Rainer Maria Rilke – Portrait intérieur

Jean Fautrier – Femme douce
Ce ne sont pas des souvenirs
qui en moi t’entretiennent ;
tu n’es pas non plus mienne
par la force d’un beau désir.
Ce qui te rend présente,
c’est le détour ardent
qu’une tendresse lente
décrit dans mon propre sang.
Je suis sans besoin
de te voir apparaître ;
il m’a suffi de naître
pour te perdre un peu moins.
Vergers
et autres poèmes français
nrf Poésie/ Gallimard
Leon Felipe – Don Quichotte et le rêve prométhéen (extrait )
Le Poète Prométhéen apparaît toujours dans l’Histoire comme un personnage imaginaire… mais l’imaginaire prométhéen gagne du réel… et la réalité domestique… se perd dans les ombres de l’Histoire.
Les rêves des hommes fabriquent l’Histoire… Les rêves sont la semence de la réalité de demain et ils fleurissent quand le sang les arrose et les féconde…
L’Histoire… est sang et rêves.
Et il arrive que le rêve se fait chair et la chair rêve.
Le Poète prométhéen s’échappe des ombres de la Mythologie… de l’imagination infantile des hommes, des livres sacrés… et de la maison même de Dieu… Et le Verbe… se fait chair…
Chair et symbole…
Ismaël – la page de Tunis
»
la page de Tunis « est extraite d’une parution de la revue sic du collectif Dixit
Je n’ai d’autre chevelure, à tresser d’azur. Que celle de la nuit. Tombant, opaque, et malléable, sur le jasmin du mur. Son image. Le miroir n’est pas un miroir. S’il consent à la forme. Et la nuit, n’est pas nuit. Si elle ne tombe, que sur sa propre image. La mort est perpétuelle. Tresser la nuit. Briser le miroir. Ce n’est que faire trembler l’invisible. Ce n’est que chatouiller l’arbre, lorsque le désir du fruit cueille la faim. Déraciner la perpétuation,
en lieu et place, laisser l’inconnu germer. Le seul travail de la terre, qui vaille la peine d’oublier l’horizon.
Je n’ai aucun devoir de mémoire, sauf celui du rêve. Sauf le devoir de verser au sommeil, à boire, à se désaltérer, du nuage. Les nuits sont faites du même rêve exactement de la même manière, que les mers sont faites de la même eau. Le rêve du jour n’est pas un rêve, c’est la négation du rêve.
Peut-être la mémoire du rêve, est-elle le sommeil de l’altérité.
Peut-être que c’est le sommeil qui se meut dans le rêve, non le contraire.
(Démonstration) le v(i)oleur ne veut plus de moi. Un corps (en dé)coule, une inclinaison. Il (dé)laisse ma personne vidée de tout bruit, sur cette pente, ailleurs.(Réponse)Je suis ailleurs
Peut-être que les inconnus que nous croisons en rêve ne sont-ils pas imaginaires, mais qu’ils se sont perdus dans notre sommeil. Ou bien peut-être que c’est nous, qui nous sommes perdus dans leur sommeil, à eux. Peut-être qu’eux aussi nous prennent pour des personnages imaginaires.
Peut-être que l’homme qui a cherché toute sa vie, la femme qu’il a aimée en rêve, savait-il, lui, qu’elle était endormie, comme lui, qu’elle s’était éveillée, aussi. Peut-être espérait-il qu’elle le chercherait, aussi. Et qu’ils finiraient, par se perdre, l’un dans l’éclat, de l’autre.
Peut-être le rêve est-il l’au-delà, du feu.
Je n’ai pas d’étoiles, à éplucher. Elle ne m’a laissé, qu’une ombre, inhabitable, dans la bouche.
Un samedi à minuit et dix minutes.
Que chacun reste à sa place – (RC )
montage perso 2012
–
Je me méfie des signes
Clignotant dans la nuit.
Ce sont peut-être des phares,
Guidant les marins vers le port,
Ou des feux sournois qui égarent…
Je me méfie des symboles,
Et des grandes formules;
Des lions ailés sur les drapeaux,
Des discours et grandes phrases,
De bavards, et de l’emphase.
