Philippe Delaveau – marcher

Marcher parfois longtemps dans la prairie du vent.
Ses bottes malmènent les fleurs,
l’herbe aux rêves de voyage.
Puis le petit village près d’un bois.
L’harmonica d’une eau rapide qui se cache
pour voir le ciel et l’ombre, et les cailloux
entraînés de ferveur, sur leurs genoux qui brûlent.
Entendre alors la persuasion très tendre
et douce d’un oiseau qui solfie les mesures
d’une clairière. Deux fois peut-être. Puis se tait. Se dissout
dans la perfection pure et simple du silence.
Alain Leprest – J’ai peur

J’ai peur des rues des quais du sang
Des croix de l’eau du feu des becs
D’un printemps fragile et cassant
Comme les pattes d’un insecte
J’ai peur de vous de moi j’ai peur
Des yeux terribles des enfants
Du ciel des fleurs du jour de l’heure
D’aimer de vieillir et du vent
J’ai peur de l’aile des oiseaux
Du noir des silences et des cris
J’ai peur des chiens j’ai peur des mots
Et de l’ongle qui les écrit
J’ai peur des notes qui se chantent
J’ai peur des sourires qui se pleurent
Du loup qui hurle dans mon ventre
Quand on parle de lui j’ai peur
J’ai peur, j’ai peur, j’ai peur
J’ai peur
J’ai peur du coeur des pleurs de tout
La trouille des fois la pétoche
Des dents qui claquent et des genoux
Qui tremblent dans le fond des poches
J’ai peur de deux et deux font quatre
De n’importe quand n’importe où
De la maladie délicate
Qui plante ses crocs sur tes joues
J’ai peur du souvenir des voix
Tremblant dans les magnétophones
J’ai peur de l’ombre qui convoie
Des poignées de feu vers l’automne
J’ai peur des généraux du froid
Qui foudroient l’épi sur les champs
Et de l’orchestre du Norrois
Sur la barque des pauvre gens
J’ai peur, j’ai peur, j’ai peur
J’ai peur
J’ai peur de tout seul et d’ensemble
Et de l’archet du violoncelle
J’ai peur de là-haut dans tes jambes
Et d’une étoile qui ruisselle
J’ai peur de l’âge qui dépèce
De la pointe de son canif
Le manteau bleu de la jeunesse
La chair et les baisers à vif
J’ai peur d’une pipe qui fume
J’ai peur de ta peur dans ma main
L’oiseau-lyre et le poisson-lune
Eclairent pierres du chemin
J’ai peur de l’acier qui hérisse
Le mur des lendemains qui chantent
Du ventre lisse où je me hisse
Et du drap glacé où je rentre
J’ai peur, j’ai peur, j’ai peur
J’ai peur
J’ai peur de pousser la barrière
De la maison des églantines
Où le souvenir de ma mère
Berce sans cesse un berceau vide
J’ai peur du silence des feuilles
Qui prophétise le terreau
La nuit ouverte comme un oeil
Retourné au fond du cerveau
J’ai peur de l’odeur des marais
Palpitante dans l’ombre douce
J’ai peur de l’aube qui paraît
Et de mille autres qui la poussent
J’ai peur de tout ce que je serre
Inutilement dans mes bras
Face à l’horloge nécessaire
Du temps qui me les reprendra
J’ai peur, j’ai peur, j’ai peur
J’ai peur
J’ai peur
Le jardin propice – ( RC )
peinture: Jacques Hemery mont Ventoux
Au jardin propice,
j’ai attendu
que le temps se dénoue.
On s’habitue
à être à genoux,
que les feuilles jaunissent,
qu’un ciel d’hiver
pèse de son gris
sur le mont Ventoux.
mais toujours espère
revoir le jardin fleuri.
–
RC – avr 2020
Danielle Bassez – Celle qui est vue
Les fenêtres la regardent. Les fenêtres
alignées, tout au long du trottoir d’en face,
leurs rideaux opaques comme des paupières,
et derrière ces paupières, des yeux.
