Les pierres sont immobiles. laminées par le temps, leur couleur est passée, comme celles des photos qui y sont accrochées, ternies, dans de petits médaillons.
On imagine un peu ceux qui ont vécu, le regard perdu à travers le rideau des années qui nous séparent d’eux davantage que les chaînes argentées.
Les tombes voisines sont luisantes de pluie, c’est toujours en novembre que semble mourir l’automne, et que s’échouent les fleurs, qui perdront inéluctablement leurs couleurs.
Tu te souviens de la Toussaint, des demeures massives en granite poli, et du gravier blanc que tu trouvais si joli.
Tu en prélevais un peu pour dessiner un coeur, pour répondre aux formules écrites en noir sur le fond émaillé.
« A ma soeur chérie » , « à mon oncle bien aimé.. ». etc Puis il fallait s’en retourner, laisser tranquilles ceux qui ont le sommeil éternel, auprès des cyprès centenaires.
La mort est un jour sans fin, qui ne se contente pas de fleurs sacrifiées… la vie ne compte que ceux qui meurent, en effeuillant les pages du calendrier ;
le chagrin et l’absence demeurent pour ceux qui se souviennent. Je ne parlerai pas des chrysanthèmes fanant dans leur vase, des allées désertes, et des croix qui penchent.
C’était un dimanche, la fête des morts ( on imagine mal qu’ils dansent quand tout le monde est parti ). Le vent a arraché les dernières feuilles des platanes de l’avenue.
Eux aussi sont en deuil. Ils secouent leurs branches comme des membres décharnés : ils sont les gardiens des ténèbres, mais attendent le retour du printemps
C’était le reflet furtif, des rais rapides sur le sol
Des points de lumière mouvants, les lucioles épaisses
Qui virevoltaient et s’écrasaient sur les pieds, des visages
Blancs
Blancs d’une vie arrêtée dans la pierre
Noirs d’une vie coulée dans le bronze
Cet enchantement nous décrivait cette balade nocturne,
le blanc, le noir alternativement
et quelquefois un trait de couleur – c’était un doré juxtaposé à un bleu profond
la grâce d’une main retournée, d’un voile soulevé, et d’un visage poupin
Puis les contre-jours mobiles poursuivaient leur quête,
Vaguement inquiets qu’aux gestes suspendus, la vie ne revienne
Derrière leur passage.
Qu’au labyrinthe posé ne se cache le faune.
Et rassurés de la présence lointaine d’autres lucioles
Dans l’enfilée des salles, et du parquet à chevrons qui grince,
et du marbre claquant sous les escarpins.
Sans s’attarder , du neutre cartel explicatif, à une signature pâteuse,
La Diane baroque, suivait notre passage, d’un regard pas tout à fait gris
Peut-être.
L’aube était loin, l’art était une surprise, une marche d’obstacles
Une source close d’étoiles, en élans contenus.
Du solennel en douceur de marbre, j’aurais pu souligner la courbe d’une jambe,
La douceur d’une joue, la rudesse d’une glaise de métal.
Pourtant, de notre passage, il fallait laisser au jour, aux gardiens somnolents,
La pâte fougueuse des Delacroix éteints,
la généalogie des portraits flamands qui chuchotent
En silence, le temps des étoffes précieuses et batailles lointaines.
Aux amateurs indiscrets, les heures sanglantes de Judith à Holopherne
Et la lumière tranchante du Caravage, revenue à la nuit