voir l'art autrement – en relation avec les textes

Articles tagués “homme

Rire – (Susanne Derève) –


Yue Minjun – Rire –
Fils,
ton rire étoile venu du tréfonds de l'enfance                                                    
tintant comme un cristal,
rebondissant de visage
en visage, de mur en mur, de fenêtre en fenêtre,
dans l'opulence de la joie

puis la mue de ta voix,
un jour, et ton rire d'homme
dégringolant vers moi
depuis les pentes échevelées de la mémoire                                            
pour ranimer l'enfance




Fadwa Souleimane – la rive du fleuve


Résultat de recherche d'images pour "talmont gironde"

                  grenouille qui mange une libellule

                la rive du fleuve

cigogne qui mange la grenouille

qui a mangé une libellule

dans l’eau du fleuve

poisson qui mange un poisson

la rive du fleuve

homme qui pêche le poisson

qui a mangé un poisson

la rive du fleuve

l’homme mange le poisson

qui a mangé un poisson

et en donne à ses petits

près du fleuve

les petits enterrent leur père

qui a pêché le poisson

qui a mangé un poisson

mort étranglé par une arrête

dans la tombe près du fleuve

les vers mangent le corps de l’homme

qui a mangé le poisson

sur la terre près du fleuve

les oiseaux mangent les vers

qui ont mangé le corps de l’homme

et se mettent à chanter

la rive du fleuve

un homme chasse les oiseaux

qui ont mangé les vers

et se met à contempler

la beauté de la rive du fleuve

rive qui reste silencieuse

 

 

Paris, 12 septembre 2012.


Pentti Holappa – depuis le rivage


 

 

55405885_9151c683f4 colors.jpg

 

Semant ses bienfaits un nuage vole
puis un aigle, messager.

Seules les îles gémissent vers le rivage à leur départ,
quand le vent sous le gel se fige, pleurant sur leur sort.
Et la mort du nuage

et la fin de l’aigle
et le dernier cri

sont une suffisante genèse.

 

Les lueurs de l’Est ne dorent pas les eaux du rivage,

et les lumières de l’Ouest
ne recouvrent pas l’homme qui
regarde.

Seul jusqu’au destin du rivage résonne le chant de ceux

qui s’en vont :

Adieu, étranger aux visages enfouis.

 

Tout près (1957)


Francis Ponge – la main


Résultat de recherche d'images pour "hand sculpture"

main –  sculpture antique

 

 

 
La main est l’un des animaux de l’homme ; souvent le dernier qui remue.
Blessée parfois, traînant sur le papier comme un membre raidi quelque stylo bagué
qui y laisse sa trace.
A bout de forces, elle s’arrête.
Fronçant alors le drap ou froissant le papier, comme un oiseau
qui meurt crispé dans la poussière, — et s’y relâche enfin.

Francis PONGE « Pièces » (Gallimard)


Un homme qui pleure – (Susanne Derève)


Philippe Pasqua Ss titre 2008

 

 

Un homme qui pleure   c’est   

comme un bateau abandonné

après l’orage

un enfant qu’on n’a pas bercé

C’est un soldat qui a rendu armes

et bagages

un drapeau blanc

planté au milieu d’un grand champ

dévasté

une mine qui n’a pas sauté

et qui attend  sous  terre 

le moment d’exploser  

 

                                                                       

Un homme qui pleure

est-ce un naufrage

ou bien est-ce mon cœur qu’il a pris en otage

que je lui ai laissé

comme on jette parfois les miettes

du passé

et qu’on le sait il ne sert plus à rien

de dire je t’aimais

s’il ne reste à offrir en partage               

que des regrets

 

 

 

 


Premier homme sur la terre – ( RC )


Résultat de recherche d'images pour "premier homme sur planète"

Si j’étais le premier homme
à marcher sur la terre,
– venant d’une autre planète – ,
je marcherais avec prudence,
sur les berges sablonneuses,

laissant des traces  en creux.

Je m’enfoncerai dans les forêts tropicales,
où le soleil n’y pénètre
que par effraction,
j’apprivoiserai les animaux,
qui m’accueilleront sans méfiance,
comme si j’étais des leurs :

un peu étrange, sur ses deux pattes,
le cœur presque à nu,
et ma mémoire cousue de fil blanc,
essayant de se faire comprendre
par des mimiques
trahissant mes pensées.

