Nathaniel Tarn – tout tremble dans les trois créations

photo perso – îles Penrentian – Malaisie
Front de nuage dans lequel nous glissons,
lèvre bleue en bas qui fait saillie dans la mer,
nez d’une île qui pointe, gigantesque proue,
atterrissage à la surface de la lèvre comme un baiser –
hélices au ralenti, bienvenue des palmes –
en un mouvement de vent qui ne saurait cesser
tant que nos mains soulèvent les montagnes.
Île languissant dans l’air moite,
orage qui monte à l’horizon alentour,
impossible de savoir d’où exactement
mais tout tremble dans les trois créations.
Lucie Taïeb – rêve de vertu ( extrait )

Le sol tremble vaguement et les pavés se disjoignent, mais c’est ailleurs et elle ne peut pas savoir. Qui serait avec elle dans la chambre où elle repose verrait son visage s’assombrir. Il n’y a personne. Seulement les pavés qui se disjoignent et laissent deviner quelque chose de noir et de granuleux, du goudron, de la terre peut-être. Elle s’est agenouillée, elle regarde le sol de très près, un long moment, absorbée, faisant abstraction de tout le reste, un peu plus et elle collerait l’oreille contre les pavés pour savoir d’où vient le galop, quelque chose a tremblé, s’est ébranlé, elle a ressenti la secousse, l’image du rêve pourrait se briser comme une vitre, laisser s’engouffrer un grand souffle vide, mais au lieu de cela, lorsqu’elle relève la tête, ce qu’elle aperçoit, à l’horizon, ce sont des hommes. Principalement des hommes, mais aussi des femmes et quelques enfants.
Ils ont surgi des profondeurs de la terre, des tunnels et des souterrains, de tous les lieux de misère et d’ombre où ils avaient trouvé refuge….
Femme de vent – ( RC )

Femme de vent à l’âme secrète,
l’orage est ta chevelure,
je verrai presque ta tête
dans l’œil de l’ouragan
pendant un court instant de répit.
Bascule dans la saumure
l’errance de mon pays tropical.
Je t’entendrai hurler dans la nuit,
et pour me retenir de ta furie,
quand se déchaînent les éclairs,
mon corps se crispe sur les rochers coupants
mes pieds lestés de plomb :
Les vagues projetées
s’en sont prises aux navires
dans l’étau de tempête.
Autant de dents
qui les déchiquettent
dans la tourmente :
spirale géante
d’une gueule béante
où l’horizon s’est dissout
le ciel éclaté
comme pulvérisé
de fragments de verre,
sifflements stridents de ta colère
qu’avons nous fait
pour la provoquer,
et qui invoquer dorénavant
pour t’apaiser,
… femme de vent ?
Roland Dauxois – la jouissance toujours féconde de l’esprit

Je n’ai jamais voulu filer
avec les fileuses du temps
ni voulu me prendre les pieds
dans les filets du verbe,
je n’ai voulu vider mes yeux de leurs visions
je n’ai voulu brûler sous nul soleil
ni priver mon corps de ces mystérieux élans,
ni me perdre sur la ligne faillible de l’horizon.
J’aimerai sombrer
dans les profondeurs de mes draps froissés,
vagues blanches, torrents d’écume
qui rageusement m’emporteraient,
loin de ces rives où l’astre de feu inconsolé
annoncerait sa politique de cœur brûlé.
Je n’ai jamais voulu croire
en cette joie terne des jours travaillés
en cet immense laminoir
qui ne se lasse d’avaler les êtres
et de les rejeter en fumées,
je ne parle ici de camps de la mort
mais de ces usines
dont l’absence même est pleurée.
Je n’ai jamais voulu croire
en ces visions de paradis matériels
qui nous font oublier nos âmes
je n’ai jamais voulu croire
aux paroles de ces fanatiques
qui renient leur corps
pour trouver des dieux
qui justifient leurs tyrannies.
Je n’ai jamais voulu cesser de croire
en ces nuits
où guidé par des lampes merveilleuses
mon corps visitait les régions invisibles,
dialoguait avec le monde
des herbes et des écorces,
frottait sa peau blanche à l’arbre millénaire,
apprenait par le sexe
la jouissance toujours féconde de l’esprit.
Grisaille – (Susanne Derève) –

