Ceija Stojka – Chrysanthèmes –

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Chrysanthème, quand je te vois,
mon cœur me fait aussi très mal.
Tu étais la fleur de mon père,
il te caressait et aimait ton parfum.
Il est une chose que je ne saurai pas :
est-ce qu’à Dachau aussi il a vu des chrysanthèmes ?
Qui sait, qui sait !
Mais il est une chose que fort bien je sais, que mon père
dans ses pensées chantait pour ma mère :
Je t’offre des chrysanthèmes blancs
pour notre anniversaire de mariage…
Belle fleur, tu resplendis en automne,
le temps de la Toussaint approche,
de la mort de la mort.
Tu resplendis, chrysanthème blanc,
je te vénère,
car tu me rappelles mon père
et ornes sa tombe.
Ainsi ne se sent-il pas seul,
et si tes feuilles tombent sur sa tombe,
ce sont des pensées qu’à moi aussi il adresse.
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Chrysanthème wenn ich dich seh’
dann tut mein Herz mir auch sehr weh
Du warst die Blume meines Vaters
er streichelte dich und liebte deinen Duft.
Das was ich nicht erfahren werde ist
ob er auch in Dachau Chrysanthemen sah.
Wer weiβ, wer weiβ !
Doch eines weiβ ich ganz genau: Daβ mein Vater
in seinen Gedanken sang für meine Mama :
Weiβe Chrysanthemen
schenk ich Dir zum Hochzeitstag …
Du schöne Blume strahlst im Herbst
es naht die Zeit der Allerheiligen
des Todes Tod.
Du strahlst, weiβe Chrysanthème
ich habe Ehrfurcht vor dir
denn du erinnerst mich an meinen Vater
und schmückst sein Grab.
So fühlt er sich nicht allein
und fallen deine Blätter auf sein Grab
so sind es Grüβe auch an mich von ihm
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Auschwitz est mon manteau
et autres chants tsiganes
Editions Bruno Doucey
Raymond Queneau – mouches

Les mouches d’aujourd’hui ne sont plus les mêmes que les mouches d’autrefois
elles sont moins gaies plus lourdes, plus majestueuses, plus graves
plus conscientes de leur rareté elles se savent menacées de génocide
Dans mon enfance elles allaient se coller joyeusement par centaines,
par milliers peut-être sur du papier fait pour les tuer
elles allaient s’enfermer par centaines, par milliers peut-être
dans des bouteilles de forme spéciale elles patinaient, piétinaient,
trépassaient par centaines, par milliers
peut-être elles foisonnaient elles vivaient
Maintenant elles surveillent leur démarche
les mouches d’aujourd’hui ne sont plus les mêmes que les mouches d’autrefois.
Ceija Stojka – Auschwitz est mon manteau (extraits)
Anselm Kiefer — Die Ungeborenen (Les non-nés)
L’homme a créé la balance
elle indique la justice
la majorité et la minorité,
et alors pourquoi
nous traite-t-on nous les Roms et les Sintis
de minorité ?
regardez donc ce qu’indique la balance
ou est-ce vous qui l’avez étalonnée
pour que vous puissiez dire : nous sommes
la majorité
et vous la minorité ?
de awen bachtale[1].
[1] Soyez le bienvenu.
Die Waage erschuf der Mensch
sie zeigt die Gerechtigkeit
die Mehrheit und die Minderheit
und warum
bezeichnet man uns Rom und Sinti
dann als Minderheit ?
schaut doch was die Waage zeigt
oder ist die von Euch geeicht
damit Ihr sagen könnt : wir sind
die Mehrheit
und Ihr die Minderheit ?
de awen bachtale.
