Roja Chamankar – Le neuvième jour de la mer –

C’était le neuvième jour de la mer Recroquevillée sur moi-même Accompagnée du cri de la mère J’ai glissé Dans un bassin de cendres Avec deux ailes blanches aux épaules Comme un oiseau à la gorge coincée La poche d’eau m’a mouillé les yeux La mer était salée et grande Le matelot frappait en cadence Le tambour Gitane solitaire Une danseuse sans anneaux aux chevilles Ni grain de beauté au coin des lèvres Mes poupées Ont grandi Aux seins arides et au lait noir Et un ruisseau de sang a brûlé leurs cuisses Le neuvième jour de la mer Aucun bruit d’applaudissements Ni de you-yous Quatre gouttes de sang tombent de ma gorge Je m’offre... La mer était salée et grande Pour la gitane solitaire C’est pour tes yeux que je suis devenue poète.
Je ressemble à une chambre noire
Traduit du persan (Iran) par Farideh Rava
Ed. Bruno Doucey
A écouter , à lire :
Apéro-poésie avec Bruno Doucey #44 / Roja Chamankar (5 poèmes dits par Bruno Doucey)
Caballero – Susanne Derève

René Chabrière – photomontage
Te souviens-tu ?
En cette fin d’après-midi d’été
De l’air brûlant comme une lame
Et sous le cintre des platanes
Cernée par un muret de pierre
La fontaine de marbre usé
Plaça Constitucio
A Soller
En Juillet
Te souviens-tu ?
A l’angle de la Plaça Constitucio
A Soller
En juillet
Les rails du vieux tramway
Filaient droit vers le ciel
Coincés entre les murs chaulés
Les jardins et les treilles
Et les haies de lauriers.
Tombaient déjà sur nous les voiles roses
Du crépuscule
Mais ils filaient tout droit
Vers les derniers arpents du jour
Alors que la nuit nous talonnait déjà
Filaient droit vers le ciel
D’un bleu vert sidéral
Filaient devant la nuit.
Alors j’ai aperçu le caballero
Chevauchant l’ombre promise.
Je l’ai vu caracolant sur son étalon noir
Une fleur de sang étoilant sa chemise.
Là-haut, la gitane aux yeux verts,
Cœur de velours et de cendre
Se penchait au balcon de fer.
De sa robe luisait la moire.
Sous la mantille de dentelle
Sa prunelle de jaspe vert
Brillait d’amour pour le rebelle .
Sous la lune piaffaient les chevaux
Impatients de ravir la belle
Eprise du caballero.
Te souviens-tu ?
De la Plaça Constitucio
A Soller
En Juillet
Et des rails du vieux tramway
Qui filaient droit vers le ciel ?
Mais bien sur
Tu ne l’as pas vu
Tu n’as pas vu le caballero,
Et tu ne l’as pas vue
La gitane aux yeux verts
Tu ne les a pas vus
Caballero.
Côté ombre – ( échos de textes SD – RC )
( ces textes sont visibles dans la partie » ping-pong )
photo Jerry Uelsman
—
COTE OMBRE
J’ai fait les cent pas sur le parvis
côté ombre
À même le pavé
la gitane a suivi les lignes de ma main
mais elles étaient brouillées
De l’autre côté des pierres
Notre-Dame de la Mer
écrasée de soleil, déserte,
s’endormait
Dans le silence
d’un plein après-midi d’été
Non, tu ne viendras plus
mais j’attendrai le soir
J’attendrai les chanteurs,
le timbre des guitares
le son rauque et cassé de ces mélopées lentes
qui disent le départ
et le prix de l’errance
– la gitane dénoue les pans d’un fichu vert
un enfant fait la manche –
Demain j’irai revoir la mer
la mer et les étangs
la robe claire des chevaux
et l’éclat de corail des flamants
comme des perles ébouriffées
qu’aurait éparpillées le vent
sur l’eau
J’irai dire un adieu à Arles la romaine
Fouler aux pieds les Alyscamps
Comme Toulet au bord des tombes
Eprouver le poids du passé
Avant que le jour ne s’effondre
Et oublier
SD
C’est la faute des pierres .
Elles ont attendu si longtemps,
alignées au bord des allées,
que même les inscriptions,
se sont effacées
assistant, immobiles, à la fusion des jours:
peut-être n’avaient-elles
plus rien à dire et ont suivi
le chemin des montagnes altières,
un souvenir des Alpes lointaines .
Ses rochers se sont écartés
pour laisser passer le mistral .
Le vent est toujours là, où tu l’a laissé,
les flamants roses sont comme des fleurs
posées sur les étangs,
mais on ne sait pas si ce sont les mêmes,
ou d’autres générations venues
sur les étangs de Camargue .
Tu trouves toujours aux Saintes-Maries,
une gitane prête à te dire ton destin,
dans les lignes de la main .
Mais tu ne sais pas la reconnaître.
Et d’ailleurs, si tu lui confiais ta paume ,
elle trouverait ces lignes effacées.