Je n’aurais pas la pupille dilatée
du fauve de service,
je viendrai sans arme:
( personne ne les aurait inventées) , 
et avec les meilleures intentions .

Je me guide aux phrases de la lune :
elle, au moins, me comprend .
Je lui parlerai le soir,
lorsque le soleil s’éteindra .
Il reparaîtra le lendemain,
d’un autre côté .

Il étire les ombres ou les rétrécit,
comme avec des élastiques.
Cela semble être un jeu
dont jamais il ne se lasse
montant et descendant
tel un yoyo, au-dessus de l’horizon.

Il y a un seul astre ici.
Il règne,     sans partage
et semble très écouté .
Sa caresse varie, de tiédeur
en brûlure , rythmée par le jour
qui se déplie .

C’est sa façon d’être :
çà remplace le langage,
et les plantes le comprennent:
elles se sont multipliées
au point de couvrir
la plupart des endroits.

C’est une planète verte
avec de grands lacs,
que l’on nommera océans:
la vie a l’air moins rude
qu’ailleurs en galaxie.

J’indiquerai ça,
dans mon compte-rendu ,
devant rendre mon rapport sous quinzaine.
Je parie que bientôt
une équipe d’explorateurs
prendra ma relève.

Il ne serait pas impossible
qu’ils s’établissent ici,
avec leur petite famille, en villégiature .
S’ils construisent un village
il y aura peut-être même
une place à mon nom .


RC – sept 2017


Véronique Olmi – l’impossibilité de l’amnésie


ob_1f5b9e_dsc09391.JPG

sculpture : idole cycladique

C’est pareil pour un amour. Un jour on ne connaît pas un homme. Et le lendemain, subitement, on le connaît.

Subitement, en une seconde on le voit et on apprend son prénom, on découvre son visage et après il est trop tard pour oublier cela que l’on nomme « faire connaissance » de quelqu’un.

« Défaire la connaissance » est impossible.

Et c’est là qu’elle prend toute sa place.                 La douleur.

Elle s’installe sans qu’on s’en doute, au premier regard, et simplement elle attend son tour, elle a l’habitude. Elle est toujours l’invitée de la dernière heure. La souffrance liée à l’impossibilité de l’amnésie, la souffrance, main géante qui vous tient et hésite. Vous asphyxier lentement ou vous broyer d’un seul geste.

 

ce passage  est extrait  du roman de Véronique Olmi :  » C’était mieux  quand  c’était toi « 


Miquel Marti I Pol – Un jour, je serai mort …


.

peinture: Marsden Hartley

peinture: Marsden Hartley

 

 

Un jour, je serai mort
et encore dans l’après-midi
dans la paix des routes,
dans les champs verts,
parmi les oiseaux et au milieu de l’air
tranquillement en ami
et de passage parmi ces hommes
Je ne sais pas et je t’aime.

Un jour,      je serai mort
et encore dans l’après-midi
dans les yeux des femmes
qui viennent et qui m’embrassent,
dans la musique ancienne
toute mise au point,
ou même dans un objet,
le plus intime et le plus clair
ou peut-être dans mes vers.

Dites-moi quel prodige
rend le soir si doux
et si intense à la fois,
et à quel champ ou à quel nuage
dois-je attribuer ma joie;

parce que je sais supporter
tout de mon entourage,
et que je sais que quelqu’un, plus tard,
saura préserver ma mémoire.

Les paroles au vent

 

 

 

Miquel Marti I Pol


Bernat Manciet – Je tiens dans les doigts ces quelques grains encore


Red-figured lekythos  depicting Paris and Helen attributed to the Painter of the Frankfort acorn  Gr 481973724.jpgvase grec lekythos Pâris & Hélène

 

XVIII
Je tiens dans les doigts ces quelques grains encore

et de mon pouce naît ce psaume
rare éclaircie de ma journée
mon été tient dans cette paume

je les regarde sans étonnement
et sans plaisir et sans raisonnement
sans nul regret :

ils sont ce qu’ils sont la nuit arrive sérieuse et calme

pourtant je te les donne
pour l’amour du jeune malade
qui m’a guéri d’être un homme accompli

et qui ressemble tellement à ton sommeil
pour le dédain qu’au soir tombant je porte
et pour la honte aussi d’avoir aimé


