Purgatoire – ( Susanne Derève)

Aimais les dernières feuilles rousses
aux arbres
de celles qui s’accrochent
aux branches nues comme un adieu
tandis que l’hiver facétieux fait table rase
des feuillées,
s’étiolent dans un souffle
que la lune ranime
d’un pâle éclat de givre dans la nuit
de Janvier
Aimais les froids matins d’hiver,
ensommeillés de gel,
le tintement grêle de la cloche à midi
zébrant le ciel à la volée,
d’un bleu de porcelaine
plus pur qu’au plein d’été
Et sur le parvis glacé dessous
la flèche du clocher les messieurs
à bedaine et les dames serrées
dans leurs manteaux de laine
noirs
les enfants lorgnant
les flaques du trottoir
avant d’aller docilement s’asseoir
près du bedeau
(en purgatoire)
Aimais par-dessus tout
pendant ce temps
– étais-tu suspendu à l’instant ? –
paresser au lit avec toi
guetter le froissement silencieux
du dégel
le floc des paquets de neige
chutant mollement des toits
Aimais le désordre des draps
et le va et vient de tes doigts
sur ma peau
là où nait le désir qui vous emporte
sur son aile comme un oiseau
l’ aile du désir est si pure
je la confisque
aux anges en robe de bure
veillant le carré des fidèles
tandis qu’aux cantiques se mêle
de nos ébats le doux murmure
Béatrice Douvre – A l’hiver du feu

Le visage traversé
Dans des jardins à jambes de verre, et de roses
Quand recommence la mer tendue
Des lampes, et le froid
Et que l’on tient, dans les mains, le dernier monde
Rêve, et à l’avant du rêve un corps l’éclaire
J’ai peur de ces troupeaux dans le progrès des lampes
Peur de la terre des pas
Près de la porte où penche
La nuit lourde de l’aile Il y a ce péril
Des lampes dans la maison
Ce désir
Comme un taureau dans l’or
Un feu de bois de rose
Coupé par l’hiver
Armand Rapoport – sur une route blanchie par la lune froide d’hiver

Et femme et homme sur une route blanchie par la lune froide d’hiver
Portant aux épaules un enfant légendaire qui n’était pas de leur chair
Marchant dans la campagne nocturne comme si le son lointain d’un clocher
Accompagnait leurs pas résonnant sur la chaussée durcie par gel récent
Comme si la route pavée berçait l’enfant dressant la tête vers la galaxie
D’Orion où le balancement des étoiles emportait son regard tout ébloui
Par la nuit d’hiver comme s’il eût quitté un village un récit inachevé
D’une vieille grand-mère bredouillant près d’un feu à peine enflammé
Passant d’une épaule à l’autre sans dire mot la tête appuyée à la nuit
Les yeux toujours rivés aux étoiles comme si chaleur dût venir de si loin,
Réchauffant ses petites mains agrippées nerveusement au cou de celle celui
Qui allongeait le pas vers un autre village où joyeuses lumières dansaient.
Quand le matin trop clair rendait vaine toute impatiente longue vue
Sombres-Voyants, Clairs-Aveugles, Sourds-Entendants, Rêveurs si courts
L’Astronome les emportait dans son sommeil comme des valises-Optiques
Sucres ou Vergers trempés de pluie enfouis sous récits pauvres d’ici
Sans renier les malaises trop décrits ou gommés dans le Sous-Entendu
Le Trop-Su, comme si la planète tournait autrement dans l’incomparable
Hiver, loin des vareuses béates poudrées de gel de soleils trop fades
Comme si le rire d’une matinale musicienne égayait l’enfant-Orphelin
Par jeux ou ruses par gammes taquines quasi humaines afin que nul être
Ne soit ici montré du doigt comme surplus d’indifférence oeuvre pieuse
Où Absence de grâce se rattrapait en ricanements gras en défi charitable
Rendant la ville si inhabitable comme si des vents acides la corrodaient.
La patience des pierres – (Susanne Derève)

S’il demeurait des cendres fertiles sous la glace
qui donc pouvait le dire
nul ne savait ce qu’ourdissaient les pierres
dans le silence
J’imaginais des causses arides sous le manteau
des neiges,
leurs sinuosités translucides et bleutées
leurs boues fossilisées
et côté ombre
réfractant le soleil en lisière des chemins
de blanches cheminées de gel
des éboulis de roches et d’herbes sèches
gainés de givre
Ce qu’ourdissaient les pierres dans le silence
qui le savait ?
