Un effet d’hiver – ( RC )

photo Caroline D – tempête douce
C’est sans doute un effet d’hiver.
Les lèvres sont fermées.
Ne m’en veux pas de t’avoir jeté la pierre…
Le livre a les pages raides,
les corneilles ont laissé leur empreinte noire
sur un ciel gris au-dessus de nous.
Qu’est devenu ton sourire ?
maintiendra-t-il aussi les lèvres fermées
comme au moment de ton départ:
j’irai le découper dans le papier
pour le coller sur la photo floue
que tu trouvais laide.
Ce n’est rien qu’un détour d’écriture
qui cachera un peu ma blessure…
Encore – (Susanne Derève) –

Encore dit la pluie, encore me dit le vent
et leur plainte
dans les rameaux de cendre de l’hiver,
dans le lit assoiffé du torrent sonne
comme un long cri où s’éboulent les pierres.
Roses fanées de Décembre : les doigts du givre
ce matin façonnaient leurs corolles sèches
de délicates enluminures.
C’est ainsi le temps s’emploie à nous duper.
La main d’où volait la semence des blés,
le geste auguste : ensevelis, abandonnés
aux strates de l’oubli, à leur sceau blanc
de neige ensommeillée.
Au long des prés, les passereaux volages
désertent les sentiers.
Mais les miens, mes moineaux égayés,
je leur tiens au chaud un nid de paille
sous la grange.
Pour peu qu’ils y reviennent, je chanterai
leur louange, encore.
Anna Jouy – Parfois le monde me plait

photo RC – Finistère
Parfois le monde me plait. Je n’éprouve que la vibration. Ma tête bourdonne doux.
Elle a sa plage de liberté, elle pense ailleurs
Nomade, vacancière
Le sable est meilleur au soleil
Ma maison est vide, déserte
Les fantômes se baignent à la mer
Les domestiques de l’hiver
Ont fait leurs bagages
Ils ont pris des passeports de nuages
Alors la maison évidée de ses bruits,
Suit aux fenêtres les traces de la lumière
Essuyant les colliers des moucherons
Sous le son immobile d’aujourd’hui
Moisson du jour – (Susanne Derève) –

Les hélices du jour sur la montagne. Si près du ciel nous sommes,du bleu sans faille de la lumière où plongent les ailes du moulin, et j'en suis le meunier, j'en mouds le grain en farine d'azur, j'en pétris la mie tiède,du rouge et de l'or des forêts de sureaux et de hêtres où la route serpente,nonchalante, au flanc ensoleillé du Causse. A nos pieds la toile étincelante des prairies d’hiver, le vaste amphithéâtre des sapins, en sentinelle ardente, le fil ténu de la rivière … Déjà le jour chancelle,un fin quartier de lune fauche les blés du ciel, dans le vase étroit de la combe, le vin noir de la nuit s'enracine … Meunier déchu,j'y noie mes rêves d’éternel.
Histoire d’habiter le gant – ( RC )

photo Romain Verger dans « Membrane »
Qui est parti ce matin,
en oubliant son gant ?
Ce n’est pas un bon plan
par ces temps frileux
de début d’hiver.
Une toute petite main
que j’ai trouvée par terre :
j’aurais pu espérer mieux
en m’en donnant la peine
( en tout cas trouver la paire ),
même si la dimension n’est pas mienne :
il serait bien difficile
que mes doigts y trouvent place
et s’y faufilent,
même si je change de cuirasse
et de taille
pour devenir reptile,
recouvert un temps
d’une peau d’écailles
( histoire d’habiter le gant ).
A l’ombre du chais silencieux – ( RC )
( réponse à Ivresse de Susanne Derève )

—
Faut-il se laisser emporter
par le drap du grand hiver,
et répondre à l’appel
du vin dans les caves
– qui tiendrait lieu de promesses – ?
Un peu de chaleur
tournant au fond des verres,
où se reflète le ciel.
A défaut des terres blondes de l’été
nous goûterons l’ivresse
à l’ombre du chais silencieux
quand le vin mûrit
sans se soucier des jours pluvieux :
offrande à l’oubli
des jours de l’automne
qui vient juste de trépasser.
Jamais le temps ne s’emprisonne
dans les fûts ombreux.
Nous sortirons chancelants
après avoir bu
le sang du soleil
resté quelque part
dans le vin vermeil :
que je goûterai dans tes mains
accoudé au bar,
chercherai le chemin
pour retrouver
l’or paresseux des jours
( car jamais l’amour
ne se laisse enfermer
dans une bouteille ),
ni les rêves épars,
que l’on imagine de neige,
ne seront pris au piège
de la fortune et du hasard,
en buvant à la santé
de ta nouvelle année…
As-tu amarré ta folie aux petits matins du monde – (Susanne Derève) –

