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Articles tagués “guerre

L’obscur bruit des armes – (Susanne Derève) –


Georges Seurat – L’arc en ciel – étude pour ‘ Les baigneurs à Asnières ‘ 1883 –

;

Arc-en-ciel
qu’estompe peu à peu le retour de l’averse,
tel un visage enseveli.

Le tien, pas un jour n’a terni sous la brisure
des tombes,
attentif et paisible ,
un paysage aimé dans sa livrée d’automne,
sa douce peau de printemps,

où chaque chose chèrement conquise
avait trouvé sa place :
le mimosa d’hiver et les lilas de Mai,
l’arche du pont enjambant la rivière,
et la rivière dans ses méandres
léchant le flanc gris des hameaux.

Mais du souffle du vent
naissait parfois un douloureux écho,
le souvenir d’anciens printemps ruinés de cendres
et de sanglots, ce crève-coeur,
ce que la liberté avait coûté de chagrin et de larmes,
brisé de vies, tu le taisais,

et voici que résonne l’obscur bruit des armes.

;


Blanche est ma voix – ( Susanne Derève) –


Miklos Bokor – Chapelle Maradène , fresque (Détail)

 

Mes illusions perdues,

plus pauvre qu’en ma jeunesse, je suis,

et mes cheveux coupés.

 

Pour vêtir un roi nu, n’ai qu’un maigre édredon                                   

que chacun tire à soi

et quand sur vous, mes frères,

les mâchoires d’acier des frontières se ferment,   

j’appelle, j’appelle encore,

 

blanche est ma voix, 

 

noyée dans le grondement du flot,

blanche,  

la supplique qui monte des radeaux                  

accrochés à nos flancs, au bout de leur errance,

 

blanche la plainte,

qui fuse des barbelés, le cri du sang

épandu sur la neige,

 

et sous les bombes, les gravats,                          

les villes qu’on assiège,

blanches d’horreur les pupilles,                                         

blancs les membres brisés.                                                                                                            

 

Mes illusions perdues …

à  Kaboul      Ispahan        Téhéran ,                                                                                               

blanc le cahier d’écolière,  

blancs le niqab et le linceul,

la corde et le nœud coulant,

 

et quand sur vous mes sœurs,

les mâchoires d’acier des prisons se referment,   

j’appelle, j’appelle encore

 

au delà des frontières , blanche est ma voix …

 

                     ***

sur la Chapelle Maradène ( commune de Martel, Lot) , acquise par Miklos Bokor ,

dont il a entièrement recouvert les murs intérieurs de fresques monumentales

qu’il a voulues comme « sa mémoire » de la Shoah, voir  :

Chapelle Maradène, journée du patrimoine – Martel 2020

 

 

 


Kate Tempest – Ballade pour un heros – ( War music )