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Le ruisseau
était notre baignoire
la rue notre pays natal
notre pain
les hommes qui nous le donnaient
Notre souffrance personne ne la voyait
Nos morts gisent dans la terre
le pays où ils sont nés
La nature est notre première mère
Le vent est le frère du Rom
la pluie la sœur de la Romni
Et tout le reste va avec
Unsere Badewanne
war der Bach
unsere Heimat die Straβe
unser Brot waren die Menschen
die es uns gaben
Unser Leid das sah niemand
Unsere Toten liegen in der Erde
Land wo sie geboren sind
Die Natur ist unsere Urmutter
Der Wind ist der Bruder des Romm
der Regen die Schwester der Romni
Und all das andere gehört dazu
***
Auschwitz est mon manteau
tu as peur de l’obscurité ?
je te dis que là où le chemin est dépeuplé,
tu n’as pas besoin de t’effrayer
je n’ai pas peur.
ma peur s’est arrêtée à Auschwitz
et dans les camps.
Auschwitz est mon manteau,
Bergen-Belsen ma robe
et Ravensbrück mon tricot de peau.
de quoi faut-il que j’aie peur ?
Auschwitz ist mein mantel
du hast angst vor der finsternis ?
ich sage dir , wo der weg menschenleer ist,
brauchst du dich nicht zu fürchten
ich habe keine angst.
meine angst ist in Auschwitz geblieben
und in den lagern.
Auschwitz ist mein mantel
Bergen-Belsen mein kleid
Und Ravensbrück mein unterhemd.
Wovor soll ich mich fürchten ?
Auschwitz est mon manteau
et autres chants tziganes Editions Bruno Doucey
Cendres de baltique – ( RC )
photo Greg Clouzeau
Je n’ai pas vu de désert de pierres vers la mer baltique,
mais des étendues plates
et des marécages
d’où s’envolaient les cigognes,
De ces lointains horizons, mutiques,
on a dissimulé les stigmates
sous l’oubli : ( un habillage ) .
La nature a fait sa besogne
Des forêts ont développé
leurs racines et frondaisons
sur des cadavres enfouis
et font corps avec les charniers .
Du sol détrempé,
du passage des saisons,
les arbres se sont épanouis,
se nourrissent des prisonniers.
Allez donc voir
du côté de Vilnius :
il y a des terres acides,
et des forêts de bouleaux
en retournant une terre noire,
il ne serait pas improbable de trouver des dents dans l’ humus ,
témoignage de génocide ,
ossements et pauvres oripeaux ,
( plus rarement des bijoux ).
Dans ces pays de baltique
il y a de l’ivoire
et de l’ambre
Vous pourrez en parer votre cou,
en visitant les boutiques;
mais qui vous parlera du désespoir,
et des cendres ?
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RC – mai 2017
Céleste N .Snowber – traces de la terre
Photo of Celeste Snowber by Gary Bandzmer
Elle est marquée de cicatrices
identitaires , d’où les contes
sont nés: une terre à la fois de
beauté et de génocide.
En fait, ni
l’histoire par l’oralité
ni l’histoire vécue
qu’elle entendit comme un
enfant de la diaspora.
Elle souffre pour
l’odeur de la terre
les textures des montagnes
les couleurs de peau
du vieux pays,
natal de sa mère.
La géographie détient
sa propre histoire –
un récit de savoir
caché dans le parfum
de boue et de ciel
du pain et les plantes
des fruits, à moitié mûrs
sur le sol arménien.
Une douleur, pour la terre
d’où on venait,
un désir plus profond qu’étant
Moins de / Plus debout
L’appel viscéral
du toucher et sentir
d’entendre la chanson
de la terre
et se lamenter.
( essai de traduction personnelle du texte visible en langue anglaise sur le site de la poésie arménienne, et particulièrement des textes de l’auteure:)
She’s compelled with traces
of identity where the tales
were born: a land of both
beauty and genocide.
Not for facts,
the orality of story
the lived history
she heard as a
child of diaspora.
She aches for
the smell of earth
textures of mountains
colors of skin
the old country,
birthland of her mother.
Geography holds
its own story –
a narrative of knowing
hidden in the scent
of mud and sky
bread and plants
fruit, half-ripened
on Armenian soil.
An ache for land
from whence one came,
a longing deeper than
under/over standing
visceral call
to touch and feel
hear the earth’s
song and lament.