Pentti Holappa – parfum de fumée

montage perso –
Parole de ruine
Je veux venir près de toi.
Je ne trouve vrais ni la pierre, ni le monde ni les distances.
Le coup d’aile d’un oiseau dans le ciel de grand gel dure
aussi longtemps que la ville aux murs coulés de béton
Il m’a fallu me briser avant de perdre mes illusions.
Aujourd’hui,
je suis certain que tes cellules m’entendent
quand je parle la langue aux mille sens des ruines
en moi-même,
mais rien que pour toi en vérité.
–
Parfum de fumée (1987)
Jean Tardieu – fantômes

Ce n’est pas tout à fait la terre
que connaît un chacun.
Je découvre mille mystères
Dans les coins, un par un.
Le train, c’est une histoire étrange
avec tout ces regards !
Aux braves gens les mauvais anges
sont mêlés tôt ou tard.
Une route se remémore
tous les pas disparus
Mais elle attend — et rien encore
n ‘est vraiment apparu.
Qu il faille un peu manger pour vivre.
On connaît bien cela
Mais je veux qu’un dieu noua délivre
de qui nous mangera.
J’ai vu souvent de longs passants
sur l’asphalte foncé :
Ce n’étaient que des vêtements
où loge la fumée.
Peut-être, étant assez distrait.
m’étais-je trompé d’heure
Et les ai-je vus de trop prés
Au moment où ils meurent.
Moi-même, un jour, prés d’un miroir
Je fus bien étonné
de ne plus rien apercevoir
Ni mon front, ni mon nez !
Le ciel passait à travers moi
Tout était calme et lisse
Et j’entendais le temps qui glisse
Sur le sol gris et froid.
1940
texte publié dans la revue « poésie 84 »
Luis Cardoza Y Aragon – Cité natale
CITE NATALE ( Guatemala-la-Vieille )

Le grincement d’un grillon ouvre une porte
sur un ciel de conte de fées.
Tu surgis, les chemins creusent ton lit, navigable Solitude.
Le temps n’existe pas; être… Tout est déjà !
Jours d’un autre monde. Ciel sans rêve : paupières
Nuits comme d’obscurs bâillements, immobiles…
au centre de toutes les heures, indélébiles, infinies, et mûres.
Toi, malhabile, sur un trapèze
accroché à un jour et à une nuit
très hauts, profonds et sans maître,
te balançant largement, lentement,
ruminant tes monologues de fumée.
Car tu n’es que l’écho
de ton ombre sans corps,
écho de lumière, ombre de voix, très loin.
Quand atteindras-tu la surface
de la terre, du ciel ou de la mer,
depuis cette route où tu vas, nocturne,
vers le soleil de limbes innocents
qui t’attend, mais oublié déjà,
debout, endormi comme un phare,
en quelle péninsule d’ombre ?
Distance parallèle au regard :
rafales d’infini, ailes coupées,
coups de vent dans les rues.
Haut zénith parvenant de l’autre côté
en criant : « Oui » dans les paratonnerres.
Nadir, tourbillon de routes nocturnes,
porte voix de tombe hurlant : « Non ».
Toi, au milieu, comme une marguerite
de « jamais plus », perdue en tes oracles.
Tu clignotes parfois : jours, nuits…
Tu t’oublies… Soudain, cinq,
vingt jours ensemble, comme un éboulement ;
trois, quatre nuits télescopées
avec une étrange violence obscure.
Un songe de méduses et de cristaux
de part en part traversent les miroirs :
on sait de quoi sont faits
les chants des oiseaux,
ceux de l’eau, occultes et diaphanes.
On entend grandir les ongles de tes morts,
jaillir tes sources qui portent
en dansant un temps d’or sans arête
et sans valeur ;
tes jours évanouis sur des coussins
de douceur et d’ennui,
et mes cris qui brésillaient
avec une lente et croissante résonance
d’arcades et de coupoles.
Ne bouge pas, le vent pleurerait.
Ne respire pas, ton équilibre
d’arentelle se briserait
Ainsi, telle qu’en mon souvenir,
qui te reconnaîtrait ?
Ange des orties et des lys,
ne bouge pas, car je t’aime ainsi :
lunaire, mentale, intacte,
égale à toi-même en ma mémoire,
plus que toi-même.
Demeure dure, exacte et taciturne,
avec mon enfance de platine et de brouillard,
sur ta clairière de terre éboulée…
LUIS CARDOZA Y ARAGON. (Fragments) Version de F. Verhesen.
L C Y A: né au Guatemala en 1902.
El Sonâmbulo – Pequena Sinfoma del Nuevo Mundo – Poesia (1948).
François Cheng – Sois celui qui éclaire