L’image peut-être trompeuse,
Et celui qui l’utilise,
Le fait souvent habilement,
L’abondance nous cerne,
Ce qu’on appelle « prendre des vessies pour des lanternes ».
Que chacun reste à sa place,
Et vénère ou non, un dieu.
Je n’ai rien contre les convictions,
Le parcours de l’imaginaire.
Chacun est libre, les pieds sur la terre,
De percevoir entre les nuages,
Les murmures des oracles,
Et de croire aux miracles,
De lire des figures
Dans le marc de café…
Chacun ses choix.
Quant à en faire une loi,,
Imposer ce qu’il faut croire,
Permettez que je doute,
Je ne partage pas avec la planète,
Mes hallucinations.
Je ne suis pas conforme,
Et pas fait pour les dogmes.
Et j’ai quelque suspicion,
Envers la politique, et la religion.
–
RC – sept 214
Nous sommes sans doute sortis de leur esprit – ( RC )
–
Une existence tourbillonne,
Et se tourne sur elle même,
En trajectoires,
Elles semblent diverger,
Mais restent parallèles,
Si habiter son propre corps,
Renvoit à plusieurs,
Et qu’il est difficile
De s’y retrouver,
De s’y réfléchir, même,
Comme penché sur un miroir,
Donnant un tout autre aspect,
Selon l’éclairage,
Le lieu,
Et le temps, habités.
Le défilé des images,
Penchées sur le passé,
Peut revenir sans cesse,
Si on le souhaite.
Il suffit de revenir
Quelques séquences en arrière,
Ou montrer le film à l’envers.
Les trajectoires parallèles,
Sont-elles les mêmes,
A travers des personnes semblables
Habitées par leur rôle ?
Chacun s’habille de la peau
De l’être qu’il incarne,
Conduit son propre fil,
Et arrive à se confondre,
Au coeur même de sa vie,
Avec le jeu, qui le poursuit.
Courts-circuits des apparences,
Echanges des existences,
Comédie et faux-semblants
A l’aspect changeant, caméléon,
Selon les habits,
Que l’acteur aura revêtus,
Le récit est mené,
Et s’interprète,
Tortueux, et modifié,
Avec la passion,
Elle-même mise en scène…
Superposant la fiction,
Et le drame,
Auquel on aura survécu…
Comme la vie traversière,
Parcourue de réminiscences,
Avec le part des choses,
Où se superposent,
Le jeu du comédien,
Grandiloquent,
Et celui de l’histoire personnelle,
Que l’on perçoit, translucide,
Du corps, et des années ,
Reconduites,
Où – le présent est aussi le passé.
Les cartes se rebattent,
Et apparaissent dans un ordre différent,
Mais ce sont les mêmes.
Si les frontières s’abolissent,
Entre le vécu et l’imaginaire,
Quand l’aujourd’hui,
Se dilue dans les transparences,
De ce qui fut…
Si ce qui a été n’est pas le pur produit,
De ce qu’on a rêvé,
Partageant encore, divers rôles.
Inventés par d’autres.
Les auteurs inventant constamment,
De nouvelles créatures,
Pour les besoins du récit.
Nous sommes sans doute,
Sortis de leur esprit
– encore que
Nous n’en soyons pas si sûrs,
Et on se croise soi-même
Aux détours de leur mémoire…
Et de la nôtre
–
RC – 10 décembre 2013
.
( en pensant à la pièce de Pirandello » six personnages en quête d’auteur «
… et au film de David Lynch » Inland Empire »
—
Cathy Garcia – Luciole

photo Paige de Ponte, extraite de Gaia
–
Tu es
beau
de cette beauté brute
encore un peu gauche
bougonne
farouche
tes pommettes tes yeux
me parlent d’un ailleurs
que j’ai déjà connu
comment pourquoi
résister
tendre esquisse de vol
les gestes en équilibre
étonnés d’eux-mêmes
comment pourquoi
oublier
cette lumière
au dedans
au-dehors
le vent qui berce
sur nos têtes
les arbres en partance
imaginaire
le parfum du bois
le grognement de la chienne
et la nuit soûle
d’étoiles
qui se roule à terre
comment pourquoi
s’arracher des lèvres
ce goût d’effraction ?