A trois pas de sa maison, chaque après-midi,
les femmes se réunissent, entre voisines.
Elles parlent d’elle. Ou bien, le matin, sur le coup
de dix heures, elles s’accrochent par grappes,
en allant faire les courses. Les lunettes brillent,
le rouge à lèvres est mis de frais, les langues
moulinent les nouvelles en étirant des filets de salive.
Elle aussi jadis faisait partie du cercle des bouches bavardes.
Elle est celle dont on parle, désormais, l’absente, qui fait tourner la ronde
des mots.
Celle qu’on observe du dehors, dont on épie la conduite.
A-t-elle ouvert ses volets ? Est-elle sortie ?
Elle s’échappe parfois, échevelée, à peine vêtue, si c’est pas malheureux,
une femme si soignée. Pour voir si elle est là, il faut regarder par la vitre
de sa salle à manger, à travers la dentelle du rideau.
D’ordinaire, on l’aperçoit, assise sur une chaise, dans sa cuisine.
Ou bien dans son fauteuil, au coin de la fenêtre, avec sa Nénette
installée sur la tablette du radiateur, l’affût des voitures.
Si elle ne répond pas, quand on sonne, c’est qu’elle dort.
Après le repas, elle fait la sieste.
Il faut lui laisser le temps de descendre l’escalier.
Récemment, on a vu deux messieurs entrer chez elle, on ne sait pas qui c’est,
ils ont mangé des gâteaux, il y avait des miettes…
De la maison opposée, on embrasse toute la façade, le portail de la remise, la porte d’entrée, les fenêtres : des dents dans un masque.
De là, quand il s’y rend en visite, il la voit sans être vu, telle qu’il voudrait la voir longtemps,
sans qu’elle le sache, comme dans un film dont tout aurait disparu,
le son, le contexte, sauf ce bout d’image,
ou comme dans ce souvenir qui fait mal : elle, sur le pas de la porte
quand il partait, serrant son châle vieux rose sur sa poitrine, sa silhouette tendue en avant pour l’apercevoir encore, s’amenuisant dans le rétroviseur, agitant la main jusqu’au dernier instant.
Un film qu’il pourrait repasser, indéfiniment, il s’installerait derrière le rideau.
Mais la porte ne s’ouvre plus. Ou rarement.
– Il y a peu, dit sa voisine, elle est sortie, elle a marché
jusqu’au coin de la rue. J’ai cru qu’elle se sauvait.
Et puis non. Elle s’est penchée pour voir.
Elle regardait si le boulanger était ouvert.
Et elle est revenue sur ses pas. Lentement, toute courbée…
Je ne me rendais pas compte.
D’ordinaire je la vois chez elle, dans son fauteuil.
J’ai pensé : “C’est une vieille femme.”
Son corps. Accroché des deux mains à la barre de douche,
incurvé de plus en plus en plus à mesure que l’eau tombait,
ruisselait sur son dos blanc et lisse. Les deux fesses maigres,
les jambes aux genoux ployés, et le devant, tourné vers le mur,
étagé en rondeurs qui dévalaient sous le gant.
A force de discours, il avait réussi à la convaincre de confier sa tête
aux soins de l’aide-ménagère, son crâne, qu elle avait jaune
sous ses cheveux.
Depuis longtemps déjà, elle peinait à lever
les bras. Mais surtout, par une sorte de lointaine tradition,
elle répugnait aux lavages. Il y fallait des conditions exceptionnelles :
“Fait-y ben assez chaud ?
Fait-y soleil dans la cour ?
” Elle usait, abusait des poudres et des nuages de laque, se refusait
à tout secours, à “leurs » méthodes modernes, à “leurs” rouleaux,
à “leurs » séchoirs, qui lui faisaient les cheveux fous, après ça, prétendait-elle, elle ne pouvait plus se peigner.
Elle protestait : “Je suis ben encore capable, quand même…!”
La femme l’avait peu à peu poussée vers la douche.