Cathy Garcia – Sol y tierra


3950839104_fd32f58dfa%2520Fairy%2520Tales%2520_%25202009.jpg

 

le vent
entre chien et loup
la lune cachée
dans le haut tilleul
la douceur
léger frisson
imperceptible
sortilège

les démons de gouttières
miment le combat
quatre ombres
apparaissent
disparaissent
froissent les herbes

le val de mes seins
invite à la balade
et ma pensée va à l’homme.

mais dieu siffle mon âme
comme on siffle un chien

et mon âme danse
une joie
soûle d’espace
solitaire

sol y tierra

et le vent aussi
et le vent.


Joconde – ( RC )


099-1930  la joconde aux cle¦üs mona lisa with the keys .jpg

peinture: Fernand  Léger         Mona-Lisa  aux  clefs  – 1930

 

 

La Joconde est sortie des nuages.
Elle a l’air bien songeuse ,
et s’est détachée , ténébreuse,
en partie, de l’image.

On connait mieux la peinture de Léonard
que celle de Léger
( elle a depuis, perdu ses clefs ) :
celles qui ouvrent la porte de l’art.

Oublié le sfumato,
et voici la danse des lignes,
des cercles et des signes,
qui parcourent le tableau.

Elle est           comme une image pieuse,
— vous voyez bien,         comme celles
qu’on trouve dans les pages du missel
( une icône, et des plus fameuses ).

Malgré son caractère profane,
et son décor imaginaire,
elle est célèbre sur la terre entière .
Ce modèle est juste une femme :

Il en est ainsi,
mais, toujours elle attire
Les foules avec son sourire :
Ce sacré Vinci

En peignant cette demoiselle
Ne pensait pas en faire une star
de l’histoire de l’art ;
–       mais,                retour dans le réel:

Même sortie de la toile,
c’était peut-être une sainte
telle qu’elle était peinte,
ayant égaré son auréole,  ( ou son étoile ).

En attendant de la retrouver
– elle n’en a pas fait le deuil –
elle vous adresse un clin d’oeil
ce qui était plutôt osé, en ces temps reculés.

On dit bien que tout se retrouve
et rien ne se perd, mais jamais elle ne désespère
bien que prisonnière  ,
au Musée du Louvre.

Si Duchamp la renomme,
et lui met des moustaches,
que personne ne se fâche,
ce pourrait être un homme !

En dehors de son cadre lourd, on pourra la voir
en illustration banale
imprimée en cartes-postales
sur les présentoirs.

Quelle est donc l’énigme de cette peinture ?
Et avec elle, la clef du mystère,
Où se trouve la serrure ?
… en conjectures on se perd.

Ayez pourtant en tête cet évènement fortuit,
qui posa plein de questions:
Une machine à coudre, sur la table d’opérations,
et Mona cachée sous le parapluie ..

RC – juin 2016102-1932  la composition au parapluie the composition with the umbrella .jpg

penture: Fernand Léger  –  composition au parapluie      1932


Kenneth Patchen – Le village Tuda


Afficher l'image d'origine

peinture H Bosch –         l’enfer ( détail )


On dit que
Jadis, avant la venue de l’homme,
Une colline prit feu et la déesse Anna
Mourut, en criant dans les flammes, le ventre
Brûlé comme une outre d’huile.
Le lendemain le monde se divisa en quatre :
Le lieu de l’eau,
Le lieu du ciel,
Le lieu de l’esprit,
Et le lieu de l’air.
On dit que la terre n’existait point,
Bien que beaucoup de gens ne connussent qu’elle.
Sur cette colline d’étranges êtres s’embrassaient
leurs enfants haïssaient l’espèce sur terre.

Kenneth PATCHEN in « 35 jeunes poètes américains »


Rafales d’ailes, mains négatives – ( RC )


art préhistorique

art préhistorique:          grotte de Pech Merle

 

 

 

 

 

 

 

 

Rafales d’ailes, froissant les airs.
Aquarelle  délavée où serpente  une fumée…
Un instant fugitif,        promis à l’oubli.

Une peinture  dans l’obscur,
L’intimité close, de la grotte,
Des chevaux superposés, galopent .

Les millénaires s’entassent .
La mouvance des airs,
passe     en surfaces.

