Rien n’obscurcira la beauté de ce monde Les pleurs peuvent inonder toute la vision. La souffrance Peut enfoncer ses griffes dans ma gorge. Le regret, L’amertume, peuvent élever leurs murailles de cendre, La lâcheté, la haine, peuvent étendre leur nuit, Rien n’obscurcira la beauté de ce monde.
Nulle défaite ne m’a été épargnée. J’ai connu Le goût amer de la séparation. Et l’oubli de l’ami Et les veilles auprès du mourant. Et le retour Vide du cimetière. Et le terrible regard de l’épouse Abandonnée. Et l’âme enténébrée de l’étranger, Mais rien n’obscurcira la beauté de ce monde.
Ah ! On voulait me mettre à l’épreuve, détourner Mes yeux d’ici-bas. On se demandait : « Résistera-t-il ? » Ce qui m’était cher m’était arraché. Et des voiles Sombres, recouvraient les jardins à mon approche La femme aimée tournait de loin sa face aveugle Mais rien n’obscurcira la beauté de ce monde.
Je savais qu’en dessous il y avait des contours tendres, La charrue dans le champ comme un soleil levant, Félicité, rivière glacée, qui au printemps S’éveille et les voix chantent dans le marbre En haut des promontoires flotte le pavillon du vent Rien n’obscurcira la beauté de ce monde.
Allons ! Il faut tenir bon. Car on veut nous tromper, Si l’on se donne au désarroi on est perdu. Chaque tristesse est là pour couvrir un miracle. Un rideau que l’on baisse sur le jour éclatant, Rappelle-toi les douces rencontres, les serments, Car rien n’obscurcira la beauté de ce monde.
Rien n’obscurcira la beauté de ce monde. Il faudra jeter bas le masque de la douleur, Et annoncer le temps de l’homme, la bonté, Et les contrées du rire et de la quiétude. Joyeux, nous .marcherons vers la dernière épreuve Le front dans la clarté, libation de l’espoir. Rien n’obscurcira la beauté de ce monde.
trad Nicole Laurent-Catrice ( variante dans Biblioteca Premio Nobel, éd. Aruilar : Amor, Amor.)
montage RC
Si je te haïssais, je te jetterais ma haine dans des mots, ronde et sûre; mais je t’aime et mon amour ne se fie pas à ce parler des hommes, trop obscur. Tu voudrais qu’il s’exprime en cri déchirant, mais il vient de si profond qu’il a, défaillant, répandu son flot brûlant bien avant la gorge, bien avant la poitrine. Je suis comme un étang gorgé et tu me crois un jet d’eau inerte. Tout cela à cause de mon silence tourmenté qui est plus atroce que d’entrer dans la mort !
Ainsi ne me touche pas. Je mentirais si je te disais que je te livre mon amour dans ces bras tendus, dans ma bouche, dans mon cou, et toi, croyant que tu l’as bu tout entier, tu t’abuserais comme un enfant aveugle. Car mon amour n’est pas seulement cette gerbe rebelle et fatiguée de mon corps, qui tremble toute au frôlement du cilice et qui s’attarde dans son vol. Il est ce qui est dans le baiser et ce n’est pas la lèvre; ce qui brise la voix, et ce n’est pas la poitrine; c’est un vent de Dieu qui passe en déchirant la branche de ma chair, immatériel! .
La nuit peut bien fermer la mer dans les miroirs : les fêtes sont finies le sang seul continue de mûrir dans l’ombre qui arrondit la terre comme ce grain de raisin noir oublié dans la chambre de l’œil qu’un aigle déchirant la toile enfonce dans la gorge du temps.
peinture : La chapelle sur la digue à Collioure – Henri Jean Guillaume Martin
Pas de bout, pas aux choses, pas à soi, peut-être pour ça qu’on va sur la digue, on regarde la mer, les falaises, les villas, à la fin on revient, on attend de recommencer, au milieu de la vie qui passe. La digue ça ne mène nulle part, ça n’engage à rien, on regarde la mer, et puis on s’en va ; les yeux naturellement sont portés là plus qu’aux villas ; où il n’y a rien l’œil ne tombe pas, ça nous laisse d’abord à nous-même. Les choses souvent on croit qu’elles sont là pour nous, qu’on a d’elles une mémoire, un regard – on est séparé de tout, les choses tiennent sans nous, c’est pour ça qu’elles n’ont pas de bout.
