Quine Chevalier – ensorcelées sous le soleil
Ensorcelées sous le soleil
les ombres sont féroces
l’aube sans voix décline ses miroirs
et le vent dans tout ça
qui palabre
violente.
Ensemble nous marchons
dans nos creux
soulevant
l’herbe des secrets
que nous buvons le soir
dans la lampe qui brûle.
Quel hameau a quitté
l’enfant de nos désirs
sur quel arbre d’oubli
a-t-il planté ses rêves ?
La main n’est plus qu’un nid
l’ombre se repose
les yeux ardent la plaine
où passe le gerfaut.
Cristina Alziati – mon arbre
photo LPC
–
Je suis venue vers toi cette nuit.
Mais j’avais été déjà dans la pleine
lumière sur les champs où tu es endormi,
déjà j’étais le corps immense
sous ton ombre, inter ligna silvarum,
des herbes immobiles tremblées, mon arbre …
–
texte tiré du site » une autre poésie italienne »
Béatrice Douvre – Gravitation
croix de chemin en Gévaudan ( Besseyre )
Sous le grand âge du printemps
L’eau sourd en gouttes de regret
Des bouquets sonores exultent
Poudroyant
Mais la demeure saigne
Et sa fissure
Nous avions construit ici notre logis
Sur un escarpement de pierres heureuses
La campagne est mouillée de sevrage
La voix nuptiale empruntée aux pierres
Heure boisée qu’excède l’amour
Tu innocentes ta trouvaille d’enfant
Tu gis sur le chemin trempé
Et de pluie tu défailles
Maintenant brillent d’obscures larmes
Tu acceptes la peur immaculée de vivre
L’aube étincelle dans l’herbe des vigueurs
Souffle mûr mêlé du sang des hommes
Tu marchais réinventant le pas du sol comme une soif
Dans le vent neuf Je te regarde tu courais
Geste habité du vœu de naître
Auprès des croix
Qui font parfois les pierres profondes
Moment cendré de l’étendue
Chancelant
Et notre pauvreté nous vient d’un même exil
Dans le temps
Grandir a dissipé le seul voyage
Entre l’arbre et le seuil
Entre nos mains
Désormais c’est l’herbe qui nous dure
Sa cécité très douce à nos pas retranchés
Christian Hubin – Personne
Montant vers l’absence aspirée,
qu’est-ce qui retourne
— les cimes comme des impacts de chutes,
ellipses acérées à gravir.
Silhouettes en file que la lumière pointillé
— le vent, le soir.
Surgit un lieu qu’on n’a jamais vu, et
connaît.
Touchant la corde la plus grave,
le millième de seconde où la présence finit,
le son retranché hors
du son.
Ceux qui écoutent tombent d’âme en âme,
dans l’antérieur répercuté.
Sur l’herbe le pied nu des ombres,
les volutes de la petite éternité.
C’est ici qu’on venait prédire
— une autre voix, un autre temps.
Qui veut se recueillir se perd.
Sa face première est celle des fées,
de la lune blanche en plein jour.
La course de l’ombre sur l’herbe – ( RC )
Avec la course du jour, sur l’herbe
l’ombre de l’arbre marche
à pas lents , sans l’écraser .
–
RC – juin 2017
Joseph Brodsky – Mon cher Télémaque
peinture: André Derain le repas d’ Ulysse
Mon cher Télémaque,
La guerre de Troie
Est terminée maintenant;
Je ne me rappelle pas qui l’a gagnée.
Les Grecs, sans doute, car ils ne laisseraient pas
Tant de morts si loin de leur patrie.
Mais encore, le chemin de mon retour s’est avéré trop long.
Alors que nous étions en train de perdre du temps,
le vieux Poséidon, semble presque étendu et l’espace s’est agrandi.
Je ne sais pas où je suis ni ce que cet endroit peut être.
Il semblerait que ce soit une île sale,
Avec des buissons, des bâtiments et de grands porcs qui grognent.
Un jardin étouffé de mauvaises herbes; quelque reine ou une autre.
De l’herbe et d’ énormes pierres …
Telémaque, mon fils!
Le visage de toutes les îles ressemble à chaque autre, pour un vagabond
Et l’esprit du voyage, le décompte des vagues;
rend les yeux douloureux à scruter les horizons de la mer,
Et la chair de l’eau enveloppe les oreilles.