Une peinture dans l’obscur,
Et le geste de l’homme, déposé ,
Celui marquant la présence.

Message des mains négatives,
    Empreintes,
Charbons de bois.

RC – mai 2015


Suzanne Tanella Boni – Gorée, île baobab


 

photo: Dominique  Nahr - Congo  2008

    photo:     Dominique Nahr – Congo 2008

 

Gorée Île Baobab” (quatre poèmes)

.

peut-être le bonheur est-il si loin

invisible dans les feuilles de tamarinier

quand ma main effleure les fruits

à partager avec les génies riant des cruautés

faites à l’homme par l’homme

.

peut-être l’espérance dans mes yeux traîne-t-elle

l’avenir en nuages de poussières où je cherche

étincelles et dignité des âmes en sursis

.

quand l’horizon au petit matin

dessine images et silhouettes entre soleil et mer

tu n’es pas là pour voir mes yeux

où tu n’a jamais vu l’humeur du monde

.     .     .

avec la bénédiction des habitants

invisibles de l’île ici je revis

car ton regard n’est pas un poème

mais toute la mer qui coule à mes pieds

des pages infinies

.     .     .

ici aussi j’ai bu à la source

des mots couverts de moisissures

comme murs suintant de tous les malheurs

gravés aux portes du temps

.

j’ai bu la source vive

qui nous donne mémoire et chemin majuscule

des jours à venir

j’ai bu je ne sais combien de gorgées élixir

“…pour la survie du poème

qui hante mes pas depuis toujours”

.

demain je reviendrai

entendre ta voix qui me parle

encore de toi et de moi

.     .     .

ici aussi les draps où l’histoire fait la sieste

sont blancs et vides

.

seule la couverture du temps

est verte comme dernière parole du monde

quand le vent tourbillonne

nuit et jour à la porte du chaos

.

alors je m’enroule dans les mots de ton regard horizon

par-delà la mer nous séparant infiniment.

 

Suzanne Tanella Boni  née en 1954  est une auteure de Côte d’Ivoire.

 

 

 

 

Gorée Baobab Island” (four poems)

.

perhaps happiness is so far away

invisible among the tamarind leaves

when my hand brushes the fruit

to share them with spirits laughing at man’s

cruelty to man

.

perhaps the hope in my eyes drags

the future in clouds of dust where I seek

sparks and the dignity of condemned souls

.

when the horizon in the early hours

creates images and silhouettes between sun and sea

you are not here to see my eyes

where you have never seen the humour of the world

.     .     .

with the blessing of the island’s

invisible inhabitants I become alive again

.

as your look is not a poem

but the vast sea that pours infinite pages

at my feet

.     .     .

here too I drank at the source

words covered with mildew

like walls oozing all the sorrows

carved on the doors of time

.

I drank the life source

that gives us memory and the capped path

of days to come

I lost count of the mouthfuls of elixir I drank

so that the poem

that has forever haunted my steps survives

.

tomorrow I will return

to hear you talk to me

again of you and me

.     .     .

here too the sheets where history snoozed

are white and empty

.

the covers of time alone

are green like the last word in the world

when the wind howls

day and night at the gates of chaos

.

then I wrap myself in the words of your look faraway

beyond the sea that separates us infinitely.

 

L’île de Gorée est célèbre pour La Maison des Esclaves et La porte du Voyage sans Retour, d’où partaient pour l’ultime voyage les esclaves acheminés vers les plantations d’Amérique.

.

 


Herta Müller – L’homme est un grand faisan sur terre ——–( petit extrait )


dessin:  Sam Dillemans

                   dessin: Sam Dillemans

 

 

 

 

 

 

 

 

Windisch ferme les yeux. Il sent la courbe de ses yeux entre ses mains. Ses yeux qui n’ont pas de visage.

Avec ses yeux seuls et sa pierre dans la poitrine, Windisch dit à haute voix : « L’homme est un grand faisan sur terre. »

Ce que Windisch entend, ce n’est pas sa voix. Il sent que sa bouche est nue. Ce sont les murs qui ont parlé.

 

Herta Müller  avec  ce  récit  poignant et très imagé, obtient  le Prix Nobel pour « L’homme est un grand faisan sur terre »


Bassam Hajjar- une autre femme- Un autre homme


gravure: Edv Munch   1896

gravure: Edv Munch 1896

 

 

UNE AUTRE FEMME

Elle vient
pas pour s’approcher.