As-tu amarré ta folie aux petits matins du monde, nommant dans ta fièvre fredaines, égarements ta muse émue, et cette sourde musique de l’hiver loin très loin sous terre où se danse la ronde, sous la longe enfouie des prairies enneigées, les prairies basses, la vie d’avant naissance. Fouille, fouine, sourde est la vie, le long repos des spores un membre inerte, enchaîné au gel par l’entrelacs des glaces, la divine toile de l’hiver-araignée, et toi, pèlerin transi, tu fais fausse route encore : tout, de ce qui a péri, renaît.
Dominique Le Buhan – l’histoire continue des saisons

peinture Arkhip Kuindzhi
Le gris du jour, de la nuit le clair-obscur
s’unissent en l’histoire continue des saisons :
au revers de l’action, c’est être patience
que d’éprouver des heures durant leur cours :
c’est attendre de l’objet l’ombre au soleil,
savoir qu’à ce moment la chair aura l’éclat —
c’est espérer de la flamme la crue des couleurs
liées à des textures perçues sans les toucher.
Ce feu sécrète en nous le ductile espace
par les jeux du bois sec et de la cendre —
et déjà la rose d’hiver donne le blanc,
blanc repris par fleurs qui percent la neige,
puis la tulipe à son tour est la fraîcheur,
la rose avive la brique et le bleu de l’ardoise,
enfin la pivoine de son rouge touche le vert —
et le bruit de nos mots est un murmure sonore.
–
extrait des « heures inégales » ed Fata Morgana
Francis Blanche – j’ai rêvé ma vie

photo Boris Wilensky
J‘ai rêvé ma vie
les yeux grands ouverts
me suis réveillé
quand c’était l’hiver
La neige était là
le ciel était gris
le vent était froid
je n’ai pas compris
Mes beaux soirs d’avril
que j’avais rêvés
où donc étaient ils
j’en aurais pleuré
Faites-moi plaisir
commence sans moi
laissez-moi dormir
…. j’étais fait pour ça…
le jardin de mon poème – ( RC )

Reconnaîtrais-tu ce jardin,
maintenant abandonné,
laissé à lui-même
alors que débordent les branches
du saule, que tu as connu
jeune encore, devant la maison?
Les heures de l’hiver
viendront tuer les fleurs,
arracher les feuilles
du chêne encore debout,
mais tu reconnaîtras le jardin de mon poème,
auquel subsistent quelques vers…
Au-delà des fenêtres – ( RC )

Peinture Andrew Wyeth
Personne ne convoite l’hiver.
Lui se cantonne sous tes fenêtres,
et ton royaume est étanche.
Il y a de ces frontières
qui dépassent les saisons,
amidonnées de givre et de silence.
Il faudra bien cependant un jour
sortir de ta bulle
pour affronter l’avenir.
L’enfance s’est rétrécie toute seule,
et tu l’a perdue de vue,
pourtant tu n’as pas froid
Car insensiblement tout s’est transformé,
et la vie, dans son royaume , s’étend
bien au-delà des fenêtres .
Paul Eluard – Air vif

J’ai regardé devant moi
Dans la foule je t’ai vue
Parmi les blés je t’ai vue
Sous un arbre je t’ai vue
Au bout de tous mes voyages
Au fond de tous mes tourments
Au tournant de tous les rires
Sortant de l’eau et du feu
L’été l’hiver je t’ai vue
Dans ma maison je t’ai vue
Entre mes bras je t’ai vue
Dans mes rêves je t’ai vue
Je ne te quitterai plus.
La chance de l’avoir rencontré – ( RC )

On ne dérange pas
l’éclosion des fleurs.
Elles éclatent en silence
et se jouent des vieux bois
gémissant sous le vent.
On ne dérange pas
les lèvres du jour
Tu sais que la couleur
joue avec l’éphémère,
lutte contre le vent.
Tu ne couperas les les fleurs
dans leur élan
Elles ont moins de temps à vivre,
mais se répandent par milliers
à travers les champs.
On ne dérange pas
le printemps qui triomphe de l’hiver
Sa vulnérabilité n’est qu’apparence ;
tu as déjà beaucoup de chance
de l’avoir rencontré !
Antoine Jean-Baptiste Roger – Sonnet romantique