Je ne me souviens pas comment la guerre s’est finie;
Même quel est ton âge, je ne m’en souviens pas.
Grandis, alors, mon Télémaque , grandis.
Seuls les dieux savent si nous nous reverrons encore.
Tu as depuis longtemps cessé d’être ce bébé
avant que je me sois arraché aux labours des boeufs.
Si ce n’était pour la trahison de Palamède
Nous deux devrions vivre sous un même toit.
Mais peut-être qu’il avait raison : loin de moi
Vous êtes tout à fait à l’abri de toutes les passions œdipiennes,
Et tes rêves, mon Télémaque, sont irréprochables.
—
–My dear Telemachus,
The Trojan War
is over now; I don’t recall who won it.
The Greeks, no doubt, for only they would leave
so many dead so far from their own homeland.
But still, my homeward way has proved too long.
While we were wasting time there, old Poseidon,
it almost seems, stretched and extended space.
I don’t know where I am or what this place
can be. It would appear some filthy island,
with bushes, buildings, and great grunting pigs.
A garden choked with weeds; some queen or other.
Grass and huge stones … Telemachus, my son!
To a wanderer the faces of all islands
resemble one another. And the mind
trips, numbering waves; eyes, sore from sea horizons,
run; and the flesh of water stuffs the ears.
I can’t remember how the war came out;
even how old you are–I can’t remember.
Grow up, then, my Telemachus, grow strong.
Only the gods know if we’ll see each other
again. You’ve long since ceased to be that babe
before whom I reined in the plowing bullocks.
Had it not been for Palamedes’ trick
we two would still be living in one household.
But maybe he was right; away from me
you are quite safe from all Oedipal passions,
and your dreams, my Telemachus, are blameless.
–
la traduction de Georges Nivat diffère quelque peu…
mais le sens en reste le même…
Télémaque, mon fils, la guerre de Troie a pris fin.
Qui l’a gagnée, je n’en sais rien.
Les Grecs, sans doute : pour jeter à la rue tant et tant de morts,
il n’y a que les Grecs!
Elle a pris fin; mais le chemin du retour
si tu savais combien il me paraît long!
Comme si Poséidon, pendant que là-bas nous perdions le temps, avait brouillé l’espace.
Je ne sais diantre pas où j’ai échoué, ni ce qui est devant moi :
îlot crasseux, buissons, murets pierreux et cochons qui grognent;
tout à l’abandon; une femme qui règne; de l’herbe et du caillou…
Mon cher Télémaque, ce que les îles peuvent se ressembler pour qui voyage trop!
comme le cerveau s’égare à compter les vagues qui l’assaillent!
Et l’œil, où l’horizon s’est coincé, larmoie;
l’oreille est assourdie par l’aqueuse masse.
Je ne sais plus comment la guerre a fini,
et j’ai perdu le compte de tes années.
Deviens grand, mon Télémaque, deviens homme!
Les dieux seuls savent si nous nous reverrons.
Déjà tu n’es plus le petit nourrisson devant qui je dus arrêter les taureaux.
Palamède a tout fait pour nous séparer.
Mais il n’avait peut-être pas tort : sans moi
tu es affranchi du tourment œdipien,
et tes songes, mon Télémaque, sont sans péché.
(Traduit par Georges Nivat.)
Eugenio de Andrade – La pupille nue
poterie perse: 3000 av JC
La lumière est toujours la même, toujours :
Furtive au flanc des chèvres,
Cruelle dans la couronne des chardons,
Frémissant dans l’herbe
Rasante de ton corps et dans les dunes,
Toujours la même, la pupille nue.
Justo Jorge Padrôn – une pluie aux syllabes bleues
la pluie tombe en syllabes bleues.
Herbe et feuillages se réveillent,
splendeur qui demeure dressée,
vivante dans la fleur, l’arbre, les parfums silencieux
qui glissent dans les lits du soir comme des fleuves.
la pluie polit de son bleu les pierres noirâtres
et les écale avec douceur depuis leurs centres durs.
Elle palpe leur chair captive, la délivre, la dénude
en corolles à la pulpe rouge.
Sève que le soleil invoque, soleil qui moissonne la pluie.