– est-il un sens à l’éternel recommencement
des rêves et des saisons –
Sans doute attendaient-elles armées d’une infinie patience
qu’œuvre lentement le dégel
pour éprouver enfin le vertige du vide
répondre à son appel
Décapiter les fleurs du jardin – ( RC )

Tu as tenu dans tes bras le bouquet de l’été,
Que le vent tiède a fleuri ,
et lentement , coupées de leurs racines,
les têtes ont fléchi.
Tu as tenu dans tes bras ton ventre arrondi,
que l’amour a fleuri ,
mais éloigné de ses racines ,
ton corps s’est flétri .
Il n’y a eu que sécheresse
et le froid, l’hiver
et la détresse
et la bouche amère.
Il y a un mot pour décrire
celui qui n’a plus de parents
mais il n’y en a pas pour dire
une mère perdant son enfant.
Comment interroger le destin,
quand , fleur après fleur
se perd dans le lointain
la plus petite lueur ?
La mort était-elle dans ton sein
pour qu’ainsi, elle vienne
décapiter les fleurs du jardin
et les priver d’oxygène … ?
–
d’après un texte de Marina Tsvétaieva
RC – août 2016
Tristesse – ( Susanne Derève)
Zoran Mušič – personnage
Il fait ce soir un temps d’une affreuse tristesse
Les nids sont vides
et le gui a fini d’étrangler les pommiers
Le temps est aussi gris qu’un mur de Dubuffet
ou bien qu’un chien tenu en laisse
Que reste-t-il
de ces années de liesse
de mes jeunes années
De Muzic à Kiefer,
le temps a dévoilé peu à peu ses charniers
de brouillards et de cendres
de carcasses froissées
Je les souligne d’encre noire
aux angles aigus de la mémoire
sans trembler
Il fait ce soir un temps d’une amère tristesse
La nuit est claire.
Pourtant,
comment la voir encore avec un cœur d’enfant
alors qu’elle court avec son œil de chat huant
comme un long corbillard
à corps perdu
vers le néant
Aytekin Karaçoban – Temps étrange

J’ai ouvert la porte pour toi
l’air printanier s’est engouffré.
Quelle précipitation
comme l’enfant qui ne saurait attendre son tour !
Il est entré
avec le bruit des grues sur leur chemin de migration,
avec une grappe de soleil sur une branche de mimosa,
avec ton insouciance, ce jour d’hiver.
Il a traversé nos regards, notre baiser.
Rempli les orbites du masque de bronze.
Un instant, il s’est arrêté aux tic-tacs de la montre à gousset.
Avec son doigt, il a vérifié la poussière des livres
avant de courir goûter le repas, sur la cuisinière.
Il a roulé dans notre lit, palpé nos oreillers.
De là, vite, il a pénétré dans la salle de bain,
volé la lavande d’un savon,
sauté par l’étroite lucarne sur ailes d’un moineau.
-Tu vois ?
-Quoi ?
-L’air du printemps sur les ailes du moineau.
Nous regardions le même endroit,
nous ne voyions pas la même chose.
Dans le mystère des bois – ( RC )

Il y a encore quelques hommes,
pour recueillir des dons d’un ciel
de novembre, étrangement clément .
Ceux qui arpentent les forêts,
se guident sur les chemins
presque complètement enfouis
sous l’ocre des feuilles.
La terre aimable a caché l’été ,
sous les jaunes et les oranges.
La sève se retire des arbres,
se préparant à l’hiver,
le petit peuple des champignons en profite .
Ce sont peut-être de petits gnomes
qui montrent leur visage,
en dansant en cercles serrés.
Dans le mystère des bois,
commencent à roder les brumes
entre les roches de Huelgoat .
Certains y verraient les fées
qui font leur cueillette d’herbes
de cèpes et d’amanites.
C’est de leur cuisine
que les brumes
s’enroulent dans la futaie .
Si les doigts du vent font silence,
c’est peut-être leurs pas sur les feuilles sèches
que tu entendras,
mais ne t’attends pas à les surprendre,
car leurs robes les cachent
et nos yeux ne peuvent les apercevoir.