Nous entamons chaque journée en nous séparant
elle, je ne sais vers où
et moi pour préparer la séparation du jour suivant.

Comme si sa bouche était lointaine
et son corps, plus que je n’en supporte
plus que je ne peux.

Elle dort
pour que je voie

pour que je ferme la porte derrière moi.

A Hassan Daoud.

————-

UN AUTRE HOMME

Est-ce que tout est en train de finir ?
Ils laissent les verres et les sièges
et je reste ici tout seul
pour éteindre la lumière et dormir.

Ne se pourrait-il pas qu’ils soient derrière les portes
ou les rideaux
à attendre ?
Et que, après que j’aurai fermé les yeux,
la nuit commence en mon absence ?

 

Ces textes sont extraits  de  « Tu me survivras »

 


Camille Lysière – L’homme dessiné


Parmi les nombreuses publications de Camille,

J’ai choisi , avec son autorisation   » l’homme dessiné », que l’on peut  retrouver  sur  son blog…

Cœur de nuit.

Mon Homme-dessiné étendu sur le ventre, un bras tombe du lit, le dos de la main posé sur le parquet.

Il a fermé les yeux, il respire lentement, et sourit de temps en temps au gré de ses pensées. La lumière est douce et les draps sont froissés.

Les bruits du dehors nous parviennent seulement, nos halètements se sont enfin calmés. Il m’a prise comme j’aime, il m’a bercée, rudoyée, il m’a fait naître de ses mains, me transformant dans la même heure en catin, en princesse, en souillon, en sœur, en diamant palpitant.

Toutes les femmes en moi qu’il explore et visite, qu’il va chercher à coups de regards et de reins. Ou qu’il crée, peut-être, je n’en sais rien.

Je caresse ses fesses, rebondies, soyeuses, blanches. Seule surface épargnée de son anatomie. Mon Homme-dessiné a dressé sur sa peau la carte de sa vie, l’histoire de ses cris. Je les caresse du bout du doigt, je les embrasse, je les cajole. Je les envie. Collées à lui. A jamais ses alliées. Soudées.

Du bout du doigt je parcours des volutes, des arabesques, des pétales de lys, des angles saillants, des chemins de lettres aux tracés étonnants. Il m’explique chacun, des noms curieux, exotiques et charmants, des chemins tortueux, des désespoirs en noir et gris. Il me parle de lui.

J’écoute, fascinée, son parcours meurtri, et aussi ses espoirs, ses envies, ses forces, ses fragilités, son mépris, son respect. Mon Homme-dessiné se tourne sur le dos, me présente son ventre, tout aussi décoré. Ses tétons rosés sont percés de deux anneaux d’argent, je les chahute du bout de la langue, je les suçote et les tire un peu entre mes dents.

Il rit, t’as pas fini, canaille ?

Je me pose sur lui, il est chaud, il est grand. Mon Homme-dessiné aime fermer sur moi ses deux bras colorés. Sur celui qui enserre mon épaule, une femme sirène que je ne peux jalouser, qui pourtant passe sa vie au chaud tout contre lui. Un étrange serpent, son œil au ras du mien quand je pose la joue contre ce large torse. Et puis les trois singes de la sagesse, assis sur sa clavicule.

Pour être heureux, ma princesse, ne pas tout entendre, ne pas tout voir, savoir se taire… Et tu es heureux, toi ? Il ne dit rien, il me serre un peu plus, il caresse mes cheveux. Je ne sais pas, je suis bien, là, parle-moi, encore, encore, parle-moi, je veux ta voix.

Cœur de nuit, cœur de vie. Mon Homme-dessiné au matin va partir. Tracer d’autres sentiers, mener d’autres combats, me revenir parfois, blessé ou triomphant.

Mon Homme-dessiné, troublé, troublant.


Camille Lysière – L’homme dessiné


L’homme-dessiné

 

 

 

Cœur de nuit.

Mon Homme-dessiné étendu sur le ventre, un bras tombe du lit, le dos de la main posé sur le parquet. Il a fermé les yeux, il respire lentement, et sourit de temps en temps au gré de ses pensées. La lumière est douce et les draps sont froissés.