Feu cruel asséchant le vert en sa sveltesse,
prairie qui s’asphyxie en sillons désertiques,
pétale rouge qui s’achève en roche,
roche qui se replie, qui s’emprisonne
et se tait, sourde et noire, jusqu’au jour du miracle :
où toute audace, arrive le printemps
qui nous apporte une pluie de syllabes bleues.
Laetitia Lisa – En habits d’oubli
peinture rupestre grotte de Chaturbhujnath Nala, Inde, environ 10,000 av JC
Je longe le champ de blés verts
hâtant le pas dans l’herbe haute
pour recevoir encore
un dernier baiser du soleil
avant qu’il ne se couche
en draps ocre et dorés
demain la pluie
demain le froid
pour l’heure la douceur du vent
le chant des grillons et les hirondelles en formation
avec elles je me baigne en le ciel
allongent les brasses lorsque les courants frais
effleurent mes bras nus
avec elles je reste immobile un instant
sous les caresses des courants tièdes
je plonge
dans le bleu des montagnes
jusqu’à ce que la nuit revienne parfaire l’esquisse
de ses gris colorés
je ne peux rien contre le froid et la grêle
tueurs des promesses si près d’éclore dans mon verger
je ne peux rien contre le feu du soleil
tueur des promesses si près de porter fruit dans le tien
sur le dos de quelques mots ailés revenus nous chercher
nous dansons en habits d’oubli
ourlés de nuit .
————
plus d’écrits de L L ? voir son site-blog
Quine Chevalier – ensorcelées sous le soleil
–
Pour Annie Estèves
Ensorcelées sous le soleil
les ombres sont féroces
l’aube sans voix décline ses miroirs
et le vent dans tout ça
qui palabre
violente.
Ensemble nous marchons
dans nos creux
soulevant
l’herbe des secrets
que nous buvons le soir
dans la lampe qui brûle.
Quel hameau a quitté
l’enfant de nos désirs
sur quel arbre d’oubli
a-t-il planté ses rêves ?
La main n’est plus qu’un nid
l’ombre se repose
les yeux ardent la plaine
où passe le gerfaut.
La mer au-dessus des nuages – ( RC )
photographie : Dalibor Stach. Sans titre
–
Les temps ont bien changé,
la mer est au plus haut,
juste en-dessus des nuages.
La lumière peine
à se forcer un passage
dans un ressac aérien.
Je me suis allongé sur l’herbe:
un velours noir.
Il se déroule en un grand tapis,
jusque vers les montagnes.
J’ai assisté au grand vol des sirènes,
groupées comme pour une parade,
et leur chant appuyé sur le soir,
juste avant que les vagues
n’engloutissent le jour,
et moi avec…
–
RC juill 2016
Derrière le mur, le ciel joue un concert – ( RC )
–
–
Derrière le mur,
Le ciel joue un concert,
Avec des cuivres,
Et des ors,
Brodés sur les nuages.
L’herbe est profonde,
Le champ en pente douce,
Jusqu’à la rivière,
Dont on perçoit,
Juste le murmure .
On dirait que dehors t’attend,
Mais tu restes immobile,
Derrière le mur .
Les os sont fragiles,
Mais tu peux risquer quelques pas,
Et ouvrir la porte.
Le crépuscule n’est pas la nuit,
Et du soleil couchant,
C’est sa lumière encore,
Qui donne le relief à la vie.
–
RC – mai 2015
Henri Pourrat – Le clos au levant
Lorsque le soleil se lève,
Il se lève sur un clos :
La fraise y vient sous la fève,
Le cassis sous le bouleau.
Loin des fumées du village
Et des jardins en casiers,
Un clos qui sent le sauvage,
Plein d’ombre et de framboisiers.
J’entends le vent des collines
Qui m’apporte son odeur
De cerfeuil et de racine,
Son goût d’herbe de senteur.
Juste un toit pour notre couette
— Les nuits sont fraîches, l’été —,
Et puis, comme l’alouette,
Y vivre de liberté.
Henri POURRAT « Libertés » in « Anthologie des Poètes de la N.R.F. »
Citadelle de D – ( RC )
Toutes photos perso : citadelle désaffectée de Daugavpils, Lettonie oreintale
Point de cloche ici qu’un
aujourd’hui saccagé
Pourtant la lumière s’accroche
Aux lambeaux de sinistres blocs
Qu’ailleurs on dirait bâtiments
D’ oiseaux téméraires, oublieux d’un passé
empoisonné, pourtant s’approchent
Et les autres s’en vont.