peinture M Gromaire

Ton papa est soldat, mon petit
Ton papa est parti à la guerre,
Ses mains fermes tiennent son arme,
Il vise précis et sûr.
.
Ton papa est dans le désert maintenant,
L’obscurité et la poussière,
Il se bat pour son pays, oui,
Il le fait pour nous.
.
Mais ton papa va bientôt rentrer à la maison,
Dans pas longtemps il sera là,
Je te mettrai ta plus belle chemise
Pour aller le chercher sur le quai.
.
Il te portera sur ses épaules et
Tu chanteras, tu applaudiras, tu riras,
Je le tiendrai par la taille,
Et je l’aurai enfin tout près de moi.
.
Ton père n’a plus quitté la maison,
Ton père ne se brosse pas les dents,
Ton père est toujours en colère,
Et la nuit, il ne dort pas.
.
Il fait sans cesse des cauchemars,
Et il semble faible et épuisé,
Oui, j’ai tenté de le soutenir, mais
On se parle à peine.
.
Il ne sait pas quoi me dire,
Il ne sait pas comment le dire,
Toutes ses médailles pour sa bravoure,
Il veut juste les oublier.
.
Il boit plus que jamais, mon fils,
Avant, il ne pleurait jamais. Mais maintenant,
Je me réveille la nuit et je le sens
Qui tremble à côté de moi.
.
Il m’a enfin parlé mon fils !
Il s’est tourné vers moi en larmes,
Je l’ai serré contre moi et j’ai embrassé son visage
J’ai demandé ce qu’il craignait.
.
Il a dit qu’il fait toujours plus sombre,
Quelque chose n’a pas disparu,
Il dit qu’il le comprend bien mieux
Maintenant que sable et fumée se sont dissipés.
.
Il y avait ce gosse qu’il avait appris à connaître,
Un jeune d’à peine dix-huit ans,
Brillant et gentil, il s’appelait Joe,
Il tenait son fusil bien propre.
.
Sa petite amie attendait un bébé,
Joe aimait plaisanter et rire,
Joe marchait devant ton paternel,
En patrouille sur un chemin.
.
Tout était calme jusqu’à
ce qu’ils entendent l’explosion.
L’homme qui a marché devant Joe
A été complètement soufflé.
.
Des éclats d’obus ont frappé Joe au visage,
Arraché les deux yeux à la fois,
La dernière chose qu’ils aient vue
C’est l’homme qui était devant :
.
Membres et chair et os et sang,
Déchiquetés, éparpillés,
Et après cela – juste la nuit.
Le goût, la puanteur, le bruit.
.
Je te dis ça mon fils parce que
Je sais comment tu seras,
Dès que tu seras assez grand
Tu voudras aller te battre
.
Qu’importe la bataille où tu t’engageras,
Tu donneras ton sang, tes os,
Pas au nom du bien ou du mal –
Mais au nom de ta patrie.
.
Ton père croit au combat.
Il se bat pour toi et moi,
Mais les hommes qui envoient les armées
Ne l’entendront jamais pleurer.
.
Je ne soutiens pas la guerre mon fils,
Je ne crois pas que ce soit juste,
Mais je soutiens les soldats qui
Partent en guerre pour combattre.
.
Des troupes comme ton papa, mon fils,
Des soldats jusqu’au fond de l’âme,
Portant fièrement leur uniforme,
Et faisant ce qu’on leur commande.
.
Quand tu seras grand, ma petit, mon amour,
S’il te plaît, ne pars pas à la guerre,
Mais combats les hommes qui les décident
Ou combats une cause qui est la tienne.
.
Cela semble si plein d’honneur, oui,
Si vaillant, si courageux,
Mais les hommes qui envoient à la guerre
Le font au nom de l’or
.
Ou vous envoie pour du pétrole,
Et nous raconte que c’est pour notre pays
Mais les hommes rentrent comme papa,
Et passent leurs journées à boire.

traduction M Bertoncini dans « jeudi des mots »

une musique lancinante qui a quelque chose à dire…et qui retrouve une certaine actualité ( en faisant le pont entre le souvenir de la guerre de 14, finalement assez peu évoquée ces derniers temps juste après le 11 novembre…, et l’actualité ukrainienne…………………………….sans parler des autres… )


Croiseurs – (Susanne Derève) –


Photo-montage RC

Croiseurs
Les lignes d’horizon sont froides

Ciel grues filins jetée
et les filets du jour au pied du môle,

ses rêts de nuages plombés emprisonnant 
l’arête d’un rayon pâle, 
le dos de métal luisant d’un squale à demi
immergé:

Terrible *, Suffren *,
parfum de guerre voilé
de sel, de belliqueux embruns,
ballet martial,                                                                 

parade silencieuse,   

à quelques encablures 
de quai de nos vies insouciantes, 

proche, si proche
que les chroniques des journaux 
du matin en paraissent innocentes

le café plus amer … 

l’insoutenable boucherie de la guerre, 
la lointaine frontière d’Ukraine, 
soudain palpable, glaçante, 
familière. 

* sous-marins nucléaires français. Le Suffren, a été
mis en service le 3 Juin 2022 dans la rade de Brest.

L’aile d’ombre du vautour – (Susanne Derève) –


Umberto Boccioni – La charge des lanciers –
Ce qu’ils disent,
la poussière des mots qu’ils te lancent,
n’est pas fait pour que tu l’entendes 
C’est la poudre à canon des marchands de sommeil,
et tu dors 
plus sûrement qu’au premier soleil le lézard 
sur les pierres 

Ecoute,
de ton oreille posée tout contre le sol gelé 
trembler le galop de leurs chevaux barbares                                                                                       
le roulement des tanks

dans les rues noircies de l’enfance
d’où jaillissaient de si tendres soleils
le cliquetis du fer
l’éclat rouge des armes 
et déjà ,l’aile d’ombre du vautour 

Publié dans Lichen Avril 2022


René de Obaldia – berceuse de l’enfant qui ne veut pas grandir


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illustration pour « pecheur d’étoiles » ( JP Delfino )

Mon petit frère a le bourdon
Et ma petite sœur bourdonne.
L’âne du ciel broute un chardon :
Une vieille étoile d’automne.

Papa est mort depuis longtemps
Dans une guerre expéditive.
Maman s’en va par tous les temps
Rejoindre un monsieur de Tananarive.

Dormez, dormez, grandes personnes.
Le volet claque, la nuit vient.
C’est toujours la même heure qui sonne
Priez pour mon ange gardien !

Je serre mon harmonica
Contre mon cœur et sa brûlure.
Je suis le dernier des Incas
Et le premier de ma nature.