Pluie, l’aboiement d’un chien invisible dans la grisaille (autrefois l’éclair roux d’un grand setter à travers champs enluminait l’automne). Là-bas, au creux des îles, la pluie de mousson est à elle seule pays et paysage, néant où sombre le désir, quand elle ne fait ici que ternir l’horizon comme une vitre sale, une photo brouillée. La mer, au loin semble si sage.
Louis Guillaume – Causse noir

photo RC causse lozérien
J’erre dans un pays dont j’ai perdu la carte
Je ne sais plus l’endroit des puits.
Des ravins me font signe où la source est tarie
Où sont morts les feux, des bergers.
Quand je trouve un sentier mon pas soudain
trébuche
Et le roc sous moi s’amollit.
De nouveau c’est la plaine à l’horizon collée
L’étendue morne et sans mirages.
Pousserai-je le cri qui refera surgir
Des logis, des bois habités
Quelle statue de chair crevant le cœur des sables
Montrera du doigt l’oasis ?
Je m’égare en moi-même et le soir s’épaissit
L’ombre marche en silence et ne veut pas me dire
Où l’étoile est ensevelie.
Le terme du voyage (sur une peinture de N De Staël ) – (RC )

C’est au sommet de la montée
que se joue le terme du voyage .
L’horizon nous est caché,
mais on peut le deviner
derrière la pente.
La colline se divise en deux parties
nettement opposées :
le couteau d’ombre a tranché
dans les plages de lumière,
et les arbres, dont on ne voit que la tête
opposent au vent leur silhouette
juste avant la descente.
Si j’emprunte ce chemin
plus aride que le ciel désert
sans savoir où il conduit,
ne me mène-t-il pas tout droit
dans la vallée de pierres
du pays d’effroi
où le Blanc sombre dans un Noir
qui n’a pas de fin ?
quand je bascule de l’autre côté
de ce paysage illusoire
où s’égarent les repères …
Thomas Pontillo – carnets pour habiter le jour – écrire

Pourquoi écrivons-nous? Question qui nous laisse au bord de la route. Pour habiter, peut-être. Oui, pour habiter le rapport aux autres, à nous, au monde. Enfin, écrire pour avoir confiance.
♦
Ou peut-être écrivons-nous car la langue commune est desséchée. Commune et courante. Que faire avec ces pauvres mots du quotidien? Nous ne pouvons pas respirer. Elle n’a pas d’autre horizon qu’elle-même. Or, nous désirons tant les horizons.
♦
En réalité, c’est le malaise qui nous pousse à écrire. Malaise indéterminé. Quel désir nous brûle, nous porte au-delà de nous-même? Pourquoi l’écriture, aussi, est une demeure précaire?
♦
Une petite route sur les collines de Toscane – ( RC )

C’est une petite route
qui cherche son chemin
sur les collines
de la Toscane.
Elle domine la vallée
déjà plongée
derrière un rideau de brume.
On la devine par des nuances de gris
dans la photographie.
Comme dans celles de Giacomelli
les silhouettes des cyprès
disposés sur la crète
semblent accompagner
celles des promeneurs
qui traversent le champ de vision
pour aller vers un horizon
encore lointain…
l’atteindront-ils enfin
quand j’aurais fini
de décrire ce que je vois ici ?
Pierre Cressant – Incendies

la mémoire a incendié le passé ; table rase de ses terres sans lendemain ;
à découvert, sous les cendres, un présent pur et clair, horizon sans fin où brillent une à une mille et une joies anciennes ;
l’image de notre amour qui tremble encore.
Christophe Condello – âme

Fille je suis fille
d’un homme d’une autre saison
feu je suis feu
de l’éclair et de l’univers
belle je suis belle
dans le don et le pardon
femme je suis femme
de pensées et d’évasion
flamme je suis flamme
de plaisirs et de passions
âme je suis âme
du présent et de l’horizon
âme je suis âme
âme je suis âme
mère je suis mère
de nos bases, nos fondations
fière je suis fière
de l’homme que tu peux devenir
cœur je suis cœur
du passé et de l’avenir
promesse je suis promise
sans ombre et sans trahison
forte je suis forte
de caresses et de tendresse
âme je suis âme
du présent et de l’horizon
âme je suis âme
âme je suis âme
sœur je suis sœur
de la terre et de la mer
racine je suis racine
de l’harmonie, de la vie
lumière je suis lumière
de nos clartés, nos voluptés
pleurs je suis pleurs
sur nos plaies, perles de rosée
amour je suis amour
le flux et reflux des marées
âme je suis âme
du présent et de l’horizon
âme je suis âme
âme je suis âme
femme je suis femme
debout, sans compromission
âme je suis âme
du présent et de l’horizon
âme je suis âme
du présent et de l’horizon
voir l’abondant site poétique de Christophe Condello où il met en lumière beaucoup de poètes connus ou moins connus ( en particulier celui de son pays, le Québec )
blés attendant l’orage – ( RC )

