Le coeur funambule – Ecchymoses

Sur les ecchymoses du jour
Perlent quelques gouttes de ciel
L’onguent du crépuscule
Brode un ourlet pourpre
Aux jupes élimées des vagues
Brindilles de mer
Le souffle du courant
Efface les taches de l’oubli
Sur les visages de l’eau
Toutes les teintes du vent
Accrochées aux ailes des mots
En friselis d’écume
Dansent aux marges des rochers
Le bavardage des algues
En strophes d’ombre et de lumière
Sème les graines des phrases
Au chant muet de nos lèvres
Face aux festins des couleurs
Nous habitons tout à la fois
Le paysage et son reflet
Le brasier montant aux joues de la lune
Dans le silence aiguisé du jusant
Les rouges gorges des braises du couchant
En rayons brûlants pénètrent lentement
Le ventre humide de l’océan
avec l’autorisation d’Olivier ( voir son site )
Marc Hatzfeld – la pensée
L’HORLOGE DE LA GALERIE DU CLARIDGE
horloge à eau , imaginée par Bernard Gitton,


Une araignée mélancolique
File la toile mécanique
De la pensée automatique
Et toc
Du temps savant
Que la clepsydre famélique
Des gouttes crottes
Porte au cadran symptomatique
Des mots pesants
Qui balancent leurs tacs
et leurs tiques
Pour que s’enchaîne le rythme logique
Du corps pourri
De la pensée cacophonique
Et toc
Qui m’étouffe le cœur.
Marc Hatzfeld est par ailleurs auteur de livres « reportages » et engage une réflexion sur le génocide au Rwanda; comme « là où tout se tait »;
Mouvement perpétuel – ( RC )
image: Thibault Balahy
La mort est toujours là
et m’accompagne,
sans que j’y prête attention.
Je la fais voyager avec moi,
regarder par mes yeux.
Elle ne vient pas vers moi,
c’est moi qui vais vers elle.
Je me dilue dans mon propre reflet
et finis par m’y perdre.
N’allez pas m’y chercher.
Dans le ciel gris
un oiseau en a remplacé un autre.
Rien ne les différencie.
Deux gouttes d’eau dans l’air,
qui a fléchi.
Celui qui est tombé
pour ne plus se relever,
a rejoint les bois couchés,
et la boue à côté des marais,
– empreinte éphémère -.
C’est un mouvement perpétuel
à la mort , à la vie.
L’un passe d’un état à un autre.
Un arbre se déracine
sous la poussée du vent.
Une pousse impatiente prend sa place
hâtive de connaître elle aussi la pluie,
les saisons et la solitude des soirs:
tout se côtoie sans que l’on puisse
séparer la vie de son reflet inversé .
inspiration: les carnets de Gabrielle Segal
Perrine Le Querrec – les nuages
extrait de » la Patagonie «
Les nuages
Quitter le rivage de terre et de cailloux, s’avancer vers
les nuages. D’un pied tâter la matière, y entrer d’une
jambe, d’un corps, d’un coup. Plonger dans la mer,
s’en recouvrir, crèvent les gouttes contre la peau nue,
les jambes s’alourdissent, les cheveux, la bouche pleine
déchirer les nuages. Un ciel d’eau sur les épaules,
disparaître.