J’attends l’amour, le grand amour que ne déparent
Ni les doutes, ni les dégoûts, l’amour tardif
Dont le flux submerge le cœur, ce vieux récif,
L’amour, mer d’Orient suit la côte barbare !
Aussi pardonne-moi si ma bouche est avare,
Tu n’es pour moi qu’un rayon de soleil furtif.
Je rêve par-delà notre baiser passif
Un roman beau comme un poème… et m’y prépare.
Cependant si déçu, je ne le vivais pas,
Pour te frôler encore je hâterais le pas
Dans ce brouillard d’hiver où la lumière est jaune…
Et malgré cet orgueil qui me ronge en secret,
Ton sourire est si doux qu’il me consolerait…
…Dieux ! L’amour serait-il si triste comme une aumône ?
–
Antoine Jean-Baptiste Roger – ( plus connu sous le nom de Saint-Exupéry )
Sally Heliott – il neige toujours quelque part

Quand tu rencontreras le Soleil de Tabriz
comme ces deux mains
comme ces deux paumes
dont les mots calcinés échappent aux brûlures…
quand tu rencontreras le Soleil de Tabriz
l’hiver alors nous mordra la bouche
comme…
comme pour en vivre encore
le feu avant la cendre
la flamme et la lampe
plaine à la longue page
encore imberbe de doutes et de peurs
quand remplie de silence
on entend sa parole
Paroles – (Susanne Derève)

Une romance aux doigts de fée Paroles celles que tu me soufflais ce matin au réveil sitôt enfouies pour aller les semer à midi dans un jardin de roses en sommeil Soleil Peut-être faut-il l’hiver pour éprouver ce qu’est un arbre sa grande ossature endormie ses plaies ses lézardes ses mains pâles et la tienne au poinçon gravant le bois tendre du tronc
Kenneth White – Labrador (2,3)-

2 J’ai moi aussi nommé un lieu un lieu de grands rochers luisant sous le soleil un lieu où l'eau bruissait tourbillonnait et glissait — je l’ai nommé le Merveilleux Rivage j’ai vécu là-bas tout un hiver tout un temps de blanc silence j’ai gravé sur la pierre un poème à l’hiver et au blanc silence les plus belles runes par moi tracées des hommes aux yeux fins, aux pommettes hautes sont venus me visiter nous avons troqué du drap contre des peaux nous vivions en paix et le printemps revint : tous les ruisseaux ruisselaient de lumière et la grande rivière reflétait le ciel j'allai plus loin vers le sud vers un pays de grandes forêts où je vis des hommes rouges parés de plumes d'oiseaux je sentis sous mes pas une terre nouvelle un monde nouveau mais je me refusais à le nommer trop tôt content de laisser mes sens m’éveiller et me guider pas après pas à travers le réel je n'étais déjà plus chrétien sans être pourtant retourné à Thor autre chose m'appelait m'appelait au-dehors autre chose qui peut-être voulait qu’on l’appelle une chose sensuelle et abstraite à la fois terrible et belle à la fois une chose qui me dépassait mais était à la fois plus moi-même que moi j’ai songé aux paroles de Norvège aux paroles des penseurs et des poètes aux paroles de haut vol des Hébrides ici pas de place pour le Christ ou pour Thor ici la terre a réalisé son destin destin de pierres et d’arbres d’ombre et de lumière a réalisé son destin en silence j’ai tenté d’apprendre le langage de ce silence plus rebelle que le latin que j’étudiais à Bergen ou que l’irlandais de Dublin. 3 Tout un champ nouveau où travailler et penser à chacun de mes pas je sentais en moi une étrange vigueur l’esprit chaque jour plus vif, plus clair j'essayai encore quelques noms (pesant avec soin chacun d'eux les éprouvant dans ma tête et sur ma langue): la rivière de la Grande Baleine, le cap de l'Eskimo le lac des Huttes sauvages, le col du Caribou mais toujours pas de nom pour le tout je voulais bien nommer les parties mais pas le tout l’homme a besoin d’arrimer son savoir mais il lui faut un espace vide dans lequel se mouvoir je vivais et marchais comme jamais encore devenais un peu plus qu’humain connaissais une plus large identité les traces du caribou sur la neige le vol des oies sauvages l’érable rouge à l’automne mordu par le gel tout cela me devint plus réel plus réellement moi que mon nom même je me surprenais disant parfois «en accord avec l’esprit de la terre» mais il n’y avait pas d’«esprit» c'était la langue du passé et ce monde était un nouveau monde et ma pensée aussi était presque nouvelle rien qui ressemblât à un «esprit» seulement les traces bleues sur la neige le vol des oies sauvages et les feuilles rouges de gel la religion et la philosophie ce que j’avais appris dans les églises et les écoles tout cela était trop lourd pour cette vie de voyage seule me restait la poésie une poésie comme le vent et la feuille d’érable que je me récitais en parcourant le pays je suis un vieil homme à présent un vieil homme très vieux j’ai griffonné ces runes sur un rocher elles seront mon testament personne ne les lira peut-être elles resteront sur ce rocher près des graffiti de la glace balayées par la pluie et le vent.
Un monde ouvert : Anthologie personnelle
nrf Poésie/Gallimard
Marée basse – (Susanne Derève) –