Sous un ciel immobile,
ce calme trompeur.
Pas un vent, pas une brise n’arrive.
Les oiseaux se sont tus.
Le sage alignement des arbres
repose sur la ligne d’horizon ,
comme des notes
sur une partition.
Une mer d’épis
dressés les uns près des autres
patiente avant l’orage
résonnant déjà au loin.
Liés à la terre nourricière,
ne pouvant fuir,
ils se tiennent debout
sous la lumière blafarde.
Telle une armée de fantassins
attendant la pluie de fer,
ils portent le renouveau, cependant.
Du champ massacré,
des épis éparpillés
renaîtront d’autres blés,
une fois calmée
la fureur des temps.
Vois comme ce ciel
pesant, presque noir;
est lourd de menaces,
confronte sa puissance
sur les têtes fragiles
courbant bientôt sous la grêle
sans abandonner l’espoir
d’une renaissance…
Un pont sur les rêves – ( RC )

C’est une voie étroite
qui s’élance
au milieu des flots.
Juste quelques récifs
battus par les embruns
la maintiennent .
Pour prolonger le jour,
sous le ciel étoilé,
il me faudra quelques signes,
ceux du zodiaque peut-être,
un horizon bleuté
pour me rapprocher des îles.
Je jetterai un pont,
quelques lignes sur les rêves,
transformerai le calvaire
en phare de lumière,
très loin d’ici
prêt à immobiliser les vagues.
Est-ce un morceau d’infini
ce ciel qui m’attend
décollé de la mer ?
emportant mon ombre portée
prête à se déchirer
sur les rochers.
Un havre de pierre se détache ,
vacille dans la tempête ,
mais avant qu’il ne sombre
il faut que je dessine
une rue sur l’océan
qui tiendra juste
en équilibre dans l’image
avant que je n’aborde
dans la réalité,
comme le château de sable
qu’efface,inlassablement,
la marée .
Bruno Ruiz – pour la pensée qui cherche votre étoile

Je n’ai de grâce que pour la pensée qui cherche votre étoile
Et mon métier n’énonce que le rêve perdu de vos raisons
Qu’ils soient reconnus ceux qui se perdent en eux–mêmes
Qu’on les inonde de lumière à la ferveur de leur corps
Pour qu’ils chantent le temps d’une vie enfouie
Ce temps joignant le geste à la parole
Ils sont mes chers passants du silence restés dans le noir pour le partage des perles
Demain je serai avec vous sur l’horizon
J’aurai laissé le temps clair se poser sur l’absence du monde
Ce temps d’éternité dans l’esprit et son apparence
L’arbitre aura disparu et personne ne cherchera sa présence
Ivo Fleischmann – Vers

Les secrets. Nous en sommes entourés.
Un seul visage, ou deux ?
J’écoute ton souffle et quand tu ouvres les yeux
et que tu me demandes pourquoi je veille
jamais je ne dirai le nom de la rue le nom de la ville
le chiffre de l’année
Jamais je ne dirai que des nuages là-haut filent vers l’horizon
Je te soulève de la rivière où tu dors
et je t’y replonge pour descendre avec toi au fil de l’eau
la nuit, comme un torrent
qui ne remontera jamais vers sa source.
(Quelques feuilles et la rivière )
— extrait du recueil « poésie », la nouvelle poésie tchèque
Vicente Gerbasi – Espace secret

