la vibration d’un gong, un arrière plan de toile – ( RC )
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C’est comme la vibration d’un gong : cela frissonne,
puis cela frémit, dans un froissement qui monte en puissance,
En s’amplifiant jusqu’à la parole délivrée de l’étain.
Un point critique nait de la rencontre de la mailloche et du disque de métal.
Un germe du sensible : Un geste le précède.
Mais le son qui s’en extrait, cache son envers, sa mutité,
sa « face silencieuse », en quelque sorte , dans l’objet.
Celui -ci pourrait être joliment décoratif,
mais sa matière, sa forme, recèle en puissance le son.
Même lorsqu’il est silencieux.
Et pour une peinture, c’est parallèlement, la rencontre des formes,
des couleurs et des contrastes, qui révèle
de la toile « silencieuse », les dialogues de la lumière avec l’ombre,
de la matière même du geste de peindre,
et ce qui fait la personnalité de son auteur.
Cet arrière plan de toile, entend les soleils,
écoute les matins blêmes, et retransmet, comme le gong, dès qu’on la regarde,
ce frissonnement des éléments « dans un certain ordre agencés ».
Cachée, elle peut, comme un instrument de musique, demeurer muette,
ses potentialités ne s’éveillent que sous la caresse du regard.
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RC – avr 2015
W H Auden – Atlantide
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Obsédé par l’idée
d’atteindre l’Atlantide,
tu as, bien sûr, trouvé
que seule la Nef des Fous
fait le voyage cette année,
parce qu’on prévoit des tempêtes
d’une violence exceptionnelle
et que tu dois donc être prêt
à te montrer assez absurde
pour être accepté dans la bande
en faisant tout au moins semblant
d’aimer l’alcool, la farce et le tapage.
Si, comme il se peut, les tempêtes
devaient t’amener à mouiller une semaine
dans quelque vieux port d’Ionie,
parle avec ses savants retors,
des gens qui ont prouvé l’impossibilité
d’un endroit tel que l’Atlantide ;
apprends leur logique, mais note
que leur subtilité trahit
une simple, énorme tristesse ;
ils t’enseigneront la façon
de douter que tu puisses croire.
Si, plus tard, tu viens à échouer
sur les promontoires de Thrace,
où, torche en main, toute la nuit,
une race barbare et nue
fait des bonds forcenés aux sons
de la conque et du gong discordant,
sur ces rivages durs, sauvages,
arrache tes habits et danse,
car si tu n’es pas capable
d’oublier complètement
l’Atlantide, ton voyage
ne s’achèvera jamais.
De même, si tu arrives
à la joyeuse Carthage
ou à Corinthe, prends part
à leurs amusements sans fin ;
et si, dans un bar, une fille
dit, en caressant tes cheveux :
« Chérie, c’est ici l’Atlantide »,
écoute avec grande attention
l’histoire de sa vie : à moins
de connaître dès à présent
chaque refuge qui s’efforce
de jouer l’Atlantide, à quoi
reconnaître la véritable ?
À supposer que tu échoues enfin
près de l’Atlantide et commences
le terrible voyage à pied
à travers les forêts sinistres et les steppes
glacées où tous seront bientôt perdus,
si, abandonné, tu te trouves
rejeté de tous les côtés,
pierre et neige, air vide et silence,
rappelle-toi les nobles morts
et fais honneur à ton destin,
toi le voyageur tourmenté,
le dialecticien bizarre.
Trébuche, avance et réjouis-toi ;
et si, peut-être parvenu enfin
jusqu’au dernier col, tu t’effondres?
avec l’Atlantide entière qui rayonne
à tes pieds sans que tu puisses
y descendre, sois fier pourtant
d’apercevoir cette Atlantide
dans une vision poétique,
rends grâces et repose en paix,
car tu auras vu ton salut.
Tous les petits dieux domestiques
sont en pleurs, mais fais tes adieux
à présent, et embarque-toi.
Bon voyage, ami, bon voyage,
puissent Hermès, le dieu des routes,
et les quatre nains Cabires
te protéger et te servir
toujours, et puisse l’Éternel
t’offrir pour ce que tu dois faire
sa direction invisible
en répandant, ami, sur toi
la lumière de Son visage.
Wystan Hugh Auden, in Poésies choisies,