Pierre McOrlan – Escales des matins argentines et fraîches
Des raisons que la mer n’ignore pas…*
Si l’on débarque un matin, au petit jour,
dans la gare de Brest, on constate que c’est bien
une gare de fin de terre européenne, une gare d’extrémité un peu mortifiée,
une gare qui donne accès à toutes les choses
qui n’ont plus rien à voir avec la terre, ses routes conquises
par les automobiles et ses voies ferrées
qui laissent des traces brillantes dans la nuit.
L’Europe de l’Est à l’Ouest aboutit à cette gare discrète, calme,
créée pour un seul train, un convoi peu peuplé, mais toujours habité
par des figures attachantes. On ne vient pas à Brest pour jouir de la vie,
montrer l’élégance d’une robe ou refaire du sang, au soleil.
Des raisons, que la mer n’ignore pas, conduisent hommes et femmes
vers cette ville sans paquebots, sans départs.
C’est ici que l’aventure se mêle au vent de la mer.
Pierre MAC ORLAN « Brest »
Pierre Béarn – les passantes – Anna
peinture : Paul Delvaux – le train bleu
Anna ne fut qu’odeur de gare
fuyant l’horaire et ses soucis
pour s’oublier hebdomadaire
à Paris…
Anna m’attendait sur un quai
tel un bagage du dimanche.
Je la perdis avec la pluie.
… d’un rêve en couleurs, comme un tableau de Chagall – ( RC )
peinture: Marc Chagall
Il y a trois chevaux courant dans le ciel,
ils marchent sur des nuages et boivent le vent .
Il y en a un vert, un rouge , un jaune.
Ils galopent au-dessus de la ville.
La tête à l’envers sur le quai de la gare,
les sons et les parfums tournent dans l’air du soir ;
la galaxie est toute proche .
Tu pourrais presque toucher les étoiles.
C’est comme dans un tableau de Chagall .
Un violoniste joue sans partition
de vieux airs yiddish
avec un accordéoniste .
C’est un mouvement de danse
qui t’entraîne au-dessus des toits.
Cette mélodie t’appelle ….
… – d’un rêve en couleurs tu te rajoutes des ailes.
–
RC – mars 2018
Boîte à idées – ( RC )

boîte: Dave McCoy – The Great Debate (1999)
–
Dans ma boîte à idées, y a tout l’temps des trucs,
L’ombre d’un grand-duc
Je refais l’monde à l’envers, je mets de l’eau dans les vermicelles,
j’en tire deux bouts d’ficelle…
J’arrête les chutes d’eau dans leur élan vertical,
– pourquoi seraient-elles verticales -?
Et y a l’homme à la valise, sur le quai de la gare,- l’oncle et son neveu
la femme qu’est partie d’un au-revoir pluvieux,
Le tout sous le regard des anges ( je les avais convoqués) – parfait
Ca valait l’coup d’être écrit, et ben voila c’est fait.
–
Maintenant y a aussi les blessures et les drames, qui sont au catalogue,
Je vais bien leur faire fête, et composer ma chanson,en dialogues
Je reprends le manuel, je connais la musique, c’est l’coup blues du mardi soir
Qui vaut désespoir,
et puis seaux d’eaux;
J’vais remettre les Platters, on dansera le slow.
T’en fais pas, ma jolie, j’ai encore plein de choses,
Dans ma boîte à idées , des crayons, et puis des roses…
RC – 11 septembre 2012
–
Patrick Laupin – Voies de triage
J’aurais aimé pourtant encore
la rue Paul-Sysley et la gare de l’Est
les voies de triage désaffectées
l’entrepôt à ciel ouvert sous les garages d’arbres
le lierre sous la varangue, désastre musical
l’odeur de mazout et le cri rauque de la micheline
à midi dans le tremblé très seul du lilas
mais il est tard
tout est détruit
les trains ne partent plus
le mal d’un siècle divague
comme une éternité jetée à quai
dans le soir inépuisable
qui ne sait plus où poser ses pas
In “Le Sentiment d’être seul” © Paroles d’Aube, 1997
–
Wislawa Szymborska – La gare

Gare Hamburger de Berlin: installation lumineuse de Dan Flavin
La gare
Ma non-arrivée dans la ville N
s’est passée à l’heure ponctuelle
Je te l’avais annoncé
par une lettre non envoyée.
Tu as eu tout le temps
de ne pas arriver à l’heure
Le train est arrivé quai trois
un flot de gens est descendu.
La foule en sortant emporta
l’absence de ma personne
Quelques femmes s’empressèrent
de prendre ma place dans la foule
Quelqu’un que je ne connaissais pas
courut vers une d’entre elles
qui la reconnut immédiatement.
Ils échangèrent un baiser
qui n’était pas pour nos lèvres.
Entre temps une valise disparut
qui n’était pas la mienne
La gare de la ville N a passé
son examen d’existence objective
Tout était parfaitement en place
et chaque détail avançait
sur des rails infiniment bien tracés.
Même le rendez-vous a eu lieu.
Mais sans notre présence.
Au paradis perdu
de la probabilité
Ailleurs
ailleurs.
Combien résonnent ces mots.
—–Pour découvrir cette poétesse, vous pouvez aller sur cette page, qui en publie de nombreux:voir aussi ce recueil
![]() recueil |
Attendre que se dilue le temps (RC)

Steve Messan drop, - voir some-landscapes.blogspot.com
Attendre , debout, dans la gare
Aux mouvements pressés des passagers
Venant tous d’un ailleurs,
Ou se cherchant une voie d’ailleurs
Et pensant que seul le décor changerait
Comme un tapis des villes et des champs
Et qu’une foule de personnes identiques
Serait reportée dans un ciel de Magritte
Attendre dans la salle vide
Sous le regard rond de la pendule
Et l’alignement régulier des chaises
Au faux air d’objets soumis
Attendre dans la salle pleine
Sous le regard pressé de la pendule
Et l’alignement défait des chaises
Soupirant sous le poids des personnes
Attendre au carrefour où les autos
se traînent ,et le bus qui ne vient pas
la poussière des champs sur l’asphalte
Et mon ombre pointant avec le soleil.
Attendre que se dilue le temps
Marqué par les heures sentinelles
En un reflet de pierres, en, suspension
En patience de lac endormi.

Art: sentinelles de sel Jean-Pierre Formica photo Eric Preau