Les arbres morts à l’horizon du soir
dessinent la frontière du feu.
Il y a des distances mortelles dans les lignes de la main,
dans les veines du cœur.
Voici un fleuve obscur qui reflète les orangers,
les passagers du temps comme en un carnaval,
les serpentins qui se consument dans l’ombre,
les lierres clairs au fond
où s’illuminent les masques
et s’abolissent les visages.
L’éclair glace l’enceinte des coqs.
Je vois les espaces, rouges, bleus, lilas,
où les profils se pétrifient.
Ahmed Abd al-Mu’ti Hegazi – Commentaire d’un spectacle naturel
Un soleil s’écroule à l’horizon d’hiver
Rouge
Nuages de métal
D’où fusent des bouquets en feu
Je suis un petit paysan
Que maltraite la nuit
Notre charrette avale le fil d’asphalte
Vertical du village à la ville
Alors que je voudrais
Me jeter
Sur l’herbe mouillée.
Un soleil s’écroule à l’horizon d’hiver
Palais magique
Portière de lumière
Ouvrant à un temps légende
Paume teintée de henné
Le Paon surgit dans les Gémeaux
Queue arc-en-ciel déployée.
Jadis il y avait Dieu
Qui m’apparaissait au couchant
Comme un jardinier
Marchant à l’horizon rosé
Aspergeant un monde de jade.,,
Image exemplaire…
Mais l’enfant peintre
A été broyé par le temps,
Ahmed Abd al-Mu’ti Hegazi
Côté ombre – ( échos de textes SD – RC )
( ces textes sont visibles dans la partie » ping-pong )
photo Jerry Uelsman
—
COTE OMBRE
J’ai fait les cent pas sur le parvis
côté ombre
À même le pavé
la gitane a suivi les lignes de ma main
mais elles étaient brouillées
De l’autre côté des pierres
Notre-Dame de la Mer
écrasée de soleil, déserte,
s’endormait
Dans le silence
d’un plein après-midi d’été
Non, tu ne viendras plus
mais j’attendrai le soir
J’attendrai les chanteurs,
le timbre des guitares
le son rauque et cassé de ces mélopées lentes
qui disent le départ
et le prix de l’errance
– la gitane dénoue les pans d’un fichu vert
un enfant fait la manche –
Demain j’irai revoir la mer
la mer et les étangs
la robe claire des chevaux
et l’éclat de corail des flamants
comme des perles ébouriffées
qu’aurait éparpillées le vent
sur l’eau
J’irai dire un adieu à Arles la romaine
Fouler aux pieds les Alyscamps
Comme Toulet au bord des tombes
Eprouver le poids du passé
Avant que le jour ne s’effondre
Et oublier
SD
C’est la faute des pierres .
Elles ont attendu si longtemps,
alignées au bord des allées,
que même les inscriptions,
se sont effacées
assistant, immobiles, à la fusion des jours:
peut-être n’avaient-elles
plus rien à dire et ont suivi
le chemin des montagnes altières,
un souvenir des Alpes lointaines .
Ses rochers se sont écartés
pour laisser passer le mistral .
Le vent est toujours là, où tu l’a laissé,
les flamants roses sont comme des fleurs
posées sur les étangs,
mais on ne sait pas si ce sont les mêmes,
ou d’autres générations venues
sur les étangs de Camargue .
Tu trouves toujours aux Saintes-Maries,
une gitane prête à te dire ton destin,
dans les lignes de la main .
Mais tu ne sais pas la reconnaître.
Et d’ailleurs, si tu lui confiais ta paume ,
elle trouverait ces lignes effacées.
Et ce seraient comme ces pierres,
qui ont attendu si longtemps,
qu’elles ont fini par s’éroder,
se dissoudre :
dans le liquide du temps,
et le poids du passé .
–
RC
Étaient-ce des perles ou des fleurs
déposées par le vent
Je restais les observer des heures
Ils quittaient l’eau parfois
abandonnant leur fragile élégance
pour prendre leur envol
Et lorsqu’ils déployaient leurs ailes
ce n’était pas tant la fulgurance
du corail que ces rémiges noires
qui signifiaient tout à coup leur puissance
Arles déchue Arles des pierres dissoutes
de langueur et d’oubli
les arènes sont vides
la roche friable sous mes doigts
– j’en garde
un peu de la poussière au creux des ongles-
sur les gradins il n’y aura pas d’ombre
Mais au-delà des murs, échappée du regard,
j’aperçois la douce respiration de la ville
le soleil fléchit contre les toits de tuiles
Le temps devient cet or liquide
sans passé ni présent
le temps a la lourdeur des pierres
immobiles
SD Février 2018
