Esther Granek – Evasion

encres +collage Jane Cornwell
Et je serai face à la mer
qui viendra baigner les galets.
Caresses d’eau, de vent et d’air.
Et de lumière. D’immensité.
Et en moi sera le désert.
N’y entrera que ciel léger.
Et je serai face à la mer
qui viendra battre les rochers.
Giflant. Cinglant. Usant la pierre.
Frappant. S’infiltrant. Déchaînée.
Et en moi sera le désert.
N’y entrera ciel tourmenté.
Et je serai face à la mer,
statue de chair et cœur de bois.
Et me ferai désert en moi.
Qu’importera l’heure. Sombre ou claire …
le spectre visible de la lumière – ( RC )
photo: Will Tenney
Bien sûr, nous respirons le jour
comme nous buvons l’eau .
La lumière s’est extraite de la nuit,
( ainsi une fleur éclose ) .
Le noir n’en est plus un,
et garde simplement une présence,
ramassé derrière les objets:
prêt à tout envahir
lorsque le soleil clignote,
ou s’étouffe sous le tissu des nuées.
Notre astre est seul et sans pensées,
sans concurrence immédiate,
il peut en prendre à ses aises
et nous faire transpirer,
s’il est suffisamment haut
d’autant plus proche
de la verticale de l’horizon,
fait se tourner les ombres
qui semblent le fuir,
– comme si elles le craignaient…
Les cadrans peuvent donner l’heure,
car on sait, ( sauf persistance des brumes ),
que les rendez-vous avec lui sont ponctuels:
sa trajectoire varie peu.
Les ombres vont donc dans le même sens.
Elles ne réfléchissent pas,
– contrairement aux eaux –
elles concentrent un peu d’obscur,
déportent ailleurs la forme des objets
auxquels elles sont attachées.
Il y en a même qui ont appris,
– dans leur fuite –
à descendre les escaliers,
mais il est rare quelles aillent très loin :
C’est qu’elles ont peur de se perdre
et de se dissoudre dans d’autres formes,
ou dans l’indéfini.
Elles restent légères,
encore davantage que la cendre ;
malgré leur opacité, et à jamais insaisissables.
C’est comme l’envers d’un décor :
le spectre visible de la lumière,
qu’on ne peut pas annuler .
RC- sept 2017
Wislawa Szymborska – Quatre heures du matin
Wislawa Szymborska
QUATRE HEURES DU MATIN
Heure de la nuit au jour
Heure du flanc droit au gauche
Heure pour avant la trentaine.
Heure balayée sous le chant des coqs.
Heure où la terre semble nous chasser.
Heure où nous glace le souffle des étoiles éteintes.
Heure de qu’est-ce qui restera-bien-de-nous.
Heure vide,
sourde, aride.
Fond du fond de toutes les autres heures.
Personne n’est vraiment bien à quatre heures du matin.
Si les fourmis sont bien à quatre heures du matin,
Bravo les fourmis! Mais que viennent vite cinq heures,
Si tant est que nous devons survivre.
Anémone – fleur des sables ( RC )
Une anémone attend.
Elle est sous la terre,
Laissant passer les caravanes,
Et les tempêtes de sable,
Dans un écrin de couleur,
Lorsque le soleil parcourt,
La courbe de la promesse des jours.
L’anémone attend son heure,
Voisine de déserts austères
Des montagnes berbères…
… Se cristallise alors le temps,
La fleur s’immobilise,
Et ignore l’heure exacte…
Les ombres s’allongent,
Sur la Kasbah
De Ouarzazate…
Où que portent les yeux,
Les îles d’oasis,
Cèdent la place aux étendues de pierres…
Au pas balancé des dromadaires,
La nuit pose ses étoiles,
Et parle à la terre…
L’anémone lui répond,
En offrant ses pétales d’éternité,
> Elle fleurit comme rose des sables.
–
RC – 27 octobre 2013 Marrakech
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Quand on n’a plus le sentiment, de l’heure et des choses ( RC )
–
–
Ce qu’il était d’un bleu,
Sous la touffeur commune,
Et les blés secs, étalés ;
Champs juste entaillés,
De chemins de poussière pâle,
L’après-midi tarde,
Au silence têtu,
Quand on n’a plus le sentiment,
De l’heure et des choses,
Et qu’on recherche l’ombre.
Il n’y a plus,
De l’horizon indécis,
Que les toits du village,
Lointain,
Dans la brume de chaleur .
S’étire le ruban de la route,
Même , suinte son goudron,
Dans le temps immobile …
L’espace se prolonge,
En de molles collines,
Adossées au ciel, à peine différent
Et les vrilles sonores,
Des mouches de l’été…
> Les déchirures tardives des avions.
En longs tracés blancs…
RC – 25 septembre 2013
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Philippe Delaveau – feuille rouge restée