Ahmed Abd al-Mu’ti Hegazi – Commentaire d’un spectacle naturel
Un soleil s’écroule à l’horizon d’hiver
Rouge
Nuages de métal
D’où fusent des bouquets en feu
Je suis un petit paysan
Que maltraite la nuit
Notre charrette avale le fil d’asphalte
Vertical du village à la ville
Alors que je voudrais
Me jeter
Sur l’herbe mouillée.
Un soleil s’écroule à l’horizon d’hiver
Palais magique
Portière de lumière
Ouvrant à un temps légende
Paume teintée de henné
Le Paon surgit dans les Gémeaux
Queue arc-en-ciel déployée.
Jadis il y avait Dieu
Qui m’apparaissait au couchant
Comme un jardinier
Marchant à l’horizon rosé
Aspergeant un monde de jade.,,
Image exemplaire…
Mais l’enfant peintre
A été broyé par le temps,
Ahmed Abd al-Mu’ti Hegazi
Béatrice Douvre – Feu qui ose
peinture au feu : Yves Klein
Feu qui ose
Achève
Ce peu de bois mouillé
Par l’orage et délivre
Précède-moi, qui ose, précède-moi ,espère
Mars et les affections même sans souvenir
Vois c’est déjà la splendeur
Bleue des trèfles, des pensées
Demeure
Pour celle enfin dont les seuls auront tremblé les yeux
Une dernière fois le dernier passager
Ose
Flamme soudain la sueur
Debout qui saigne
Et la grande odeur du froid
La haute arche de neige
Est-ce enfin le vrai cœur au-delà d’âme et corps
L’ébauche d’un soleil beau d’hiver ascendant ?
Quelques notes de piano au fond de la bassine – ( RC )
C’est un triste matin
dans un Paris déserté
où l’on s’imagine voyager
au-delà des toits de zinc:
un de ces longs jours d’hiver
si pluvieux
qu’on ne peut espérer mieux
que les pensées d’hier
Elles nous jouent cet air
la chanson perpétuelle
de l’eau qui ruisselle:
la chanson de la gouttière
( quelques notes de piano
au fond de la bassine … )
une chanson citadine
à défaut de concerto .
–
RC – mars 2020
–
à partir d’un texte de Susanne Derève: » Ce pourrait être »
Une note
je dirais de piano
Un toit de zinc
l’eau
Ce pourrait être la mer
la mer n’est jamais loin
Ce pourrait être un air
de flûte
un concerto en ut
Ce n’est que la gouttière
à l’angle du perron
par un matin d’hiver
pluvieux
pluvieux
pluvieux
qui chante la triste chanson
des adieux
Le jardin propice – ( RC )
peinture: Jacques Hemery mont Ventoux
Au jardin propice,
j’ai attendu
que le temps se dénoue.
On s’habitue
à être à genoux,
que les feuilles jaunissent,
qu’un ciel d’hiver
pèse de son gris
sur le mont Ventoux.
mais toujours espère
revoir le jardin fleuri.
–
RC – avr 2020
Je ne veux rien savoir de la pluie – (Susanne Derève)
Josef Sudek – Last Roses from the series ‘The Window of My Studio’
N’ouvre pas les volets laissons fuir
les hivers je ne veux rien savoir
de la pluie
une pluie ronde comme les lunes
de plein été
comme les dunes de Juillet
une pluie de sable au vent
pluie de tempête et de grésil
d’arbres en guenilles
avec leurs habits de feuilles froissées
d’herbe mouillée de boue
rigoles froides dans l’encolure
des cache-nez
N’ouvre pas les persiennes
Laissons fuir les hivers nous ne saurons rien
de la pluie
de la pluie grise du réveil
avec ses ailes douces aux carreaux
des fenêtres
de sa chanson sonnante et trébuchante
cheminant au hasard dans les méandres
du sommeil
N’ouvre pas les volets laisse fuir les hivers
Je veux ton corps comme un rempart
au creux des draps
je veux un nid de chair
où me blottir pour écouter se taire
la pluie le son cristallin de la pluie
glissant de feuille en feuille
dans le matin frileux
Alors tu ouvres les persiennes
tu laisses entrer le jour naissant
dans le lit vaste et nu
et je n’ai plus qu’à tendre la main
pour le cueillir
dans un murmure … la pluie s’est tue
Je me souviens du vent dans mes feuilles – ( RC )
Je reprends quelques paroles,
d’une chanson engloutie
par des années d’oubli,
mais moi je me souviens
du vent dans mes feuilles,
car l’arbre que je suis
a davantage de mémoire
que celle des hommes,
car celles arrachées par l’automne .
même si elles se sont ocrées,
recroquevillées, desséchées
puis tombées en poussière
me rappellent les hiers.