J’ai fait les cent pas sur le parvis
côté ombre,
et tu n’es pas venue.
J’ai pourtant attendu longtemps.
Peut-être je n’aurais pas dû
acheter des fleurs ce matin.
Elles courbent déjà la tête,
et désespèrent de te voir,
à mesure
que le soleil
grignote un peu plus de la place .
Mais je suis resté,
assis sur un banc, désoeuvré,
et du square me parviennent les cris des enfants.
Je me suis occupé à compter les pavés.
Il y en avait beaucoup sur la place
autour des maigres platanes
que l’on y avait plantés.
Beaucoup, mais pas tant,
que ces minutes qui n’en finissent pas.
Elles s’étirent en un long soupir.
L’après-midi s’est prolongé,
c’était l’été et la lumière s’est attardée
jusqu’à la fermeture des boutiques.
Non, tu ne viendras plus.
Je le sais maintenant,
et les fleurs sont fanées.
Mais je reviendrai demain.
Il y aura des musiciens
qui accompagneront mes pensées.
Celles qui disent les exils volontaires,
l’incertitude de l’errance ,
et les lueurs de l’espoir.
Demain, quand tu seras là
je te tiendrai par le bras,
et nous irons revoir la mer
La robe claire des chevaux ,
et ton regard aura l’éclat
de la nuit , où le jour commence à poindre…
Nous éviterons les paroles inutiles,
que le vent aurait éparpillées ;
tu te contenteras d’être là.
Et ce sera la joie,
quand tu reviendras
.. mettre un terme à l’incertitude…
RC
Tu étais là, sur le parvis
côté ombre
et je t’ai reconnu même avant de te voir
Tu attendais sur le vieux banc de pierre
avec cet air d’éternel enfant
– celui sans doute qui m’avait fait revenir
sur mes pas une dernière fois
en te cherchant-
– Notre Dame de la mer –
Qu’attendais-tu, indifférent
a ce qui t’entourait
au timbre des guitares
aux gamins qui mendiaient à même le pavé
Il m’a semblé qu’une gitane en robe noire
lisait les lignes de ta main
T’a-t-elle parlé de moi ?
Je sais que j’ai couru vers toi que j’ai crié
que tu m’as serrée dans tes bras
et je suis si légère, t’en souviens-tu,
que tu m’as fait tourner, tourner sans fin
jusqu’au vertige
Si haut qu’au-delà du fronton de l’église
j’ai vu le soleil basculer ricocher
dans tes yeux
La place en est soudain devenue trop étroite …
Il me fallait le ciel entier côté lumière,
Il me fallait la mer au-delà de ces digues
qui ferment l’horizon sous le pas des chevaux,
au-delà des étangs, au-delà des roseaux
lequel entrainait l’autre, le sais-tu ?
Il me semble que tu m’as portée jusqu’à la mer
en chuchotant à mon oreille des mots
que le vent étouffait
Ou bien était-ce le vent lui-même qui murmurait
Qu’importe je te retrouvais
SD
Aucune conclusion – ( RC )
Je ne tire aucune conclusion,
des lendemains qui s’annoncent .
Ils ont le côté gris des réveils après la cuite.
J’ai du mal à rassembler quelques idées,
à déceler le vrai du faux
dans ce qui passe à la radio .
Il y a un horizon bouché
par des barres d’immeubles .
Le corps semble peser plusieurs tonnes:
J’ai du mal à le rendre concret .
La matière s’oppose à moi, inerte
comme le grand réfrigérateur blanc
qui me barre la route .
Il va falloir que je le contourne .
Je pense à tous ceux
qui ont pris des chemins de traverse ,
les parfaits anonymes
convoqués à heure fixe au bureau
( et ceux qui ont sauté par la fenêtre … )
–
RC – juin 2018
Les yeux des tournesols – ( RC )
montage perso à partir de mise en scène de théâtre ou d’opéra
—
Je ne sais plus ce qu’il faut penser des plantes .
Elles semblent être dans l’attente,
pourtant elles grandissent trop vite,
sans qu’on les y invite.
Vois-tu ce champ de céréales
sous le soleil vertical ?
Il semble secouer des têtes heureuses,
mais peut-être sont-elles vénéneuses…
C’est sans doute par leur couleur,
que se distille le malheur,
qui se glisse en traître,
à travers la palette.
Van Gogh ne nous en dira rien,
au partage des chemins ,
sous un ciel de tempête ,
qui résonna dans sa tête….
Quand je traverse un champ de tournesols,
d’autres oiseaux prennent leur envol :
on en voit plein à la ronde ,
et les fleurs m’observent de leur pupille ronde.
Toute une foule sur plus d’un hectare,
tourne vers moi son regard :