photographe non identifié
Les oreilles du lièvre aussi sont fragiles
que dire du rouge-gorge qui s’est aventuré dans la pièce où j’écris
viens lui dis-je d’une voix adoucie en le prenant
entre mes mains qui tremblent de ce qu’il tremble
que je te rende l’absolu de ton ciel où tes semblables règnent
parce que vous êtes purs comme la neige et les prophètes
Et cette feuille qui a navigué si longtemps
en demeurant toujours à la magistrature de sa branche
d’où elle assiste au lent procès du jour
sèche noyée de pluie parcheminée comme une main
L’hiver ne l’a pas rendue à la terre
elle est rouge du feu qu’elle ignore
plissée d’une lointaine rêverie
la branche autour est nue comme la vérité
quelle est la vérité ? quelle est son heure ?
–
Marcel Olscamp – Le pont

peinture : Volodia Popov
–
Pendant que nous rêvions
comme des provinces
les secondes s’étendaient
sous le ciel unanime
Maintenant
nous reprenons la route
avec un sentier dans l’oeil
car le pas du monde
recommence à neuf heures
c’est l’heure où l’on se blesse
pour ne pas rentrer
Nous avançons
vers la parole
en prenant soin
de ne pas regarder
les illicites
qui foncent en rugissant
vers la ville
Mais l’heure
n’est jamais la nôtre
et la route s’éloigne
comme un fruit sauvage
sans nous voir
.
Laurent Campagnolle ( Loyan ) – C’est l’heure

