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Sur la surface du dos – ( RC )


photo Perle Valens – voir son site

Ce corps n’a pas d’identité feinte,
il n’a comme images
que celles de légers creux
laissés par l’empreinte
des cailloux sur la plage
qui parsèment les lieux.

Peut-être préfères tu pour confort
les objets métalliques
laissant leur marque de fer:
les sommiers à ressorts
sont particulièrement artistiques
et devraient te plaire.

C’est dû à la position horizontale
d’une sieste immobile
pendant cette après-midi d’été
où chaque sinuosité de métal
laisse son creux fossile

– comme tu pouvais t’en douter -.

C’est à même la peau
que c’est inscrit
comme une signature
sur la surface du dos
qui provoque l’envie
d’en évoquer l’écriture…

Car la chair est tendre
et soumise aux lois physiques
quel que soit notre âge :
il fallait s’attendre
à ce que cela soit la réplique
d’un éphémère tatouage…


Imagiers de pierre – ( RC )


frise romane Lucques (Italie)

Les imagiers de pierre
nous content les oiseaux :
colombes et corbeaux
des légendes historiées .

Nous ne connaissons plus les temps d’avant
aux côté d’êtres imaginaires,
des monstres aux dents acérées,
assoiffés de sang,
qui peupleraient l’enfer.

On rêverait plutôt aux princesses
et aux reines,
qu’au destin des ânesses.

Confie-toi plutôt aux sirènes
à queue divisée
que voisinent les héros
montés sur les chevaux
dans une autre scène.

C’est un livre ouvert
qui nous étonne,
en haut de chaque colonne,

et presque un millénaire,
traverse les âges :
immobile voyage
du bestiaire de pierre.


Un long chemin depuis les Landes – ( RC )


Un long chemin serpente entre les arbres,
irrégulier, parsemé d’ornières et de flaques.
semé de pierres ,
comme le fit le Petit Poucet,
et depuis le temps,
couvertes de mousse.

Loin est le pays auquel j’appartiens;
il monte insensiblement
depuis les Landes :
je le sais en allant vers l’amont,
suivant ruisseaux et cascades,
sous l’arche du vent.

Je quitte les fougères
pour des herbes plus maigres,
des buissons de ronce,
des asphodèles,
et marche sous le regard immobile
des champignons.

C’est comme dans un livre de Pierre Bergounioux,
ajouter mon pas au précédent,
mettre peut-être mes traces
dans celles que je laissais ,
cheminant dans l’autre sens

  • un retour imprévu pour d’autres saisons _.

Des années se sont écoulées;
je tiens ma vie en équilibre
sur deux jambes
qui remontent le courant,
les pentes arides
les rochers éboulés.

Je ne devrais pas penser
au temps qui trépasse ,
aux murs lézardés de la maison rose,
trop longtemps abandonnée,
que j’irai retrouver,
après cette trop longue pause.

note: il est fait référence ici à deux ouvrages de Pierre Bergounioux;

 » Ce pas et le suivant« , et « la Maison Rose« 


le vieux manteau, au square du jardin de ville – ( RC )


Je suis resté immobile
avec mon vieux manteau
couvert de feuilles mortes
au square du jardin de ville :
je suis venu chaque jour d’hiver,
j’attendais ta chanson:
le froid fut sévère,
mais n’eut pas raison de ma passion….


Ce ne fut qu’au printemps
que le gel libérant les sèves,
fit que toi, ma fontaine,
retrouvas tes eaux…
Ta sculpture au regard fier,
tes jupes de pierre
retrouvant leur souplesse
alors j’ai quitté mon banc
et laissé mon manteau,
qui, de détresse,
partait en lambeaux…


Albane Gellé – coeur galactique


coeur galactique et nos nuages d’après-guerre
nous prononçons blentôt matin
et au galop ce qui résonne
plus d’embarras (enfin)
pour les cadeaux donnés reçus

au coeur le vaste
pressenti
plus loin que Terre
corps avec Jambes tête coeur et mains
ou corps planète années lumière
aller-retour, nous fermons las yeux
et nous dansons dans un vertige
autour d’étoiles (Inexpliquées)
est-ce qu’immobile reste possible

la vent rafales comme si traversant l’atmosphère
Je tu il nous très trop légers et s’égratignent nos Images de plantations
(quand même les arbres tombent meurent)
l’étonnement du calme (revenu) et le retour galop de nos affolements