elle se concerte et m’espionne
chaque oeil dans sa corolle jaune .
Ils ont un langage que je ne peux comprendre :
j’imagine déjà leurs murmures se répandre
entre leurs têtes lourdes
comme une musique sourde :
Je vois bien qu’ils se sont détournés de l’horizon,
du soleil et des nuages de coton
pour se pencher de façon perfide
vers moi, ( me croyant stupide ) .
Ils ont dressé un mur végétal,
une sorte d’espace carcéral ,
leurs feuilles rugueuses, des volutes,
s’étalant de minute en minute
resserrant leur étreinte
en formant un labyrinthe
d’où il sera difficile de m’extraire
tant j’ai perdu mes repères…
Je ne vois plus que la poussière et le sol,
– j’aurais dû emporter une boussole,
puisqu’à l’aube d’un désastre
il ne faut plus compter sur les astres
et que l’horizon est bouché – .
Trop de plantes que je ne peux arracher,
trop de racines qui dépassent
et envahissent l’espace.
La foule de ces yeux qui rient
provient de la tapisserie :
et de ce cauchemar , en noir
se détache l’ombre du placard .
Mes rêves se sont enfuis
au plus profond de la nuit :
les tournesols devenus sages en dessins
( répétés à intervalles réguliers sur le papier peint ) .
–
RC – juin 2018
Yanka Diaghiléva – Seras-tu ?
Yanka Diaghiléva dont on peut trouver les traductions du russe par Henri Abril, sur son site
art: exposition Georges Guye
Seras-tu le rayon clair
qui naît de l’ombre,
Seras-tu l’ombre engendrant le rayon ?
Seras-tu la pluie bleue
qui tombe sur la neige,
Seras-tu l’un des nuages ?
Ne seras-tu qu’un maillon
de la chaîne dorée,
Ou bien le marteau qui la forge ?
Seras-tu le sentier à l’horizon
ou celui qui y marche ?
Seras-tu la plume d’une aile d’aigle
Ou seras-tu l’aigle lui-même ?
Seras-tu une goutte de vin
ou bien le fond de la cruche ?
1987
Premier homme sur la terre – ( RC )
Si j’étais le premier homme
à marcher sur la terre,
– venant d’une autre planète – ,
je marcherais avec prudence,
sur les berges sablonneuses,
laissant des traces en creux.
Je m’enfoncerai dans les forêts tropicales,
où le soleil n’y pénètre
que par effraction,
j’apprivoiserai les animaux,
qui m’accueilleront sans méfiance,
comme si j’étais des leurs :
un peu étrange, sur ses deux pattes,
le cœur presque à nu,
et ma mémoire cousue de fil blanc,
essayant de se faire comprendre
par des mimiques
trahissant mes pensées.
Je n’aurais pas la pupille dilatée
du fauve de service,
je viendrai sans arme:
( personne ne les aurait inventées) ,
et avec les meilleures intentions .
Je me guide aux phrases de la lune :
elle, au moins, me comprend .
Je lui parlerai le soir,
lorsque le soleil s’éteindra .
Il reparaîtra le lendemain,
d’un autre côté .
Il étire les ombres ou les rétrécit,
comme avec des élastiques.
Cela semble être un jeu
dont jamais il ne se lasse
montant et descendant
tel un yoyo, au-dessus de l’horizon.
Il y a un seul astre ici.
Il règne, sans partage
et semble très écouté .
Sa caresse varie, de tiédeur
en brûlure , rythmée par le jour
qui se déplie .
C’est sa façon d’être :
çà remplace le langage,
et les plantes le comprennent:
elles se sont multipliées
au point de couvrir
la plupart des endroits.
C’est une planète verte
avec de grands lacs,
que l’on nommera océans:
la vie a l’air moins rude
qu’ailleurs en galaxie.
J’indiquerai ça,
dans mon compte-rendu ,
devant rendre mon rapport sous quinzaine.
Je parie que bientôt
une équipe d’explorateurs
prendra ma relève.
Il ne serait pas impossible
qu’ils s’établissent ici,
avec leur petite famille, en villégiature .
S’ils construisent un village
il y aura peut-être même
une place à mon nom .
–
RC – sept 2017
Une île de douleur – ( RC )
Une frêle île flottante,
une barque malmenée par les vagues
chargée jusqu’à ras bord
d’abandon et de douleur.
C’est une partie de pays
mise en quarantaine,
qui espère un jour
retrouver la terre ferme.
Epuisée des orages,
abandonnée par le soleil,
à chaque jour son naufrage
une barque prisonnière du destin
Comme un oiseau dans sa cage
livré aux éléments,
c’est une île fragile
sur la route de l’exil
La route de l’inconnu