L’installation s’était faite non sans peine.
Lui, pendant ce temps, montait quatre à quatre dans sa chambre,
en redescendait, les bras chargés de serviettes, de linge propre.
La porte de la salle d’eau, trop exiguë, était restée ouverte.
Du couloir, il l’aperçut.
Etirées, foncées par l’eau, les longues mèches grises pendaient
de part et d’autre de son visage, laissaient à découvert le sommet de son crâne,
étoile rose quasi obscène tant elle ressemblait à une peau de bébé
dans ce nid de poils blancs. Elle avait quitté d’abord la combinaison.
Puis la chemise, dite américaine.
Ne resta bientôt que la culotte trempée, qui faisait un tortillon au bas dos reins.
Finalement, la culotte était tombée.
Elle était nue.
La femme lavait son vieux corps, lui passait le gant entre les fesses.
Elle consentait :
– Vous faites pas mal d’y aller, je peux plus y arriver.
La femme soulevait les seins, l’un après l’autre, comme des choses indifférentes,
détachées de sa personne, pour laver dessous.
Il se souvenait des seins devant l’évier, quand il était petit, à un âge
où elle le jugeait sans doute incapable de rien voir.
Avec l’oncle, il cassait des noix sur la table de la cuisine pendant
qu’elle faisait sa toilette, et l’oncle, gêné d’avoir surpris un regard en coulisse,
avait fait observer que sa femme, elle avait des sacrés loloches.
Maintenant, les loloches, la femme les maniait, les soulevait, pour un peu c’est comme si lui-même les avait eus dans les mains, avec leur espèce de fluidité et leur poids, guère plus allongés que dans le temps, ou du moins, dans le temps, lui semblaient-ils déjà incroyablement volumineux et longs.
Souvent, il avait observé ce corps à la dérobée, sa taille courte, son nez busqué,son teint rouge. Elle était ronde, elle était drôle, elle suait pendant les repas.
Et il s’était promis de ne jamais lui ressembler.
Les gènes dont il ne voulait pas s’étaient tous réunis du même côté,
et il était de l’autre branche, cultivé hors-sol, au bout d’un fil.
Et puis : ses propres mains s’étaient tavelées ; la peau plissait sur ses bras, se desquamait au soleil ; son ventre bedonnait.
Il riait, ne pouvait y croire. Mais sa jeunesse avait un dehors qui ne lui ressemblait plus.
Le rire passait sur ses dents et lui faisait mal.
Et plus d’une fois il s’était tenu à genoux, contre sa jambe,
pour l’aider à enfiler ses bas, le nez sur ce qui vieillit, sur la peau écailleuse de sa cheville, il avait pris dans la paume la corne rugueuse de son talon.
S’était escrimé sur la lanière de sa chaussure.
Au-dessus, la voix s’exclamait :– Te voilà qui grisonnes, dis donc ! Ça te fait quel âge ?
Elle se reposait maintenant au soleil, belle, propre.
Triait dans la boîte de carton les bigoudis qu’elle mettrait à point nommé, les cheveux ni trop humides ni trop secs. L’épreuve était passée.
L’aide-ménagère vaquait au lavage des peignes et des brosses.
Il taillait les arbustes de la cour, tirait à sa demande l’oranger
hors de la buanderie. Il avait encore assez de force pour ça.
Gabriela Mistral – Pudeur
dessin – A Watteau
Si tu me regardes, je deviens belle
comme l’herbe qui a reçu la rosée,
et ils ne reconnaîtront pas ma face glorieuse,
les grands roseaux quand je descendrai à la rivière.
J’ai honte de ma bouche triste,
de ma voix cassée et de mes genoux rudes;
maintenant que tu es venu et m’as regardée
je me suis trouvée pauvre et me suis sentie nue.
Tu n’as pas trouvé de pierre dans le chemin
plus dépourvue de lumière dans l’aurore
que cette femme sur qui tu as levé
les yeux en écoutant son chant.
