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Ne cherche pas à m’appeler, je suis déjà ailleurs… – ( RC )


photo R Koudelka

Dans les courbes de la nuit se cachent les pensées
les plus secrètes, là où je ne peux avoir accès,
car les lendemains ne connaissent pas de parole :
celles ci ne sont pas nées et le discours reste bouche bée,
n’émettant que des sons muets.
Si j’écris le chant, chacun y lit sa propre histoire,
les raisons de croire, et les chemins où ils s’égarent,
alors que déjà les lumières s’éteignent sur les jours passés,
brûlées par le sel, ensevelies sous les marches d’un temps,
où l’on n’espère plus de printemps .
Ne cherche pas à m’appeler, je suis déjà ailleurs.

RC – dec 2022


De gros traits noirs au feutre gras – ( RC )


cf parution de L Suel

Voyage au bord de l’écriture,
barre ce qui ne convient pas
au déroulement de l’histoire
de gros traits noirs
au feutre gras !

Exerce ton droit à la censure
tu répandras d’autres taches
héritées d’un autre âge
( quand la parole fâche ) :

C’est juste du maquillage,
une action anodine
qui s’exerce sans recours :
tu changes le discours
en paroles anonymes

( personne ne t’accusera d’un crime,
ne te traînera devant les tribunaux,
pour avoir coupé tant de mots )….!


à partir de « panique » ( poème express n°842 de Lucien Suel )


Face cachée – ( RC )


Faut-il que je me penche
sur mon passé
pour entamer le récit
à haute voix
des ombres portées
de la vie
dont j’atteins désormais
la face cachée ?

Je ne me retourne plus
que pour contempler
la couronne diffuse
des aurores boréales,
car le soleil
se tourne dans l’ombre.

Je consume lentement
le reste de mon existence
dont j’ai dépassé la moitié .
Les cigales chantent encore
mais elles sont en sursis
quand l’astre s’éteint.

Une lumière diffuse
m’accompagne
de l’autre côté de la planète.
Je t’y retrouverai peut-être
dans le dernier frémissement
de l’histoire qui s’achève.

Puis d’un bond,
je quitterai la terre,
ne laissant sur elle
qu’un petit tas de cendres,
pour entreprendre un grand voyage
parmi les étoiles….


Charles Dobzynski – Un cheval juif –


René Chabrière – Le cheval jaune (dessin aquarellé) –
Un cheval juif 
ça n’existe pas 
pourtant j’en ai vu un.

Tête noire et crinière blanche 
qui ne s’était pas enfui 
d’une écurie de Chagall.

Cheval aveugle qui pleurait
paupières lourdes
de toutes les larmes du monde.

Hirsute échappé soudain du visible 
peut-être de la Bible 
ou d’une énigme du Zohar.

Il avait fléchi son allure
oublié son galop
et ne portait pour cavalier 
qu’un maigre halo de lune.

Il ressemblait au portrait 
d’un aïeul désolé 
incarcéré dans les fissures

de son image.

Tressaillement des naseaux 
et sous sa robe tremblante 
une douleur insatiable.

La douleur qui est l’azote 
des âmes tombées 
d’un trou de l’ozone.

Le cheval ne se cabrait pas 
face au destin déserté 
il flairait les lointains.

Il humait dans l’herbe rêveuse 
une rosée millénaire 
l’histoire volée en éclats.

Le cheval traverse la nuit 
sans la voir et puis il entre 
dans le jour à son insu

comme on entre dans un miroir.


Je l’enfourchais parfois 
sa tendresse me soulevait 
je le tenais par le mors.

Il me tenait par la mort. 


Je est un Juif, roman

nrf Poésie/ Gallimard


En passant

Le temple du jardin des rois – ( RC )


montage RC

Des torches de lumière
papillonnent , légères,
poussées par les tilleuls.

Les bancs nous attendent ,
dans un havre préservé du soleil,
à l’orée de la forêt de pierre.

Vois-tu ces colonnes ?
elles ne portent qu’elles-mêmes,
ou une part d’histoire qui ne reste jamais sur place.

Des roses vivaces
cachent leurs épines, derrière leurs feuillages,
et se tournent vers le bassin, immobiles.

Courent derrière les grilles
proches du jardin du palais Royal,
pleins d’insouciance, des enfants .

Ils franchissent d’un bond
les troncs morts des colonnes,
coupées à ras.

L’ombre grignote petit à petit
l’ordonnance des bâtiments sévères :
elle s’agrandit sur la place;

On imagine qu’un temple grec attendait
émergeant à peine du sol,
bientôt envahis de sable, ce sont ses vestiges

où planent les oiseaux de proie

au-dessus de ce que fut jadis
le jardin des rois.


Sans noms – ( RC ) – d’après Paul Celan


dessin: Zoran Music

Ils veulent effacer nos noms
comme nos corps,
anonymes et juste identifiables
grâce à un matricule,
              en apposant des scellés
dans le non-dit,
sur les lèvres éteintes
de l’histoire,             la rendant muette,
aussi innommable que nous .

Or ce n’est pas notre fin,
qui s’écrit,       taciturne
         mais le commencement
         d’une écriture,
même si nos noms
ne nous sont rendus,
qu’avec des caractères
inscrits par milliers
dans des plaques de mémoire.