juste derrière l’horizon :
Empire de la douleur,
le ciel a perdu ses couleurs.
–
RC – oct 2016
–
d’après Louis Aragon » Quarante »
le spectre visible de la lumière – ( RC )
photo: Will Tenney
Bien sûr, nous respirons le jour
comme nous buvons l’eau .
La lumière s’est extraite de la nuit,
( ainsi une fleur éclose ) .
Le noir n’en est plus un,
et garde simplement une présence,
ramassé derrière les objets:
prêt à tout envahir
lorsque le soleil clignote,
ou s’étouffe sous le tissu des nuées.
Notre astre est seul et sans pensées,
sans concurrence immédiate,
il peut en prendre à ses aises
et nous faire transpirer,
s’il est suffisamment haut
d’autant plus proche
de la verticale de l’horizon,
fait se tourner les ombres
qui semblent le fuir,
– comme si elles le craignaient…
Les cadrans peuvent donner l’heure,
car on sait, ( sauf persistance des brumes ),
que les rendez-vous avec lui sont ponctuels:
sa trajectoire varie peu.
Les ombres vont donc dans le même sens.
Elles ne réfléchissent pas,
– contrairement aux eaux –
elles concentrent un peu d’obscur,
déportent ailleurs la forme des objets
auxquels elles sont attachées.
Il y en a même qui ont appris,
– dans leur fuite –
à descendre les escaliers,
mais il est rare quelles aillent très loin :
C’est qu’elles ont peur de se perdre
et de se dissoudre dans d’autres formes,
ou dans l’indéfini.
Elles restent légères,
encore davantage que la cendre ;
malgré leur opacité, et à jamais insaisissables.
C’est comme l’envers d’un décor :
le spectre visible de la lumière,
qu’on ne peut pas annuler .
RC- sept 2017
Jean-Pierre Paulhac – Une voix
Une voix
Comme un sourire
Une voix
Comme un soleil
D’océan indien
Une voix
Comme un horizon bleuté
Vers lequel voguent mes mots
Aspirés d’espoir
J’entends
Des rires de palmiers qui se tordent de musique
Des pas de danse qu’invente une plage espiègle
Des chants qui montent sur des braseros ivres
Des crustacés qui crépitent leur saveur pimentée
Ici
C’est le silence gris des bétons déprimés
C’est la glace qui saisit tous les masques
C’est un jadis souriant embrumé d’ombre
C’est l’ennui qui ne sait que recommencer
J’entends
Des guitares rastas aux cris de parfum hâlé
Des bras nus de désir qui dégrafent la lune
Des hanches insatiables que dessoudent la salsa
Des nuits secrètes aux folles sueurs de soufre
Ici
C’est le mutisme morne des grimaces polies
C’est la morgue soyeuse des cravates policées
C’est la cadrature étroite des cercles vicieux
Qui soumet à ses ordres la horde quadrillée
J’entends
Mes souvenirs marins d’aurores océanes
Mes remords nomades de dunes vives
Ma mémoire exilée qui déborde en vain
De tant d’hivers que la chaleur a bafoués
Ici
Le temps se tait s’étire et se désespère
Le temps n’est plus une chimère bleue
Le temps se meurt de mourir de rien
Et chaque ride compte un bonheur perdu
J’entends
Un rêve qui papillonne son corail osé
Un rêve qui murmure un refrain salé
Un rêve qui soupire son souffle de sable
Sur l’éternel instant d’un été sans fin
Une voix
Comme un sourire
Une voix
Comme un soleil
D’océan indien
Une voix
Comme un horizon bleuté
Vers lequel voguent mes mots
Aspirés d’espoir
Guy Goffette – Famine
Certains dimanches d’été, le ciel descend sur terre et tire au cordeau des routes pour les familles sans auto, les chevaux sans maître, les filles gommées des calepins.Sans bouger, chacun voyage à son rythme dans un pays rendu d’avance, jusqu’à ce que, le soir tombant, il faille se lever, rentrer le banc qui fraîchit, passer la barrière, le seuil, le jeu des ombres, son propre corps et retrouver enfin son visage dans la glace comme cette toile depuis des siècles dans la chambre du peintre.
Le comptable a fermé le dernier guichet tiré la grille et peut-être un instant pensé à devenir voleur, à céder au poids de la clé brûlante dans la poche tandis que le soleil aux plis de sa nuque verse la rouille des jours perdus à supputer la chance d’une fenêtre dans ces visages minés à contre-jour par la pioche infatigable du temps