photo pascal5600 ( de fotocommunity)
c’est l’heure
C’est l’heure du soleil indien. Quand presque tout et tous ont repris la marche mécanique d’un certain monde, l’heure où Diego s’abstrait dans la lumière des lieux retirés. Hier il était de plage, pris entre la bande de sable et le miroir de ce restaurant vitré qui crée une factice péninsule, plus quelques baigneurs face au léger vent marin, cet après-midi il est de hamac, surplombé d’un corridor aérien peu fréquenté, aux abords de Paris, dans une villa close d’arbres et de tourterelles. Il parcourt une revue d’art et de littérature achetée plus tôt vers l’école nationale des beaux-arts, de laquelle, à force de typographies aux fins empâtements et de grands fonds blancs, nait naturellement une sensation de distinction. Voilà le dessein réel de toute vie rêvée. La grâce de ce qui, juste, est, en son lieu et temps. Rien ne vient rider la profondeur de l’instant de bascule de l’été vers l’automne. Et l’aspect aérien du moment tient en partie à la gravité du parcours qui l’a précédé. Il faut avoir connu le poids de la terre pour goûter l’heure sans poids – ce citron confit. Ce grand petit monde a une espérance de vie de quelques minutes, sa netteté jaune déjà décroît, mais en mémoire, la soustraction aux contingences et le détourage flou du balcon, de l’encadrement, ont pris leur place, stable, profonde. La pensée que depuis quelques jours presque tous et tout s’agitent existe, à la façon d’un rêve oublié au réveil ou d’un pic-vert invu cognant un arbre mort en lisière de forêt. Lui s’est fondu, a gagné le noyau dans l’amande du temps. Oui, bien assez tôt, il faudra retourner à la compagnie générale des signaux, aux mètres étalons, poids et mesures, mouvements atomiques du temps universel énoncé par la voix enregistrée – au quatrième top il sera exactement dix-neuf heures, vingt et une minutes, trente-huit secondes, cinq millisecondes. Le mouvement perpétuel à quantième n’a jamais cessé, simplement, par la force du retrait sans heurt, dans un coffret hermétique de gaze et d’ouate il a été placé, empêchant l’émission du tic-tac du temps mécanique, soustrayant Diego à son écho. Et cette libération silencieuse, sans témoin, se vit de cercle en cercle, reliant les échappés d’une rive à l’autre, d’une langue à l’autre, d’un âge à l’autre. L’ombre portée s’intensifie sur le mur. Le contour des arceaux de métal et du chambranle de bois s’étirent, sous l’effet de la vibration. La beauté qui en sort a trait aux expériences de laboratoire, quand les graphes portent encore une part irrésolue. Si proche des centres de pouvoir et si distinct d’eux. Diego les imagine quand la réciproque paraît impossible. Quel centre a connaissance de ses marges ? Quel rôle joue chacun ? Les places ne sont pas attribuées ad vitam aeternam. Du tic-tac au trictrac se glisse le r du rêve, de la rage, de la reconnaissance, du redressement, du rayon (vert), de la ruse, de la rapine, du retour, du restitué, du resitué. Diego a dîné à dix-sept heures d’une ciabatta aux olives, d’un verre de Saint-Estèphe et de tranches d’un fromage de brebis pâteux. Descend l’heure de la nuit, sans à coup. Approche le temps des gelées et des nuits sans bourdonnement d’insectes. Les cercles sont en place. Cercle a tracé la figure du labyrinthe. Edwarda la pave de seins et de cuisses – l’érotisme n’aurait d’image qu’au féminin ? La suspension tient encore, un peu, d’un fil. Rien n’a été travaillé aujourd’hui par lui dans l’ordre économique des choses. Mais de commerces, sa journée atteste, celui de la chère, des pensées, des chairs, des mots, des croquis. Diego a plusieurs visages au corps. Il est à votre image, vous libellules qui de rives en rives, sans bruit mais en grâce, portez le sens de l’air : libre.
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le site de L Campagnolle peut être visité ici…
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Colette Fournier – transfuge
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Entre dérobade et vertiges
La cambrure de ton âme ressemble
A s’y méprendre à ces nefs d’église
Que la foi a désertées…
Paysage rongé de ronciers et aride
Où nulle eau ne serpente
Où nulle joie ne se créée…
J’en connais de ces vaisseaux amers
Qu’une houle bascule
En roulis de bitume
Et qui ne veulent plus même
Etre sauvés !
Et frotter leurs cœurs vides
A l’aumône du temps
Battant à pleine pompe
L’heure de tous les vents !
Crois bien que ma lanterne
Se brise plus qu’à son tour
Sur des récifs étranges
Aux étranges contours
Mais je les veux mouvants
Malléables et tordus
A l’aune de mes désirs
Trempés d’encre et perdus
S’ils ne s’écrivent pas…..
Je suis une maison
Balayée de printemps
Et qui se refuse à mourir
Tant qu’il restera
Quelque chose à faire frémir
A la pointe de mon regard
Transfuge
De toutes les mémoires…
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( visible donc sur son site colettefournier.com )
Soirs de Friedrich ( RC )

photo: Francoise Langlois linternaute .com
Soirs de Friedrich ( hommage à Caspar David Friedrich)
Chantonne tout ce qu’il faut pour une brise
Soulève un peu le jupon léger
Remuent le marronnier, ses feuilles fatiguées
Bruissent-elles et la lumière qui se perd
Parcourt l’ocre aux sillons juste retournés
Fond la marche des heures
Eteins couleurs d’un vespéral
Bataillent gris des saveurs du soir
RC – 13 septembre 2012
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peinture; Caspar David Friedrich: le promeneur au dessus de la mer de nuages
Si le bonheur et dans l’après (RC)
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Si le bonheur et dans l’après
En médecine avec stéthoscope
Ce que nous dit l’horoscope
C’est toujours , de se tenir prêts
A sauter dans les étoiles
Choisir son thème astral
Pour jongler sur le banal
Et puis mettre les voiles
C’est ainsi, à mille lieues
Toujours aller voir là-bas
Et vivants dans l’au-delà
Pour parler au bon Dieu
D’une mort annoncée
L’extinction des feux
Ce qui n’est pas peu
Si l’heure est avancée
Faut pas rêver d’hier
Mais viser l’avenir
Pour toi qui veux en finir
A genoux et en prières
Les vitraux en couleurs
Sentence et grand décret
Bonheur promis dans l’après
Et finies, les douleurs !
D’angoisses et de sueurs
Et les peines de coeur !
Même sous le couperet
Si t’as ton chapelet…
Cà peut toujours servir
Tout en ordre , avant de partir
Après, … mais c’est demain
Nous irons cotoyer les saints.
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RC 1er Avril 2012
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Mouvements d’un cil: – je perds toute notion
To loose. notion
Heure creuse du soir
Entre l’espace pur
Je perds toute notion.
+
Peak hour of evening
Between pure space
I lose all notion.