Abedlkhebir Khatibi – l’habitude du soleil intime
photo: Olivier Rocq
C’est l’habitude du soleil intime
De retenir son éclat,
De l’accompagner
D’une saison parallèle à l’autre
Sur ce calendrier d’énigmes :
Chapelet gradué de rayons,
Pour quelle procession
Gardez-vous la formule de l’Anneau ?
Son cachet stellaire ?
Pour sacrer mon anniversaire
Et il l’est à ma naissance
A l’aube d’une légende,
Puissé-je t’accorder
Au-delà de l’Etrenne
Le chiffre du Partage ?
Nul ange ainsi dénommé
N’assiste à cette alliance
Nul dragon sous l’aile
De quelque dieu perdu
Il a le don
— Le Passeur de l’autre rive —
De me confier à mes mains
Et dès le premier pas.
C’est lui qui m’oriente
— Corps et pensée —
Selon ce voyage initiatique.
Il a le don, regarde !
De me porter jusqu’à ton apparition
Des mains sur le fauteuil – ( RC )
sculpture: Urs Fischer – 2015
Sur un fauteuil style Louis XVI
sorti de chez l’antiquaire
il y a les mains de ma mère
( qui auraient pu préférer les chaises ) ….
Pour être plus précis dans le décor,
celui-ci n’a rien de spécial,
mais quand même, c’est pas normal…
il y a juste les mains, pas le corps .
Il existe peut-être,
mais dans l’au-delà :
– en tout cas on ne le voit pas – :
ça a l’allure d’un spectre
qui voudrait se faire inviter
pour partager le dessert
avec mon frère
à l’heure du thé :
C’est une sorte d’ambassadrice ,
qui ne s’encombre pas d’apparence
et joue sur la transparence ,
( sauf pour ses mains lisses )
Elles n’ont rien de squelettiques ,
pleines de jeunesse,
elles sont d’une tendresse
bien énigmatique….
Ces mains , d’une autre époque
se posent doucement ,
plutôt affecteusement ,
quand c’est le « five o’clock » ;
– toujours avec exactitude – ,
avant bientôt, de s’évanouir
comme un tendre souvenir
( un rendez-vous quotidien, dont j’ai pris l’habitude ).
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RC – juill 2017
Cheminement contradictoire – ( RC )
C’est devenu une habitude :
Je supporte mon corps
Apparemment sans effort .
Ses poumons s’ouvrent à l’air extérieur,
Le cœur est toujours en lieu sûr,
Et se manifeste par une pulsation,
d’ une évidence, portant à l’oublier.
Le chemin est tout tracé pour le sang :
Il suit son cycle, sans qu’on ait à ouvrir la mécanique,
Ni qu’on la remonte avec un ressort .
Les muscles sont en place,
se contactent quand on le leur demande,
Mais il y a toujours un fossé,
où le corps, dans sa familiarité ;
voisine l’esprit,
sans intention de lui nuire :
Un décalage au monde,
comme si la langue que je pratique,
n’était pas celle des autres .
Un cercle invisible difficile à franchir,
occupé par les gestes quotidiens,
âme prisonnière de son destin,
côtoyant les démons intérieurs
qu’elle souhaite pourtant combattre.
Et où en trouver l’énergie,
si tous se nourrissent du même sang,
de l’air que je respire et des mêmes pensées ?
De leur bavardage continuel,
ils conduisent mes pas :
d’une démarche qui se veut assurée,
dans des intentions contradictoires .
Je connais leur dialecte,
mais je n’ai pas, pour les comprendre,
la version complète,
chacun empiétant sur l’autre
en une oscillation perpétuelle .
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RC – sept 2015
Ile Eniger – Poivre bleu
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Je traverse la béance du jour. La créance du vide. Les tempêtes s’agitent dans l’état d’être. Je suis l’animale inquiétude, la douceur de mémoire, le bonheur à l’instinct. Je traduis je t’aime par le mot inconnu. Il frissonne de la part manquante ou ajoutée. Je com-prends tout jour sans le connaître. Chaque lettre déclinée jusqu’à la voix des mains invente un poivre vif. Cet éternuement.
Bleu.
Toute pensée, tout geste marche en terre brûlante, lumière silencieuse, incontournable amour. Plus haut que les tiédeurs, les habitudes, loin des fioritures, du collectif, au-dessus des glaces, des feux, sans apparences ni contorsions je veux. Le simple rayonnant. Le tour de force de la bonté. Poivre bleu, le livre dira peu. J’écrirai encore.
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extrait de « poivre bleu »