La nuit, bientôt, va m’étourdir
Je respire à petites doses.

Dormez, dormez, grandes personnes.
Le volet claque, la nuit vient.
C’est toujours la même heure qui sonne
Priez pour mon ange gardien !

Ah ! que je reste tout petit,
Déjà trop grand pour tant de larmes !
Une seule étoile suffit
A désarmer tous les gendarmes.

Maman est avec le Monsieur
Qui ne se couche qu’aux aurores.
Je vais compter jusqu’à cent deux
Je vais attendre, attendre encore…

Dormez, dormez, grandes personnes.
Le volet claque, la nuit vient.
C’est toujours la même heure qui sonne
Priez pour mon ange gardien !

Il explorait des cavernes 

Et des mondes subalternes.


Nâzim Hikmet -Un étrange sentiment-


Vincent Van Gogh – Verger de pruniers à fleurs –

 

«Le prunier de Damas est en fleurs,

 

– C’est l’abricotier qui fleurit le premier

– le prunier de Damas le dernier –

 

Mon amour,

sur le gazon

agenouillons-nous

face à face.

L’air est clair et savoureux

– mais il ne fait pas encore très chaud –

l’écorce de l’amande

                verte et couverte de duvet

                               n’a pas encore durci…

Nous sommes heureux

parce que nous sommes encore en vie.

Nous serions morts depuis belle lurette

si tu te trouvais à Londres

et moi à Tobrouk ou sur un cargo anglais…

Mon amour,

pose tes mains sur tes genoux

– tes poignets sont épais et blancs

la paume gauche ouverte.

La lumière du soleil est dans ta paume

pareille à un abricot…

Parmi les morts de l’attaque aérienne d’hier

cent avaient moins de cinq ans,

et vingt-quatre tétaient encore…

 

Mon amour,

j’adore la couleur du grain de grenade

– grain de grenade, grain de lumière –

du melon j’aime le parfum de la prune l’aigre-doux…»

…..un jour de pluie

loin des fruits loin de toi

– pas un arbre fleuri

il est même possible qu’il neige –

dans la prison de Bursa

 

en proie à un étrange sentiment

et à une terrible colère,

ces vers, je les écris envers et contre tout

pour me narguer moi-même

et ceux que j’aime.

                                                                              7 février 1941

 

Nostalgie 

éditions Fata Morgana


Michel Foissier – un pressentiment rongé par la fuite du temps


photo RC – monument aux morts Lodève

avaler un sandwich un demi pression un café
laver les pieds des morts avant le petit jour
se coucher enfin parmi les débris de vaisselle sale
parmi les pétales de fleurs fanées comme si la torture n’était qu’un mauvais
à passer
un pressentiment rongé par la fuite du temps
une promenade à petits pas de laine grise
sous les ponts la richesse se consomme à la va-vite
les doigts des amourettes construisent des plaisirs de bouts de ficelle
toute blessure se limite à l’impossible
entre pompes à essence et supermarchés
chaque chose en son temps rappelle-toi
il faut agir de nuit dans les odeurs acides du sommeil
substituer l’acte à l’intention
penser la mort comme une étincelle
il est comme quelqu’un qui renoue ses lacets
il dit qu’il attend et qu’il choisit pour cela cette version obscure du monde
il dit qu’il paye la faute de vivre ainsi en équilibre
et que le refus est écrit dans la peur
et que la peur est son testament
il est armé et le geste s’accompagne du cri d’un jour nouveau
et la lune s’est usée dans le grand cercle de la nuit
et puis occupé par les menus travaux de la guerre il attend dans le fantôme du vent
et son geste est très grand
personne n’est dans le camp de personne et
seul il imite le hurlement de la nuit
comme un cheval sellé qui ne sait encore rien de la course
ni du marchandage de la main et des jambes
en ces temps on disait la révolution
et l’âme des peuples était invisible
elle se cachait dans le secret des caves et ne sortait qu’à minuit
il pense que si sa tête éclatait il serait là à ramasser les morceaux à quatre pattes sur
le goudron de la nuit
il pense à ces kilomètres de mots
à ces lignes appliquées à l’encre violette
et qui ne touchent jamais la barrière du ciel
ni le sable bleu des déserts ni le souffle
ni ces petits riens de carton-pâte
l’habitude nous fait vivre à un millimètre de nous-même
dans la posture accroupie de la femme qui lave le linge à la rivière
de l’histoire nous ne savons que la calomnie
ici les murs nous font la grâce d’une lecture
aveugles nous déchiffrons les impacts de la fusillade
et le film est projeté en plein cœur
les acteurs sont soumis au grain de la maçonnerie
marionnettes ou créatures de rêve
une cérémonie à couper au couteau
le bétail s’allonge dans la manigance des corps
les hommes dorment les femmes dorment les enfants dorment
les chiens urinent puis grattent le bois des portes avec
des ongles malpropres
elle est assise dans l’ombre
il dit donne-moi tes mains j’en ferai bon usage dans
les giclées du soleil dans
les chuchotements du sous-bois
il connaît cette peur de granit cette trahison minuscule
demi-sel un char d’assaut quelque chose comme une prison qui s’avance
un bruit de métal frappé dans la fatalité du sang