Mais il n’y a pas de deuil
puisque malgré l’hiver
le gel sévère
est encore teinté d’éphémère;
les feuilles, je les renouvelle,
de manière providentielle
car tu sais que mon bois
toujours verdoie
aux futurs printemps
et reste vigilant
pour ne pas laisser périr
les souvenirs.
- RC – août 2019
Traces de l’or du temps – ( RC )
J’ai cherché trop souvent
les traces de l’or du temps.
Un temps en éternelle fuite,
qui se pose sur les fleurs,
– juste une légère trace :
de la lumière, de la couleur.
Ce sont ces pépites
qui s’effacent
quand l’hiver les rattrape:
l’or du temps est insaisissable :
comme s’envole le sable
avec le vent
– qui , lui aussi , m’échappe…
–
RC – avr 2019
–
voir la phrase d’André Breton » « Je cherche l’or du temps »
dont MChr Grimard a fait cette variation
Josyane De Jesus-Bergey – les amulettes
deux petits extraits « image » d’un recueil paru aux éditions encre et lumière
ThomasPontillo – Ce qu’a dit la beauté – 01

Je veux dire, avec l’humilité d’un ciel qui se propose,
la lumière qui n’est que du présent qui pense,
l’avancée du rêve parmi les vagues discrètes d’un jour,
plus beau à mesure que l’air sur mes lèvres
délivre l’hiver qui hésite au loin dans le chant des brumes.
Dire, et avec ce qui tremble au plus profond de l’âme,
célébrer la voix mêlée de nuit claire,
intensifier le geste qui accueille un corps.
Oui, dire et célébrer – encore – le pays où les pas
sur la neige sont un testament pour la beauté.
Dire, et avec les mots, augmenter en nous
la vibration secrète de l’émoi.
Lueurs immobiles sur l’éternité des eaux,
que votre majesté soit mon identité,
que mon souffle vienne mourir dans les plis de vos soupirs.
Mais est-il vrai que déjà nous ayons goûté
le temps où l’on voit monter, de larmes en larmes,
l’espoir d’un monde retrouvé ?
Tempête d’Iroise – ( Susanne Derève)
–
Bernard BUFFET – Tempête en Bretagne
Ces nuages qui courent entre ciel et mer au-delà des grues immobiles,
nuages porteurs de la nuit qui s’annonce, poussés par un vent d’Ouest
qui charrie les feuilles mortes par brassées
Morne solitude des tempêtes d’hiver
La rade comme un pinceau de moire grise sous les rayons rasants
et tout là-bas, au loin, les Tas de Pois, petits cailloux semés par l’Ogre gigantesque
qui souffle sans relâche ce vent de tempête noyé de sel,
éructe son écume sale à la frange des vagues
et déchaine la mer, molosse aux dents d’ivoire à l’assaut du rivage,
charriant les galets et le sable jusque dans les bas-fonds glauques des profondeurs
Cadavres de bois flottés jonchant les plages et les grèves
charognes aux orbites vides rongées par les mouettes avides
pluie de givre que balaie dans la nuit de son œil inlassable
le faisceau mécanique des phares
lumineuse étincelle de vie bouée de lumière dans les ténèbres grises
l’hiver
L’ép(r)ouvante – ( RC )
peinture – Frida Kahlo
—
Epouvante,
qu’il pleuve ou qu’il vente,
tu t’échappes des contes pour enfants,
et ris de toutes tes dents:
et si c’était une comptine,
on verrait luire tes canines …
Et encore, l’épouvante , chante
comme la cigale de La Fontaine,
mais trouves avec peine
l’hiver étant venu, ( air connu ),
où se loger dans les arbres dévêtus
que l’on sait trouver fort dépourvus.
Voila qu’elle a caché la lumière,
et qu’elle effraie la bergère,
avec des histoires de loup,
ou à dormir debout :
on peut presque palper la peur,
distinguer au loin le château la Terreur.
Pendant que tes pas s’égarent
tu erres dans les idées noires :
Si les arbres ont perdu leurs feuilles,
l’épouvante a répandu son deuil,
et les racines d’une forêt ingrate,
multiplient les croche-pattes .