RC –  mars  2020

Claude Lanzmann à propos du "Mur des noms" : "La nomination est la  sépulture même"

d’après le texte de Paul Celan, évoquant la Shoah ( dans Zeigehöft, )
Das Nichts, um unsrer
Namen willen
—-sie sammeln uns ein—-,
siegelt,

das Ende glaubt uns
den Anfang,

vor den uns
umschweigenden
Meistern,
im Ungescheidnen, bezeugt sich
die klamme
Helle.


dans son allocution de réception du prix de la ville de Brême, en 1958, Paul Celan déclare :

Accessible, proche et non perdue, au milieu de tant de pertes, il ne restait qu’une chose : la langue. Elle, la langue, restait non perdue. Oui, malgré tout. Mais il lui fallut alors traverser ses propres absences de réponse, traverser l’horreur des voix qui se sont tues, traverser les mille ténèbres du discours porteur de mort. Elle traversa et ne trouva pas de mots pour ce qui était arrivé. Mais elle traversa cet événement et put remonter au jour “enrichie” de tout cela. C’est dans cette langue que, au cours de ces années-là et de celles qui suivirent, j’ai essayé d’écrire des poèmes afin de parler, de m’orienter, afin de savoir où j’étais et où cela m’entraînait, afin de me donner un projet de réalité


Rituel – ( RC )


Dissection de l'appareil respiratoire du lapin - YouTube

 

Le poids de l’histoire
se referme dans un soir
où son corps s’offre au sacrifice,
bientôt, tas d’immondices.

Le prêtre accomplit sa fonction,
après quelques génuflexions
pointe son couteau
à la jonction des peaux .

Une rapide entaille,
une fontaine ruisselante,
( pendant que tout le monde chante ) ;
>        recueillons le sang avant qu’il ne caille…!

Elle a le temps d’ imaginer son cadavre
ouvert en son milieu,
révélant des secrets inavouables,
dans ce cimetière graisseux .

Quelques livres de chair,
qui se lisent à l’envers,
ouvert,         le sachet de viande animale
– un nu on ne peut plus intégral –

où tout apparaît à découvert:
les muscles et leurs attaches,
la viande qui se relâche
les cartilages bleutés, les os et les viscères.

Le rituel ne tolère        aucun remords
l’action s’est déroulée sans repentir,
            on pourra bientôt lire l’avenir
                                      à travers la mort !

Fi du corps et de ces éléments inutiles ! ;
——–>      il faut aller à l’essentiel,
c’est un instant de grâce subtile
     ( on bénit son âme montée au ciel ).

Célébrons la Puissance Divine !
que Sa volonté s’accomplisse !
soit béni aussi,    son sang         pour la fertilité
les récoltes abondantes,             et la fécondité !

D’habitude ce sont des animaux
sacrifiés pour la science :
là, elle a donné son corps en pleine conscience,
il n’est pas l’heure d’états d’âme sentimentaux…

Allons ! Allons !             le temps presse!
…        on attend que les suivants
arrivent ,                 modestes et resplendissants
( une dizaine suffira avant la Messe ! ).

RC- dec 2019


Patrick Berta Forgas – il était cette fois


wolleh_prayer.jpg

photo:  Wolleh

 


Cette fois,
Les rangs sont froids.
Le pas des foules
Traîne au pied des monuments.
L’empreinte d’une histoire
Sans autre imagination
Qu’un vieux rêve ravivé,
Des siècles assassins
D’âmes, dans la nuit.
Cette fois,
La demeure est cernée
Des cendres du cauchemar
Qui se relève.
Incontinence et pollution
Aux draps des sueurs.
Cette fois,
L’ombre va prendre la couleur
Où tout se perd,
Les chemins et y compris,
Le matin.


Dyane Léger – faire danser le cœur du monde


Homer, Huntsman & dog.jpg

peinture  Winslow Homer

 

 

Dis-moi,        toi qui sais tenir le monde dans ta main
sans lui faire mal,             sans le faire pleurer,
pourrais-tu m’expliquer, à moi qui suis
à peine capable de transplanter un rosier
sans déchirer ses racines,       à moi qui peux
à peine raconter une histoire sans la déformer,
à moi qui ne peux sourire à un vieillard
et à son chien sans les faire fuir,
          pourrais-tu me dire comment,
si l’on me le demandait,
comment pourrais-je arriver
à faire danser le cœur du monde
sans lui marcher sur les pieds?


Jean-Pierre Andrevon – Élie


Dhobi Khana 6806544268.jpg

photo Ayashok

 

 

Élie

 

Mon ami

le petit Élie

juif

est mort à Paris

cet été

dans son lit

le petit Élie

n’était plus si petit

il avait mon âge

à peu près

je l’avais connu

en mille neuf cent quarante-quatre

nous avions trois ans

ou quatre

nous habitions

la même maison

moi au premier

lui au dernier

une seule pièce

sous les toits

une chambre de bonne

comme on disait

avec sa mère

et pas de père

sa mère qui était bonne

précisément

il m’avait dit

un jour dans la cour

où nous jouions

aux billes en terre

sans soucis

des rumeurs et des tremblements

de la ville au-dehors

il m’avait dit

tu sais je suis

juif

mais il ne faut le dire

à personne

juif je ne savais pas

ce que c’était

on n’en parlait pas

chez moi

ou alors à mots couverts

avec des drôles

de regards

mais pour faire plaisir

à mon ami Élie

je n’ai rien dit

à personne

surtout pas

à mes parents

qui sont morts

depuis longtemps

juif

j’ai appris plus tard

ce que c’était

quand j’ai grandi

quand j’ai appris

quand j’ai lu

quand on m’a dit

et Élie

comme moi a grandi

loin de cet hiver-là

loin de ce temps-là

d’Auschwitz et de

Treblinka

et puis

il a mené sa vis

jusqu’à sa mort

dans son lit

une vie ordinaire

qui ne vaut pas la peine

d’en faire une histoire

que j’écris quand même

ce soir

parce que

cet hiver-là

qui peut toujours

revenir

il ne faut pas

cesser

de s’en souvenir

 

