Paul Gravillon – la tristesse et le jour se ressemblent

Un visage accroché à des algues
un balcon troué par une bombe
des paupières de violettes
des Joues de crépuscule
des yeux d’orient
perles noires dans un jour glauque
tournées vers le futur
illisibles
tous les genres se mélangent
les classes les races
les femmes se donnent et restent vierges
tout le monde est pardonné
la tristesse et la joie se ressemblent
tout se poursuit
plus rien n’importe
la femme cancéreuse se caresse le sein
les grands hommes ne meurent plus
ils remplissent les rues
faire l’amour c’est faire son salut
la main de parkinson
sème l’or à tous vents
les tigresses ont la caresse facile
et les biches sont sanglées comme des femmes
leur tresse comme une loutre endormie sur l’épaule
fatiguée de tant de pays
leur nudité ne se vend plus
elles entrent à l’académie des beaux-arts
les rois hydrocéphales
se couvrent le front d’une feuille d’or
et les princesses aztèques
les yeux brouillés de sable
sont à genoux et prient entre leurs cuisses
déjà la nuit
a mis ses doigts sur leur joue gauche
déjà se cambre leur jeunesse ‘
et le vieil homme a revêtu
son pyjama d’agonisant
près de sa main s’arrête
la fille aux yeux de lit
aux cuisses aspirantes
ou bien selon les jours
la viergeronnette en madras bleu
dont le pied effleure l’ordure
et dont la chair
sent le pain chaud
mais l’homme se meurt et d’autres baisent
voici la fin et le commencement
les sphinx dans le vent
ont perdu leurs cheveux
II y a aussi des combats dans le ciel
souvent volent des débris d’anges
lumineux ou funèbres
tandis que le vent crie en silence
et que brillent
les cuirasses du soleil
les cavaleries de dentelles fuient
au ralenti
sur le silex du ciel
croisées par les corbeaux qu’attire
l’immense tache rousse
qui sourd à l’horizon
alors les éventails verts
constellés de cris d’oiseaux
éventent les colombes
échauffées par le sang
il pleut tant de lumière
sur les coffrets de bijoux de l,a terre
que toutes les portes
restent closes
Anna Jouy – Je n’oublie pas

Je n’oublie pas. Pourquoi le ferais-je. Le souvenir est le petit oratoire de la mélancolie.
J’entasse le passé, les fanes d’hiers bien secs. Une odeur de soleil en fleur
Et parfois glisse sur l’image du jour, ce voile qui tombe sur les berceaux.
Je n’oublie pas comme on a bâti ma robe de mots, comme il a fallu y faire entrer le corps et l’âme engoncée.
Je n’oublie pas non plus la nudité des mains, le frêle tirage des rêves dans les cartes du futur. Tout ce qu’on a dit que j’allais devenir. Le pire, l’ordinaire et la sorcellerie.
Je suis sortie de vos dires et de vos mutismes, je suis issue de ces chemins ronceux qui jalonnaient vos vies, de vos bras implorant misère, de votre dernière larme.
J’ai traversé chacune de vos paroles, je les ai décousues de ma chair
parfois terribles parfois maudites et celles que vous avez prononcées de lumière comme une lampe torche remise en mes doigts pour poursuivre.
Je n’oublie pas que c’est des autres souffles que j’ai volé et que ce vent toujours fut l’ombre transparente de ma ligne de vie.