– On passe, on marche, on avance, moments posés les uns près des autres, on ne s’en rend pas forcément compte, les pensées naissent et meurent, elles glissent sans qu’on soit toujours là, ou bien c’est nous qui glissons, à côté, ou bien non, ça se fait comme ça, en dérive.
– Sous le ciel, neutre, froid, calme, durant dans le silence, comme s’il ne restait plus qu’une enveloppe.
On sait que c’est là, évoluant entre la gorge et l’estomac, ça bouche ce qui à l’intérieur demande à respirer.
Ça n’empêche pas de vivre, ça donne juste un goût aux choses, on finit même par croire qu’on s’y fait.
Pas de sens pour faire la digue, on commence n’importe où, pas de fin, on en fait des bouts, des pans, tout y paraît sans histoire, sans mémoire, disloqué comme les choses sont en nous, avec de grands pans de vide séparés comme des digues. Les paysages sont intérieurs. On ne connaît pas la souffrance des autres, on se contente de soi.
Ce qui rend lourdes les choses s’est perdu au fond et ne pèse plus. Demeure le poids de notre présence face au monde, ce qu’on pèse soi-même sur ses propres épaules.
Peu d’étale des choses, de transparence entre elles, rien qui tienne hors de notre regard, la digue on la fait hors de tout, ça n’est qu’au-dedans que les choses apparaissent, par pans, par bouts, et c’est de là qu’on les croit isolées, alors que les espaces ne sont disloqués qu’en nous.
– C’est la mer à gauche quand on va à la Pointe aux oies, à droite ce sont les cabines, les villas, les immeubles récents, et puis aussi le Grand Hôtel, les choses, ça arrive, on ne les voit plus, on croit les savoir par cœur, on n’écoute plus rien.
Nous prendrons soin de tout ce qui nous manque, l’ébrieté de l’eau, l’ensevelissement des ombres sous nos corps, les actes de naissance et de mort piles en fond de coquillage.
Puis nous repartirons ensemble, Ulysse en houle de premier sillage, haletant pour que la gorge, trop longtemps coincée, redevienne sauvage.
Fantôme
(Variation sur un thème par Matthew Sweeney)
Le fantôme qui ne connaît pas son chemin mais doit rentrer chez lui
trébuche dans le désert en traversant le jour
et cherche par des cols, dans le noir.
Il rassemble des cailloux comme des cartes pour repérer son passage
de l’autre côté de la grande steppe en hiver.
Il s’immerge lui-même dans des lacs pour ressentir
ce que ressentent les racines des bouleaux, il s’assied
dans le corps des moutons et des chèvres
dont le sang ne peut stopper le froid.
Il voyage de moustique en moustique dans
l’air gras de l’été,
il s’enveloppe dans les écorces tombées des arbres
comme le texte dans un livre pourri.
Il ne connaît que le Nord et du coup
il peut voyager dans la mauvaise direction pendant des mois.
Parfois il pense reconnaître l’aspect d’un peuplier
alors une grande terreur descend.
Il s’allonge avec les asticots et les excréments sous
une rangée de toilettes dans la Ville Couteau.
Il se souvient des visages vus sans avoir su que c’était pour
la dernière fois. Les souvenirs ont diminué
et doivent être comptés l’un après l’autre comme des perles :
le cliquet dans la gorge de la vieille femme,
l’odeur du papier journal bon marché dans
un aéroport maintenant sans nom,
la main qui tire nerveusement un rideau,
la pupille noire de l’enfant qui bat.
—
Ghost
(Variation on a theme by Matthew Sweeney)
The ghost which doesn’t know its way but must get home
stumbles in the desert through the day
and searches through the passes in the dark.
It gathers pebbles into maps to guess at its passage
across the great steppe in winter.