Jean-Pierre Andrevon (né en 1937) in Obstinément des femmes des chats et des oiseaux, éditions Le pédalo ivre, collection poésie, 2016


Leon Felipe – Don Quichotte est un poète prométhéen – 2


 

peinture  Serge Plagnol    La verte et rouge 2002 - Huile et pigments sur toile.JPG

 

 

Le Poète Prométhéen apparaît toujours dans l’Histoire comme un personnage imaginaire… mais l’imaginaire prométhéen gagne du réel… et la réalité domestique… se perd dans les ombres de l’Histoire.
Les rêves des hommes fabriquent l’Histoire… Les rêves sont la semence de la réalité de demain et ils fleurissent quand le sang les arrose et les féconde…
L’Histoire… est sang et rêves.
Et il arrive que le rêve se fait chair et la chair rêve.
Le Poète prométhéen s’échappe des ombres de la Mythologie… de l’imagination infantile des hommes, des livres sacrés… et de la maison même de Dieu… Et le Verbe… se fait chair…
Chair et symbole…


Connais-tu la fin de l’histoire ? – ( RC )


Panorama 1.JPG

 

photos perso  montage  –   musée  archéologique  de Lisbonne

 

 

Connais-tu la fin de l’histoire,

puisqu’il en manque de grands morceaux ?

On peut toujours combler les manques,
en déduire des trajectoires,
en tout ce qui s’est perdu
dans la grande fosse de l’oubli .

Pour ceux qui vivent ici,
c’est au présent,
qu’ils cultivent leur jardin.
Leur origine s’est diluée
dans les générations.

Les racines de l’arbre vont si loin,
et se ramifient tellement,
que les suivre se fait en pure perte.
Ce qu’il en émerge est la partie visible
de l’iceberg des siècles.

Pour en revenir à celui qui cultive son arpent,
le voila qui remonte au jour
des fragments de marbre.
Un voisin en a trouvé d’autres.

Ce sont des mains finement sculptées,
qui tiennent entre leurs doigts
de drôles d’objets,
mais il manque le corps
auxquel elles correspondent.

Sauras-tu me dire ce que signifient
ces lambeaux d’une mémoire
à jamais enfouie
sous une épaisseur de terre ?

Nous en avions oublié, même l’existence
dans le désastre de l’abandon des aubes .
Celles-ci ne nous ont pas vu naître.
Peut-être que le vieux faune endormi s’en souvient  .

S’il n’était pas de marbre,            >   il nous répondrait peut-être…


RC – juin 2018


Epaisseurs de silence – ( RC )


Morts intrigant: du rififi dans les tourbières de Tollund

Les archéologues ont consulté les archives du temps .
Ils ont  décrypté les inscriptions sur les pierres:

un langage  s’était perdu, et les intentions  du scribe
nous paraissent bien obscures .

Les stèles  se sont tues,
au crépuscule des idoles,

Les arbres ont reconquis le terrain,
enlacé les ruines, achevé de démanteler
les palais  parcourus par la moisissure,

les feux  de l ‘histoire
et qui ont fini, abandonnant
la partie                  pour le silence.

C’est aussi sous des épaisseurs  de silence
qu’on retrouve sous la tourbe ou la glace ,

ceux qui furent, et ne parlent plus
que par leurs parures du dernier sommeil,

des restes  de tissu, ou plus simplement
avec leurs cendres.
Mais l’auge d’orage,

le masque de la glaise,
sous quatre coudées de terre ,
n’a pas eu raison de leur existence .

Absents, ils sont encore
près de nous.

RC – oct 2016

d’après Paul Celan:
(« Devenues orphelines dans l’auge d’orage »).
Devenues orphelines dans l’auge                 Verwaist im Gewittertrog
d’orage
les quatre coudées de terre                             die vier Ellen Erde.
obscurcies, les archives                                  verschattet des himmlischen
du scribe céleste                                               Schreibers Archiv,
enseveli, Michaël                                             vermurt Michael,
noyé dans la vase, Gabriel,                             verschlickt Gabriel,
moisie dans l’éclair de pierre                        vergoren im Steinblitz
l’offrande sacrée.                                             die Hebe.


Des pierres serrées les unes contre les autres – ( RC )


Civaux Nécropole mérv 06 bstr

photo perso 2019  – Nécropole de Civaux ( Vienne )

            Il y a ces pierres dressées,
serrées les unes contre les autres.
         Elles forment une barrière,
peut-être pour empêcher
les vivants de passer .

C’est la traversée des voyages,
           le temps s’est inversé,
les sarcophages se sont ouverts,
des corps en sont sortis,
illuminés.

