Georges Seurat – L’arc en ciel – étude pour ‘ Les baigneurs à Asnières ‘ 1883 –
;
Arc-en-ciel qu’estompe peu à peu le retour de l’averse, tel un visage enseveli.
Le tien, pas un jour n’a terni sous la brisure des tombes, attentif et paisible , un paysage aimé dans sa livrée d’automne, sa douce peau de printemps,
où chaque chose chèrement conquise avait trouvé sa place : le mimosa d’hiver et les lilas de Mai, l’arche du pont enjambant la rivière, et la rivière dans ses méandres léchant le flanc gris des hameaux.
Mais du souffle du vent naissait parfois un douloureux écho, le souvenir d’anciens printemps ruinés de cendres et de sanglots, ce crève-coeur, ce que la liberté avait coûté de chagrin et de larmes, brisé de vies, tu le taisais,
Ton papa est soldat, mon petit Ton papa est parti à la guerre, Ses mains fermes tiennent son arme, Il vise précis et sûr. . Ton papa est dans le désert maintenant, L’obscurité et la poussière, Il se bat pour son pays, oui, Il le fait pour nous. . Mais ton papa va bientôt rentrer à la maison, Dans pas longtemps il sera là, Je te mettrai ta plus belle chemise Pour aller le chercher sur le quai. . Il te portera sur ses épaules et Tu chanteras, tu applaudiras, tu riras, Je le tiendrai par la taille, Et je l’aurai enfin tout près de moi. . Ton père n’a plus quitté la maison, Ton père ne se brosse pas les dents, Ton père est toujours en colère, Et la nuit, il ne dort pas. . Il fait sans cesse des cauchemars, Et il semble faible et épuisé, Oui, j’ai tenté de le soutenir, mais On se parle à peine. . Il ne sait pas quoi me dire, Il ne sait pas comment le dire, Toutes ses médailles pour sa bravoure, Il veut juste les oublier. . Il boit plus que jamais, mon fils, Avant, il ne pleurait jamais. Mais maintenant, Je me réveille la nuit et je le sens Qui tremble à côté de moi. . Il m’a enfin parlé mon fils ! Il s’est tourné vers moi en larmes, Je l’ai serré contre moi et j’ai embrassé son visage J’ai demandé ce qu’il craignait. . Il a dit qu’il fait toujours plus sombre, Quelque chose n’a pas disparu, Il dit qu’il le comprend bien mieux Maintenant que sable et fumée se sont dissipés. . Il y avait ce gosse qu’il avait appris à connaître, Un jeune d’à peine dix-huit ans, Brillant et gentil, il s’appelait Joe, Il tenait son fusil bien propre. . Sa petite amie attendait un bébé, Joe aimait plaisanter et rire, Joe marchait devant ton paternel, En patrouille sur un chemin. . Tout était calme jusqu’à ce qu’ils entendent l’explosion. L’homme qui a marché devant Joe A été complètement soufflé. . Des éclats d’obus ont frappé Joe au visage, Arraché les deux yeux à la fois, La dernière chose qu’ils aient vue C’est l’homme qui était devant : . Membres et chair et os et sang, Déchiquetés, éparpillés, Et après cela – juste la nuit. Le goût, la puanteur, le bruit. . Je te dis ça mon fils parce que Je sais comment tu seras, Dès que tu seras assez grand Tu voudras aller te battre . Qu’importe la bataille où tu t’engageras, Tu donneras ton sang, tes os, Pas au nom du bien ou du mal – Mais au nom de ta patrie. . Ton père croit au combat. Il se bat pour toi et moi, Mais les hommes qui envoient les armées Ne l’entendront jamais pleurer. . Je ne soutiens pas la guerre mon fils, Je ne crois pas que ce soit juste, Mais je soutiens les soldats qui Partent en guerre pour combattre. . Des troupes comme ton papa, mon fils, Des soldats jusqu’au fond de l’âme, Portant fièrement leur uniforme, Et faisant ce qu’on leur commande. . Quand tu seras grand, ma petit, mon amour, S’il te plaît, ne pars pas à la guerre, Mais combats les hommes qui les décident Ou combats une cause qui est la tienne. . Cela semble si plein d’honneur, oui, Si vaillant, si courageux, Mais les hommes qui envoient à la guerre Le font au nom de l’or . Ou vous envoie pour du pétrole, Et nous raconte que c’est pour notre pays Mais les hommes rentrent comme papa, Et passent leurs journées à boire.
une musique lancinante qui a quelque chose à dire…et qui retrouve une certaine actualité ( en faisant le pont entre le souvenir de la guerre de 14, finalement assez peu évoquée ces derniers temps juste après le 11 novembre…, et l’actualité ukrainienne…………………………….sans parler des autres… )
Croiseurs
Les lignes d’horizon sont froides
Ciel grues filins jetée
et les filets du jour au pied du môle,
ses rêts de nuages plombés emprisonnant
l’arête d’un rayon pâle,
le dos de métal luisant d’un squale à demi
immergé:
Terrible *, Suffren *,
parfum de guerre voilé
de sel, de belliqueux embruns,
ballet martial,
parade silencieuse,
à quelques encablures
de quai de nos vies insouciantes,
proche, si proche
que les chroniques des journaux
du matin en paraissent innocentes
le café plus amer …
l’insoutenable boucherie de la guerre,
la lointaine frontière d’Ukraine,
soudain palpable, glaçante,
familière.