Marche
loin sur la plage
C’est marée basse
La plage
appartient à celui qui éprouve sous son pas
le sable vierge
raviné de mille ruisseaux de sel
La lumière
à qui boira les blondes fenaisons du ciel
le grand soleil d’hiver
chassant les brumes de Janvier
et demande à la vie :
Qu’es-tu ?
Aile furtive,
morsure du vent volage sur ma peau ,
ou vie languide des flaques froides
de l’estran,
frêles esquifs que ranimeront les courants
des vives eaux ?
André Blatter – Je couds ma bouche

Je couds ma bouche
au plus près du silence
pour mieux t’entendre
je brise le miroir
du mourir quotidien
au fil du rien la réponse
j’habite au plus près de l’hiver
comme une racine de l’être
Pour desserrer l’étreinte du gel – ( RC )

Le soleil est allé voir ailleurs,
et passe davantage de temps
de l’autre côté de l’hémisphère.
Aujourd’hui sont arrivés les jours de glace,
suspendus aux branches
comme des minutes allongées
à leurs bras griffant l’air.
Les corbeaux en profitent
pour déplacer une part de ciel
en confisquant du blanc.
La lumière a changé de camp.
Elle vient du sol, maintenant.
Sont apparues les fleurs de neige
encore légères, filles de l’hiver.
On y voit presque en pleine nuit.
La pleine lune est réapparue
rebondissant entre les nuages .
Le froid , malgré tout, n’a pas insisté.
Il faut l’encourager à desserrer son étreinte,
à entr’ouvrir ses doigts de gel.
Au matin revenu , une lumière plus légère
annonce le redoux .
Nous ne reverrons pas les oiseaux noirs
quand elle reprendra son envol.
Oiseau aux premières gelées – ( Susanne Derève)

Oiseau soyeux qu’effraie mon pas,
qu’effeuille mon poème ,
emplis de ton vol le fracas de la nuit ,
l’hiver est là : sa botte de givre
pèse sur ma bohème .
Je n’aime que les feux de bois ,
cette plume au bas du jardin ,
et les miettes de mon repas
que je te jette à la volée
oiseau aux premières gelées.
entre les pages collées – (RC )

Ton texte reste hors champ,
dans la nudité du cahier
aux pages trop usées
d’avoir été feuilletées.
Tant de jours ont coulé
depuis ce soir d’hiver,
où même les joies se sont dissoutes :
l’encre a débordé, puis s’est enfuie .
Entre les pages ainsi collées,
il se pourrait
que la parole demeure, indéchiffrable:
qui saura donc la lire ?
Une tasse de café
s’est renversée,
tu as contourné les taches
avec un crayon,
ajouté de la couleur
et quelques traits ;
on ne saura jamais
ce que le carnet dit
il est muet désormais,
enfermé sur lui-même
comme un poème
dont on a oublié la chanson .
Purgatoire – ( Susanne Derève)