tu es
vois-tu
de ceux qui me voient
comme je me rêve
l’illusion
est si belle
vaut bien la blessure
que tu ne manqueras pas
de me faire
–
L’imaginaire, toujours ouvert ( RC )
Cristallise, l’imaginaire, toujours ouvert,
Elle
A la lecture,
Ouverte sur le merveilleux,
Une porte sur l’invisible,
Aux doigts gourds qui ne peuvent expliquer
La mémoire et ses retours
Interprétés,
Comme divagations,
Cristallise le parfum des fêtes,
Et des musiques intérieures,
La dilapider au silence et l’espace
L’enfance,
Confrontée au monde de l’adulte,
Ceux qui
Ont oublié
Le sentir, le toucher, l’écrire, et grandir..;
Le monde est encore ouvert,
Même la porte magique
Que l’on dessine en soi
Pour des projets de joie et espérance.
–
RC 19 Mars 2013
–
Lambert Savigneux – et mâcher la machette – Utopia –
Emily Kame KNGWARREYE
et mâcher la machette
quand la pression du monde est si violente, que sur les tempes le monde appuie avec des barres de fer qui écrasent la pensée même
est t »il simplement possible de vivre et qu’est ce vivre ?
se dire c’est dire je suis et faire abstraction de la pesanteur, se délaisser du monde qui enserre
prendre la plume et écrire deux mots semble impossible, étrangler dans les langes d’un linceul, se fait croire pour la vie
UTOPIA
l’imaginaire est compressé, emprisonné dans une lente mort, les yeux eux mêmes ne voient plus autre choses que ce monstre qui détruit,
l’autre, les autres car écrire cela n’est pas écrire
écrire c’est libérer l’étranglement, c’est desserrer l’étreinte
vaincre la mort et l’étouffement
rétablir l’équilibre et l’énergie,
asphyxié
rétablir l’équilibre, mentalement de sa place dans l’univers et ouvrir la main et relâcher un tant soi peu tout ce qui croupit dans cette tension de mare où pourrit la vie, délétère sous le couvercle d’une oppression qui empêche de respirer, inspirer et laisser aller le flot de parole garant de la vie
c’est l’imaginaire, cette porte ouverte, cette nappe intérieure d’où s’échappe le lotus
fleuri
pouvoir dire cela et ciller apercevoir un autre soi et se mettre à courir
56 EMILY KAME KNGWARREYE (c1910 – 1996). UNTITLED (ALHALKERE), 1995
–
Bête de Gévaudan ( RC )
Dans ces lieux, que je vous décris
Il y a toujours de ces champignons
Que l’on prend pour des lumignons
Des brumes, de l’encre et des cris..
Il n’y a plus grand monde, avant l’hiver
Quelques boeufs, pas de tracteurs
Mais seulement quelques cultivateurs
Et les environs sont déserts
Dans les labours, ils jettent le blé au vent
Comme elle est bête , du Gévaudan…
dans la forêt sombre, luisent des dents
C’était il y a longtemps, c’était avant…
Il y a des chemins qui vont au hasard
Et des bandits de grand chemin
Qui hantent les routes du destin
Lorsque le jour se fait hagard
Si le sombre se pose là, menaçant
Tous les jours ne sont pas dimanche,
Envers l’inconnu un désir de revanche
Mêle de l’inconnu des désirs de feu et sang
Car on raconte beaucoup de choses
Difficiles à vérifier
Et dont il faut quand même, se méfier
Qui font beaucoup de littérature, – et de prose.