Les bruits du dehors nous parviennent seulement, nos halètements se sont enfin calmés. Il m’a prise comme j’aime, il m’a bercée, rudoyée, il m’a fait naître de ses mains, me transformant dans la même heure en catin, en princesse, en souillon, en sœur, en diamant palpitant.

Toutes les femmes en moi qu’il explore et visite, qu’il va chercher à coups de regards et de reins. Ou qu’il crée, peut-être, je n’en sais rien.

Je caresse ses fesses, rebondies, soyeuses, blanches. Seule surface épargnée de son anatomie. Mon Homme-dessiné a dressé sur sa peau la carte de sa vie, l’histoire de ses cris.

Je les caresse du bout du doigt, je les embrasse, je les cajole. Je les envie. Collées à lui. A jamais ses alliées. Soudées.

Du bout du doigt je parcours des volutes, des arabesques, des pétales de lys, des angles saillants, des chemins de lettres aux tracés étonnants. Il m’explique chacun, des noms curieux, exotiques et charmants, des chemins tortueux, des désespoirs en noir et gris. Il me parle de lui.

J’écoute, fascinée, son parcours meurtri, et aussi ses espoirs, ses envies, ses forces, ses fragilités, son mépris, son respect. Mon Homme-dessiné se tourne sur le dos, me présente son ventre, tout aussi décoré. Ses tétons rosés sont percés de deux anneaux d’argent, je les chahute du bout de la langue, je les suçote et les tire un peu entre mes dents. Il rit, t’as pas fini, canaille ? Je me pose sur lui, il est chaud, il est grand. Mon Homme-dessiné aime fermer sur moi ses deux bras colorés.

Sur celui qui enserre mon épaule, une femme sirène que je ne peux jalouser, qui pourtant passe sa vie au chaud tout contre lui. Un étrange serpent, son œil au ras du mien quand je pose la joue contre ce large torse. Et puis les trois singes de la sagesse, assis sur sa clavicule. Pour être heureux, ma princesse, ne pas tout entendre, ne pas tout voir, savoir se taire…

Et tu es heureux, toi ? Il ne dit rien, il me serre un peu plus, il caresse mes cheveux. Je ne sais pas, je suis bien, là, parle-moi, encore, encore, parle-moi, je veux ta voix.

Cœur de nuit, cœur de vie. Mon Homme-dessiné au matin va partir. Tracer d’autres sentiers, mener d’autres combats, me revenir parfois, blessé ou triomphant.

Mon Homme-dessiné, troublé, troublant.

 

 

 

Ce texte  est extrait du blog de Camille Lysière

 


Patrick Laupin – l’homme imprononçable – extr 01


BE051797

 

photographe non identifié

 

Je voudrais que s’entende comment la violence historique rentre dans les corps, crée en chacun une parole non parlée, un soliloque muet.

D’ordinaire la poésie arrive à ça par des abréviations fabuleuses et des synthèses de foudre donnant à lire toute la structure du langage en abîme.

J’entends une poésie qui ne trahisse pas la réalité. J’imagine un théâtre, simple odyssée sous les arbres, solitaire, tacite ou social, où l’auditeur soit dans la position d’entendre ce qu’il écoute comme s’il ne l’avait jamais encore entendu prononcer, bien que vivant de tout temps de ce débordement concentré de sa propre énergie singulière.

Où soient des adresses, des voix, un lieu de la parole en soi pour qu’elle puisse exister. Sans quoi, le tragique de la folie le prouve, l’homme est un être donné pour le néant et la disparition. Que la voix retraduise ça, le lieu, le geste, le fuyant.

Que s’entendent ces voix, vulnérables de songe, sentences retorses qui évident le mensonge, une beauté statuaire dans le calme plat de l’invective.

Je voudrais que s’entende une langue qui par la répartie instantanée retourne le sens à son vide, à la cruauté rapace d’envol qui dort dans la guerre intestine des corps, à la douceur élue de la beauté.

Ennuis, soleils, traites impayées, corps courbaturé et l’oppression, le souffle de la révolte.

Je me dis qu’une page est tracée diaphane chaque jour au soupir de notre disparition.

Je voudrais lui rendre son invention de chair, de verbe et d’insurrection sacrée.