Qui a saisi ce sourire doux-amer ? – ( RC )


dessin RC ( encre de chine et lavis )- 1978 – 50×65 cm

Les trains du soir
se sont enfuis dans la nuit,
et ton sourire a ces lèvres absentes
de la beauté fanée
d’une photographie
qui a mal vieilli.
Une pellicule dans un album photo
oublié au fond d’une armoire.

Je ne sais plus qui a saisi cet instant,
ce sourire doux-amer
qui rappelle celui de la Joconde,
derrière son épaisse armure de verre
– le mystère d’une perspective
difficile à saisir – ,
une fleur épinglée sur la poitrine
laissant échapper son parfum.

Qui se souvient des fêtes et de la joie,
des portes qui grincent,
des fenêtres ouvertes sur l’azur ,
des verres qui tintent,
de la guerre tendre des regards ?
           une guerre qui pâlit
          comme s’effacent les voix
          de ceux qui t’ont connue.

L’or des cheveux
retrouverait-il son feu,
ton oeil, son incandescence
le vent ,      son insolence ,
             si le sort était levé,
tu reviennes à la vie,
extraite comme par magie
de la photographie ?


Yehuda Amichaï – L’endroit où nous avons raison


Henri Michaux – De l’autre côté

.

A l’endroit où nous avons raison

ne pousseront pas les fleurs

du printemps.

.

L’endroit où nous avons raison

est piétiné , hostile

comme le monde extérieur.

.

Mais comme des taupes et les labours

les doutes et nos amours

rendent le monde friable.

.

On entendra un murmure

s’échapper de la maison

qui a été détruite.

.

.

Le baiser de la poésie

24 poèmes d’amour de

Yehuda Amichaï * et Ronny Someck

Revue LEVANT

traduit par Michel Eckhard Elial

* poète israélien (1924-2000)


Miroslav Holub – Napoléon


Fox Napoleon | Animaux en costumes, Chien, Animaux en papier mâché

Quand est-ce qu’il est né

Napoléon Bonaparte ?

demande le maître aux enfants.

Il y a mille ans, disent les uns.

Cent ans, disent les autres.

L’année dernière, dit quelqu’un.

Personne ne sait.

Enfants, demande le maître

Qu’est-ce qu’il a fait

Napoléon Bonaparte ?

Il a gagné la guerre, disent les uns.

Perdu la guerre, disent les autres.

Personne ne sait.

Notre boucher avait un chien,

dit quelqu’un,

il s’appelait Napoléon.

Le boucher battait le chien

et le chien est mort de faim

l’année dernière.

Et aussitôt tous les enfants pleurent.

Pauvre Napoléon.


Nabile Farès – N’aie peur , ô Yahia


Al Idrissi (manuscrit)

 

N’aie peur, ô Yahia

fils de mon sang le plus cher.

La nuit d’étoiles douces

a envahi notre arbre

le plus ancien.

 

L’amandier pleure

une cueillette d’amour

et dans son vent

de feuilles sèches

l’été glapit

une douleur d’enfant.

 

De toutes les craintes

qui volent en enfance

une seule persiste

dans l’âge le plus vieux.

 

Un jour naîtra

une reconnaissance

et elle t’appartiendra.

C’est ta patience

qu’il faut conduire

en enfantement.

 

Puis

parle

et dis

quelle fut

notre souffrance.

 

 

 

 

Yahia, pas de chance

Editions du seuil


Natasha Kanapé Fontaine – Réserve II


Image may contain Art Human Person and Painting

peinture: T C Cannon

 

Ecoutez le monde
s’effondrer
ponts de béton
routes d’asphalte

Aho pour la joie
Aho pour l’amour

Surgit la femme
poings serrés
vers la lumière

Voici que migrent
les peuples sans terres
nous récrirons la guerre
fable unique

Qui peut gagner sur le mensonge
construire un empire de vainqueurs
et le croire sans limites

Ce qui empoisonne
ne méritera pas de vivre
ce qui blesse ne méritera pas le clan
cinq cents ans plus tard
sept générations après

Tous ces châssis pour barrer les routes
tous ces murs érigés entre les nations
tous ces bateaux d’esclaves
ces bourreaux n’auront eu raison de rien

