeur de terre de fruit de fleur
Couvrant celle des villes
L’odeur des paysages
Chaque printemps
Dans sa mémoire
Par-delà la poussière
La légèreté
A découvrir à colporter
L’indiscipline
–
Marc Bonnefoy – Poèmes à travers l’infini.
Poèmes à travers l’infini.
…Mort et désert, à quoi pourrait servir un monde?
Dans l’espace il n’est point de planète inféconde :
Qu’un astre soit brillant, éteint ou rallumé,
Le germe de la Vie est en lui renfermé.
Le rapide soleil, l’étoile la plus lente,
Tout ce qui trace au ciel sa course étincelante.
Eternellement vit, meurt, revit tour à tour,
Et, s’il n’est pas peuplé, le sera quelque jour.
oui, la Vie est partout : c’est une loi suprême
Regarde : trouve un coin de la Terre elle même
Où ne pullulent pas des flots d’êtres vivants !
Tout n’est-il pas fécond, les bois, les mers, les vents !
Sous l’herbe et dans le sol, sur l’arbre et sous la feuille,
Dans la fleur qui s’entouvre ou le fruit que l’on cueille,
Grouille la vie, au fond des eaux, en haut des airs..
Et maintenant veux-tu que des astres déserts,
Lorsque de se peupler tous les cieux sont avides,
Roulent dans l’Infini comme des berceaux vides !
–
Marc Bonnefoy. recueil » Poèmes à travers l’infini » 1895
–
Vêtement de rosée ( RC )
Une pause en prose,
En vêtement de rose
Habillé seulement de rosée
Et d’un vent frais – et osé,
C’est un voyage tendre
A celui qui sait attendre
Une caresse déposée
– Le fruit de tes baisers…
RC 23 septembre 2012
Billie-Holiday – Des fruits étranges – Strange fruit

Blood on the leaves
Blood at the root
Black bodies swinging in the southern breeze
Strange fruit hanging from the poplar trees.
Pastoral scene of the gallant south
The bulging eyes and the twisted mouth
The scent of magnolia sweet and fresh
Then the sudden smell of burning flesh
Here is a fruit for the crows to pluck
for the rain to gather
for the wind to suck
for the sun to rot
for the tree to drop
Here is a strange and bitter crop
Composed by Abel Meeropol
–
Les arbres du Sud portent un étrange fruit
Du sang sur leurs feuilles et du sang aux racines
Un corps noir se balançant dans la brise du Sud
Un fruit étrange suspendu aux peupliers
Scène pastorale du vaillant Sud
Les yeux exorbités et la bouche tordue
Parfum du magnolia doux et frais
Puis la soudaine odeur de chair brûlée.
Fruit à déchiqueter pour les corbeaux,
Pour la pluie à récolter, pour le vent à assécher
Pour le soleil à mûrir, pour les arbres à perdre,
Etrange et amère récolte !
Strange Fruit (Fruit Etrange ) Chanson composée en 1946 par Abel Meeropol afin de dénoncer les Necktie Party ( pendaison)
je serai mère , bientôt – ( RC )

photo extraite d’un film de Bergman: – Liv Ullman ( peut-être provenant du film « la honte’ )
je serai mère , bientôt
–
Au tirage au sort, la courte paille ou la grande
En dialogues biologiques,Dieu m’a dit : tu seras femme
Tu porteras, les plis les rides, de la peau et du temps
De ces mots , aussitôt faite, ai eu joies et désarrois
Je vis, j’ai vécu, je me souviens, je le suis devenue
J’ai accueilli, je me suis de Marie l’immaculée, éloignée
J’ai cueilli auprès des hommes, du plaisir , le fruit
D’amour, et ce fruit s’est enraciné .
D’amour , mon sang s’est transmis
Avec lui celui de mon père, ma mère ;
De don, de souffrance , mon fruit
Je l’ai senti m’envahir, et son poids
Je me suis vue m’épanouir, – en poids aussi
Par la vie, ainsi en moi, autrement
Tensions, joie, encombrement ;
Des mouvements de toi ressentis,
Puisque c’était TOI , ici
La Caresse de l’au-delà *, et battre
L’écho de dedans, de la maison rose
J’ai écouté, mes paupières closes
La vie à transmettre , ce chant d’intérieur,
Long fil ininterrompu, je l’ai portée, je t’ai porté
J’ai porté le futur, je porte les futurs.
En germination, je suis déesse à mon tour, et
La mort sera battue en brèche
L’au delà, le divin, n’est pas ailleurs
Il est en moi, Vie je donnerai
Je serai mère, bientôt
RC avril 2011
–
* la superbe expression » La Caresse de l’au-delà * » provient d‘Arthémisia. ( que j’ai « questionnée « serré » pour essayer de transcrire la sensation de pré-naissance.. )
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Danièle Corre – Voix venues de la terre B
Des lianes-pieuvres enracinaient la pierre, la dague d’obsidienne haussée dans le soleil a fait jaillir le cri de la pyramide maya
à la voûte en plein cintre où la respiration assiégée chercha refuge, à travers les siècles.
En haut des marches s’effondrèrent les pas téméraires vers une cité de silence dont je ne suis.
Nous étions si loin alors du carré des herbes à sculpter d’autres matières que celle donnée sous les frondaisons de châtaignes, à forer mine de fer et parois de jour gris.
Proches pourtant étaient les Coeurs de Marte
sur les nappes d’autel
où nul ne demandait sacrifice
de mains douées et de regards confiants.
Il n’est plus de danger, plus de simulacre,
toutes les peurs sont venues goûter à notre sang,
nous avançons encore, guetteurs d’offrandes,
négligeant la faillite des voix
qui, au plus noir de l’effroi, nous laissèrent
maigre pitance d’amour.
Le chemin s’est ouvert aux rondeurs potagères,
l’enfant prodigue redresse les tiges, attache tuteurs de maîtres
à ses bonheurs de raphia,
reconnaît sans larmes le ver dans le fruit,
s’émeut de la beauté intacte, de la question sans pièges.
–