Bernard Noël – la chute des temps – extrait 1

photo et montage RC
tu regardes
cette chose sans toi qui est toi
de quoi parlions-nous dis-tu
ta main même est muette
est-ce moi que vous avez tué
il n’y a plus moyen de faire la différence
peut-être suis-je quelqu’un qui n’est plus là
mais qui
peut ouvrir son propre corps pour lire
les présages de son identité
il est temps que chacun se souvienne
d’une autre histoire que la sienne
la mémoire s’en va comme le sang
à quoi bon ce que l’on a su
quelqu’un toujours voudrait venir
sous notre peau il lui suffirait
d’être la forme de l’air tout le temps
qu’il demeure dans notre corps
pourquoi n’y a-t-il plus de miracles
ils étaient le retour d’un souffle
dans la bouche capable
de le reconnaître mais les mots
sont trop forts quand ils vont
seuls on les attache l’un à l’autre
comme la respiration attache l’air qui vient
à celui qui va misère
misère où est la bouche libre
et ce trou dans la terre
qui parlait
au cœur ainsi que monte
la sève ou bien le regard
dans les yeux ne m’oublie pas
criais-tu et je n’entendais qu’un pas
d’oiseau et il froissait l’air devant
mes lèvres
qu’est-ce qui change
sinon la qualité quand l’énergie
détruit une différence pour en créer une autre
chaque jour est une différence
où le changeant est moins que le divers
le temps n’est jamais dans la ligne
droite il explose et moi
comment pourrais-je dire aujourd’hui
sans être à bout de souffle
car la fin et le commencement se tiennent
entre les dents qui tiennent ce mot
d’autres ont cherché le chiffre pour rabattre
le devenir sur lui-même tenir la vie
j’ai seulement rêvé de voir cette chose
aérienne un mot qui s’envole
de ta langue et je verrais enfin
ce qui sous nos yeux échappe à nos yeux et tu parlerais
tu parlerais pour que je voie
et nous aurions existé pour cela
dessous la lente migration de l’air dans l’air
mais dis-moi qui
et tout le dehors est une page blanche
où nous allons parmi les puits taris
sur le plafond de la nuit marchent
les morts parle-moi parle
que je croie encore à ces choses
dont nous avons meublé la vie syllabe
après syllabe l’ombre ne prend pas
sous les mots car ils sont le fil
qui raccommode la blessure
mais tu t’en vas les bras chargés
de ma poussière et je ne sais plus si
le regard est fait par le silence
ou la lumière
dis-moi qui
me dira ce qu’il faut faire
de toute cette vie réduite à une fois
et le temps aura la douceur d’un vieux linge
malgré la gâchette et le dernier baiser
puis il ne sera plus jamais trop tard
qu’attendions-nous un nuage est passé
le temps futur est devenu le présent
tu as dit ma conscience n’a pas bougé
et j’ai vu ton visage être cette pierre
dont j’aurais voulu faire ma maison
où mettrons-nous la porte disais-tu
quand chaque instant nous change en
ce que toi et moi ne sommes plus
et je pensais la vie est vaine
pour que le rien devienne créateur
et l’heure suspendue mais la langue
penchait comme une terre basse
après le recul du sens
qui
toujours la même affaire cependant
le neuf part encore de la fin
l’histoire coupe à travers maintenant
comme l’étrave fend la mer
les mouvements de l’une et l’autre
ne sont qu’un dans l’ignorance réciproque
et la contradiction nous sommes nés
des morts comment dire autrement
cette chose simple et qui appelle
car l’histoire n’est pas dans la continuité
elle est une explosion d’instants
que le pouvoir ramasse après
pour les ranger en ordre convenable
ainsi naît l’irréversible le jour
baisse entre les dates les épitaphes
les signatures derrière la main
pousse l’héritage et le temps n’en revient pas
parce qu’il regarde le calendrier
comme on regarde une photographie qui
n’est pas la sienne
miroir miroir
nul ne sait fouiller dans la chair
pas plus que dans l’image où chacun
se connaît à l’envers mais tu rêves
d’ouvrir le chantier de l’origine
les mots s’enroulent aux nerfs
ils les gainent d’un rien qui est
aussi la doublure de tes yeux
comment savoir de quelle étoffe
est le savoir quand l’intouchable
est le savoir lui-même et pourtant
quel plaisir dans la tête à s’habiller
de cela
qui mais qui pourrait
comme l’amour retire sa robe
qui pourrait découvrir l’en-dessous
tu es au monde et tu es en toi
disais-tu touchant mon cœur
et je ne comprenais pas tes mots
mais cela seulement qui mettait en moi
leur bouquet d’air
puis la peau repousse et tu es loin
derrière tes dents ou les miennes
l’un compte ses pas l’autre voit ses os
au bord d’une chose immense et floue
la vie qui revient dans la bouche
est une vie changée par le sens
je regarde par-dessus mon épaule
et ne me vois pas venir
mais qui disait
retourne-toi afin que l’avenir change
de place on a planté des morts
à tous les points de l’horizon
chaque direction reste immobile
le temps a les mêmes lèvres que la mer
sauf pour qui s’en va dans
son propre regard et devient l’eau de la lumière
mais les dimensions le ramènent
vers la pierre illisible
et NON
comme le pied du nageur dit non
quand il touche le fond
rien n’aura suffi puisque tu ne suffis pas
à ce que tu es un jour la trace
est perdue et ton souffle passe mes lèvres
quel vivant reconnaît en lui-même
ce qui est plus vieux que lui
et pourtant j’écris avec cela
mon visage est un souvenir
dont personne n’a gardé la mémoire
l’oubli roule des cargaisons de mots
chaque corps est une rive
où font signe la langue
et les gestes du naufrageur
Entre mes doigts, un peu de poussière d’argent – ( RC )

Il y a ce berceau gris
de photographies à moitié développées,
de celles qui emballent
les premiers jours de ma vie :
ce sont dans ces profondeurs du sommeil
où nous nous serions rencontrés,
partageant un rêve inachevé.