Les villages de schiste sombre et froid laissent courir aussi des filles aux lèvres peintes et souvent le poing des vieux laboureurs s’écrase sur la table de l’unique bistrot élargissant d’un coup l’espace de l’attente où la lumière se rassemble, frileuse et comme prise au piège d’une lampe
mais il est midi à peine et dans la rue un chat guette une proie que personne ne voit
Derrière la haie le poste à transistors susurre le cauchemar de l’Histoire tandis que l’homme au bras huileux fend à la hache un bois récalcitrant dont le sang atteint le ciel au menton comme s’il voulait porter à notre place la croix alourdie du présent
La maison à veilleuse rouge dans l’impasse tu attendais de grandir, le cœur et les doigts tachés d’encre pour y chercher des roses
A présent qu’une route à quatre bandes la traverse tu es entré toi aussi sans savoir dans la file qui fait reculer l’horizon où cet enfant t’appelle qui n’a pas pu grandir portant jour après jour en ses mains sombres le bouquet rouge au fond du ciel que tu n’as pas cueilli
Comme le visage à vif du boxeur aveugle après la troisième chute tu n’entends plus les coups mais ton cœur entre ciel et terre qui répète sans se tromper le nombre exact
Le soir qui tombe sur tes épaules enfonce les clous un peu plus bas
Minée par quelle mer la ville puisque les taupes n’y harcèlent pas le printemps sans racines
Peut-être est-il venu le temps de croire que Jonas est vraiment sorti de la baleine et que c’est lui ce vide au carrefour que tous rejettent en accélérant
Les yeux jaunes des voitures le soir tu les voyais déjà, enfant détourer le pied des immeubles et tu faisais pareil à table avec la mer et les ciseaux dorés ajustant patiemment sous la lampe l’image à sa légende obscure.
A présent tu sais lire et tiens ferme la barre de ta fenêtre sur le monde où les immeubles s’écroulent l’un après l’autre dans l’incendie découvrant peu à peu la ligne sous laquelle il te faudra descendre descendre encore, paupières closes, pour joindre les bords extrêmes de ta vie.
peinture edw Hopper
Lui qui avance les mains nues les paupières scellées sur la scène déserte et sous les projecteurs le temps ne l’arrête pas ni le vide, il marche depuis des siècles vers un mur connu de lui seul comme l’arbre qu’un ciel obstiné tire vers l’horizon et s’il s’écarte parfois c’est pour laisser à sa place une fenêtre ouverte où quelqu’un appelle invisible et chacun croit l’entendre dans sa langue
La nuit peut bien fermer la mer dans les miroirs : les fêtes sont finies le sang seul continue de mûrir dans l’ombre qui arrondit la terre comme ce grain de raisin noir oublié dans la chambre de l’œil qu’un aigle déchirant la toile enfonce dans la gorge du temps
La nuit a volé son unique lampe à la cuisine piégé dans la vitre celui qui se tait debout dans la tourbe des mots
Il brûle à feu très doux l’obscure enveloppe du silence (comme ces collines sous la cendre réchauffent l’aube de leur mufle) et pour la première fois peut-être son visage d’ombre est toute la lumière et parle pour lui seul.
Un peu du plâtras des murs rien qu’un peu et rendre à la jeune putain son sourire de vierge
(Aimer ô l’infinitif amer dans la nuit des statues et dans le jour qu’écorchent les bouchers)
Visage impossible à saisir avec ce ciel collé au bout des doigts quand la femme unique sur toutes les fenêtres aveugles de la terre roule des hanches et passe .
Ce peu de mots ajustés aux choses de toujours ce questionnement sans fin des gosses dans la journée ces silences plus longs maintenant, à l’approche du soir comme le soleil traversant la chambre vide sur des patins,
tout cela qui se perd entre les lames du parquet, les pas, les rides a fini par tisser la toile inaccessible qui drape chacun des gestes du vieux couple lui donne cet air absent des statues prenant le frais dans la cour du musée
et nul ne voit leurs ombres se confondre enjamber le haut mur du temps mais seulement l’échelle aux pieds de la nuit l’échelle sans barreaux ni montants d’une vie petite arrivée à son terme.