Marie-Hélène Lafon – Herbe

L’herbe est l’apanage de ce pays, sa première peau.
Elle s’immisce, elle confond par sa virulence.
L’herbe en terre verte ne se sème pas, elle se donne.
A la fin de mars, aux détours du changeant avril, elle pointe, timide, têtue.
En mai, en juin, elle devient insensée, elle ne connaît pas sa force, elle n’a plus de limites,
elle regorge, elle pavoise, elle frôle l’invraisemblable, elle se marquette de troupeaux repus et de pissenlits sémillants.
C’est la saison majuscule, le temps d’insolente jeunesse.
Le vent la brasse, l’étreint, l’éreinte, la pluie la couche, elle se redresse, elle récidive, elle vient à bout de tout.
Elle sent fort le neuf. Enfin elle s’émaille de fleurs vives et penchées, c’est son chant du cygne, elle sera fauchée pour excès de zèle, prolifique munificence.
Elle a été fauchée. Elle jonche, et encore, avant d’être enfournée dans la gueule chaude des machines qui tonitruent, avant la touffeur des granges et des hangars, avant les gaines de plastique drapé, encore, l’herbe se donne. Elle emplit l’air, les soirs, les nuits s’arrondissent d’elle, elle poursuit, elle happe, elle prend, se fait capiteuse, entête comme une chanson ancienne.
Ramassée, compressée, engrangée dûment, elle persiste, elle repousse, elle revient, elle recommence, elle est là, plus légère et non moins crue, à peine émaciée, en regain convoité, une ou deux fois par saison sur les terres les plus généreuses.
Son royaume serait les montagnes d’été où les machines ne l’atteindront pas.
Sur les plateaux de pleine lune, Limon, Cézallier, Aubrac et autres steppes, juin, juillet, août sont le grand temps de l’herbe en gloire, sertie de fleurs aux prénoms précieux.
Les bêtes lentes, répandues sous le ciel énorme, la paissent.
Plus tard, au large des automnes, le fastueux navire cargue les voiles pour le voyage d’hiver, on le déserte;
tout est rare, troupeaux et gens, ce qui reste de l’herbe se tasse, tenace, indéfectible, jauni, mâchuré, roux et rêche à l’œil, souple cependant sous le pied.
Les insectes crépitants n’y courent plus.
L’herbe se fait pelisse, toison de la bête, tendue au ras des jours et des nuits, craquetante et enchantée de givre dans les aubes de décembre.
Sous la neige l’herbe recommence.
extrait de l’ouvrage » album » éd Buchet-Chastel
Gustave Roud – Neige, bataille des anges
peinture: Armand Guillaumin – neige à Crozant
Au-delà des fenêtres, hier,
cette bataille d’anges !
Purs blancheurs par myriades épaissies
noircissaient le ciel de fausses ténèbres:
une ruée silencieuse,
un désarroi de feuilles mortes,
ces corps jusqu’à la vraie nuit précipités
sans fin sur le jardin terrassé ..
Et les voici qui dorment au matin,
lutteurs légers roulés dans leur grande aile
de sel étincelante,
les membres déjà troués de tiges et de fleurs vives,
neige de l’absolu, charnier de givre,
neige des signes
trop tôt descendue,
fondue en pluie grasse
et bue âprement par les racines aux abois.
Presque un regret d’hiver – ( RC )