Faut-il que j’en sorte,
maintenant un peu plus sombre,
avec le regard qui s’égare ?
Le rêve se serait terminé
sans qu’on s’en aperçoive
et je tiens entre mes doigts
un peu de poussière d’argent.
Le réveil est évanescent :
on me voit adolescent,
accoudé au buffet noir ,
mais la photo ne capte qu’un instant,
pas l’éternité,
et encore moins le futur
où nous pourrions à nouveau, nous rencontrer.
L’homme qui marche – ( RC )
photo perso – Alberto Giacometti: l’homme qui marche ( son ombre).
exposition au musée Maillol – Paris 2018
Vois cette silhouette
découpée dans la solitude.
D’un pas décidé, elle progresse
vers quelque chose qu’on ne voit pas.
On ne sait si elle avance
ou reste sur place :
Il y a ce corps projeté en avant,
ce pas tendu ,et pourtant
les pieds englués au sol,
entre futur et immobilité .
–
RC- mai 2019
Patti Smith – M Train – ( le temps réel )
J’ai refermé mon carnet et suis restée assise dans le café en réfléchissant au temps réel.
S’agit-il d’un temps ininterrompu ? Juste le présent ?
Nos pensées ne sont-elles rien d’autre que des trains qui passent, sans arrêts, sans épaisseur, fonçant à grande vitesse devant des affiches dont les images se répètent ?
On saisit un fragment depuis son siège près de la vitre, puis un autre fragment du cadre suivant strictement identique.
Si j’écris au présent, mais que je digresse, est-ce encore du temps réel ?
Le temps réel, me disais-je, ne peut être divisé en sections, comme les chiffres sur une horloge. Si j’écris à propos du passé tout en demeurant simultanément dans le présent, suis-je encore dans le temps réel ?
Peut-être n’y a-t-il ni passé ni futur, mais seulement un perpétuel présent qui contient cette trinité du souvenir.
J’ai regardé dans la rue et remarqué le changement de lumière. Le soleil était peut-être passé derrière un nuage. Peut-être le temps s’était-il enfui ?
Patti Smith « M Train «
Catherine Pozzi – Vale
peinture aborigène: Clifford Possum 1997
–
La grande amour que vous m’aviez donnée
Le vent des jours a rompu ses rayons —
Où fut la flamme, où fut la destinée
Où nous étions, où par la main serrée
Nous nous tenions
Notre soleil, dont l’ardeur fut pensée
L’orbe pour nous de l’être sans second
Le second ciel d’une âme divisée
Le double exil où le double se fond
Son lieu pour vous apparaît cendre et crainte,
Vos yeux vers lui ne l’ont pas reconnu
L’astre enchanté qui portait hors d’atteinte
L’extrême instant de notre seule étreinte
Vers l’inconnu.
Mais le futur dont vous attendez vivre
Est moins présent que le bien disparu.
Toute vendange à la fin qu’il vous livre
Vous la boirez sans pouvoir être qu’ivre
Du vin perdu.
J’ai retrouvé le céleste et sauvage
Le paradis où l’angoisse est désir.
Le haut passé qui grandi d’âge en âge
Il est mon corps et sera mon partage
Après mourir.
Quand dans un corps ma délice oubliée
Où fut ton nom, prendra forme de cœur
Je revivrai notre grande journée,
Et cette amour que je t’avais donnée
Pour la douleur.
Del gran amor que tú me habías dado
El viento de los días los rayos destrozó —
Donde estuvo la llama, donde estuvo el destino
Donde estuvimos, donde, las manos enlazadas,
Juntos estábamos
Sol que fue nuestro, de ardiente pensamiento
Para nosotros orbe del ser sin semejante
Segundo cielo de un alma dividida
Exilio doble donde el doble se funde
Ceniza y miedo para ti representa
Su lugar, tus ojos no lo han reconocido
Astro encantado que con él se llevaba
De nuestro solo abrazo el alto instante
Hacia lo ignoto.
Pero el futuro del que vivir esperas
Menos presente está que el bien ausente
Toda vendimia que él al final te entregue
La beberás mientras te embriaga el
Vino perdido..
Volví a encontrar lo celeste y salvaje
El paraíso en que angustia es deseo
Alto pasado que con el tiempo crece
Es hoy mi cuerpo, mi posesión será
Tras el morir.
Cuando en un cuerpo mi delicia olvidada
En que estuvo tu nombre se vuelva corazón
Reviviré los días que fueron nuestro día
Y aquel amor que yo te había dado
Para el dolor.