Si j’étais ce pigeon qui vomit
sur les hommes de bronze
fausses idoles carnassiers ivres
se tâtant le pectoral gauche
avec la main droite
lavée par les colombes

Qui d’autre est capable
de provoquer l’amnésie
octroyer la carence
à ceux qu’il gouverne

Qui d’autre sait appeler union
ce qui est discorde
pour s’arracher le premier
pour s’arracher le meilleur
des confins de toutes les colonies
qui d’autre sait appeler croissance
ce qui est régression
construction
ce qui est destruction
les peuplades pillées à bon escient
au nom du roi et de la reine
au nom du peuple qui meurt de faim
à Paris
à Londres
à Rome
à New York
à Dubaï
à Los Angeles
à Dakar
au nom du peuple
qui se bâtit par douzaine
à Fort-de-France
à Port-au-Prince
à La Havane
à Caracas
à Santiago
à Buenos Aires

Aho pour la joie
Aho pour l’amour

Qui d’autre sait nommer le mensonge
pour le voiler

La ville persiste en moi
assise sur l’avenue des Charognards
je guette l’allégresse
la haine qui me pousse à hurler

Je guette le nom des ruelles
de la grande mer
qui laisse passer les pauvres
à l’abri des vautours

La guerre est en moi comme partout.

Pour  écouter les poèmes de NKF sur  lyrikline  rendez-vous ici…


Objets trouvés – ( RC )


éclat d'obus

 

 

L’heure n’est pas à la lumière,
ce sont ces années amères
qui ne font qu’attendre
le corps en cendres .

On peut offrir à mes enfants
ce qu’on ne peut ensevelir
– ces drôles de « souvenirs » –
un éclat d’obus, quelques dents
éparpillées dans le champ
( qualifié d’honneur ) – cette aire
maintenant déserte, témoin d’une guerre
où se sont mêlés les sangs

comme les barbelés
les vies arrachées
que l’on retrouverait
si on le voulait ,
profondément enfouis dans la terre.
Elle recouvre l’amnésie des lendemains
où les restes humains
peuplent ce cimetière .

RC –  janv  2020


Pierre Garnier – Jean-Louis Rambour – Ce monde qui était deux


img779 -Still life  with omega paper flowers.jpg

 

peinture  Duncan Grant –       Still life with omega paper flowers

Chacun portait sa croix, laissait sa croix,
la table était couverte de fenêtres qui donnaient
sur d’autres parties du monde –
l’idée que se faisait du monde l’escargot
n’était pas la même que celle d’une huître
« autant de coquilles, autant de monde », pensait l’enfant.
nous, les enfants de la guerre, quand nous
écrivions un poème
c’était avec le compas,
nous enfoncions la pointe sèche dans la chair,
et la mine douce, dont nous pouvions effacer le
trait,
faisait la carte du ciel où elle ne marquait que
les étoiles
nous, les enfants de la guerre, nous avons vécu
en papillons
pour échapper aux bombes le mieux était encore
d’être papillon,
et nous laissions notre écriture en grandes
taches blanches sur les feuilles

notre écriture était de nature
celle du poème
qui est vague feuille fleur grenouille,
notre écriture se déposait :
écailles des ailes de papillon et pollen

quand nous écrivions le poème sur une feuille,
ce que nous marquions c’étaient nos doigts,
notre main, notre poing,

c’était ce point acéré, dur, aigu, percé
qui marquait le centre du monde

nous, les enfants de la guerre, avons échangé
l’homme et sa mort
contre la vie des moules et des huîtres
et nous sommes restés dans la mer

notre écriture, ce fut longtemps de la craie sur les doigts.

 

texte paru aux éditions  des vanneaux


Ronny Someck – Aéroports


 

rausc_tracer

   Robert Rauschenberg – Tracer

 

 

Dommage qu’on ne puisse atterrir à Brigitte-Bardot,

voir des strings au duty-free de Marylin-Monroe

ou bien acheter maquillage et mascara à Rafah

dans un aéroport nommé Cléopâtre.

Les nuages du jour deviendraient des écharpes glissées

sur les épaules de Dieu, et les nuages de la nuit avant l’atterrissage

seraient des robes de dentelle au bal

des étoiles.

On atterrit à Charles-de-Gaulle, Kennedy

ou Yasser-Arafat,

on voit l’hélicoptère de la politique

voler toujours dans un ciel bas,

il scintille comme une couronne royale

défiant le soleil.

 

 

 

BAGDAD-JÉRUSALEM, À LA LISIÈRE DE L’INCENDIE
(Salah Al Hamdani et Ronny Someck)
Editions Bruno Doucey 

 


Suivant le chemin des pierres – ( RC )


      art 167.jpg

 

peinture:     Isabel Bishop

      Je pense encore à hier,
suivant le chemin des pierres,
sous le soleil disert,
mon ombre me précède dans la poussière…

Marcher,       et s’éloigner des routes,
est comme mettre en soi la distance,
éloigner de l’esprit le doute ,
apprivoiser le silence .