Je me tairai pour que ceux qui passent
dans la plaine ne connaissent pas mon bonheur
à l’incendie qu’il met sur mon front grossier
et au tremblement de ma main…
C’est la nuit et l’herbe reçoit la rosée;
regarde-moi longuement et parle avec tendresse,
car demain en descendant à la rivière
celle que tu as embrassée aura de la beauté.
Salah Al Hamdani – Centré
À genoux
Oui
à genoux dans la cruauté calme du jour
et cette absurdité sans limite
Marche, marche pauvre type
jusqu’à l’extrémité de l’ombre
et rejoins tes rêves
ensevelis sous la lenteur ridicule de leurs nuits
Laisse tes souvenirs à la traîne
l’éblouissement d’un quai désert
et au-delà
emprunte la courbe de ton exil
La gloire du couchant est là
sans écho
esseulée sur le lit de l’étranger
comme un appel de la falaise .
( extrait du recueil – « Rebâtir les jours « : ed Br Doucey )
Georges Bataille – L’Archangélique – 01
– dessin – Georges Bataille « sans titre pour « soleil Vitré »
Thomas Vinau – Sous la table
A hauteur des chiens
des ivrognes,
des enfants
là où les genoux
font des sourires
là où les bas nylons
posent des questions
là où l’on finit
par comprendre
que la curiosité
est le plus joli
des vilains défauts .
T V
Alda Merini – Les plus beaux poèmes s’écrivent sur les pierres
–
Les plus beaux poèmes
s’écrivent sur les pierres
genoux écorchés,
esprit aiguisé par le mystère.
Les plus beaux poèmes s’écrivent
devant un autel vide,
encerclés par des agents
de la divine folie.
Ainsi, fou criminel que tu es
tu dictes des vers à l’humanité,
vers de la rescousse
et prophéties bibliques
tu es frère de Jonas.
Mais dans la Terre Promise
où germent les pommes d’or
et l’arbre de la connaissance
Dieu n’est jamais descendu ni ne t’a jamais maudit.
Toi si, tu maudis
heure par heure ton chant
car te voilà descendu dans les limbes
où tu respires l’absinthe
d’une survie refusée.
–
Le più belle poesie
si scrivono sopra le pietre
coi ginocchi piagati
e le menti aguzzate dal mistero.
Le più belle poesie si scrivono
davanti a un altare vuoto,
accerchiati da agenti
della divina follia.
Così, pazzo criminale qual sei
tu detti versi all’umanità,
i versi della riscossa
e le bibliche profezie
e sei fratello a Giona.
Ma nella Terra Promessa
dove germinano i pomi d’oro
e l’albero della conoscenza
Dio non è mai disceso né ti ha mai maledetto.
Ma tu sì, maledici
ora per ora il tuo canto
perché sei sceso nel limbo,
dove aspiri l’assenzio
di una sopravvivenza negata.
–
Guillevic – Imaginons
Imaginons
Le temps que met l’eau à couler de ta main
Le temps que met le coq à crier le soleil
Le temps que l’araignée dévore un peu la mouche
Le temps que la rafale arrache quelques tentes
Le temps de ramener près de moi tes genoux
Le temps pour nos regards de se dire d’amour
Imaginons ce qu’on fera de tout ce temps.
Guillevic (extrait de « Avec » – éditions Gallimard, 1966)
–
Bernard Perroy – Vue sur la mer…
( du site de Bernard Perroy, où beaucoup de ses écrits sont visibles…)
–
Je me mets à genoux
devant la brise légère
qui veut me réchauffer
de l’intérieur,
.
faire renaître de leurs cendres
ces mots que la douleur entrave,
ce cœur en moi
qui ne sait plus reconnaître la flamme
ni les promesses du jour…
.
Brise légère,
apprends-moi,
de tout ce que je parcours,
cette sorte de joie qui ne s’en va pas.
.
Bernard Perroy
.
