Gabriela Mistral – Pudeur
dessin – A Watteau
Si tu me regardes, je deviens belle
comme l’herbe qui a reçu la rosée,
et ils ne reconnaîtront pas ma face glorieuse,
les grands roseaux quand je descendrai à la rivière.
J’ai honte de ma bouche triste,
de ma voix cassée et de mes genoux rudes;
maintenant que tu es venu et m’as regardée
je me suis trouvée pauvre et me suis sentie nue.
Tu n’as pas trouvé de pierre dans le chemin
plus dépourvue de lumière dans l’aurore
que cette femme sur qui tu as levé
les yeux en écoutant son chant.
Je me tairai pour que ceux qui passent
dans la plaine ne connaissent pas mon bonheur
à l’incendie qu’il met sur mon front grossier
et au tremblement de ma main…
C’est la nuit et l’herbe reçoit la rosée;
regarde-moi longuement et parle avec tendresse,
car demain en descendant à la rivière
celle que tu as embrassée aura de la beauté.
Salah Al Hamdani – Centré
À genoux
Oui
à genoux dans la cruauté calme du jour
et cette absurdité sans limite
Marche, marche pauvre type
jusqu’à l’extrémité de l’ombre
et rejoins tes rêves
ensevelis sous la lenteur ridicule de leurs nuits
Laisse tes souvenirs à la traîne
l’éblouissement d’un quai désert
et au-delà
emprunte la courbe de ton exil
La gloire du couchant est là
sans écho
esseulée sur le lit de l’étranger
comme un appel de la falaise .
( extrait du recueil – « Rebâtir les jours « : ed Br Doucey )
Georges Bataille – L’Archangélique – 01
– dessin – Georges Bataille « sans titre pour « soleil Vitré »
Thomas Vinau – Sous la table
A hauteur des chiens
des ivrognes,
des enfants
là où les genoux
font des sourires
là où les bas nylons
posent des questions
là où l’on finit
par comprendre
que la curiosité
est le plus joli
des vilains défauts .
T V
Alda Merini – Les plus beaux poèmes s’écrivent sur les pierres
–
Les plus beaux poèmes
s’écrivent sur les pierres
genoux écorchés,
esprit aiguisé par le mystère.
Les plus beaux poèmes s’écrivent
devant un autel vide,
encerclés par des agents
de la divine folie.
Ainsi, fou criminel que tu es
tu dictes des vers à l’humanité,
vers de la rescousse
et prophéties bibliques
tu es frère de Jonas.
Mais dans la Terre Promise
où germent les pommes d’or
et l’arbre de la connaissance
Dieu n’est jamais descendu ni ne t’a jamais maudit.
Toi si, tu maudis
heure par heure ton chant
car te voilà descendu dans les limbes
où tu respires l’absinthe
d’une survie refusée.
–
Le più belle poesie
si scrivono sopra le pietre
coi ginocchi piagati
e le menti aguzzate dal mistero.
Le più belle poesie si scrivono
davanti a un altare vuoto,
accerchiati da agenti
della divina follia.
Così, pazzo criminale qual sei
tu detti versi all’umanità,
i versi della riscossa
e le bibliche profezie
e sei fratello a Giona.
Ma nella Terra Promessa
dove germinano i pomi d’oro
e l’albero della conoscenza
Dio non è mai disceso né ti ha mai maledetto.
Ma tu sì, maledici
ora per ora il tuo canto
perché sei sceso nel limbo,
dove aspiri l’assenzio
di una sopravvivenza negata.
–
Guillevic – Imaginons
Imaginons
Le temps que met l’eau à couler de ta main
Le temps que met le coq à crier le soleil
Le temps que l’araignée dévore un peu la mouche
Le temps que la rafale arrache quelques tentes
Le temps de ramener près de moi tes genoux
Le temps pour nos regards de se dire d’amour
Imaginons ce qu’on fera de tout ce temps.
Guillevic (extrait de « Avec » – éditions Gallimard, 1966)
–
Bernard Perroy – Vue sur la mer…
( du site de Bernard Perroy, où beaucoup de ses écrits sont visibles…)
–
Je me mets à genoux
devant la brise légère
qui veut me réchauffer
de l’intérieur,
.
faire renaître de leurs cendres
ces mots que la douleur entrave,
ce cœur en moi
qui ne sait plus reconnaître la flamme
ni les promesses du jour…
.