La fontaine s’est refermée,
oubliée dans les ronces et l’églantier :
les fées sont capturées
pieds et poings liées
prisonnières
au coeur de l’hiver.
- Les eaux obscures m’ont bu
tu n’en as rien su :
je me suis noyé
dans l’eau glacée :
mes yeux te regardent
et ma peau est blafarde:
elle a pris les couleurs de la cendre
dans le long bain de décembre :
il m’a été ôté la joie :
nous n’irons plus au bois :
j’ai pris pour compagne l’épouvante ,
dans la forêt – – désormais je la hante.
Mais les années s’étant écoulées,
et tu m’as désormais oublié:
tu as délaissé tes terreurs d’enfance :
la vie a pris une autre consistance,
elle t’emmène vers d’autres horizons,
( c’est maintenant une autre chanson ) .
Tu as remisé toutes ces fadaises,
et t’en vas cueillir des fraises :
Cigale, cigale, il te faut rechanter :
les lauriers des bois ont bien repoussé !
la fontaine est garnie de fleurs d’églantiers,
… tu en accroches une sur ton chemisier…
Attention quand même aux épines :
elles sont restées assassines ! ,
voila qu’une fleur de sang grandit sur ta poitrine ,
alors… te revient en tête la comptine :
l’épouvante et la peur de mourir…
( je me rappelle à ton bon souvenir… )
–
RC – mars 2018
Presque un regret d’hiver – ( RC )

Il y a ce retour,
presque un regret de l’hiver.
Le ciel a la couleur pâle
de la mémoire effacée.
Te souviens-tu du chant des oiseaux,
qui hier encore , habitaient le chêne ?
Il reste, ce matin,
le friselis de givre,
et tu gardes en toi ,
le chant qui gonflait ta poitrine.
Je vois virevolter
de fines particules blanches .
A peine ont-elles touché le sol,
qu’elles s’effacent d’elles-même :
il n’y aura pas aujourd’hui
de couverture blanche ,
ni retour d’hibernation :
ce n’est qu’un passage ;
La tiédeur du sol
est prête à donner de l’élan
à la symphonie végétale :
déjà les premières fleurs
sèment leurs points de couleur
– premiers signes perçant la grisaille .
Bassam Hajjar – des maisons ( fin )
aquarelle : Paul Klee – vue de Saint-Germain
T’éloignes-tu à présent ?
Et ceux qui sont debout là-bas recouvrent-ils de blanc ton absence ?
La poussière trouve-t-elle son chemin vers toi ?
Le soleil de l’hiver abîme-t-il tes vêtements ?
Pleures-tu ?
Alors ne laisse pas les pleurs changer quoi que ce soit en toi
ni le rouge dans tes yeux
ni la barbe qui pousse.
Ainsi tu t’orienteras dans le sommeil,
si tu le peux,
car les maisons que nous quittons
délaissent leurs murs
leurs seuils, leurs entrées surpeuplées de vide,
et les maisons nous quittent,
et nous revenons habiter leur absence.
(Lyon, octobre-novembre 1985)
Jean-Pierre Paulhac – Une voix
Une voix
Comme un sourire
Une voix
Comme un soleil
D’océan indien
Une voix
Comme un horizon bleuté
Vers lequel voguent mes mots
Aspirés d’espoir
J’entends
Des rires de palmiers qui se tordent de musique
Des pas de danse qu’invente une plage espiègle
Des chants qui montent sur des braseros ivres
Des crustacés qui crépitent leur saveur pimentée
Ici
C’est le silence gris des bétons déprimés
C’est la glace qui saisit tous les masques
C’est un jadis souriant embrumé d’ombre
C’est l’ennui qui ne sait que recommencer
J’entends
Des guitares rastas aux cris de parfum hâlé
Des bras nus de désir qui dégrafent la lune
Des hanches insatiables que dessoudent la salsa
Des nuits secrètes aux folles sueurs de soufre
Ici
C’est le mutisme morne des grimaces polies
C’est la morgue soyeuse des cravates policées
C’est la cadrature étroite des cercles vicieux
Qui soumet à ses ordres la horde quadrillée
J’entends
Mes souvenirs marins d’aurores océanes
Mes remords nomades de dunes vives
Ma mémoire exilée qui déborde en vain
De tant d’hivers que la chaleur a bafoués
Ici
Le temps se tait s’étire et se désespère
Le temps n’est plus une chimère bleue
Le temps se meurt de mourir de rien
Et chaque ride compte un bonheur perdu
J’entends
Un rêve qui papillonne son corail osé
Un rêve qui murmure un refrain salé
Un rêve qui soupire son souffle de sable
Sur l’éternel instant d’un été sans fin
Une voix
Comme un sourire
Une voix
Comme un soleil
D’océan indien
Une voix
Comme un horizon bleuté
Vers lequel voguent mes mots
Aspirés d’espoir
Quand nous nous séparions… (chanson populaire chinoise )
photo:
Lee Jeffries
Quand nous nous séparions, les feuilles étaient vertes,
Maintenant tu reviens dans les neiges d’hiver.