* sous-marins nucléaires français. Le Suffren, a été
mis en service le 3 Juin 2022 dans la rade de Brest.
Ce qu’ils disent,
la poussière des mots qu’ils te lancent,
n’est pas fait pour que tu l’entendes
C’est la poudre à canon des marchands de sommeil,
et tu dors
plus sûrement qu’au premier soleil le lézard
sur les pierres
Ecoute,
de ton oreille posée tout contre le sol gelé
trembler le galop de leurs chevaux barbares
le roulement des tanks
dans les rues noircies de l’enfance
d’où jaillissaient de si tendres soleils
le cliquetis du fer
l’éclat rouge des armes
et déjà ,l’aile d’ombre du vautour
avaler un sandwich un demi pression un café laver les pieds des morts avant le petit jour se coucher enfin parmi les débris de vaisselle sale parmi les pétales de fleurs fanées comme si la torture n’était qu’un mauvais à passer un pressentiment rongé par la fuite du temps une promenade à petits pas de laine grise sous les ponts la richesse se consomme à la va-vite les doigts des amourettes construisent des plaisirs de bouts de ficelle toute blessure se limite à l’impossible entre pompes à essence et supermarchés chaque chose en son temps rappelle-toi il faut agir de nuit dans les odeurs acides du sommeil substituer l’acte à l’intention penser la mort comme une étincelle il est comme quelqu’un qui renoue ses lacets il dit qu’il attend et qu’il choisit pour cela cette version obscure du monde il dit qu’il paye la faute de vivre ainsi en équilibre et que le refus est écrit dans la peur et que la peur est son testament il est armé et le geste s’accompagne du cri d’un jour nouveau et la lune s’est usée dans le grand cercle de la nuit et puis occupé par les menus travaux de la guerre il attend dans le fantôme du vent et son geste est très grand personne n’est dans le camp de personne et seul il imite le hurlement de la nuit comme un cheval sellé qui ne sait encore rien de la course ni du marchandage de la main et des jambes en ces temps on disait la révolution et l’âme des peuples était invisible elle se cachait dans le secret des caves et ne sortait qu’à minuit il pense que si sa tête éclatait il serait là à ramasser les morceaux à quatre pattes sur le goudron de la nuit il pense à ces kilomètres de mots à ces lignes appliquées à l’encre violette et qui ne touchent jamais la barrière du ciel ni le sable bleu des déserts ni le souffle ni ces petits riens de carton-pâte l’habitude nous fait vivre à un millimètre de nous-même dans la posture accroupie de la femme qui lave le linge à la rivière de l’histoire nous ne savons que la calomnie ici les murs nous font la grâce d’une lecture aveugles nous déchiffrons les impacts de la fusillade et le film est projeté en plein cœur les acteurs sont soumis au grain de la maçonnerie marionnettes ou créatures de rêve une cérémonie à couper au couteau le bétail s’allonge dans la manigance des corps les hommes dorment les femmes dorment les enfants dorment les chiens urinent puis grattent le bois des portes avec des ongles malpropres elle est assise dans l’ombre il dit donne-moi tes mains j’en ferai bon usage dans les giclées du soleil dans les chuchotements du sous-bois il connaît cette peur de granit cette trahison minuscule demi-sel un char d’assaut quelque chose comme une prison qui s’avance un bruit de métal frappé dans la fatalité du sang
dessin RC ( encre de chine et lavis )- 1978 – 50×65 cm
Les trains du soir se sont enfuis dans la nuit, et ton sourire a ces lèvres absentes de la beauté fanée d’une photographie qui a mal vieilli. Une pellicule dans un album photo oublié au fond d’une armoire.
Je ne sais plus qui a saisi cet instant, ce sourire doux-amer qui rappelle celui de la Joconde, derrière son épaisse armure de verre – le mystère d’une perspective difficile à saisir – , une fleur épinglée sur la poitrine laissant échapper son parfum.
Qui se souvient des fêtes et de la joie, des portes qui grincent, des fenêtres ouvertes sur l’azur , des verres qui tintent, de la guerre tendre des regards ? une guerre qui pâlit comme s’effacent les voix de ceux qui t’ont connue.