Mon pays s’éloigne lentement,
puis disparaît tout à fait ;
         sans voix, je dialogue avec le vent ,
– Comment je vivrai demain je ne le sais – .

           J’ai quitté les horizons hostiles,
ma famille et mes frères,
en prenant le long chemin de l’exil :
              c’est une traversée du désert

             et je ne sais ce qui m’attend
             dans d’autres contrées :
c’est peut-être la guerre et le sang,
que je vais retrouver

un peuple misérable ,
qui, comme moi,       erre,
sous un soleil impitoyable
à la recherche d’une autre terre ,

à la recherche de son destin ,
suivant leur ombre dans la poussière,
marcher         et marcher encore,    sans fin ,
                    suivant le chemin des pierres…


RC – mai 2019


Guy Levis Mano – Images de l’homme immobile


jean-paul-riopelle-la-forêt-ardente

          Jean-Paul Riopelle  La forêt ardente

 

 

     

Les taches noires serpentines

des locomotives sur la neige

Le ciel est fumée de charbon

dessus les toits sans palmes.

 

Si c’était Heidelberg — ou Nuremberg —

les araignées grises de mon cerveau

tisseraient des vieilles réminiscences romantiques.

 

Mais c’est petite ville neuve — dormante — noire.

Noire avec ma vie bloquée

entre les baraques de sa gare.

Et tous les rails mènent ailleurs.

 

Nettoyeur de locomotives — « putzer » je suis.

Dans les roues hautes aux rouges boueux

sur les plaques aux noirs lisses des tenders

se mire mon inertie

de n’être pas ce que je suis.

Mon inertie imbibée de pétrole et d’huile.

 

Pendant ce temps, immobiles eux aussi,

empoussiérés eux aussi

les Plantin — les Garamond et les sveltes Elzévir

de mes beaux poèmes

vivent en tribus séparés dans leurs casses.

Sur  une galée doit s’effriter la composition

inachevée

du «Promenoir des Deux Amans».

C’était du Garamond romain — corps 24.

 

                                  *

 

Petite rue de Paris que j’animai.

Montparnasse poussait ses hurlements d’art

tout autour

pas dedans.

 

Mon crâne métallique comme une chaîne.

Chaque maillon a sa nuance.

Et  le premier moment blanc

tient au noir d’aujourd’hui.

 

 

Attendre — attendre.

Mais bruits de chaînes quand même.

 

Il me faudrait une promenade

sans vertes sentinelles

même dans un bois de sapins.

 

 

 

In Les poètes prisonniers (Seghers)

voir aussi  Association Guy Levis Mano
http://www.guylevismano.com/spip.php?rubrique1

 

 


Des bleuets et des coquelicots – ( RC )


Résultat de recherche d'images pour "bleuets coquelicots"

Je ne sais pas quel temps il faisait,

sans doute lourd et humide,

quelque part dans les Ardennes,

quand l’orage sortait de la bouche des canons ,

broyant les arbres , et les hommes .

La terre est traversée de taupinières,

de tranchées remplies de boue,

de barbelés enchevêtrés,

d’éclats d’obus et de poisons

( et les rats sont gras ) .

 

Le sol garde en son sein

des morceaux de corps

dont on ne sait plus,

à quelle nation ils appartiennent ,

et cela n’a finalement pas d’importance .

L’oubli, comme un manteau noir,

viendra recouvrir les champs de bataille

d’une guerre inutile

où l’Alsace et la Lorraine en étaient les prétextes,

et la végétation , depuis, a repris ses droits.

 

On a vu fleurir autour des trous d’obus

quantité de bleuets , et de coquelicots

ce bleu horizon marquerait le renouveau,

et le vermillon des fleurs fragiles ,

rend ainsi, – sans discours revanchards –

le plus bel hommage à ceux

qui ont versé leur sang

et traversé la fureur des temps .

Aucune célébration, aucune stèle

n’en restituera les souffrances endurées .


RC – nov 2018


Qui chante là-bas ? – ( RC )


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image  extraite  du film « qui chante là-bas » de Slobodan Sijan

 

 

Je me souviens de l’ex-Yougoslavie
des plaines,             de la nostalgie,
de la chanson d’un violon navigant dans le ciel,
et les airs de danse traditionnels.

–        Il y a des airs que l’on n’apprend pas,
ils traversent les saisons,
et à travers leurs chansons,
on se demande :          » qui chante là-bas ? « .