Et viennent tisser des fils incertains
D’entre les arbres, qui lentement
Reconquièrent la place d’Armes
Etouffant soigneusement, des heures abrasives
Des symboles d’oppression
Aux réverbères géants
Jusqu’au kiosque moisi
Aux péremptoires sonneries militaires
J’écoute venir toutes les voix
Mais la musique du silence
L’extension insensible des branches
L’herbe folle d’entre fissures
Dessine, la fragilité des choses
Et l’arrogance géométrique
Du lourd, du laid, des pouvoirs ,
des voix claironnantes de l’arrogance .
Dans la Citadelle, l’ordre du cordeau
Se transforme, en « presque joyeux désordre »
Les rues défoncées, sont un chapelet
De sable et flaques réfléchissantes.
Poutrelles, et amoncellements divers
Gravats et encadrements pourris
Occupent indécemment les lieux
Marqués par la dictature du prolétariat .
Et triste est la rue , où , malgré tout
La vie s’insinue , confinée
Tout près de moi
Malgré le suint des lieux
Aux rumeurs vénéneuses d’un
Passé encore proche. Et le lierre s’accroche
Aux symboles de fer , des canons :
On en voit plus d’un , glisser avec l’ombre
En portant la nuit, sur ses épaules
Avant, encore, qu’on nettoie la mémoire
Comme on le ferait du sang répandu
Sur un carrelage – facile d’entretien.
En cours, une rénovation proprette, et des rues nettes
> Aux sordides carcasses, plus de traces…
Est-ce que le monde s’efface ?
Aux ensevelis, peut-être même plus de place
Faute d’avoir les leurs, ils ont – peut-être
Confié leur chant , aux oiseaux
Qui voient s’éloigner du trottoir
Les barbelés rouillés du désespoir.
la place d’armes et ses canons dressés.
Edith Södergran – Les étoiles
–
Quand vient la nuit
Je reste sur le perron et j’écoute
Les étoiles fourmillant dans le jardin,
Et moi je reste dans l’obscurité.
Ecoute ! une étoile est tombée dans un tintement !
Ne sors pas, pieds nus, dans l’herbe ;
Mon jardin est plein d’éclats d’étoiles.
Edith SODERGRAN « Poèmes complets »
Jean Soldini – Locus Solus
Je me tenais immobile
dans un minuscule pré ovale
locus solus bordé de fleurs.
Les abeilles vibraient
tout près de mon corps,
comme si je n’existais pas,
enveloppé du parfum chaud de l’herbe et des fleurs
du bourdonnement qui les couvrait,
les découvrait puis les recouvrait.
Je me tenais
ostensiblement introuvable :
les yeux fermés
le dos collé au sol
les jambes croisant des trajectoires champêtres.
- de » Tenere il passo, LietoColle 2014″
( » Locus solus » peut être trouvé, avec d’autres du même auteur, sur le site d’ une autre poésie italienne » )
Monique L -Monolithes irrespectueux
un texte de Monique L, extrait de son blog poétique et pictural:
-La fleur et la pierre participent du même monde et pourtant elles ne sont pas du même genre. Au final, la pierre – toujours hors de portée- même lorsqu’elle s’éboule, écrasera toujours la fleur.
La fleur a vécu d’autres saisons, elle le sait. Elle ne comprend pas tout cela.
La pierre larmoyante de pluie ou d’humble rosée reste une pierre. La pierre roule à sa seule convenance , elle écrase sans façon. Que lui importe, elle est pierre, elle est fière et altière. La pierre s’érige au-dessus du lot commun , elle le clame dans l’azur à tous les dieux et elle se renie ( comme tout ce qui clame) sans vergogne dans les bassesses de ses dégringolades.La pierre se targue d’éthique mais elle méprise Sisyphe et offense le brin d’herbe . La pierre passe sans égards,dans un grand éclat de rire, elle plie et abaisse la fleur. La pierre est sourde ou aveugle ou muette ou trop sûre d’elle.
La fleur et l’herbe le savent, impuissantes, toujours vivantes. Elles ne comprennent rien à tout cela.