Zbigniew Herbert – le sel de la terre
peinture F Kupka
Une femme passe
son foulard tacheté comme un champ
elle serre contre sa poitrine
un petit sac en papier
cela se passe
en plein midi
au plus bel endroit de la ville
c’est ici qu’on montre aux excursions
le parc et son cygne
les villas dans les jardins
la perspective et la rose
Une femme avance
avec la bosse d’un baluchon
– que serrez-vous ainsi grand-mère
elle vient de trébucher
et du sac
sont tombés des cristaux de sucre
la femme se penche
et son expression
n’est rendue
par aucun peintre de cruches brisées
elle ramasse de sa main sombre
sa richesse dissipée
et remet dans le sac
les gouttes claires et la poussière
Elle
reste
si
longtemps
à genoux
comme si elle voulait ramasser
la douceur de la terre
jusqu’au dernier grain
Le quotidien et la vision de ce qui est, au plus profond, deux aspects inséparables. Cet extrait de L’inscription, par exemple :
Je répète un poème que je voudrais
traduire en sanscrit
ou en pyramide :
quand la source des étoiles se tarira
nous éclairerons les nuits
quand le vent deviendra pierre
nous attendrirons l’air
—
Anna Jouy – J’écoute le point du jour
montage perso – 2014
je me suis couchée dans le bleu , je me lève aux oranges. ma jupe est rayée d’avions mon corsage est nu, il y a un coeur qui s’y lave
la nuit est un sucre à la fonte, la mienne fait des gouttes d’oiseaux. il faut une fenêtre pour avancer et tu fabriques de si belles trouées
tu délivres les gens de ma sorte, tu m’affranchis
c’est l’heure de laisser couler les mites du rêve
j’écoute le point du jour comme un doigt au milieu du thorax
c’est de lui que je m’habille, comme un ongle qui saigne et me désigne.
Un encrier versé sur le vide – ( RC )
Il y a un ciel d’orage en été,
Mais toi-seule peut le voir,
et cet encrier versé
sur le vide et la vie
dont tu pétris
la vaste esquisse…
Des nuages aux contours noirs,
Des bêtes étranges, les dents acérées,
Se bousculent et se développent
Dans l’esprit de brume
où tu navigues seule ,
bien au-delà
– on ne peut plus te suivre –
D’ailleurs le dessin au fusain,
retourne à la poussière,
et toi, à ton destin.
Il n’y a sur la page,
que les traces de tes doigts ,
mêlées aux premières gouttes
d’un ciel qui bascule .
–
RC – avr 2016
Reflet de fleur vive – ( RC )

photogramme: Moholy-Nagy
–
Regarde entre ses doigts,
Juste un espace,
Quelques fentes claires,
Où jouent des papillons de lumière.
Que fait-il de ses jours ?
Il dessine.
– Il dessine quoi ?
Juste ce qu’il voit, et imagine,
Ton propre reflet de fleur vive
Echappé aux heures,
Où se forment, sur ce carnet,
Ombres et traits.
Mais aussi entre ses doigts,
Glissent sur ton regard,
Nombre de ces gouttes,
Comme sur des feuilles lisses.,
D’autres courbes,
Qui se lisent entre les lignes.
Vont traverser ses yeux.
Il en surgit ton portrait.
–
RC- février 2014
Cycle des gouttes recommencées ( RC )
–
A chaque goutte d’eau, le cycle recommencé
ce qui s’enfuit en vapeur, retombe un peu plus tard,
en condensé, et les grandes rivières s’en vont leur chemin
saluées par les arbres qui s’inclinent sur leur destin,
Enracinés d’un apparent immobile,
pendant que plus d’un printemps, des saisons alternées
promettent d’autres senteurs, de nouvelles nappes.
–
On remet de couvert, pour des années dansées,
à l’égard de temps, pour nous, recommencés.
mais en se posant un peu, la tête sur les épaules,
sous les mêmes ponts, coulent des eaux semblables…
la Saône a conservé sa couleur olive,
et le Rhône le bleu-vert , au long cours,
lorsqu’ils se rencontrent en noces liquides.
–
rien ne semble changé, les enfants jouent toujours au parc
nous avons perdu la clé, ce ne sont pas les mêmes,
qui se succèdent, sous l’œil bienveillant
des mères ,tenant par ailleurs très bien leur rôle
à l’ombre des saules…
On aurait pourtant pensé, filmée en accéléré,
que l’éternité se déroulait, recommencée,
–
comme deux gouttes d’eau, dit-on
poursuivant leur cycle
au delà des saisons.