Brise légère,
apprends-moi,
de tout ce que je parcours,
cette sorte de joie qui ne s’en va pas.
.
Bernard Perroy
.
Sylvia Plath – Ariel
Ariel
Stase dans l’obscurité
Ensuite le bleu sans substance
se déverse dans le tout ou rien et les distances
Dieu est une lionne,
comment de l’un nous poussons
pivot des talons et des genoux ! Le sillon
sépare et passe, sœur vers
l’arc
du cou que je ne peux saisir
Œil de nègre
baies des crochets d’un rôle obscur —
noir et tendre sang plein la bouche,
ombres.
Quelque chose d’autre
me traîne au travers de l’air –
fémurs, cheveux;
flocons de mes talons.
Blanche
Godiva, je t’épèle –
Et maintenant je
suis écume de blé, éclats d’océans.
L’enfant pleure
il se fond dans le mur.
Et moi je suis la flèche
la rosée qui vole,
suicidaire, à l’un allant tout droit
dans le rouge
Œil, le chaudron du matin.
–
Kiril Kadiski – le couchant dégouline sur la vitre humide
–
Il ne pleut plus et l’après-midi est tiède.
Les mouches s’animent après l’apathie de leur sieste.
Dehors, le couchant rouge dégouline
sur la vitre humide et elles le sucent. Déjà vide,
la boule de verre qui roule à l’horizon jette ses reflets dorés.
Encore un jour de passé. Mais qui s’en est aperçu ?
Les arbres balancent leurs branches dans l’ombre bleue.
Derrière, les toits éclairés ressemblent
à des flammes attisées par le vent. Ton cœur brûle.
Où aller ? C’est le soir…
Errant sans but
tu épies les jeunes femmes et tu vois que chaque soupirail
les attend dans le noir et leur met des chaussettes jaunes.
Les voitures tournent
un nouveau film sur le mur du coin ; n’est-ce pas un nouveau
Fellini ? Ou bien est-ce toujours le même réalisme
absurde autour de toi… Dans l’allée obscure
un vrai pauvre est assis et comment peux-tu savoir
si son pantalon est déchiré aux genoux
ou si ce sont les pièces de ses mains alourdies…
Le ciel brille sombrement. Tu vois une époque ancienne :
porte cloutée, trouée par des flèches enflammées,
enfoncée et jetée sur le ciel.
Par là les siècles sont entrés
dans nos jours… Quelque chose de miraculeux au loin :
la lune pourpre frissonne et court à travers des nuages déchirés,
mais de ses branches sèches un peuplier l’attrape –
coquelicot déchiqueté qui flamboie
au milieu du blé par une chaleur sombre et immobile…
Silence partout. Enfin tu vas rentrer.
Pendant longtemps tu resteras éveillé, les paupières lourdes.
Dehors, le couchant dégouline sur la vitre humide. Déjà vide,
la boule de verre qui roule à l’horizon jette ses reflets dorés.
Encore un jour de passé. Mais qui s’en est aperçu ?
Kiril Kadiski
–
Vahagn Davtian – De pierre ici tout un pays
–
De pierre ici tout un pays…
De pierre ici tout un pays, d’eau en furie
Murmure d’herbe ici dans la teinte du bleu
Corne des rocs dans les hauts monts hissés vers Dieu
Dans l’abîme jeté, pénitence de pierre.
Tout un pays où blanche et de glace est la plainte
Dans le fond des ravins, question des tempêtes
Vers le bas de la rive une clochette d’eau
Le chagrin du pétale et le pleur de la mousse.
Cri de cuivre et soupir de granit, le pays
À la beauté en croix sur la pierre de croix
Tout un pays face au soleil à l’infini
Toi prière à genoux et toi élan du rite.
Je suis de toi pays des longs siècles sans fin
Et je vais avec toi, hauteurs et précipices,
Furieux par la pierre et dans le vent de neige
Toi, chagrin du pétale et larme de la mousse.
–
Vahagn Davtian , » De pierre ici tout un pays », extrait..
Traduction Rouben Mélik.