Patrick Cintas – Analectic song

peinture: Lee Krasner
Je me fiche de savoir qui je suis
fruit du hasard dont je ne sais rien
ou pierre parmi les pierres
qui fondent cette vie sous l’existence
Je suis et cela ne tient qu’à un fil
voilà ce que je sais et ce que je peux chanter
si vous m’écoutez vous dont la voix s’est éteinte
quand l’enfant est mort en vous
et autour de vous
Ce que je pense n’a aucune importance
pas plus que ce que vous pensez
aucune vision n’a de l’importance
aucun résultat de mes actions ni des vôtres
Si je chante c’est que vous chantez
et si ma voix ne porte pas
c’est que vous n’entendez plus rien
qui ne soit pas en accord avec ce que vous devenez
Ici on ne se concerte qu’à propos de questions religieuses
ou politiques ou artistiques
parce que ces éthiques sont le moyen de contrôler le temps
et par conséquent les intérêts et les dettes
Mais je n’ai que faire de vos convictions à la noix
de vos superstitions et de vos arts
Ce n’est pas ainsi que je conçois ce qui m’est donné
c’est-à-dire cette vie
à laquelle je veux donner le sens d’une existence
c’est-à-dire d’une œuvre
Pas de livre à mon chevet, pas de propre du temps
pour ramasser ce que la pensée ne sait pas comprendre
Pas de sens à prendre au lieu de le donner
Je ne suis pas cet homme !
Tout ce qui rentre dans un livre me révolte
Tout ce qui en échappe pour constituer une œuvre me fascine
Et c’est là toute la différence
Ce qui me distingue de vos systèmes contraignants
de votre manière de contraindre pour avoir raison
Vos crises ne sont en rien des révolutions
Vos choix ne parlent pas de ce qui m’accorde une certaine audience
Vos leçons de morale confinent à l’immobilité ou au conflit
selon que vos possessions fructifient
ou que vous êtes dépossédés par vos ennemis
Je n’ai pas d’ennemi ou je n’ai que des ennemis
Je ne possède rien qui flatte vos convictions, vos superstitions et vos arts
Je suis un instant et je ne suis pas le temps
Je pousse comme l’herbe mais je ne connais pas le soleil
Une chanson suffira à me ressembler
une chanson que je qualifierais d’analectique
car elle vous contient
comme elle m’expulse de ce monde
J’arrive en ami
et je pars sans souci
c’est comme une guérison
tant votre fréquentation m’a renseigné
sur l’état de vos intentions existentielles
Vous êtes des écoliers épris de dissertations
mais ni la somme de vos dissertations
ni la compilation de vos existences
ne forment le livre dont vous avez rêvé
pour donner un sens aux écrits qui l’ont perdu en route
Vous êtes la négligence et la paresse
qui me donnent la minutie et la rapidité
Minutie de l’objet
et rapidité de la forme à le donner
tel qu’il envisage les faits
qui m’appellent
Là je reconnais la complexité et la pensée
à la place de vos articles, de vos psaumes et de la poésie
à toutes les sauces
Mais je ne suis que l’auteur de cette chanson
Je n’ai pouvoir que de constater que je pousse comme une herbe
et que mon sort est celui de cette herbe
des milliers de fois recommencée pour que j’existe un instant à sa place
Il me vient à l’esprit
en me penchant encore sur ce détail
que je suis un peu cet enfant que j’ai cru mort depuis longtemps
et non pas un de ces prophètes cosmiques !
Certes il est mort de sa propre main
tué par lui-même
comme cela arrive sans cesse
pour que la maturité s’empare du pouvoir
Privé de futur
par son geste même
il ne représente que ce segment d’existence
comme le boulet qu’on attachait jadis à la cheville des forçats
un par un rejoignant la mer par le Passage des Tristes
Je sais sans pouvoir l’expliquer que son chant mineur
est le récit de sa courte existence
que son chant majeur représente sa voix possible
et qu’entre ces pratiques du chant
quelque chose ressemble à de la poésie
Je sais tout cela
et je le sais depuis longtemps
J’ai construit toute mon œuvre sur ces pilotis
fasciné par le vent et les marées
nourri d’horizon et de soleil
de lune quelquefois
quand le sommeil ne savait plus
par quel bout me prendre
Certes vous êtes les conservateurs de l’Humanité
et j’ai visité votre Conservatoire en toute tranquillité
car ce qu’on y retient par les basques
n’est que le reflet de ce que vous imposez à l’Histoire
Loin des sciences et de la philosophie
vous n’êtes que des doctrinaires, des superstitieux et des artistes
sans véritable expérience des choses et des faits
On ne peut pas vous aimer
C’est impossible
et je chante enfin cette mort de l’enfant
en toute connaissance de cause
Patrick Cintas.