It immerses itself in lakes to feel
what the birch roots feel, it sits
in the bodies of sheep and goats
whose blood can’t halt the chill.
It travels from mosquito to mosquito in
the fat summer air,
it wraps itself up in fallen trees’ bark
like the text in a rotten book.
It only knows North and consequently
may be travelling in the wrong direction for months.
Sometimes it thinks it recognises
a configuration of poplars
and a great dread descends.
It lies with the maggots and the excrement beneath
a row of toilet stalls in Knife City.
It remembers faces seen with no thought that this was for
the last time. Memories are diminished
and must be counted out like beads:
the ratchet in the old woman’s throat,
the smell of cheap newsprint in
a now nameless airport,
the hand nervously gathering a curtain,
the baby’s black button blink.
Nous vivons ici-bas une main serrée sur la gorge. Que rien ne soit possible était chose connue de ceux qui inventaient des pluies et tissaient des mots avec la torture de l’absence.
C’est pourquoi il y avait dans leurs prières un son de mains éprises du brouillard.
comment arrive t-il de ses ailes à venir décrire de ses yeux de songeur le feu nourri de nos théoriques certitudes la course évidente du monde qui passe comment arrive t-il à murmurer sur nos lits fermer au soleil la verité du livre des vérités puis à l’aurore siroter la ligne blanche de la nuit où se croisent étoiles partantes et lumière du matin
comment de ses ailes atterrir clamer que l’homme est le dernier à rire quand c’est aux oiseaux d’en être les derniers chanter au plus profond de la gorge que c’est sa jeunesse qui fait défaut et alors s’envoler à nouveau là haut à l’écoute d’autres chants mystérieux…
photo perso; ombre de tour sur tour chateau de Saint-Saturnin sur Tartaronne, vers La Canourgue – 48 – 2008
es-tu château
ou l’ombre du silence (forme humaine)
as-tu soupirs de géant
milliers d’insectes en gorge râpeuse
respirant la terre
le géant ne sent rien respire
chaque souffle expire
une pierre
es-tu nuée sourde sur la proie (aucune chance)
tu virevoltes geste fou d’une courbe
ne s’arrête comme
encre en tache et page
loin du buvard flot noir apparu
surface couvre
es-tu quelque part en présence surprise
ou patte d’un bourdon
perdu dans la lutte
percer le corps sombre minéral
érode
la pierre grave le socle
enfonce
château dressé (faille en terre)
∏ The stormy fire by the mane that throat. engulfs
Les feuilles ont perdu leur haleine.
Le vent les a à peine soulevés.
Le rythme des oiseaux s’est perdu dans l’effort
Comme une âme en poussière.
Le cœur bat. L’usure de tes cheveux flottants.
Et le serment de ta voix. Et le serrement
Qui s’en ai allé très loin. Le séisme
Par son destin qui détachent les vertus invisibles.
L’incendie orageux en crinière que la gorge engouffre.
Aussi le sentiment qui se déploie avant de s’écraser.
Nous qui restons là à nous assortir par la compression
Du murmure des fissures mauves des violettes
Et des plaintes sans jamais se vanter. Enfonce. Le secret du vide
D’un clou, nous pouvons tout décrocher d’un mouvement d’épingle.
D’un supplice. Toutes ces choses qui veulent rompre
Sans volonté. Toutes ces choses qui s’ignorent superstitieusement.
Nous pouvons vivre une vérité [mer. 19.10.11] 18.50
The leaves have lost their breath.
The wind has just raised its.
The pace of the birds got lost in the effort
Like a soul in dust.
The heart beats. The usure of your hair floating.
And the oath of your voice. And tightness
Which would have gone very far. The earthquake
By his fate which detaches the invisible virtue.
The stormy fire by the mane that throat engulfs.
Also the feeling that unfolds before crashing.
Us who remain here by sorting ourselves through the compression
Of the murmur of purple fissures of violets
And complaints without never boast. Sinks. The secret of the vacuum
On a nail, we can all get from a movement of a pin.
On torture. All these things that want to break
Free will. All these things that are ignored superstitiously.