On ne sait plus, avant que pierres se fendent
Ce qui est du vrai ou du fantastique,
Le fil du temps, délite l’historique
Et les traces se diluent en légendes…
A trier du grain de l’ivraie,
Les contes, enjolivés par l’âge
Ne sont plus, au reportage
Qu’évènements, où chercher le vrai
Est comme chercher , quelques indices
Ou l’aiguille dans la botte de foin
De ces échos lointains
Qui ont intéressé la police…
Mais provoquent l’imaginaire
D’un esprit élastique
A voir des bêtes fantastiques
Un peu partout sur terre…
Si une bête s’est échappée
C’est toute un affaire
— On parle d’une panthère
Et toutes les calanques sont bloquées…
Il faut verser de l’encre en litres
Le lecteur des gazettes est poussé à l’achat…
Finalement …… ce n’était qu’un gros chat
Dont on fit les gros titres…
Les nouvelles d’ailleurs ne sont jamais pareilles
La Sardine – ( cétait un record )
Avait bouché le vieux port…
C’est vrai qu’on était à Marseille…
On dit bien avec » l’acssent », » Bonne Mère »
– Tu vois pas qu’ils exagèrent…. ?
Mais dans le sombre Gévaudan
… on en fait tout autant….
Et si la « Bête » — ce phénomène
– Dont on fit affaire d’état
N’était qu’une suite d’assassinats
Qui aurait sa forme humaine…. ?
Dont on fit une « Une »
— faute de trouver un coupable
Ce fut la « bête » », le responsable
… les loups hurlant à la lune….
RC – 20 octobre 2012
( voir -entre autres la description détaillée qu’on en a fait, ici… )
–
–
Inconstance, jongleuse de lune (RC)

peinture: Abraham Janssens:
Allégorie de l’inconstance vers 1617. — Madeleine renonçant aux richesses de ce monde, Palais des Beaux-Arts de Lille
–
L’art, dans l’imaginaire, nous transporte toujours
Et même crée devant nos yeux l’image de la pensée
C’est un paradis, un enfer, ou , des âmes , la pesée
Les dieux en combat, les allégories et amours
Au pays de muses, j’aime voyager, en bonne fortune
Dans les peintures, d’espaces translucides
A sortir de son mouchoir, lapin, ou bien lune
Jouer avec les symboles, homard et autres arachnides
D’un espace noir, et peut-être sans atmosphère
Mais agité de courants, fréquenté par les bêtes de la nuit
Et mouvements, tordant les voilages, , qui prolifèrent
Tandis qu’en bas, sous l’oeil des déesses, les hommes s’enfuient.
C’est le caprice de ces dames, la fantaisie des dieux
Qui fait le pluie et le beau temps, et notre destin
Notre sort , notre vie se joue, pour ici, en d’autres lieux
La conduite de ces affaires, n’est pas pour nous, à portée de main.
RC 12 mai 2012
–
Carlos Drummond de Andrade- Grand monde
En cherchant sur la très intéressante anthologie de « arbrealettres », Eugenio de Andrade, je suis tombé sur son homonyme, qui est pour moi, une intéressante découverte, et que je cite telle quelle, avec la peinture de W Blake, qui me paraît appropriée.
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Grand monde
Non, mon coeur n’est pas plus grand que le monde.
Il est bien plus petit.
En lui pas même ne tiennent mes douleurs.
C’est pourquoi j’aime tant à me raconter.
C’est pourquoi je me déshabille,
c’est pourquoi je me crie,
c’est pourquoi je fréquente les journaux, je m’expose crûment dans les librairies
j’ai besoin de tous.
[…]
Jadis j’ai entendu les anges,
les sonates, les poèmes, les confessions pathétiques.
Jamais je n’ai entendu voix humaine.
En vérité je suis fort pauvre.
Jadis j’ai voyagé
en des pays imaginaires, faciles à habiter,
des îles sans problèmes, épuisantes pourtant et conviant au suicide.
Mes amis sont partis pour les îles.
Les îles perdent l’homme.
Quelques uns pourtant en ont réchappé et
ont rapporté la nouvelle
que le monde, le grand monde grandit de jour en jour,
entre le feu et l’amour.
Alors mon coeur aussi peut grandir.
Entre l’amour et le feu,
entre la vie et le feu,
mon coeur grandit de dix mètres et explose.
– Ô vie future! nous te créerons.
(Carlos Drummond de Andrade)