Extrait de Analectic Songs V
on peut retrouver l’auteur dans les pages du Chasseur Abstrait...
Michel Onfray – La tentation de Démocrite

photo: Stanko Abadzic
La tentation de Démocrite
Photo Stanko Abadzic
Je veux retrouver le goût des mûres des chemins de mon enfance
Écraser des fraises dans ma bouche
Avaler le jus des framboises et le sentir descendre chaud dans ma gorge
Respirer la fleur de sureau
Mâcher le brin d’herbe
Mettre le bouton-d’or sous le menton d’une femme en robe d’été
Lui apprendre à faire des poupées avec des coquelicots
Manger des groseilles
S’arracher la peau aux épines des groseilles à maquereau
Cueillir des noisettes
Croquer dans le ventre d’une pomme
Augmenter ma salive avec son jus
Devenir moi-même pomme puis pommier
M’allonger dans l’herbe
Voir le ciel derrière la danse des brins
Cligner des yeux et les fermer à cause de la clarté du soleil
M’endormir le dos épousant la terre de mon destin.
–
Michel Onfray, La recours aux forêts, Traité des consolations
–
Un petit voyage sur le blog d’où j’ai déniché ce texte.. mais sans doute peut-on le trouver ailleurs, par contre l’association avec les photos choisies sur ce blog, est un régal pour les yeux, c’est pour cette raison que je vous le recommande.
–
Olga Alexandra Diaconu – Comme un vagabond qui berce le ciel
a la couleur de mes yeux
l’eau devient ombre
avant de devenir ciel
avant de devenir éternité
elle berce les feuilles,
elle met ma pensée
dans la balance de ta pensée,
elle est le vagabond
qui berce le ciel
dans les poches trouées
Sur les lèvres tremble un fil de silence bouillant –
tout ce qui n’a pas de nom est bouillant
pendant qu’en nous
l’équilibre devient repos
Qu’on crée une merveille, me dis-tu,
de tout ce que, entre ces murs d’air
sans nous, serait néant”
comme l’herbe traverse nos corps
avant de devenir ciel
tout ce qui n’a pas de nom est bouillant.
traduction – l’auteur
Paul Vincensini – D’herbe noire

photo: Lucien Clergue Camargue secrète
D’herbe noire
J’avais cueilli des fleurs pour traverser la mer
Mais j’ai dormi près de l’étang
Au milieu des chevaux
Et l’amour emprisonne mon bouquet d’herbe noire
Je suis maintenant étendu sur le sable
Je ne pars plus
Je suis un petit aveugle
Et j’ai tout un coucher de soleil sur les jambes.
–
Colette Fournier – Au matin
–
Longtemps, mon cœur a battu au flanc du jour.
L’aube était pure, si pure,
Un lever de mystères blancs,
Une pluie d’instants menus dessinés au fusain noir,
La rue et son appel rauque et volage,
La prairie songeuse au soleil,
Et immobile sous un ciel d’extase,
L’eau dormante d’un étang blond.
Longtemps, je suis restée suspendue aux matins,
Aux histoires de fées et de lutins,
Osant à peine, à peine, poser mes pas pointus,
Sur l’herbe mouillée de peur de l’abimer un peu,
Craignant de réveiller juste par mon souffle,
Les esprits endormis de la forêt,
Et les fleurs assoupies dans leurs corolles soumises,
Et que le vent, doucement, plie.
Je ne veux pas, donnant à mon cœur du repos,
Oublier l’odeur des départs,
La nuit couchée en coin comme un chat dispos,
Je ne veux pas refuser tes larmes,
Quand tu te penches sur la vie et que tu l’aimes encore,
Je ne veux rien effacer dans tes yeux, pas même ta mémoire,
Juste goûter encore la ferveur des matins, encore, demain….
–
( visible dans le blog de phedrienne : http://colettefournier.com/2013/02/21/au-matin/)