C’est bien d’ici qu’un peuple
s’est souvenu de son histoire,
s’est reformé, a reconquis un bout de terre,
a confronté son sang
au retour de lumière.

C’est pourquoi ils n’avaient plus besoin,
                      de leur boîte en pierre .
Ils ont dressé les lourds couvercles
à la verticale
pour en interdire l’accès.

On ne sait ce qu’ils sont devenus.
Ils se sont mélangés aux vivants,
sans doute pour leur conter des choses,
– des histoires de métempsychose..
              > on a perdu leur trace .

C’est qu’ils se sont fondus dans la masse,
            portant un masque d’homme .
Pour ne pas nous effrayer,
           ils sont entrés dans la danse ;
chacun croit que c’est notre descendance.

Mais         ceux-ci sont éternels :
ayant trouvé moyen de remonter le temps,
ils ont signé notre acte de naissance
répandu un tout petit peu de sang
sur le sol et la poussière.

Plus personne ne les pleure
– ou ne leur apporte des fleurs –
         quelqu’un aurait oublié une auréole
         dans un tombeau de la nécropole
où elle luit faiblement.

            Personne ne l’a réclamée :
le cimetière est désaffecté .
           Si il y a parmi nous des anges,
            ils restent très discrets,
ne voulant pas qu’on les dérange….


RC – oct 2017

cf   nécropole de Civaux ( Vienne )cf   nécropole de Civaux ( Vienne )


Leon Felipe – Don Quichotte et le rêve prométhéen (extrait )


 

 

DSC_0224-1.jpg

 

Le Poète Prométhéen apparaît toujours dans l’Histoire comme un personnage imaginaire… mais l’imaginaire prométhéen gagne du réel… et la réalité domestique… se perd dans les ombres de l’Histoire.
Les rêves des hommes fabriquent l’Histoire… Les rêves sont la semence de la réalité de demain et ils fleurissent quand le sang les arrose et les féconde…
L’Histoire… est sang et rêves.
Et il arrive que le rêve se fait chair et la chair rêve.
Le Poète prométhéen s’échappe des ombres de la Mythologie… de l’imagination infantile des hommes, des livres sacrés… et de la maison même de Dieu… Et le Verbe… se fait chair…
Chair et symbole…


Henry Bauchau – le voyage


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Le voyage

Tu pars, tu vas quitter la durée de la neige
Pour un autre temps plus actif, on dit là-bas que l’Histoire s’accélère.
Pourra-t-elle produire une raison paisible, une femme née de la terre
Éclairée de pensée vivante par la voyance, la claire audience de son corps.
Tu es dans la saison de la simplicité, quand la vue baisse on ne voit que les plus simples lignes.
(…)
Tu pars, tu vas longer la pente des rivières, tu passes des villages grèges
Rien n’est beau que la vigne nue, sous le vert des phosphates,
rien n’est plus éclairé que le mur manuel.
Tu es dans le cimetière des vignerons, tu cherches entre les tombes une trace perdue
Le lac dans la brume, il est couleur de perle, au milieu du nuage on voit deux larmes, on voit
deux barques suspendues.
À l’ombre du muret, il reste un peu de neige et tu lis sur la pierre :
Ma grâce te suffit. C’est ce que j’avais oublié.


Catherine Pozzi – Escopolamine


086.jpg

Le vin qui coule dans ma veine
A noyé mon cœur et l’entraîne
Et je naviguerai le ciel
À bord d’un cœur sans capitaine
Où l’oubli fond comme du miel.

Mon cœur est un astre apparu
Qui nage au divin nonpareil.
Dérive, étrange devenu !
Ô voyage vers le soleil —
Un son nouvel et continu
Est la trame de ton sommeil.

Mon cœur a quitté mon histoire
Adieu Forme je ne sens plus
Je suis sauvé je suis perdu
Je me cherche dans l’inconnu
Un nom libre de la mémoire.
Escopolamina

El vino que por mis venas fluye
Ahogó mi corazón y se lo lleva
Y por el cielo yo navegaré
En un corazón sin capitán
Donde el olvido es blanda miel.

Mi corazón es astro aparecido,
Que nada en el divino sinigual.
¡Deriva, extraño acontecido!
Oh viaje, largo viaje hacia la luz—
Sonido nuevo y nunca interrumpido
Es la tejida trama de tu sueño.

Mi corazón abandonó mi historia
Adiós Forma ya no siento más
Estoy a salvo al fin estoy perdido
Me voy buscando en lo desconocido
Un nombre libre de la memoria.

Versión de Carlos Cámara y Miguel Ángel Frontán

 

Catherine Pozzi (1882-1934)

 


Leon Felipe – le poète et le philosophe


 

 

Je ne suis pas le philosophe.
Le philosophe dit :                   Je pense… donc je suis.
Moi je dis :                     Je pleure, je crie, je hurle, je blasphème… donc je suis.
Je crois que la Philosophie prend sa source dans le premier jugement. La Poésie dans la première plainte. Je ne connais pas le premier mot que prononça le premier philosophe du monde. Celui du premier poète fut : Ah !

Ah !