–
RC – 5 mars 2013
–
Zbigniew Herbert – mais eux se nouaient les bras autour du cou
Les forêts flambaient –
mais eux
se nouaient les bras autour du cou
comme bouquets de roses
les gens couraient aux abris –
il disait que dans les cheveux de sa femme
on pouvait se cacher
blottis sous une couverture
ils murmuraient des mots impudiques
litanie des amoureux
Quand cela tourna très mal
ils se jetèrent dans les yeux de l’autre
et les fermèrent fort
si fort qu’ils ne sentirent pas le feu
qui gagnait les cils
hardis jusqu’à la fin
fidèles jusqu’à la fin
pareils jusqu’à la fin
comme deux gouttes
arrêtées au bord du visage
–
Lambert Savigneux – l’autre jour
l’autre jour
(publié dans les regards d’Orion)
la pluie de l’autre jour à fait briller les tiges
je t’ai vu sous les nuées d’eau
tout à l’heure la douceur remuait la terre
le vert boit les gouttes
sous les arbrisseaux les feuilles font un toit pour l’oiseau
le vent rafraichit la peau
mais aujourd’hui la chaleur flatte le ventre
de la pluie il ne reste rien
du ciel obscurci je ne vois que le bleu
et l’avion qui va à Tokio
Goutte-à goutte des pages et légendes ( RC )
–
C’est un goutte à goutte qui lentement remplit la jarre,
Une épopée, un chapitre qui démarre
Cette eau, qui peu à peu s’ajoute, autour de l’ile
Ce sont des larmes qui murmurent, aux places de la ville
Le nom d’un ciel, qui se vide et pousse ses ombres
Les fontaines qui tournent, autant qu’elles encombrent
Les mots qui cascadent, dont le poids fait bascule,
Leur addition, récit de vie, nous bouscule
Comme des roues à aube, le mouvement,
Toujours porté, vers l’avant
Fait tourner une partie du monde, ou davantage
Chaque fois effeuillant une page.
Ce sont des légendes qui se chantent.
Des histoires qu’on enfante
Que l’on écrit ou que l’on porte
Dans les mémoires, peu importe
Au parcours qui ne s’explique pas
Dont on garde la trace, pas à pas.
C’est, portés par les mots
Au vent portant aussi les eaux
Un mouvement qui va au ciel
Que l’on dit perpétuel
Une nouvelle page avancée
Sans cesse recommencée
De celles qui se ressemblent
Autant qu’elles s’assemblent
Même si, de pente, elles dévalent
Ou bien qu’elles s’étalent…
Aux histoires décrites plus haut
Différentes en celà, des deux gouttes d’eau.
S’accumulant sur la table
Sans être pourtant semblables…
Chaque livre offre son voyage
De bibliothèques, en rayonnages
Pris dans la main, ces écritures
Donnent à l’esprit de l’aventure;
Et gouttes de littérature habitées
D’histoires d’humanité,
Un tonneau des Danaïdes
Qui jamais ne se vide..
RC- 10 juillet 2012
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Loyan – Sous l’arcane
( un extrait du blog à textes de Loyan)
Sous l’arcane
Sous l’arcane des arbres, le blanc risque d’être confondu avec un fantôme et traversé de flèches s’il ne chante pour manifester sa présence. Il lui faudra dormir sur des claies de bois à dix mètres du sol, manger les vers annelés de blanc, écouter les récits d’enfants piqués à mort par des serpents cachés de feuilles, confectionner une nasse à poissons avec des tiges, sculpter un arc et ses flèches destinées à tous les gibiers (grenouilles, oiseaux, cochons sauvages, agresseurs), cuire la farine de sagou après avoir pilonné le tronc de l’arbre pendant des heures, tester la guimbarde, affronter le réseau de la forêt, en apprendre les premiers marqueurs pour survivre.
« Où est la grandeur ? », demandait la voix intérieure avant de s’enfoncer une semaine dans la perte des repères. J’ai vu une réponse dans les yeux, les sourires et la pudeur des gestes, d’inconnu à inconnu, de quelqu’un à quelqu’un plus que de personne à personne. Ils se sont observés, identifiés, reconnus, estimés. Ils se sont fait égaux de son et de main. Puis chacun retourna à sa forêt, pleurant la parenthèse qui les fit chasseurs d’ombres et d’esprits, pendant que l’arbre fendu donnait goutte à goutte.
Laurent Campagnolle,
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