C’est une musique qui traverse les hivers,
passant outre massacres horreurs
elle triomphe de la mort
et des taches sombres de la guerre

Passant sans encombre par-dessus les frontières .
Entends-tu encore la mélodie ?
celle qui nous dit que la vie
continuera , par-delà les tombes et les cimetières .

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RC – aout 2018


Frédéric Clément – la légende


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monument aux morts de Bergues (59)

 

 

C’est un mas solitaire au fond d’un val oublié

Sur un chemin de pierre qui court au long des pans de rochers

On dit que des rivières essaient encore de chanter

Dessous les tapis de lierre. On dit : « Le temps a dû s’arrêter

Un jour de misère

Que tonnaient, tonnaient, tonnaient les canons de guerre »

On dit

Qu’à l’ombre un peu légère que fait encore un laurier

Au creux d’un lit de bruyère, une fille alla s’allonger

On dit que vint l’hiver sans qu’elle ait pu détourner

Les yeux du chemin de pierre que de la neige allait effacer

On dit d’elle encore

Qu’aux nuits de pleine lune elle s’en revient des morts

Saluez les ailes élimées du vent qui se mêle à nos champs

 

Sally est revenue chez les vivants souffler la chandelle aux amants

Saluez les ailes élimées du vent mais fermez l’oreille à son chant

Sally est revenue, Sally est le vent qui tourne et tourne et tourne et…

 

On dit qu’un célibataire natif du bourg d’à côté

S’en vient les nuits de lumière dans le bel habit d’un officier

Le nez levé en l’air, la main posée sur l’épée

Qu’avait dû porter son père, ou bien le père de son père, qui sait ?

Au temps de misère

Où tonnaient, tonnaient, tonnaient les canons de guerre

On dit

Qu’à l’ombre un peu légère que fait encore le laurier

On en vit deux cents naguère… Mais l’amour n’est plus ce qu’il était

Moi qui n’ai, pauvre erre, pas plus d’épi que d’épée

Je vais au mas des mystères dès que mon cœur est triste à pleurer

Et je sais alors

Qu’aux nuits de pleine lune elle s’en revient des morts

Saluez les ailes élimées du vent qui se mêle à nos champs

 

Sally est revenue chez les vivants souffler la chandelle aux amants

Saluez les ailes élimées du vent mais fermez l’oreille à son chant

Sally est revenue, Sally est le vent qui tourne et tourne et tourne et…

 

C’est un mas solitaire au fond d’un val oublié

Sur un chemin de pierre qui court au long des pans de rochers

On dit que des rivières essaient encore de chanter

Dessous les tapis de lierre.

On dit :

« Le temps a dû s’arrêter… »


Norbert Paganelli – Quien eres


Quien eres                                                ( qui es-tu ? )


la déchirure - Peinture - Nicolas COTTON

peinture:   

Nicolas Cotton

Moi je n’aurai jamais voulu cela :
cette profusion de chaleur et ces éclats de guerre.
Les affres de la bataille que se livrent les éléments
n’ont jamais acquis ma sympathie profonde.

Je connais, certes, les bruits rapportés des combats
et les plumes recouvrant les casques ciselés.
Ainsi que les armes dont les couleurs de feu m’avaient jadis envouté
mais jamais je n’ai succombé à l’or des trophées

On m’avait dit que le miel était ailleurs et j’ai  fait comme si,
comme si cela devait durer
dans l’éclat sobre d’une grande quiétude.

Il m’est arrivé de ne pas suivre ma propre trace,
ce n’est pas une raison suffisante
pour m’exiler loin de mon serment.


Dans l’éclat sombre d’une grande quiétude
je n’ai trouvé qu’une goutte de miel
pour refléter le monde et sa solitude :
point de sympathie pour le fracas des armes
et les couleurs de feu.

Personne ne partage l’or des trophées.
C’est un domaine lointain de civilisations englouties
où les casques ciselés d’argent
sont depuis longtemps enfouis
dans les tombes ou les musées.

Rien ne dure,
et l’intensité du feu décroît,
à mesure que s’installe le froid,
et que les raisons même de la guerre
se diluent dans l’oubli.

Le feu d’artifice envoie ses étincelles
dans un éclat éphémère…
Tu ne pourras suivre
que tes propres traces,
avant que la mort ne les efface .

RC – mars 2022


Cimetière militaire – ( RC )


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On ne voit plus qu’un pré tout vert
                    où pourrait paître le bétail.
Pourtant,    c’est un champ de bataille
habillé de blanc,        comme en hiver.

On distingue des croix anonymes,
comme       autant de noms effacés :
>          c’est la plaine des trépassés :
on n’en compte plus les victimes :

Elles sont tombées au champ d’honneur,
sous les obus,             les mitrailleuses,
–             …. et la plaine argileuse
ne saurait désigner les vainqueurs

les vaincus,        tant les corps se sont mêlés
durant les assauts.
On en a retrouvé des morceaux ,
accrochés aux barbelés .