Sylvia Plath – Ariel
Ariel
Stase dans l’obscurité
Ensuite le bleu sans substance
se déverse dans le tout ou rien et les distances
Dieu est une lionne,
comment de l’un nous poussons
pivot des talons et des genoux ! Le sillon
sépare et passe, sœur vers
l’arc
du cou que je ne peux saisir
Œil de nègre
baies des crochets d’un rôle obscur —
noir et tendre sang plein la bouche,
ombres.
Quelque chose d’autre
me traîne au travers de l’air –
fémurs, cheveux;
flocons de mes talons.
Blanche
Godiva, je t’épèle –
Et maintenant je
suis écume de blé, éclats d’océans.
L’enfant pleure
il se fond dans le mur.
Et moi je suis la flèche
la rosée qui vole,
suicidaire, à l’un allant tout droit
dans le rouge
Œil, le chaudron du matin.
–
Kiril Kadiski – le couchant dégouline sur la vitre humide
–
Il ne pleut plus et l’après-midi est tiède.
Les mouches s’animent après l’apathie de leur sieste.
Dehors, le couchant rouge dégouline
sur la vitre humide et elles le sucent. Déjà vide,
la boule de verre qui roule à l’horizon jette ses reflets dorés.
Encore un jour de passé. Mais qui s’en est aperçu ?
Les arbres balancent leurs branches dans l’ombre bleue.
Derrière, les toits éclairés ressemblent
à des flammes attisées par le vent. Ton cœur brûle.
Où aller ? C’est le soir…
Errant sans but
tu épies les jeunes femmes et tu vois que chaque soupirail
les attend dans le noir et leur met des chaussettes jaunes.
Les voitures tournent
un nouveau film sur le mur du coin ; n’est-ce pas un nouveau
Fellini ? Ou bien est-ce toujours le même réalisme
absurde autour de toi… Dans l’allée obscure
un vrai pauvre est assis et comment peux-tu savoir
si son pantalon est déchiré aux genoux
ou si ce sont les pièces de ses mains alourdies…
Le ciel brille sombrement. Tu vois une époque ancienne :
porte cloutée, trouée par des flèches enflammées,
enfoncée et jetée sur le ciel.
Par là les siècles sont entrés
dans nos jours… Quelque chose de miraculeux au loin :
la lune pourpre frissonne et court à travers des nuages déchirés,
mais de ses branches sèches un peuplier l’attrape –
coquelicot déchiqueté qui flamboie
au milieu du blé par une chaleur sombre et immobile…
Silence partout. Enfin tu vas rentrer.
Pendant longtemps tu resteras éveillé, les paupières lourdes.
Dehors, le couchant dégouline sur la vitre humide. Déjà vide,
la boule de verre qui roule à l’horizon jette ses reflets dorés.
Encore un jour de passé. Mais qui s’en est aperçu ?
Kiril Kadiski
–
Vahagn Davtian – De pierre ici tout un pays
–
De pierre ici tout un pays…
De pierre ici tout un pays, d’eau en furie
Murmure d’herbe ici dans la teinte du bleu
Corne des rocs dans les hauts monts hissés vers Dieu
Dans l’abîme jeté, pénitence de pierre.
Tout un pays où blanche et de glace est la plainte
Dans le fond des ravins, question des tempêtes
Vers le bas de la rive une clochette d’eau
Le chagrin du pétale et le pleur de la mousse.
Cri de cuivre et soupir de granit, le pays
À la beauté en croix sur la pierre de croix
Tout un pays face au soleil à l’infini
Toi prière à genoux et toi élan du rite.
Je suis de toi pays des longs siècles sans fin
Et je vais avec toi, hauteurs et précipices,
Furieux par la pierre et dans le vent de neige
Toi, chagrin du pétale et larme de la mousse.
–
Vahagn Davtian , » De pierre ici tout un pays », extrait..
Traduction Rouben Mélik.