C’est le vers le plus ancien que nous connaissions. La pérégrination de ce Ah ! tout au long des vicissitudes de l’histoire fut jusqu’à maintenant la Poésie. Un jour ce Ah ! s’organise et intronise. Alors naît le psaume. Du psaume naît le temple. Et à l’ombre du psaume, l’homme a vécu de nombreux siècles.
Aujourd’hui, tout est brisé dans le monde. Tout.

Jusqu’aux outils du philosophe. Et le psaume est devenu fou : il s’est fait pleur, cri, hurlement, blasphème… et il s’est jeté la tête la première dans l’enfer. Là se trouvent aujourd’hui les poètes.                  Moi, du moins,       j’y suis.
C’est l’itinéraire de la Poésie tout au long des chemins de la Terre. Je crois que ce n’est pas le même que celui de la Philosophie. Raison pour laquelle on ne pourra jamais dire : c’est un poète philosophe.
Car la différence essentielle, entre le poète et le philosophe, ne réside pas, comme on l’a cru jusqu’à présent, en ce que le poète parle en verbe rythmique, cristallin et musical et le philosophe en paroles abstruses, opaques et doctorales, mais en ce que le philosophe croit en la raison et le poète en la folie.
Le philosophe dit :
Pour trouver la vérité, il faut organiser le cerveau.
Et le Poète :
Pour trouver la vérité, il faut faire sauter le cerveau, il faut le faire exploser. La vérité est bien au-delà de la boîte à musique et du grand classeur philosophique.
Quand nous sentons le cerveau se rompre et le psaume se briser en cri dans la gorge, nous commençons à comprendre. Un jour nous faisons le constat qu’il n’y a pas de fenêtres dans notre maison. Nous ouvrons alors une grande brèche dans le mur et nous nous échappons pour chercher la lumière, nus, fous et muets, sans sermon ni chanson.
Et puis, nous, les poètes, nous savons très peu de choses. Nous sommes de très mauvais étudiants, nous ne sommes pas intelligents, nous sommes feignants, nous aimons beaucoup dormir et nous sommes persuadés qu’il existe un raccourci caché pour arriver au savoir.
Et au lieu de méditer comme le philosophe ou de faire de la recherche comme les savants, nous posons nos grands problèmes sur l’autel des oracles ou bien nous laissons une pièce de dix centimes les résoudre par le hasard.
Et nous disons, par exemple : Puisque je ne sais pas qui je suis…que le sort en décide.
Pile ou face ?

PILE OU FACE ?


Les héros du pays sur des chevaux de bronze – ( RC )


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photo: Place de la Victoire-  Bordeaux

 

Je suis venu par hasard  ;
j’ai vu sur de grandes places,
des héros du pays,
dressés sur des chevaux de bronze,
et l’oeil vide
sous l’air confiné

par des nuages lourds ,
des graffitis inscrits sur le socle.

Je ne connais pas leur nom,
et d’ailleurs quelle importance …
Ce seraient comme des figures,
échappées de l’histoire,
inscrivant les conquètes ,
ou des dirigeants politiques

dans le métal ou la pierre :
davantage de militaires que d’écrivains.

Mais tout évolue,
et les statues des dictateurs,
sont promises à la chute,
comme l’a été le mur de Berlin.
Quelques fragments sont conservés
dans les musées,

plus comme témoignage
que pour leur valeur artistique.

On installe maintenant
des oeuvres plus énigmatiques
ne prenant leur sens qu’avec la matière
et la forme qu’ils adoptent .
Elles sont souvent clinquantes,
issues d’un courant à la mode

mais promises à un avenir aussi éphémère
et seront bientôt remplacées .

Ainsi c’est la décision des élus locaux
d’ériger dans l’espace public ,des monuments,
dont on penserait qu’il y a quelque chose à voir avec la ville :
On se demande quelle relation entretient ,
une tortue avec des grappes de raisin,
voisinant un obélisque .

Mais il ne faut pas chercher trop loin,
les touristes trouvent bien pratique de s’appuyer dessus .


Marina Tsvetaieva – La maison


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Maison – épaisse verdure,

Vigne vierge et chèvrefeuille,

Maison peu familière.

Maison si peu mienne !

Maison – au regard sombre

Aux âmes lourdes,

Le dos tourné à la cité,

Les yeux fixés sur la forêt,

Gaie, aux cornes de cerf,

Joyeuse, comme une ourse,

Chaque fenêtre – un regard,

Et dans toutes – une personne !

Le fronton dans la glaise

Chaque fenêtre – une icône

Chaque regard – une fenêtre,

Les visages, des ruines,

Les arènes de l’histoire,

Marronniers du passé

Moi j’y chante et j’y vis.

Les chemises aux bras longs

Se lamentent dans le vent,

Liberté du passé,

D’un combat dans ces murs.

Lutte pour vivre et survivre,

Chaque instant, chaque volée,

Lutte à mort de ses bras,

Mort pour vivre et chanter !

Sans odeur de richesse,

Sans confort de fauteuil,

Le méchant, la pauvresse

S’y retrouvent à plaisir.

Le bonheur des oiseaux,

Dans les niches et recoins,

Temps pour nous – de nos comptes,

Des vengeances populaires,

Une maison dont je n’aurai pas honte.

 

(Entre juillet et septembre 1935.)