petites tables plateaux posés milieu d’un champ
en attendant nos légèretés et tous les fruits
Je ne dors pas sur mon matelas
da virgules et de dimanches orpheline
en équilibre de tabouret
et une écharpe sur mes écailles

dans nos vaisseaux soleil clignote
Je petite soeur d’un cheval déterre
bobines et des capuches milliers cailloux
autour d’une tasse de café grande fatigue nous assouplit
quelqu’un tourne les épouvantes et nous filons,
tapis volants tandis que sur les routes

gravitent méduses
les accidents se continuent

camion tombé de mes épaules
en souvenir les mots avancent plantés de clous
à des allures de train de nuit
quelqu’un tourne capitaine un ami vient
Joyeux ni triste
à la Jumelle Je vois des morts
et la dérive des continents

vagues grandissent
dans nos aquariums de baleines
Je chante un peu et Je te suis, la rue est longue
et l’air épais
poignets sans montre nous marchons

(extraits de Nous valsons, éd. potentille, 2012)


Une marguerite plantée dans la bouche – ( RC )


montage RC

Pour faire ton portrait,
j’ai commencé par les membres.
Je les ai assemblés,
placés sous une couverture grise.

Je suis allé voler une fleur
dans le jardin d’à-côté :
une grosse marguerite
dépouillée de ses frissons,
que j’effleure,
avant que je ne la plante
dans la bouche d’une tête à part,
que je n’ai pas encore peinte.

J’imagine alors des yeux fermés,
mais qui me regardent
à travers les paupières.
Tu me fixeras sans relâche,
perpétuellement immobile,
accroché au mur
dans un cadre noir,
mais toujours
avec l’ombre de la marguerite,
qui, décidément
persiste, dans ses pétales de velours.


Roberto Juarroz – La vie immobile


Les plantes en pot ont souvent cette élégante tristesse 15751918245.jpg

 

Nous restons figés parfois
au milieu d’une rue,
d’un mot
ou d’un baiser,
les yeux immobiles
comme deux longs verres d’eau solitaire,
la vie immobile
et les mains inertes entre un geste et celui qui aurait suivi,
comme si elles n’étaient nulle part.
Nos souvenirs alors sont d’un autre
dont à peine nous nous souvenons.

R Juarroz


Frédéric Clément – Deux et déjà …


cpl 02-.jpg

dessin – aquarelle  persos   2011

 

Dans la pénombre où l’on devineDe lents mouvements de poitrine

Aux souffles courts à peine audibles

On sent une peur indicible

 

La peur de n’être plus jamais les mêmes

La peur d’aimer sans être aimé

La peur impossible à nier…

La peur… Impossible à nier

 

Est-ce que c’est ainsi la première fois

Les perles d’eau, la peur du froid

La première peau contre sa peau

L’étrange effroi mêlé de chaud ?

 

Deux et déjà si peu de mots

Deux, et déjà seuls à nouveau        

 

Il est encore hésitant

Elle, immobile, elle attend

On dirait que le temps se froisse

Que leur corps est pris dans la glace

 

Leur corps qui n’est plus tout à fait le même

Leur corps orphelin désormais

De tous les rêves qu’ils ont faits

Leur corps et l’impasse où il est…

Leur corps… Et l’impasse où il est

 

Est-ce que c’est ainsi la première fois

Les perles d’eau, la peur du froid

La première peau contre sa peau

L’étrange effroi mêlé de chaud ?

 

Deux et déjà si peu de mots

Deux, et déjà seuls à nouveau .

 

le texte de cet auteur ( parmi d’autres) , est visible sur ce site


Boîte à vent – ( RC )


Christophe Benichou Tip-Box

installation architecturale Christophe Bénichou, région de Montpellier

 

 

Tu vois cette grande boîte,
posée sur la montagne,
obscure ,                       close sur elle-même
personne n’y rentre    et personne n’a la clef.
Tout est immobile autour et se dessèche.

Les rayons du soleil rebondissent sur elle
et semblent s’amplifier.
Les insectes ont fait silence,
il n’y a aucun oiseau visible.
Peut-être sont-ils grillés.

Dans cette boîte, j’y ai caché le vent.


RC – mai 2017


Ce qu’elle regarde – ( RC )


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Statue masculine Bembe, Rep Du Congo

 


Ce que la statue regarde  ,
– on ne le sait pas –

( Peut-être est-elle vigilance,
par sa seule présence ).