–
Mahmoud Darwich – Blocus pour les panégyriques de la mer

Mer et mur ( Acre – Israël)
BLOCUS POUR PANÉGYRIQUES DE LA MER
S’envolent les colombes
S’envolent les colombes
Se posent les colombes
Prépare-moi la terre, que je me repose
Car je t’aime jusqu’à l’épuisement
Ton matin est un fruit offert aux chansons
Et ce soir est d’or
Nous nous appartenons lorsque l’ombre rejoint son ombre dans le marbre
Je ressemble à moi-même lorsque je me suspends
Au cou qui ne s’abandonne qu’aux étreintes des nuages
Tu es l’air se dénudant devant moi comme les larmes du raisin
L’origine de l’espèce des vagues quand elles s’agrippent au rivage
Et s’expatrient
Je t’aime, toi le commencement de mon âme, toi la fin
S’envolent les colombes
Se posent les colombes
Mon aimé et moi sommes deux voix en une seule lèvre
Moi, j’appartiens à mon aimé et mon aimé est à son étoile errante
Nous entrons dans le rêve mais il s’attarde pour se dérober à notre vue
Et quand mon aimé s’endort je me réveille pour protéger la rêve de ce qu’il voit
J’éloigne de lui les nuits qui ont passé avant notre rencontre
De mes propres mains je choisis nos jours
Comme il m’a choisi la rose de la table
Dors, ô mon aimé
Que la voix des murs monte à mes genoux
Dors, mon aimé
Que je descende en toi et sauve ton rêve d’une épine envieuse
Dors, mon aimé
Sur toi les tresses de ma chevelure. Sur toi la paix
(…)
J’ai vu le pont
L’Andalousie de l’amour et du sixième sens
Sur une larme désespérée
Elle lui a remis son cœur
Et a dit : l’amour me coûte ce que je n’aime pas
Il me coûte mon amour
Puis la lune s’est endormie
Sur une bague qui se brisait
Et les colombes se sont envolées
L’obscurité s’est posée
Sur le pont et les amants
S’envolent les colombes
S’envolent les colombes
Mahmoud Darwich
Si le chemin est lourd ( RC )
Parle quelquefois l’enfant en moi,
J’ai les yeux qui piquent
Soleil mandarine
Bagarre dans la cour
Genoux frottés ( un sol en ciment )
Le chemin est lourd
Les oiseaux loin
Je sais les étapes
Le couvent, la place, les magasins ………….
Et les joues qui flambent
A mes pieds je traîne, – boulet-
Plus de cinq-cent mètres , avec
La rue défoncée – et ses yeux en flaques
Le regard sévère
Des maisons d’en face
——————- que dira ma mère
de mon maillot lâche
du manteau sali –
… et de l’oeil au beurre noir ?
RC 11 septembre 2012
–
Marie Nizet – La torche
La torche
Je vous aime, mon corps, qui fûtes son désir,
Son champ de jouissance et son jardin d’extase
Où se retrouve encor le goût de son plaisir
Comme un rare parfum dans un précieux vase.
Je vous aime, mes yeux, qui restiez éblouis
Dans l’émerveillement qu’il traînait à sa suite
Et qui gardez au fond de vous, comme en deux puits,
Le reflet persistant de sa beauté détruite.
Je vous aime, mes bras qui mettiez à son cou
Le souple enlacement des languides tendresses.
Je vous aime, mes doigts experts, qui saviez où
Prodiguer mieux le lent frôlement des caresses
Je vous aime, mon coeur, qui scandiez à grands coups
Le rythme exaspéré des amoureuses fièvres,
Et mes pieds nus noués aux siens et mes genoux
Rivés à ses genoux et ma peau sous ses lèvres…
Je vous aime ma chair, qui faisiez à sa chair
Un tabernacle ardent de volupté parfaite
Et qui preniez de lui le meilleur, le plus cher,
Toujours rassasiée et jamais satisfaite…
Je suis le temple vide où tout culte a cessé
Sur l’inutile autel déserté par l’idole ;
Je suis le feu qui danse à l’âtre délaissé,
Le brasier qui n’échauffe rien, la torche folle…
Marie Nizet. « Pour Axel de Missie ».

peinture: miniature indienne « Chamba »