Le sort de la bougie est de brûler
Quand monte l’ultime volute de fumée
Elle lance une invite en guise d’adieu
Entre deux feux, sois celui qui éclaire !
Marina Tsvetaieva – A Alia
À Alia*
Un jour, ô ma gracieuse créature,
Je deviendrai pour toi un souvenir,
Perdu dans tes yeux bleus, au loin
De ta mémoire, dans le lointain.
Tu oublieras : et mon profil au nez busqué,
Et mon front couronné de fumée,
Mon rire importun et fréquent
Ma main calleuse aux bagues d’argent,
Notre logis d’amant, notre grenier cabine,
De mes papiers la confusion divine,
L’année terrible : malheurs et liesse
De ton enfance, de ma jeunesse.
(Moscou 1919, sa fille Ariadna allait avoir huit ans.)
Des soleils se sont effacés – ( RC )
Tu navigues en terre lointaine.
Des soleils se sont effacés.
Ils ont sombré derrière des rideaux de fumée.
C’est ce que rapportent les oiseaux
qui ne connaissent pas de frontières.
On ne leur a pas encore coupé les ailes.
–
RC – juin 2016
–
en hommage au poète irakien Salah Al Hamdani et plus particulièrement son ouvrage « Rebatir les jours »
Teintes d’apocalype – ( RC )
–
Tant d’eau rassemblée,
n’attend pas le jour
pour se teindre d’oranges.
Le soleil n’y est pour rien,
Ayant sombré bien avant
Il était quelque peu ivre,
ayant dépassé les bornes,
perdu derrière l’horizon.
Ce n’est pourtant pas une éclipse,
mais l’accomplissement du présage
où le paysage
bascule dans l’apocalypse.
Le reptile se déploie,
dénoue ses collines,
délègue des îles
derrière un rideau de fumée.
Et c’est d’un ciel chargé
de cendres et de gris,
que surgit la girafe enflammée,
espérant, de son grand cou
dépasser les nuées,
déplacer la solitude,
renverser les ruines,
boire les étoiles.
Le réveil des volcans
secoue le continent,
illumine l’océan,
transforme les îles en montagnes
s’échancrant de couleurs factices,
rumeur de colère de la terre,
soudain prête à l’effusion des pierres,
le rideau des feux d’artifice,
des entailles profondes,
à la surface du monde,
où la mer s’engouffre,
sous l’acre odeur de souffre…
RC
dessin :Salvador Dali dîner dans le désert avec girafes en feu 1937
Philippe Delaveau – Bistrots III

Photo: Anders Petersen
BISTROTS (III)
Le buveur parfois regarde au fond de son verre
comme s’il cherchait le mot qui manque ou le souvenir
il reprend le récit au moment où le voyageur
se perd encore contre l’obstacle ou l’ombre de sa mort
j’irai m’asseoir au fond contre la cloison
près du portemanteau frêle, gibet de cadavres
les parapluies y dorment, les chapeaux sombres
es-tu le voyageur au-dessus de son verre ou ce poète
qui marchait sur le quai de la Mégisserie parmi les fleurs
les oiseaux parlent la langue des paradis qu’ils n’ont jamais quittés
la voix te délaisse tu ne sais plus tu n’avais jamais su
l’odeur du tabac maintenant s’incruste dans le poil du manteau
la laine sous ta veste agace ta peau
la fumée stagne à mi-chemin du plafond et les mots allégés
demeurent dans l’entre-deux d’une conscience attendant qu’on les frotte …
–
Du corps j’ai perdu l’empreinte – ( RC )