–
Mahmoud Darwich – Blocus pour les panégyriques de la mer

Mer et mur ( Acre – Israël)
BLOCUS POUR PANÉGYRIQUES DE LA MER
S’envolent les colombes
S’envolent les colombes
Se posent les colombes
Prépare-moi la terre, que je me repose
Car je t’aime jusqu’à l’épuisement
Ton matin est un fruit offert aux chansons
Et ce soir est d’or
Nous nous appartenons lorsque l’ombre rejoint son ombre dans le marbre
Je ressemble à moi-même lorsque je me suspends
Au cou qui ne s’abandonne qu’aux étreintes des nuages
Tu es l’air se dénudant devant moi comme les larmes du raisin
L’origine de l’espèce des vagues quand elles s’agrippent au rivage
Et s’expatrient
Je t’aime, toi le commencement de mon âme, toi la fin
S’envolent les colombes
Se posent les colombes
Mon aimé et moi sommes deux voix en une seule lèvre
Moi, j’appartiens à mon aimé et mon aimé est à son étoile errante
Nous entrons dans le rêve mais il s’attarde pour se dérober à notre vue
Et quand mon aimé s’endort je me réveille pour protéger la rêve de ce qu’il voit
J’éloigne de lui les nuits qui ont passé avant notre rencontre
De mes propres mains je choisis nos jours
Comme il m’a choisi la rose de la table
Dors, ô mon aimé
Que la voix des murs monte à mes genoux
Dors, mon aimé
Que je descende en toi et sauve ton rêve d’une épine envieuse
Dors, mon aimé
Sur toi les tresses de ma chevelure. Sur toi la paix
(…)
J’ai vu le pont
L’Andalousie de l’amour et du sixième sens
Sur une larme désespérée
Elle lui a remis son cœur
Et a dit : l’amour me coûte ce que je n’aime pas
Il me coûte mon amour
Puis la lune s’est endormie
Sur une bague qui se brisait
Et les colombes se sont envolées
L’obscurité s’est posée
Sur le pont et les amants
S’envolent les colombes
S’envolent les colombes
Mahmoud Darwich
Si le chemin est lourd ( RC )
Parle quelquefois l’enfant en moi,
J’ai les yeux qui piquent
Soleil mandarine
Bagarre dans la cour
Genoux frottés ( un sol en ciment )
Le chemin est lourd
Les oiseaux loin
Je sais les étapes
Le couvent, la place, les magasins ………….
Et les joues qui flambent
A mes pieds je traîne, – boulet-
Plus de cinq-cent mètres , avec
La rue défoncée – et ses yeux en flaques
Le regard sévère
Des maisons d’en face
——————- que dira ma mère
de mon maillot lâche
du manteau sali –
… et de l’oeil au beurre noir ?
RC 11 septembre 2012
–
Marie Nizet – La torche
La torche
Je vous aime, mon corps, qui fûtes son désir,
Son champ de jouissance et son jardin d’extase
Où se retrouve encor le goût de son plaisir
Comme un rare parfum dans un précieux vase.
Je vous aime, mes yeux, qui restiez éblouis
Dans l’émerveillement qu’il traînait à sa suite
Et qui gardez au fond de vous, comme en deux puits,
Le reflet persistant de sa beauté détruite.
Je vous aime, mes bras qui mettiez à son cou
Le souple enlacement des languides tendresses.
Je vous aime, mes doigts experts, qui saviez où
Prodiguer mieux le lent frôlement des caresses
Je vous aime, mon coeur, qui scandiez à grands coups
Le rythme exaspéré des amoureuses fièvres,
Et mes pieds nus noués aux siens et mes genoux
Rivés à ses genoux et ma peau sous ses lèvres…
Je vous aime ma chair, qui faisiez à sa chair
Un tabernacle ardent de volupté parfaite
Et qui preniez de lui le meilleur, le plus cher,
Toujours rassasiée et jamais satisfaite…
Je suis le temple vide où tout culte a cessé
Sur l’inutile autel déserté par l’idole ;
Je suis le feu qui danse à l’âtre délaissé,
Le brasier qui n’échauffe rien, la torche folle…
Marie Nizet. « Pour Axel de Missie ».

peinture: miniature indienne « Chamba »