L’or des cheveux retrouverait-il son feu, ton oeil, son incandescence le vent , son insolence , si le sort était levé, tu reviennes à la vie, extraite comme par magie de la photographie ?
Ecoutez le monde s’effondrer ponts de béton routes d’asphalte
Aho pour la joie Aho pour l’amour
Surgit la femme poings serrés vers la lumière
Voici que migrent les peuples sans terres nous récrirons la guerre fable unique
Qui peut gagner sur le mensonge construire un empire de vainqueurs et le croire sans limites
Ce qui empoisonne ne méritera pas de vivre ce qui blesse ne méritera pas le clan cinq cents ans plus tard sept générations après
Tous ces châssis pour barrer les routes tous ces murs érigés entre les nations tous ces bateaux d’esclaves ces bourreaux n’auront eu raison de rien
Si j’étais ce pigeon qui vomit sur les hommes de bronze fausses idoles carnassiers ivres se tâtant le pectoral gauche avec la main droite lavée par les colombes
Qui d’autre est capable de provoquer l’amnésie octroyer la carence à ceux qu’il gouverne
Qui d’autre sait appeler union ce qui est discorde pour s’arracher le premier pour s’arracher le meilleur des confins de toutes les colonies qui d’autre sait appeler croissance ce qui est régression construction ce qui est destruction les peuplades pillées à bon escient au nom du roi et de la reine au nom du peuple qui meurt de faim à Paris à Londres à Rome à New York à Dubaï à Los Angeles à Dakar au nom du peuple qui se bâtit par douzaine à Fort-de-France à Port-au-Prince à La Havane à Caracas à Santiago à Buenos Aires
Aho pour la joie Aho pour l’amour
Qui d’autre sait nommer le mensonge pour le voiler
La ville persiste en moi assise sur l’avenue des Charognards je guette l’allégresse la haine qui me pousse à hurler
Je guette le nom des ruelles de la grande mer qui laisse passer les pauvres à l’abri des vautours
L’heure n’est pas à la lumière,
ce sont ces années amères
qui ne font qu’attendre
le corps en cendres .
On peut offrir à mes enfants
ce qu’on ne peut ensevelir
– ces drôles de « souvenirs » –
un éclat d’obus, quelques dents
éparpillées dans le champ
( qualifié d’honneur ) – cette aire
maintenant déserte, témoin d’une guerre
où se sont mêlés les sangs
comme les barbelés
les vies arrachées
que l’on retrouverait
si on le voulait ,
profondément enfouis dans la terre.
Elle recouvre l’amnésie des lendemains
où les restes humains
peuplent ce cimetière .
–
peinture Duncan Grant – Still life with omega paper flowers
Chacun portait sa croix, laissait sa croix, la table était couverte de fenêtres qui donnaient sur d’autres parties du monde – l’idée que se faisait du monde l’escargot n’était pas la même que celle d’une huître « autant de coquilles, autant de monde », pensait l’enfant. nous, les enfants de la guerre, quand nous écrivions un poème c’était avec le compas, nous enfoncions la pointe sèche dans la chair, et la mine douce, dont nous pouvions effacer le trait, faisait la carte du ciel où elle ne marquait que les étoiles nous, les enfants de la guerre, nous avons vécu en papillons pour échapper aux bombes le mieux était encore d’être papillon, et nous laissions notre écriture en grandes taches blanches sur les feuilles
notre écriture était de nature celle du poème qui est vague feuille fleur grenouille, notre écriture se déposait : écailles des ailes de papillon et pollen
quand nous écrivions le poème sur une feuille, ce que nous marquions c’étaient nos doigts, notre main, notre poing,
c’était ce point acéré, dur, aigu, percé qui marquait le centre du monde
nous, les enfants de la guerre, avons échangé l’homme et sa mort contre la vie des moules et des huîtres et nous sommes restés dans la mer
notre écriture, ce fut longtemps de la craie sur les doigts.
image extraite du film « qui chante là-bas » de Slobodan Sijan
Je me souviens de l’ex-Yougoslavie
des plaines, de la nostalgie,
de la chanson d’un violon navigant dans le ciel,
et les airs de danse traditionnels.
– Il y a des airs que l’on n’apprend pas,
ils traversent les saisons,
et à travers leurs chansons,
on se demande : » qui chante là-bas ? « .
C’est une musique qui traverse les hivers,
passant outre massacres horreurs
elle triomphe de la mort
et des taches sombres de la guerre
Passant sans encombre par-dessus les frontières .
Entends-tu encore la mélodie ?
celle qui nous dit que la vie
continuera , par-delà les tombes et les cimetières .
Moi je n’aurai jamais voulu cela :
cette profusion de chaleur et ces éclats de guerre.