Aimais les dernières feuilles rousses
aux arbres
de celles qui s’accrochent
aux branches nues comme un adieu
tandis que l’hiver facétieux fait table rase
des feuillées,
s’étiolent dans un souffle
que la lune ranime
d’un pâle éclat de givre dans la nuit
de Janvier
Aimais les froids matins d’hiver,
ensommeillés de gel,
le tintement grêle de la cloche à midi
zébrant le ciel à la volée,
d’un bleu de porcelaine
plus pur qu’au plein d’été
Et sur le parvis glacé dessous
la flèche du clocher les messieurs
à bedaine et les dames serrées
dans leurs manteaux de laine
noirs
les enfants lorgnant
les flaques du trottoir
avant d’aller docilement s’asseoir
près du bedeau
(en purgatoire)
Aimais par-dessus tout
pendant ce temps
– étais-tu suspendu à l’instant ? –
paresser au lit avec toi
guetter le froissement silencieux
du dégel
le floc des paquets de neige
chutant mollement des toits
Aimais le désordre des draps
et le va et vient de tes doigts
sur ma peau
là où nait le désir qui vous emporte
sur son aile comme un oiseau
l’ aile du désir est si pure
je la confisque
aux anges en robe de bure
veillant le carré des fidèles
tandis qu’aux cantiques se mêle
de nos ébats le doux murmure
Béatrice Douvre – A l’hiver du feu

Le visage traversé
Dans des jardins à jambes de verre, et de roses
Quand recommence la mer tendue
Des lampes, et le froid
Et que l’on tient, dans les mains, le dernier monde
Rêve, et à l’avant du rêve un corps l’éclaire
J’ai peur de ces troupeaux dans le progrès des lampes
Peur de la terre des pas
Près de la porte où penche
La nuit lourde de l’aile Il y a ce péril
Des lampes dans la maison
Ce désir
Comme un taureau dans l’or
Un feu de bois de rose
Coupé par l’hiver
Armand Rapoport – sur une route blanchie par la lune froide d’hiver

Et femme et homme sur une route blanchie par la lune froide d’hiver
Portant aux épaules un enfant légendaire qui n’était pas de leur chair
Marchant dans la campagne nocturne comme si le son lointain d’un clocher
Accompagnait leurs pas résonnant sur la chaussée durcie par gel récent
Comme si la route pavée berçait l’enfant dressant la tête vers la galaxie
D’Orion où le balancement des étoiles emportait son regard tout ébloui
Par la nuit d’hiver comme s’il eût quitté un village un récit inachevé
D’une vieille grand-mère bredouillant près d’un feu à peine enflammé
Passant d’une épaule à l’autre sans dire mot la tête appuyée à la nuit
Les yeux toujours rivés aux étoiles comme si chaleur dût venir de si loin,
Réchauffant ses petites mains agrippées nerveusement au cou de celle celui
Qui allongeait le pas vers un autre village où joyeuses lumières dansaient.
Quand le matin trop clair rendait vaine toute impatiente longue vue
Sombres-Voyants, Clairs-Aveugles, Sourds-Entendants, Rêveurs si courts
L’Astronome les emportait dans son sommeil comme des valises-Optiques
Sucres ou Vergers trempés de pluie enfouis sous récits pauvres d’ici
Sans renier les malaises trop décrits ou gommés dans le Sous-Entendu
Le Trop-Su, comme si la planète tournait autrement dans l’incomparable
Hiver, loin des vareuses béates poudrées de gel de soleils trop fades
Comme si le rire d’une matinale musicienne égayait l’enfant-Orphelin
Par jeux ou ruses par gammes taquines quasi humaines afin que nul être
Ne soit ici montré du doigt comme surplus d’indifférence oeuvre pieuse
Où Absence de grâce se rattrapait en ricanements gras en défi charitable
Rendant la ville si inhabitable comme si des vents acides la corrodaient.
La patience des pierres – (Susanne Derève)

S’il demeurait des cendres fertiles sous la glace
qui donc pouvait le dire
nul ne savait ce qu’ourdissaient les pierres
dans le silence
J’imaginais des causses arides sous le manteau
des neiges,
leurs sinuosités translucides et bleutées
leurs boues fossilisées
et côté ombre
réfractant le soleil en lisière des chemins
de blanches cheminées de gel
des éboulis de roches et d’herbes sèches
gainés de givre
Ce qu’ourdissaient les pierres dans le silence
qui le savait ?
– est-il un sens à l’éternel recommencement
des rêves et des saisons –
Sans doute attendaient-elles armées d’une infinie patience
qu’œuvre lentement le dégel
pour éprouver enfin le vertige du vide
répondre à son appel