Le corps d’un gisant – ( RC )
photo perso – causse Méjean Lozère 2016
Les collines s’offrent,
couchées en travers de l’horizon .
Leur attitude a celle du corps
d’un gisant, endormi
sous le soleil comme sous la pluie ,
avec une robe d’herbes et de pins.
– Il attend de se réveiller –
après avoir dialogué des millénaires,
avec les aubes,
et ombres furtives .
Celles qui survolent, sans s’arrêter,
causses et falaises de pierre .
Le parcours des nuages,
ne laisse de leur passage
qu’une trace effilochée ,
une sorte d’image du vent ,
de celle qu’on ne peut saisir,
ni déchiffrer le message.
On pense les pentes immobiles :
elles le sont en quelque sorte,
à notre échelle de temps ,
mais ce sont des vagues,
et elles déferlent, rebelles,
sous le ciel oublieux.
Contrairement aux gisants
soulevant les plaines,
le ciel n’a pas de mémoire ,
et varie au jour le jour .
Il ne fait pas mystère
de son indifférence.
Que ce soient des périodes gaies
ou attristées par des guerres ,
des catastrophes,
il ne se souvient de rien.
Il n’est la proie ni du malheur,
ni de la joie .
Alors que la roche
se referme sur ses blessures :
le sol conservant en profondeur,
intact – le livre de la terre ,
peuplé de grottes souterraines,
et d’espèces fossilisées.
Souffre-t-elle
du passage du temps ?
En est-elle prisonnière,
ou conserve t-elle
des êtres de pierre
dont la légende s’éternise ?
Il suffit de vouloir la lire,
d’aimer les vallées verticales,
de capter le pinceau de lumière
qui les sculpte, et les fait basculer
dans d’autres saisons,
comme dans d’autres mondes .
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RC – juin 2017
Salah Al Hamdani – Rencontre
peinture: P Picasso: Fernande à la mantille noire, 1905-06
Le corps de la lune
Bondit à cette heure
encore une fois
par-dessus la tempête des guerres passées
et scande mon regret de ne plus revoir ton châle
suspendu aux années de l’exil
Ton châle mère…
Mère… regarde-moi !
( extrait de « Bagdad mon amour » )
Yves Heurté – Magdala – 11
peinture: El Greco – Marie-Madeleine en pénitence
La sentinelle se moquait :
« Ton amant couche au Golgotha.
Ne le réveille pas ».
Joie de nos guerres parfumées
plaisir de l’âme en tous les sens
montez à son calvaire !
Que sa souffrance saigne
à l’ivresse des souvenirs.
Ne m’oublie pas.
Toute beauté du monde
intacte est dans mes bras.
Quelle est la mémoire des pierres ? – ( RC )

pierres du musée lapidaire: photo ville de Narbonne
Quelle est la mémoire des pierres,
Celles qui se cachent sous la mousse,
Aux traces noires incendiaires,
Sous le lierre qui repousse ?
Des siècles traversés
Qui se souvient, des hommes trépassés….?
Peut-être les statues renversées,
Aux bras mutilés et têtes fracassées …
La mémoire des pierres attend,
Derrière de nouveaux murs,
De l’histoire, les mouvements,
Les révoltes et les fêlures…
Les combats et les guerres,
Les armées en déroute,
Nous parlent des hiers,
Jusque dans les voûtes.
Portées en arabesques,
Par des colonnes massives,
Et la peinture écaillée des fresques,
Sous d’autres perspectives,
D’autres époques et manières de vivre,
Recouvrant églises et temples,
Telles les pages d’un livre,
Ouvertes à celui qui les contemple.
La mémoire des pierres s’mprègne du temps,
Et du labeur des hommes, la trace
Même parfois teintées de sang,
Indifférentes aux ans qui s’entassent.
Elles sont comme des sentinelles,
Tout au sein de leur masse,
Une part d’éternel,
Alors que les hommes passent.