Une éternelle Odyssée – ( RC )


Velickovic             soleil noir   1996

peinture:V  Velickovic             soleil noir   1996

 

 

Ce sont des tranches de vie,
égrainant leur retour :
Il n’y a pas de répit
dans le défilé des jours;

L’un après l’autre, se succèdent,
ceux qui se déguisent.
Des heures belles ou laides,
sur lesquelles on n’a pas de prise

C’est cette âme en peine,
voulant atteindre les sommets,
et que le destin enchaîne,
au toujours et au jamais.

Voir la légende de Sysiphe,
portant son rocher,
destin de l’éternel sportif
n’ayant qu’ à recommencer.

( Les exploits de la veille
ne sont plus d’actualité.
Plongés dans le sommeil
Ils n’ont plus existé ).

Ainsi on atteint à peine le solstice,
que, d’un parcours inexorable
on plonge dans les abysses,
pour renaître semblable.

La marée va et vient,
Le soleil s’efface dans le noir
on ne se souvient de rien,
et c’est une autre histoire :

Pourtant rien n’a changé ,
On est plongé dans la nuit,
( celle de tous les dangers)
et l’on connaît l’ennui.

Ce n’est même pas la mémoire,
qui nous joue des tours,
mais du dévidoir,
l’éternel labour,

Revenant sur chaque sillon,
exactement au même endroit,
dont nous nous rappelons
à chaque tour de courroie.

Jamais elle ne se casse :
Tu as voulu l’étérnité,
– plus jamais le temps ne passe –
et tout est banalité .

Aucune place à l’accidentel
Tu as déjà parcouru les chemins,
d’un retour sempiternel,
qui ne porte plus le nom de destin.

C’est pourtant toi qui l’as voulu :
échapper à la trajectoire mortelle :
la quête d’absolu
t’as fait client de l’habituel

de la gravité terrestre, échappé
tu es comme un satellite
qui s’est drapé,
dans son orbite.

Ne viens pas te plaindre :
tes désirs ont étés exaucés;
Tu as pu atteindre
cette nouvelle Odyssée.

Tu auras des choses à dire,
beaucoup d’aventures dans ton poème,
mais à bien les parcourir,
on comprendra que ce sont toujours les mêmes.


Leon Felipe – Le clown a la parole


peinture  P Picasso  : mort  du torero

peinture P Picasso : mort du torero

LE CLOWN A LA PAROLE

OFFRE  MARCHANDS !

Moi, Don Quichotte, Espagne,  je ne suis personne ici ,
Ici,
dans votre monde
je ne suis personne. Je le sais.
Entre nous ici,
ici, dans votre marché,
je ne suis plus personne.
Un jour, vous avez volé mon panache
et maintenant, vous avez caché mon épée.
Parmi vous
ici,
dans cette assemblée,
je ne suis plus personne.
Je ne suis pas la vertu. C’est vrai.
Mes mains sont rouges de sang fratricide
et dans mon histoire on trouve des passages ténébreux.
Mais le monde est un tunnel sans étoiles
et vous, des vendeurs d’ombres.
Le monde était simple et transparent ;
maintenant, il n’est plus qu’ombres,
ombres,
ombres…
Un marché d’ombres,
une bourse d’ombres.
Ici,
dans cette grande foire de ténèbres,
je ne suis pas le matin…
Mais je sais
-et c’est mon essence et mon orgueil,
mon éternel grelot et les plumes de mon panache-
je sais
que le firmament est plein de lumière,
de lumière
de lumière,
que c’est un marché de lumière,
que c’est une foire de lumière,
que la lumière est cotée avec du sang…
alors je lance cette offre aux étoiles :
« Pour une goutte de lumière,
tout le sang de l’Espagne :
celui de l’enfant,
celui du frère,
celui du père,
celui de la vierge,
celui des héros,
celui du criminel et celui du juge,
celui du poète,
celui du peuple et celui du Président…
De quoi avez-vous peur ?
Pourquoi ces grimaces, vendeurs d’ombres ?
Qui crie ?
Qui proteste ?
Qui a dit : Ah, non, c’est une mauvaise affaire ?
Marchands…
Il n’existe qu’un commerce !
Ici,
dans cet autre marché
dans cette autre grande Bourse
de signes et de desseins stellaires,
pour des torrents historiques de sang,
il n’existe qu’un commerce !
une seule transaction
et une monnaie… Le sang !
Moi je n’ai pas peur du sang qu’on verse.
Il est une fleur au monde
qui ne peut pousser que si on l’arrose de sang.
Le sang de l’homme est fait, non seulement pour faire
marcher son cœur,
mais aussi pour remplir les fleuves de la Terre,
les veines de la Terre
et faire marcher le cœur du monde.
Marchands…
Ecoutez cette annonce publique :
« Le destin de l’homme est en adjudication.
Regardez-le donc, accroché aux cieux
dans l’attente d’une offre… » Combien ? Combien ?
Combien, marchands ?… Combien pour le destin de
l’Homme ?
(Silence… pas une voix… ni un signe)… Seule,
l’Espagne fait un pas en avant et parle ainsi :
Me voici. Me voici de nouveau.
Ici. Seule. Seule, oui.
Seule et en croix. Espagne-Christ
-la lance de Caïn enfoncée dans les côtes-
seule et nue –deux soldats, à part et fous furieux, jouent
ma tunique aux dés-.
Seule et abandonnée –voyez comme le Préteur
se lave les mains-.
Et seule, oui, seule.
Seule
sur ce sol désertique que mon sang arrose à présent ;
seule
sur cette terre espagnole et planétaire ;
seule
sur ma steppe
et sous mon agonie…
seule
sur la clairière du Crâne
et seule sur mon calvaire…
seule
sur mon Histoire
de vent,
de sable
et de folie…
et seule,
sous les dieux et les astres…
j’élève cette offre jusqu’aux cieux :
Etoiles…
vous êtes la lumière.
La Terre, une grotte ténébreuse sans lanterne
et moi, rien que du sang,
du sang,
du sang,
du sang…
L’Espagne n’a pas d’autre monnaie…
Tout le sang de l’Espagne
pour une goutte de lumière !
Tout le sang de l’Espagne… pour le Destin de
l’Homme !