 
(extrait de L’Homme imprononçable, La rumeur libre éditions, 2007)


Jean-Pierre Duprey – Saveur d’homme


peinture  Sidney Goodman autoPortrait  au bras replié  1985

peinture    Sidney Goodman      autoPortrait au bras replié 1985

Donnez-moi  de  quoi  changer  les  pierres,
De  quoi  me  faire  des  yeux
Avec  autre  chose  que  ma  chair
Et  des  os  avec  la  couleur  de  l’air  ;
Et  changez  l’air  dont  j’étouffe
En  un  soupir  qui  le  respire
Et  me  porte  ma  valise
De  porte  en  porte  ;
Qu’à  ce  soupir  je  pense  :  sourire
Derrière  une  autre  porte.
Détestable  saveur  d’homme.
En  vérité,  une  main  ne  tremble
Que  pour  vieillir  sa  mémoire  ;
L’autre  ne  vieillit  que  d’avoir
Trop  bougé  de  vie  depuis  le  temps
Où  le  monde  l’a  basculée
Dans  l’histoire  du  temps  et  du  moment,
Qui,  sans  jamais  se  ressembler,
Se  retrouve  à  chaque  instant
Dans  le  sac  noirci  de  son  éternité


Bassam Hajjar – Mets une girafe dans un bol, un poisson dans un jardin


peinture             Petite Lap   de Cat Painting

METS UNE GIRAFE DANS UN BOL,
UN POISSON DANS UN JARDIN

Habitons-nous dans le nuage bleu
que Marwa dessine à côté de mon nom ?

Quand le fracas se rapproche de la fenêtre
quand les meubles s’accroupissent dans les coins
ou que les rideaux prennent peur,
ni le nuage ne pleut,
ni mon nom n’embellit le monde.

Alors toi ma fille, dors,
et quand je somnolerai un peu
Je te promets de rêver de toi
de vider mon crâne de sa lourde quincaillerie
et de penser au nuage bleu
a la maison
au seuil

aux fruits qui ressemblent aux papillons
aux papillons qui ressemblent aux fruits
Uniquement quand tu les dessines.

Je te demande alors :
pourquoi ne dessines-tu pas le monde entier
pour qu’il lui soit donné de ressembler à quelque chose ?

Mets une girafe dans un bol
un poisson dans un jardin
mets un oiseau et un rhinocéros dans la même cage
et crois qu’ils vont s’aimer
parce que tu le veux ainsi
avec l’entêtement qui te fait considérer le sommeil
comme de fausses vacances.

Mets, quand tu dessines mon visage,
un peu de fatigue sur mes traits
une seule ligne sur mon front
pour que je considère que je suis au milieu de la vie
et non à la fin.

Mets une lueur de la couleur de ton choix

pour que la sécheresse ne s’attarde pas dans mes yeux
mets de l’eau en quantité
pour qu’il me reste deux mains énergiques
des moustaches
et un coeur rabougri, tant le vide fait siffler ma poitrine.

N’oublie pas les lits pour dormir
les bouches pour sourire
et un peu de larmes
seulement
pour nous rappeler de temps en temps
avant de l’oublier
comment un homme pleure comme une femme

comment une femme pleure comme une femme
comment ils pleurent, tant les pleurs les rassemblent.

Habitons-nous dans la petite boîte

que tu meubles avec des bouts de papier

des allumettes et des cuillers ?

Et puis arrive ta fille, jolie comme une poupée,

pour nous apprendre comment les poupées sont heureuses
sans parler
délicates, sans que personne ne leur manque.

Puis tu fermes la porte,

tandis que l’homme se souvient qu’il est un homme

et la femme qu’elle est une femme,

ils se souviennent qu’ils s’éloignent ensemble

chacun tout seul,

vers une obscurité redoutable.

Mets une étagère pour la lampe
une patère pour mon manteau ou mon chapeau
mets une nuit tiède après chaque jour
et des voyageurs
qui ne manquent pas leurs rendez-vous
ni de frapper à la porte

et de t’entendre courir

et jubiler derrière la porte.

(Paris, fin décembre 1986)

extrait  de  « tu me survivras »   Actes/sud


Max Jacob – A un filleul de quinze ans


aquarelle perso,  d'après Egon Schiele, portr  d'Erich Lederer,  Bâle  musée  d'Art

aquarelle perso,       d’après Egon Schiele,           portr d’Erich Lederer,          Bâle musée d’Art  – mars 2013

 

 

A UN FILLEUL DE QUINZE ANS.