Les dressant comme un défi, debout
Contre le soleil et la tempête…
Elles parlent encore de nous,
Offrant au futur,le récit de leur parole muette.
RC – juin 2014
Cribas – Sur la colline du 24ème siècle
Sur la colline du 24ème siècle
Le soleil monte sur la colline encore un peu rouge
Je sais que tout à l’heure
Mon ombre y dessinera à nouveau son tombeau
J’étais parti sans partir
Je reviens sans revenir
Mais je dois rejoindre les rayons brûlants de son halo
Je dois retrouver mon chemin qui a rencontré le chaos
Je dois retourner au bord du précipice
Tout au bord de ma voie suspendue
Je reviens là où continue le vide
Où s’est arrêtée la folie
Inerte et vaincue.
On en fait des détours et des tours
Avec ou sans aide on refait le grand tour
Mais on revient toujours sur le lieu du crime
Un lac, un parking, un souvenir
L’amour en morse gueule depuis l’antenne de secours
On revient toujours, après mille lieues, mille heures du même parcours
On revient effondré
Haletant et déjà à nouveau assoiffé
On revient une fois encore
Comme toujours
Sur la ligne de départ de ses amours dopées
On revient comme un cheveu blanc, gavé du gras des années de grisailles, un écheveau sans projets sur le fil du rasoir
Avec des mots, et dans sa bouche ses propres yeux,
Et dans sa poche
Des oreilles pleines de guerres
Comme des prières secrètes qu’on ne peut plus taire
Des sourdines qui tombent comme un cheval mort sur la soupe
Avec un os rongé jusqu’à la moelle dans la gueule, et un reste de tord-boyau somnifère qui n’a pas servi
On fait mine
En posant un genou à terre dans les starting-blocks
D’être déjà prêt,
C’est reparti pour un tour, une course dans la nuit sous la lune étoilée
Avec en point de mire une vie de moins en moins murgée
Sobre et contemplant la grande ourse
Comme inerte et vaincue
Et de calme gorgée.
La colline vire au bleu
Je sais que tout à l’heure
Je l’aurai entièrement remontée
Ma petite vie en retard
Mon existence d’esthète à remontrances automatiques
Cribas 07.07.2013
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Le goût des cendres a toujours la même saveur ( RC )

Affiche secondaire du film « La route » ( d’après le roman de Cormac McCarthy)
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S’il y a des tempêtes,
Des cataclysmes, secouent la planète,
Des failles soudaines s’ouvrent sous les villes,
La journée de la colère – ( il y a bien la fête des pères ) –
Où tout bascule
Un monde qui s’anéantit
Des îles rayées de la carte,
Les rues de Pompeï sous la cendre,
L’Atlantide s’enfonce, même dans le souvenir des hommes
Les civilisations éteintes, les régions désertées…
- par quel événement soudain – ?
Caprices météorologiques, gel brutal..
( la main du divin , sur le soleil),
celui qui appuie par erreur sur le bouton rouge,
pensant appeler son domestique…,
Brusque montée des eaux, et voilà Noé à l’aventure,
gardien d’une diversité biologique en péril…
Au vaste coup de torchon, le calme plat qui suit l’orage,
Restent les graines têtues qui germent quand même ,
Un jour, même lointain, et qui percent le sol mutilé,
Dévasté sous la lave , ou les poisons des chimistes,
Emportant dans leur floraison future, toutes les erreurs
D’un monde à reconstruire, penché sur les larmes d’un passé.
— Prodiges d’énergie et de reconstruction,
Sur les fondations anciennes, la ville neuve s’érige,
Au pays qui s’affirme, le langage s’élabore, les lois se multiplient…
Des propriétés qui s’étendent, et avec , les spéculations immobilières,
Les cupidités, qui vont avec, et les guerres les plus cruelles.
A travers l’histoire recommencée,
Le goût des cendres a toujours la même saveur.
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RC- 27 avril 2013
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