Il y a ce retour,
presque un regret de l’hiver.
Le ciel a la couleur pâle
de la mémoire effacée.
Te souviens-tu du chant des oiseaux,
qui hier encore , habitaient le chêne ?
Il reste, ce matin,
le friselis de givre,
et tu gardes en toi ,
le chant qui gonflait ta poitrine.
Je vois virevolter
de fines particules blanches .
A peine ont-elles touché le sol,
qu’elles s’effacent d’elles-même :
il n’y aura pas aujourd’hui
de couverture blanche ,
ni retour d’hibernation :
ce n’est qu’un passage ;
La tiédeur du sol
est prête à donner de l’élan
à la symphonie végétale :
déjà les premières fleurs
sèment leurs points de couleur
– premiers signes perçant la grisaille .
Bernat Manciet – L’écorce du cours d’eau
La soie
efface
l’écorce
du cours d’eau
petit jour
goutte noire
la branche
bronche
aérienne
mais œuvre
de givre
la neige
prononce
les lèvres
Patrizia Valduga – Cette neige
photo Luis Fernandez – Toronto
XVI.
Sur le blanc du givre en lents flocons
se perd un peu de neige silencieuse,
tu avais une ombre noire au front,
chaque jour t’enlevait quelque chose…
Il fait si froid, je couvre tes jambes
tu suis ton ombre mystérieuse,
ce papillon noir vif t’afflige
tu ne l’as même pas vue, cette neige.
Cet écrit est issu du beau site » une autre poésie Italienne »
Un jupon d’un buisson de ronces – ( RC )
Pripiat – Ukraine – provenance photo: http://machbio.blogspot.fr
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J’ai fait un jupon d’un buisson de ronces,
Pour aller avec la robe de plomb,
Habillant si bien les bois morts,
Et la langue affligée ( celle qu’on ne peut plus traduire ).
Une cérémonie où les statues sont de sortie,
Alignées, immobiles,
Conformément au protocole ,
Attendant un signe qui ne viendra pas.
Un premier plan de givre, un alphabet en désordre,
Et les arbres, libérés des contraintes ordinaires
ont commencé à crever le ciment de la place du Champ de Mars .
Tous les habitants ont fui une menace qui ne dit pas son nom .
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RC- juin 2015
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En rapport avec la ville Pripiat ( à 3km de la centrale de Tchernobyl ).
A voir au sujet des conséquences de l’explosion
de la centrale nucléaire, sur la ville de Pripiat,
le film » la terre outragée »
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Petit commentaire perso: Daugavpils, est une ville de Lettonie, proche de la frontière de la Russie . Elle comporte une citadelle militaire qui a été laissée complètement à l’abandon, et dont l’enceinte abritait en 2004 également une série de hlm vétustes.
L’abandon n’a pas ici de cause consécutive à un accident nucléaire, mais on observe le même phénomène, à savoir que les places d’armes ( où trônent encore des canons) sont envahies progressivement par la végétation: par exemple des arbres qui masquent presque totalement de hauts lampadaires destinés à éclairer la place.
A noter qu’au côté sinistre de l’abandon, se joint le côté historique, puisque cette ville a servi de ghetto concentrationnaire pour les juifs… lire cet article corrrespondant…..
Parcours nocturne sans lune ( RC )
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Si, d’une nuit sans lune,
Tu descends à pas de loup,
L’escalier de bois,
Dont tu sais chaque marche,
Comme autant de pièges,
Celles qui gémissent,
Ou dont les têtes de clous se rebellent,
D’autres qui jointoient mal…
Cette étape franchie, c’est le couloir qu’encombre,
La découpe dans le sombre,
De la vieille armoire,
Encore un peu plus noire,
Et, suspendus à côté,
L’amas des habits d’hiver,
Comme autant de dépouilles,
Sur leur crochet de fer,
.. Présences enveloppées du passé,
Echarpes et manteaux entassés.
C’est à droite la cuisine,
Son carrelage froid,
La coupe de mandarine,
Sur la table en bois,
Attendant sans bruit,
A côté de quelques livres,
La fin de la nuit.
Vois-tu les fleurs de givre,
Eclairées par derrière,
De la présence immobile,
Du seul réverbère ?
——- Il est minuit pile..
- photo Lionel Feininger
RC – 27 juin 2013
Claude Ber – Lai de la Belle au bois revivant
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Lai de la Belle au bois revivant ——(inédit sur le thème Passeurs de mémoire)
Ne cherche plus la Magramüe
Au socle de l’hiver de gris
Noir de neige et blanc de buis
Tout redevient quand tout s’est tu
A pic de l’horizon les forêts qui dérivent
Sont des mots effacés le cercueil océan
Quand réchauffant leurs oiseaux morts
A fleur de peau contre ton corps
Pour qu’entre lèvres ils revivent
Tu les diras en outre temps
Dans les fleuves du ciel fendu
Sous les aisselles de la nuit
Se couche nue avec l’oubli
La mémoire redevenue
Au fil de nos saisons les journées qui déclinent
Dispersent nos chimères et noient nos talismans
Que la nuit treuille dans son palan
Mais les paroles qui s’inclinent
Vers la Belle au Bois revivant
Font du givre ce soleil blanc
CLAUDE BER
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Paillettes de beauté ( RC )

photo: Joce V ( voir son ensemble de photos sur flickR)
Un peu de beauté, en grains
Paillettes d’or flottant un instant dans l’air
Et s’y dessine ton sourire
En pointillés,
un lointain peut-être,
Mais un sourire,
Traversant les distances, les froidures;
Vois-tu cette beauté,
Celle que le froid justement,
Dépose en dentelles
De givre … à la robe grise de l’hiver,
Et qu’un bref sourire ,
Le soleil que tu m’envoies
Font de ces paillettes d’eau, autant de diamants ?
Un peu de beauté
Echappée au banal
Aux injures et insanités,
Et si précieuse,
Si fragile en ses cristaux
Qu’on ne peut la conserver,
Que dans son regard et son coeur…
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RC – 9 février 2013
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( écrit à la suite de la lecture de extrait de il(e) 4, de Agathe Elieva
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Le temps d’un haïku – matin de givre
matin de givre –
l’ombre blanche
des peupliers
texte extrait de « Le temps d’un haïku » de Damien GABRIELS
voir son site – blog http://carnets-haijin.blogspot.com
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— écrit qui vient rejoindre mon texte précédent « traces du matin dans le givre »
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Au matin – la trace du temps dans le givre – (RC)
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–C’était au matin, l’horloge du temps
Déplaçait ses aiguilles dans le givre
C’étaient les ombres, et elles étaient blanches
C’étaient des fantômes allongés sur le sol
La trace figée des arbres debout, en patience
Qui attendent la lumière au sortir de la nuit
Et je t’imagine ainsi, en présence
Car pour moi tu es l’ identique en image, toujours
Je t’imagine aussi en absence
A susciter mon écriture sur la page blanche
Comme les aiguilles du temps que déroule
leur fuite, ta fuite ….et tout ce qu’il y (a) entre
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RC 1er dec 2011
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J’ai aussi trouvé le poème de Vesna Parun, qui nous conte des évènements parallèles
(voir aussi les deux publications récentes que j’ai fait des textes de V Parun)…
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Murmure des ailes et murmure de l’eau
Le monde qui vient à notre rencontre nous murmure les contours
des arbres qui bruissent à l’horizon
et grandissent des ombres courbées.
Assieds-toi sur le seuil
et attends
que le soir se déplace…
(Vesna Parun)