Barcelone, 18 mars 1938


Leon Felipe – Ne me racontez plus d’histoires


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NE ME RACONTEZ PLUS D’HISTOIRES

Je les ai toutes comptées et contées,
Elles ont tous été dites et écrites.
Elles ont toutes été mises en bobines et archivées.

Le vieux patriarche les a racontées,
le chœur et la nourrice les ont racontées
un imbécile les a dites, plein de rage et de vacarme,
on les a gravées sur la fenêtre et sur la roue
et on en a conservé les matrices dans des coffres-forts.

Il existe des répliques exactes de toutes les tragédies,
des disques de toutes les psalmodies,
des photographies de tous les naufrages.
Pas une histoire n’est perdue. Soyez tranquilles.
On sait que le poème est une chronique,
que la chronique est un mythe,
l’Histoire un serpent qui se mord la fable
et le poète domestique le chroniqueur du Roi et de l’Archevêque :
le conteur d’histoires.

Tout est enregistré.
Et toutes sont encore vivantes. Le crieur public passe :
« Histoires !… Histoires !.. Histoires ! »
C’est le vieux conteur d’ombres et de rires
qui fait la publicité pour les histoires.
Mais je ne veux pas d’histoires…
Ne me racontez plus d’histoires.

II

JE CONNAIS TOUTES LES HISTOIRES

Je ne sais pas grand chose, c’est vrai.
Je dis seulement ce que j’ai vu.
Et j’ai vu :
que le berceau de l’homme on le berce avec des histoires…
Que les cris d’angoisse de l’homme on les noie avec des
histoires…
Que les pleurs de l’homme on les étouffe avec des histoires…
Que les os de l’homme on les enterre avec des histoires…
Et que la peur de l’homme…
a inventé toutes les histoires.
Je sais vraiment peu de chose, c’est vrai.
Mais on m’a endormi avec toutes les histoires…
Et je les connais toutes.


Entaille de l’histoire de l’Afrique – ( RC )


photo Luca Galuzzi 2007

photo Luca Galuzzi 2007

Sur les pistes où sont passés jadis,
Au milieu des sables et des rocs,
Tant de caravanes, et de cris,
Tant d’esclaves enchaînés,

Aux êtres vendus comme bétail,
Arrachés les uns aux autres,
Sous le fouet
Et les griffures du soleil…

Sur ces pistes, ne subsistent,
Comme vestiges, juste le sable
Des couches en ont recouvert d’autres,
Comme les années l’ont fait .

L’entaille de l’histoire, cicatrice
Gravée de générations d ‘exil,
Est pourtant toujours ouverte
Mémoire du tribut du sang, de l’Afrique

RC – mai 2014

 


Patrick Cintas – Analectic song


        peinture:      Lee Krasner

 

 

 

Je me fiche de savoir qui je suis
fruit du hasard dont je ne sais rien
ou pierre parmi les pierres
qui fondent cette vie sous l’existence

Je suis et cela ne tient qu’à un fil
voilà ce que je sais et ce que je peux chanter
si vous m’écoutez vous dont la voix s’est éteinte
quand l’enfant est mort en vous
et autour de vous

Ce que je pense n’a aucune importance
pas plus que ce que vous pensez
aucune vision n’a de l’importance
aucun résultat de mes actions ni des vôtres

Si je chante c’est que vous chantez
et si ma voix ne porte pas
c’est que vous n’entendez plus rien
qui ne soit pas en accord avec ce que vous devenez

Ici on ne se concerte qu’à propos de questions religieuses
ou politiques ou artistiques
parce que ces éthiques sont le moyen de contrôler le temps
et par conséquent les intérêts et les dettes

Mais je n’ai que faire de vos convictions à la noix
de vos superstitions et de vos arts

Ce n’est pas ainsi que je conçois ce qui m’est donné
c’est-à-dire cette vie
à laquelle je veux donner le sens d’une existence
c’est-à-dire d’une œuvre

Pas de livre à mon chevet, pas de propre du temps
pour ramasser ce que la pensée ne sait pas comprendre
Pas de sens à prendre au lieu de le donner
Je ne suis pas cet homme !