Je songe malgré moi que la vieillesse approche
Et que dans tes cheveux paraissent des fils blancs.
Chanson populaire chinoise in « Mesures » n° 1 15 janvier 1936
Bernat Manciet – Braises ma peau
XVI
Braises ma peau —mais une âme de gel
forte ma foi —- je n’ai plus rien à croire
bon œil — ma vue se refroidit
l’hiver me brûle et le printemps m’est fade
coffre solide — mais ne soit plus de brise
de chêne cœur — je suis las du certain
aimer me tient — l’amour me reste tiède
prière suis — mais demander me déplaît
Partir je veux — mais je sais tous sentiers
j’ai soif de pluie —et toute pluie m’est cendres
faim de mouton —toute chair me répugne
le soir s’éteint —pouvoir n’être personne!
l’aube va naître —et je cherche l’obscur
la nuit rayonne et ta lumière est morte
Eugenio de Andrade – le poids de l’ombre III
photo Raphael Milani
.
Le poids de l’ombre III.
.
.
.
C’était septembre
ou bien tout autre mois
propice à de petites cruautés :
Que veux-tu encore ?
Le souffle des dunes sur la bouche ?
La lumière presque nue ?
Faire du corps entier
un lieu en marge de l’hiver ?
–
Estonie 2013
.
Lindita Aliu – Le bonheur léger
photo lux coacta
C’était un amour étrange,
j’étais comme une partie de tous ces hommes sans que jamais
je ne les eusse vus en rêve.
Ils étaient présents, lors même que m’endormait
le murmure rocailleux du temps.
J’éprouvais un bonheur sans poids,
qui menait je ne sais où.
Il ne s’arrêtait que lorsque des arbres ou des nuages lui faisaient obstacle.
Il semait des mots à tous vents, toutes les lettres folâtraient de par le jardin.
Et aujourd’hui je ressens plus fortement l’hiver du jour que le poids de la terre entière.
Il m’ôte le sens de toute chose, en aplatit les raisons sur l’étendue intemporelle de son propre cercle.
Les lettres, désormais, décrochent mes yeux, me trouent le corps.
Ah ! douleur de mes yeux, eux qui autrefois étaient si savants.
Me torture aussi le désir qui ruisselait sur moi, maternellement, comme une pluie.
–
Lindita Aliu est une auteure du Kosovo
Louis Aragon – Les roses de Noël
photo perso – Chanac
LES ROSES DE NOËL (extrait)
Quand nous étions le verre qu’on renverse
Dans l’averse un cerisier défleuri
Le pain rompu la terre sous la herse
Ou les noyés qui traversent Paris
Quand nous étions l’herbe ]aune qu’on foule
Le blé qu’on pille et le volet qui bat
Le chant tari le sanglot dans la foule
Quand nous étions le cheval qui tomba
Quand nous étions des étrangers en France
Des mendiants sur nos propres chemins
Quand nous tendions aux spectres d’espérance
La nudité honteuse de nos mains
Alors alors ceux-là qui se levèrent
Fût-ce un instant fût-ce aussitôt frappés
En plein hiver furent nos primevères
Et leur regard eut l’éclair d’une épée
Noël Noël ces aurores furtives
Vous ont rendu hommes de peu de foi
Le grand amour qui vaut qu’on meure et vive
À l’avenir qui rénove autrefois
Oserez-vous ce que leur Décembre ose
Mes beaux printemps d’au-delà du danger
Rappelez-vous ce lourd parfum des roses
Quand luit l’étoile au-dessus des bergers
Louis ARAGON « La Diane française »(éd. Seghers)