Versión de Carlos Cámara y Miguel Ángel Frontán
Rimes de murs ( RC )
Il y a sur les murs , tant de portraits,
Tout en sourires, sûrs d’eux, rieurs
Ils nous promettent, les jours les meilleurs
Notre choix sera le bon, et au plus-que-parfait
A voir, ce que prédisent les partis, en futur
De l’aujourd’hui , demain sera toujours mieux,
La politique parle au peuple, en ces lieux
…. ainsi les murs … murmurent
Souhaitez vous une vie moins étroite ?
Mettez le cap à droite
Construire le pays, en dessiner l’ébauche ?
Tournez donc à gauche …
Puis les années passent, on retrouve de vieilles affiches
Dont il reste des lambeaux, délavés par la pluie
Les discours se sont tus, emportés par le bruit
Après les élections, … restent les champs en friche
RC – 4 octobre 2012
–
Recomposer (RC)
De mon réveil,
Je recompose mes fragments
Je lève le bras d’une journée de futur
Aux ombres dissipées de la nuit
Que retient mon corps trouble
Je viendrai glisser ma main sous mon épaule
Explorer une existence à refaire
Et franchir un jour interminable
Qui sera le miroir glacé
D’heures qui jalonnent
L’espace vide du temps
– Sans ta présence…
–
RC 12- 02- 2012
—
From my awakening
I rearrange my fragments
I raise the arm of a future day
Dissipated the shadows of the night
What keeps my troubled body
I’ll come sliding my hand under my shoulder
Explore an existence to rebuild
And one day pass endless
Who will be the icy mirror
On hours punctuate which
The empty space of time
– Without your presence …
—
Augusto Lunel – Chant 3

peinture; Schmidt-Rotluff (1884-1976)- Soleil sur les pins. 1913
CHANT III
Le verre se brisait d’une eau si pure ;
il fallait un verre comme ta voix,
une cruche comme le matin,
ma soif autour de la terre déserte.
Le jour se fêlait d’un son si clair ;
il fallait un verre comme ton silence,
une coupe comme l’automne,
me taire d’un pôle à l’autre.
La nuit se brisait d’un vol si subit ;
il fallait un verre comme ta vie,
un récipient comme ton sang,
mon vide tombant dans le vide.
Le ciel est resté derrière,
le corps devance le futur,
l’éternité passe.
De toi à moi l’air tombe blessé.
La terre est un oiseau
sur le point d’ouvrir les ailes.
Au travers d’un rocher sans. fin,
je marchais vers ta voix
laissant la mienne en arrière
qui m’appelle de plus en plus loin ;
il fallait un verre comme ta peur,
un verre comme le néant,
ma mort autour du monde.
Musique immobile,
musique emplie d’eau,
vent sous le fleuve,
je t’attends en retenant
l’amour comme la respiration,
la vie, comme un cri,
l’être, comme les larmes.
—
(voir mes précédentes publications sur Augusto Lunel, dont le 4 )
–
Défaut d’insectes … ( RC )
- photo: coléoptère sur fleur jaune
( en réponse au » plein » de JoBougon... )
çà c’est ben vrai ma brav dame…
ces petites bêtes à gratter
sont d’une ingratt titude
que ç’en devient habitude
aussi plutôt qu’en faire un drame
Mieux vaut l’ voyage aux tropiques
même s’il, faut se frotter
les animaux qui sont typiques
nous font dégoiser
à défaut d’être sympathiques
ou alors faut les apprivoiser
quant à ta punaise
y en a qui trouvent solution
en prennent à leur aise
comme une punition
s’en servir et les encadrer
pour permettre aux papillons
de mieux chatoyer
cloués, déposés au mur
pour mieux parader
avec et sans futur
Et ta petite boîte
Formant une maison
Certes très étroite
Comme une prison
Bouchon de réservoir
Un abri fortuit
Confortable dortoir
Epargne les produits
Alignés sur l’ étagère
Les insecticides
Attirail de ménagère
Donnant l’odeur acide
Du placard à balais
Où les serpillères
Prennent le relai
Des capsules de bière
De l’été dernier
Que l’hiver affecte
Le tout dans le panier
A défaut d’insectes
RCh: 16-01-2012
la Main noire (RC)
Mains noires…
Je me souviens
De mes peurs d’enfant
De ces peurs de mortel
Quand on s’aperçoit
Que le fragile nous est
Que ces ténèbres nous guettent
En peurs secrètes
L’hésite
D’un devenir adulte
En angoisses réelles
Au seuil cruel
Géant, complexe
Le monde est là
Le futur aussi
Qui guette
Interdits, et sexes
Premiers appels
Carmins bavards
Fleurs, et peurs
Futur « grand » et ex-