Les affres de la bataille que se livrent les éléments
n’ont jamais acquis ma sympathie profonde.
Je connais, certes, les bruits rapportés des combats
et les plumes recouvrant les casques ciselés.
Ainsi que les armes dont les couleurs de feu m’avaient jadis envouté
mais jamais je n’ai succombé à l’or des trophées
On m’avait dit que le miel était ailleurs et j’ai fait comme si,
comme si cela devait durer
dans l’éclat sobre d’une grande quiétude.
Il m’est arrivé de ne pas suivre ma propre trace,
ce n’est pas une raison suffisante
pour m’exiler loin de mon serment.
Dans l’éclat sombre d’une grande quiétude je n’ai trouvé qu’une goutte de miel pour refléter le monde et sa solitude : point de sympathie pour le fracas des armes et les couleurs de feu.
Personne ne partage l’or des trophées. C’est un domaine lointain de civilisations englouties où les casques ciselés d’argent sont depuis longtemps enfouis dans les tombes ou les musées.
Rien ne dure, et l’intensité du feu décroît, à mesure que s’installe le froid, et que les raisons même de la guerre se diluent dans l’oubli.
Le feu d’artifice envoie ses étincelles dans un éclat éphémère… Tu ne pourras suivre que tes propres traces, avant que la mort ne les efface .
On ne voit plus qu’un pré tout vert où pourrait paître le bétail. Pourtant, c’est un champ de bataille habillé de blanc, comme en hiver.
On distingue des croix anonymes, comme autant de noms effacés : > c’est la plaine des trépassés : on n’en compte plus les victimes :
Elles sont tombées au champ d’honneur, sous les obus, les mitrailleuses, – …. et la plaine argileuse ne saurait désigner les vainqueurs
les vaincus, tant les corps se sont mêlés durant les assauts. On en a retrouvé des morceaux , accrochés aux barbelés .
Pour les reconnaître, on renonce : C’est un grand cimetière qui nous parle de naguère : Les croix sont en quinconce ,
régulièrement espacées : le « champ du repos » comme si l’ordre pouvait remplacer de l’horreur, son tableau .
Suivant les directives : les stèles règlementaires émergent de la terre, en impeccable perspective
Ainsi, à perte de vue ce sont comme des ossements, peuplés des silences blancs des vies perdues :
Ils ont obéi aux ordres. ( Laisser la terre saccagée, le témoignage de combats enragés, aurait plutôt fait désordre ).
Sous le feu des batteries, affrontant le péril, il aurait été plus difficile, de jouer, comme ici, de géométrie…
On ne peut espérer de miracle: Aucune de ces plantations ne va fleurir : Voyez-vous comme il est beau de mourir ! Une fois la guerre passée, c’est un beau spectacle…
On sortait par une de ces nuits glaciales de Crimée, on prêtait l’oreille au bruit des pas sur la terre argileuse, sans neige, gelée comme le sont dans le nord nos ornières en octobre ; palpant du regard ces sépulcres dans l’obscurité, les coteaux de la ville populeux mais aux foyers éteints, avalant à pleine gorgée ce brouet d’une vie assourdie, interrompue par l’aboiement des chiens et salée par les étoiles, on ressentait physiquement, avec acuité, la peste descendue sur le monde :
une guerre de trente ans, avec ulcères et bubons, avec ses feux étouffés, ses chiens aboyant et ce terrible silence dans les maisons des petites gens.
(…) Bonne vieille race obstinée des hommes : toujours prête à tout recommencer, à remettre ça. Se raser, cirer ses souliers, payer ses impôts, faire son lit, faire la vaisselle, faire la guerre. Et c’est toujours à refaire.
Ça repousse toujours, la faim, les poils, la crasse, la guerre. Et des monuments poussent sur les places, des noms poussent sur les monuments. Il en repousse toujours, des noms. On trouve toujours de la pierre pour graver des noms dessus et toujours des noms à graver dans la pierre… (…)
Mais pourquoi n’usez-vous pas d’un moyen plus fort,
Pour mener guerre au temps, ce tyran sanguinaire,
Et vous fortifier jusqu’en votre déclin
D’un plus fécond secours que mes vers inféconds ?
Vous voici au zenith de vos heures heureuses,
Et les vierges jardins, incultivés, ne manquant pas,
Dont la vertu voudrait tant porter vos vivantes fleurs,
Mieux qu’un portrait de vous, fait à votre image.
Ce trait de l’existence, ainsi tiendrait en vie,
Ce qu’un crayon du temps ou ma plume écolière
Ne savent maintenir de vous sous les regards humains :
La beauté du dedans, et celle du dehors.
Vous donner hors de vous à jamais vous conserve ;
Portraituré par votre exquis talent, vous aurez vie.