photo: Ivar Ivrig
–
Des brûlures noires,
Aux paroles tendues
Se consument encore
Dans un Styx immobile
Quand la pensée se fige,
Etranger à son propre corps,
Un pays natal, où s’oxyde
Une eau au goût,
Qu’on ne reconnaît plus .
Ou seulement le goût
De la cendre,
A regarder s’éloigner,
Toujours davantage,
La rive, les champs.
Ils ne sont plus que surfaces ocres,
Et les arbres une masse sombre,
Un crépuscule du désir,
Et les braises éteintes ;
( du corps j’ai perdu l’empreinte ) .
On y distingue même plus,
Les fleurs piétinées,
Le tout sera bientôt,
Recouvert par un rideau de fumée…
–
RC – 28 novembre 2013
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Raymond Abelio – Seuls les faibles me demandent encore ma chaleur
–
–
Seuls les faibles me demandent encore ma chaleur.
Ils veulent s’y assoupir. Mais ils se trompent sur moi, ils me prennent pour l’enfant que j’ai été.
Je n’ai plus de chaleur disponible, je la change toute.
Éternels voleurs d’énergie, enfants adultérins de Prométhée, profanateurs du feu dont ils ne dérobent que la fumée charbonneuse !
J’appelle forts ceux qui ne me demandent rien, mêlant à la mienne leur lumière, qui est la même.
–
-
Ma dernière mémoire, Raymond Abellio, éd. Gallimard, 1971, t. I, partie Un faubourg de Toulouse, 1907-1927
Paroles en déni, glacées d’incendies ( RC )
–
Des dits, des non dits,
Et des paroles en déni
Autant glacées qu’elles brûlent,
–
Ainsi sur mes doigts crispés,la neige…
Voguant la passion,
Avant que retombe le murmure du silence,
–
Poignards des incendies,
Effaçant la nuit,
Orange, la ville s’allume,
–
Comme elle illumine sa tragédie,
En quelque sorte, le bouquet final,
Juste avant le retour du glacial,
–
Lorsque tout sera partie en fumée,
Et notre histoire, consumée.
–
RC – 5 septembre 2013
–
Isaac Lerutan – Nous sommes les enfants du ventre de la terre
–
Nous sommes les enfants du ventre de la terre
La balle bleue se meurt, s’enterre ou prend des rides
Qu’importe ! dit la nuit, demain sera bien mieux
mais la flamme se perd quand la fumée se vide
le royaume des nantis n’est pas si audacieux
Il règne une atmosphère aux armes délétères
que les âmes assaillissent par soif ou appétit
sans même se soucier de leurs proches congénères
les têtes ramolissent et chaque oeil se replit
Nous sommes les enfants du ventre de la terre
dans ses silences actifs surgissent les leçons
mais nous n’écoutons pas, trop occupés à faire
valoir nos immondices semés à profusion
Le sol est chaud
Vitesse continue
Quel ange aux ailes mortes nous aurait défendu ?
Le sol est pauvre, les hommes sont riches
leurs pas avides font trembler le plancher
qui s’enfouit…et fait monter la mer
–
Isaac Lerutan, 2008
–
Trains sans retour (RC)
Il y a des trains
Dont jamais de marche arrière
ne fera de retour
Pour les déportés d’Auschwitz
Dans les wagons à bestiaux
aux planches lacérées d’ongles défaits
Le chemin de fer
est la porte de l’enfer
Et les corps meurtris
de kilomètres de désespérance
Dans les cris , l’agonie
et les excréments
L’avenir « terminal » des camps,
Miradors et baraquements,
Les coups , les soldats
Les nuages en fuite, peut-être
Mais l’horreur assurée
Et les trains toujours
Pour « remplacer » ceux
Partis en fumée.
RC 21 Mai 2012
–
Marina TSVETAIEVA – A Alia
Toujours extrait de l’anthologie des « inédits de Vanves », de MARINA TSVETAIEVA
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À Alia*
Un jour, ô ma gracieuse créature,
Je deviendrai pour toi un souvenir,
Perdu dans tes yeux bleus, au loin
De ta mémoire, dans le lointain.
Tu oublieras : et mon profil au nez busqué,
Et mon front couronné de fumée,
Mon rire importun et fréquent
Ma main calleuse aux bagues d’argent,
Notre logis d’amant, notre grenier cabine,
De mes papiers la confusion divine,
L’année terrible : malheurs et liesse
De ton enfance, de ma jeunesse.
(Moscou 1919, sa fille Ariadna allait avoir huit ans.)