Tout ce qui rentre dans un livre me révolte
Tout ce qui en échappe pour constituer une œuvre me fascine
Et c’est là toute la différence
Ce qui me distingue de vos systèmes contraignants
de votre manière de contraindre pour avoir raison

Vos crises ne sont en rien des révolutions
Vos choix ne parlent pas de ce qui m’accorde une certaine audience
Vos leçons de morale confinent à l’immobilité ou au conflit
selon que vos possessions fructifient
ou que vous êtes dépossédés par vos ennemis

Je n’ai pas d’ennemi ou je n’ai que des ennemis
Je ne possède rien qui flatte vos convictions, vos superstitions et vos arts
Je suis un instant et je ne suis pas le temps
Je pousse comme l’herbe mais je ne connais pas le soleil

Une chanson suffira à me ressembler
une chanson que je qualifierais d’analectique
car elle vous contient
comme elle m’expulse de ce monde

J’arrive en ami
et je pars sans souci
c’est comme une guérison
tant votre fréquentation m’a renseigné
sur l’état de vos intentions existentielles

Vous êtes des écoliers épris de dissertations
mais ni la somme de vos dissertations
ni la compilation de vos existences
ne forment le livre dont vous avez rêvé
pour donner un sens aux écrits qui l’ont perdu en route
Vous êtes la négligence et la paresse
qui me donnent la minutie et la rapidité

Minutie de l’objet
et rapidité de la forme à le donner
tel qu’il envisage les faits
qui m’appellent

Là je reconnais la complexité et la pensée
à la place de vos articles, de vos psaumes et de la poésie
à toutes les sauces

Mais je ne suis que l’auteur de cette chanson
Je n’ai pouvoir que de constater que je pousse comme une herbe
et que mon sort est celui de cette herbe
des milliers de fois recommencée pour que j’existe un instant à sa place

Il me vient à l’esprit
en me penchant encore sur ce détail
que je suis un peu cet enfant que j’ai cru mort depuis longtemps
et non pas un de ces prophètes cosmiques !

Certes il est mort de sa propre main
tué par lui-même
comme cela arrive sans cesse
pour que la maturité s’empare du pouvoir

Privé de futur
par son geste même
il ne représente que ce segment d’existence
comme le boulet qu’on attachait jadis à la cheville des forçats
un par un rejoignant la mer par le Passage des Tristes

Je sais sans pouvoir l’expliquer que son chant mineur
est le récit de sa courte existence
que son chant majeur représente sa voix possible
et qu’entre ces pratiques du chant
quelque chose ressemble à de la poésie
Je sais tout cela
et je le sais depuis longtemps

J’ai construit toute mon œuvre sur ces pilotis
fasciné par le vent et les marées
nourri d’horizon et de soleil
de lune quelquefois
quand le sommeil ne savait plus
par quel bout me prendre

Certes vous êtes les conservateurs de l’Humanité
et j’ai visité votre Conservatoire en toute tranquillité
car ce qu’on y retient par les basques
n’est que le reflet de ce que vous imposez à l’Histoire

Loin des sciences et de la philosophie
vous n’êtes que des doctrinaires, des superstitieux et des artistes
sans véritable expérience des choses et des faits

On ne peut pas vous aimer
C’est impossible
et je chante enfin cette mort de l’enfant
en toute connaissance de cause

Patrick Cintas.

Extrait de Analectic Songs V

on peut  retrouver l’auteur  dans les pages  du Chasseur  Abstrait...


L’histoire cohabite sa géographie – ( RC )


Carte ancienne

Carte ancienne du Japon

Du creux ombreux aux pentes neigeuses,

Le parcours des siècles,

Des pays conquis, esclaves soumis,

Il n’est plus de paroles audibles,

Et des routes détournées,

A faire taire la voix des peuples,

Quand la vague redescend,

Et conduit, du sommet à l’abîme,

Les hommes blessés,

Envahisseurs ou envahis, ;

Ils finissent par se confondre,

Et s’imbriquer, au point,

Que les origines,

Se perdent dans la nuit des temps,

Et de la géographie,

Qui, à quelque chose près,

A toujours ses montagnes,

Et ses îles en place,

Malgré les accidents de l’histoire.

(texte créé en « réponse  » à celui de Norbert Paganelli- lien ci-dessous)–

STRUGHJERA / DÉLIQUESCENCE


Histoire, as tu encore un royaume ? – ( RC )


Louis Philippe en poire –     caricature de Daumier

Histoire, as tu encore un royaume ?

Je ne me souviens plus des dates,

Des héros des gravures des manuels,

Clovis, Courtisanes en crinoline, Louis-Philippe en poire…

…   Est-ce grave ?

L’oubli tricote l’effacage de la mémoire,

On ne retient souvent que les mariages princiers,

Les heures de prestige – trompettes sonnantes,

Fêtes somptueuses et feux d’artifices,

Galerie des glaces et parquets cirés, – au château,

Les enfilades de pièces,

Inhabitées, ne sont plus que décor,

Un vernis où une peau d’apparence,

Ne soutient que l’absence,

Comme ces bois dévorés de termites.

Tout est brouillé,

Offert à la béance des jours.

Et le vide,

D’un bleu , aspirant la distance,

M’observe dans l’obscurité.

Pendant que les eaux lasses,

Continuent leur course sous les ponts.

…. Il passa ainsi dans la Seine,

pourtant si familière aux touristes

Tant de cadavres…

Et l’histoire se répète ,

De la Saint-Barthélémy

A l’octobre noir des Algériens…

Comme justement l’eau se renouvelle,

Et passe                      en silence,

> La vertu des faits d’armes,

Porte , incrustée,        son revers de doutes,

De lâchetés,

Passées                   sous le filtre du silence.

Histoire, as tu encore un royaume ?

RC- 4 octobre 2013