Tu réprouves ce que je dis,
Tu parais écoeuré de moi,
Tu salues (ô torticolis) !
Et tu souris (ô quel empois)!

Tu méprises un vieux citharède
dans une enjambée de tes pneus.
Le dédain ce n’est pas une aide :
Comprendre c’est aimer un peu.

Tu te crois un très beau jeune homme,
et plus encore intelligent!
tous les romans que tu consommes
moisis, pivotent dans ton sang.

Si c’était blesser que tu souhaites…
mais non!! tu es doux et poli..
vrai Dieu, je te mettrais en boîte
et ficelé comme un colis.

Jean, ta ressemblance m’angoisse
avec mes quinze ans de jadis.
Songe à de futures disgrâces :
J’en suis le miroir aujourd’hui.

 

MAX JACOB. »derniers poèmes »


Bassam Hajjar – tu me survivras – les creuseurs


LES CREUSEURS

Que faisaient les mains habiles

mains d’hommes et de femmes

qui étaient comme nous des creuseurs

lorsque l’esprit du trou apparaissait

sous les traits d’une taupe ?

Les creuseurs nos pairs ont trouvé une galerie

une salle éclairée dans une galerie,

un homme qui attend une femme

qui attend dans la salle éclairée,

une femme qui fabrique un homme

qui fabrique une femme dans la salle éclairée,

un homme et une femme

solitaires ensemble

multiples ensemble

dans la salle éclairée.

–  extrait de  « Tu me survivras »    Actes/ Sud   –


Michel Hubert – Hypothèse de craie –



Plus au sud du rêve
ah pas qu’un soleil plus au sud du rêve :
certes
rien n’est si simple
aussi simple
que la géométrie bleue
d’un ciel andalou
c’est d’Arcos a Ronda pourtant

dans la Serrania

que l’homme sculpté

dans les troncs d’oliviers

se tord en ombre

des mille scolioses du sud

 

– extrait de  « hypothèse de craie »  – captif de l’homme

 


Ahmed Mehaoudi – ombrage chanté


Gravure sur bois - Georges Braque -:

 

gravure: Georges Braque

 

comment arrive t-il de ses ailes
à venir décrire de ses yeux de songeur
le feu nourri de nos théoriques certitudes
la course évidente du monde qui passe
comment arrive t-il
à murmurer sur nos lits fermer au soleil
la verité du livre des vérités
puis à l’aurore siroter
la ligne blanche de la nuit
où se croisent étoiles partantes
et lumière du matin

comment de ses ailes
atterrir
clamer que l’homme est le dernier à rire
quand c’est aux oiseaux d’en être les derniers
chanter au plus profond de la gorge
que c’est sa jeunesse qui fait défaut
et alors s’envoler à nouveau
là haut à l’écoute d’autres chants mystérieux…

 

 

-21 novembre 2010

 


Francis Ponge – Racines


peinture: Serge Plagnol: corps vertical

 

 

 

L’espoir est donc dans une poésie par laquelle le monde envahisse à ce point l’esprit de l’homme

qu’il en perde à peu près la parole, puis réinvente un jargon.

Les poètes sont les ambassadeurs du monde muet.

Comme tels, ils balbutient, ils murmurent, ils s’enfoncent dans la nuit du logos,

-jusqu’à ce qu’enfin ils se retrouvent au niveau des RACINES, où se confondent les choses et les formulations.


Francis Ponge

in « Le monde muet est notre seule patrie »

 

 


Jorge Luis Borgès – Labyrinthe


 

photo: labyrinthe  de la cathédrale  d’ Amiens

 

 

LABYRINTHE

 

Il n’y a pas de porte. Tu y es
Et le château embrasse l’univers
Il ne contient ni avers ni revers
Ni mur extérieur ni centre secret.
N’attends pas de la rigueur du chemin
Qui, obstiné, bifurque dans un autre,
Qu’il ait une fin. De fer est ton destin
Comme ton juge. N’attends pas l’assaut
Du taureau qui est homme et dont, plurielle,
L’étrange forme est l’horreur du réseau
D’interminable pierre qui s’emmêle.
Il n’existe pas. N’attends rien. Ni cette
Bête au noir crépuscule qui te guette