Pour les reconnaître, on renonce :
C’est un grand cimetière
qui nous parle de naguère :
              Les croix sont en quinconce ,

             régulièrement espacées :
le « champ du repos »
comme si l’ordre pouvait remplacer
de l’horreur,             son tableau .

             Suivant les directives :
             les stèles règlementaires
             émergent de la terre,
             en impeccable perspective

Ainsi,                         à perte de vue
ce sont        comme des ossements,
peuplés des silences            blancs
                              des vies perdues :

                            Ils ont obéi aux ordres.
( Laisser la terre saccagée,
le témoignage de combats enragés,
aurait plutôt fait désordre ).

Sous le feu des batteries,
affrontant le péril,
          il aurait été plus difficile,
de jouer, comme ici,     de géométrie…

On ne peut espérer de miracle:
        Aucune de ces plantations ne va fleurir :
Voyez-vous comme il est beau de mourir !
Une fois la guerre passée,   c’est un beau spectacle…

RC – dec 2016


La nuit a juste oublié la lumière – ( RC )


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Tu ignores tout de la nuit .
Elle a juste oublié  la lumière,
Les belles saisons  s’enfuient

Sous des manteaux  de poussière,
Qui s’étendent  en rideaux,
De latérite

Sur les  routes d’Afrique    :
Ces fils tendus entre des pays,
Dont beaucoup mordent la misère,
A pleines dents .

Car la nuit  s’étale en plein jour,
La population ne connait d’amants,
Que les dieux  de l’enfer .

Ce sont eux  que l’on prie :
On dirait que le passé d’esclavage,
N’a pas suffi,

Toujours on se décide,
Pour le choix  du fer,
Le goût du sang ,
Et ses ravages.

Ce ne sont pas les luttes fratricides,
Qui résoudront les  choses :
Les groupes  de fanatiques,

En répandant la terreur  ,
Augmentent encore la dose,
Avec le rideau de la nuit .

Malgré la chaleur,
Le soleil reste  extérieur
Bien loin  de la terre ,
Et des démons de la guerre  .

RC – mai 2015


Ossip Mandelstam – La quatrième prose : nuit glaciale en Crimée


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peinture:             Raoul Ubac

 

On sortait par une de ces nuits glaciales de Crimée,
on prêtait l’oreille au bruit des pas sur la terre argileuse, sans neige,
gelée comme le sont dans le nord nos ornières en octobre ;
palpant du regard ces sépulcres dans l’obscurité, les coteaux
de la ville populeux mais aux foyers éteints, avalant à pleine gorgée
ce brouet d’une vie assourdie, interrompue par l’aboiement des chiens
et salée par les étoiles, on ressentait physiquement, avec acuité,
la peste descendue sur le monde :

une guerre de trente ans, avec ulcères et bubons, avec ses feux étouffés,
ses chiens aboyant et ce terrible silence dans les maisons des petites gens.


Georges Hyvernaud – le wagon à vaches ( court extrait )


Annette Messager, Les Tortures Volontaires (1972), 2013 13179857583

art: Annette Messager  – les  tortures volontaires

 

 

(…) Bonne vieille race obstinée des hommes : toujours prête à tout recommencer, à remettre ça. Se raser, cirer ses souliers, payer ses impôts, faire son lit, faire la vaisselle, faire la guerre. Et c’est toujours à refaire.

Ça repousse toujours, la faim, les poils, la crasse, la guerre. Et des monuments poussent sur les places, des noms poussent sur les monuments. Il en repousse toujours, des noms. On trouve toujours de la pierre pour graver des noms dessus et toujours des noms à graver dans la pierre… (…)

 

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Guillermo Carnero – Crayon du temps


 

 

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source ICDesign

Mais pourquoi n’usez-vous pas d’un moyen plus fort,
Pour mener guerre au temps, ce tyran sanguinaire,
Et vous fortifier jusqu’en votre déclin
D’un plus fécond secours que mes vers inféconds ?

Vous voici au zenith de vos heures heureuses,
Et les vierges jardins, incultivés, ne manquant pas,
Dont la vertu voudrait tant porter vos vivantes fleurs,
Mieux qu’un portrait de vous, fait à votre image.

Ce trait de l’existence, ainsi tiendrait en vie,
Ce qu’un crayon du temps ou ma plume écolière
Ne savent maintenir de vous sous les regards humains :
La beauté du dedans, et celle du dehors.

Vous donner hors de vous à jamais vous conserve ;
Portraituré par votre exquis talent, vous aurez vie.