Et ce seraient comme ces pierres,
qui ont attendu si longtemps,
qu’elles ont fini par s’éroder,
se dissoudre :
dans le liquide du temps,
et le poids du passé .
–
RC
Étaient-ce des perles ou des fleurs
déposées par le vent
Je restais les observer des heures
Ils quittaient l’eau parfois
abandonnant leur fragile élégance
pour prendre leur envol
Et lorsqu’ils déployaient leurs ailes
ce n’était pas tant la fulgurance
du corail que ces rémiges noires
qui signifiaient tout à coup leur puissance
Arles déchue Arles des pierres dissoutes
de langueur et d’oubli
les arènes sont vides
la roche friable sous mes doigts
– j’en garde
un peu de la poussière au creux des ongles-
sur les gradins il n’y aura pas d’ombre
Mais au-delà des murs, échappée du regard,
j’aperçois la douce respiration de la ville
le soleil fléchit contre les toits de tuiles
Le temps devient cet or liquide
sans passé ni présent
le temps a la lourdeur des pierres
immobiles
SD Février 2018
J’ai fait les cent pas sur le parvis
côté ombre,
et tu n’es pas venue.
J’ai pourtant attendu longtemps.
Peut-être je n’aurais pas dû
acheter des fleurs ce matin.
Elles courbent déjà la tête,
et désespèrent de te voir,
à mesure
que le soleil
grignote un peu plus de la place .
Mais je suis resté,
assis sur un banc, désoeuvré,
et du square me parviennent les cris des enfants.
Je me suis occupé à compter les pavés.
Il y en avait beaucoup sur la place
autour des maigres platanes
que l’on y avait plantés.
Beaucoup, mais pas tant,
que ces minutes qui n’en finissent pas.
Elles s’étirent en un long soupir.
L’après-midi s’est prolongé,
c’était l’été et la lumière s’est attardée
jusqu’à la fermeture des boutiques.
Non, tu ne viendras plus.
Je le sais maintenant,
et les fleurs sont fanées.
Mais je reviendrai demain.
Il y aura des musiciens
qui accompagneront mes pensées.
Celles qui disent les exils volontaires,
l’incertitude de l’errance ,
et les lueurs de l’espoir.
Demain, quand tu seras là
je te tiendrai par le bras,
et nous irons revoir la mer
La robe claire des chevaux ,
et ton regard aura l’éclat
de la nuit , où le jour commence à poindre…
Nous éviterons les paroles inutiles,
que le vent aurait éparpillées ;
tu te contenteras d’être là.
Et ce sera la joie,
quand tu reviendras
.. mettre un terme à l’incertitude…
RC
Tu étais là, sur le parvis
côté ombre
et je t’ai reconnu même avant de te voir
Tu attendais sur le vieux banc de pierre
avec cet air d’éternel enfant
– celui sans doute qui m’avait fait revenir
sur mes pas une dernière fois
en te cherchant-
– Notre Dame de la mer –
Qu’attendais-tu, indifférent
a ce qui t’entourait
au timbre des guitares
aux gamins qui mendiaient à même le pavé
Il m’a semblé qu’une gitane en robe noire
lisait les lignes de ta main
T’a-t-elle parlé de moi ?
Je sais que j’ai couru vers toi que j’ai crié
que tu m’as serrée dans tes bras
et je suis si légère, t’en souviens-tu,
que tu m’as fait tourner, tourner sans fin
jusqu’au vertige
Si haut qu’au-delà du fronton de l’église
j’ai vu le soleil basculer ricocher
dans tes yeux
La place en est soudain devenue trop étroite …
Il me fallait le ciel entier côté lumière,
Il me fallait la mer au-delà de ces digues
qui ferment l’horizon sous le pas des chevaux,
au-delà des étangs, au-delà des roseaux
lequel entrainait l’autre, le sais-tu ?
Il me semble que tu m’as portée jusqu’à la mer
en chuchotant à mon oreille des mots
que le vent étouffait
Ou bien était-ce le vent lui-même qui murmurait
Qu’importe je te retrouvais
SD
Jean-Marie Kerwich – le chiffonnier des mots
– montage perso à partir de peintures
Le chiffonnier des mots
Je n’écrirai plus. Je réapprendrai à ne pas savoir écrire. Cette vie d’écriture ne fait pas partie de ma condition de nomade. Je ne suis pas fait pour la littérature. Je suis de la race des arbres, je crie avec le tonnerre quand il s’annonce. Je ne suis qu’un vagabond, un chiffonnier des mots qui ramasse des pensées enguenillées au bord du chemin de son âme. C’étaient les fleurs sauvages, les feuilles mortes, la pluie, le vent, les ronces et les arbres qui me demandaient de parler de leur vie. C’était une décision divine. Quand je rallumais mon feu de bois et me promenais dans des sentiers inconnus j’avais enfin appris à lire et à écrire. L’écriture était la roulotte où je vivais, mes poèmes étaient mes chevaux, mes pensées mes petites gitanes. Mais maintenant je dois retrouver ma vie nomade. Il est temps d’atteler mon coeur et de partir.
auteur découvert grâce au blog littéraire d’oceania…