La vue importe peu.
–    D’ailleurs on a masqué ses yeux
par des surfaces en amande -.

Ce sont peut-être des miroirs
où rebondissent les rayons de lumière.
Les bénéfiques         et ceux qui nuisent.

Ici rien ne pénètre de l’extérieur.
Qu’ils soient ouverts ou clos,
pour ces yeux,         c’est sans d’importance .

           Une force intérieure traverse ces miroirs,
( comme s’ils étaient sans tain ).

La statue reste immobile,
en apparence seulement.
Ce qui l’habite a un champ de vision
des plus étendus…

                                                 Elle veille.


RC – avr 2016


Un prince au froid – ( RC )


Afficher l’image source

          C’est une promenade infinie,
où l’on prend toutes précautions,
pour que l’être se conserve
en l’état :

           Il n’a pas été nécessaire,
comme le faisaient les Egyptiens,
de prévoir le voyage dans l’au-delà
par un subtil embaumement.

          Il suffit de promener ton cadavre
avec ce siège à roulettes
dans une galerie climatisée,
quelques degrés en-dessous de zéro.

          ( Tu parcours donc un circuit
– variations forcément limitées –
propice à ton ennui,
prévu pour l’éternité  ).

          Notons l’élégance
un peu raide de la mise,
mais sans les épaisses fourrures
que l’on revêt par grand froid …

         Ton regard quelque peu absent:
on pourrait le dire « glacé »,
et les pensées immobiles,
figées, comme tes membres ,

         dans une position             définitive .
D’aucuns la disent hautaine.
>     Mais une certaine raideur ,
        assortie à tes fonctions .


RC – sept 2016


Derrière le mur, le ciel joue un concert – ( RC )


la- thphotographe non identifié


Derrière le mur,
Le ciel joue un concert,
Avec des cuivres,
Et des ors,
Brodés sur les nuages.

L’herbe est profonde,
Le champ en pente  douce,
Jusqu’à la rivière,
Dont on perçoit,
Juste le murmure .

On dirait que  dehors t’attend,
Mais tu restes immobile,
Derrière le mur .
Les os sont fragiles,
Mais tu peux risquer quelques pas,

Et ouvrir la porte.
Le crépuscule n’est pas la nuit,
Et du soleil couchant,
C’est sa lumière encore,
Qui donne le relief à la vie.


RC – mai  2015

 


Le tracé lumineux des écarts – ( RC )


461881185_ecd27ba59c DU BIST IN DER_O

Se lancer comme un projectile, à travers les espaces,              à la manière d’une fusée destinée à explorer d’autres mondes,           et dont elle ne sait rien encore..

Ainsi les étoiles seraient bien reliées entre elles,      par des fils ténus cheminant de l’une à l’autre,

Ce serait l’équilibre des pensées, reflétées,      ou renvoyées ( une balle au rebond), sur la perpendiculaire d’un mur de verre, invisible, .

Le tracé lumineux fixé dans les écarts, et dont on tire de l’invisible, l’écrire,

( comme un souffle vital que l’on expulse).

Le libre intervalle entre l’immobile, et le moment où court la plume, chantournant les mots.

Toujours en équilibre instable .

Ce serait ainsi que l’on parcourt l’univers

                                ( en le construisant au fur et à mesure ).

RC – mai 2015


Jean Soldini – Locus Solus


Afficher l'image d'origine

Je me tenais immobile
dans un minuscule pré ovale
locus solus bordé de fleurs.
Les abeilles vibraient
tout près de mon corps,
comme si je n’existais pas,
enveloppé du parfum chaud de l’herbe et des fleurs
du bourdonnement qui les couvrait,
les découvrait puis les recouvrait.
Je me tenais
ostensiblement introuvable :
les yeux fermés
le dos collé au sol
les jambes croisant des trajectoires champêtres.

  •  de   » Tenere il passo, LietoColle 2014″

( » Locus solus » peut être  trouvé, avec d’autres  du même  auteur,  sur  le site  d’  une  autre poésie italienne » )


Angkor : la caresse du sourire – ( RC )


Art Khmer, têtes des temple

Art Khmer,         têtes des temples   Angkor

 

 

C’est le sommeil, peut-être,
Qui a clos les paupières  :
Le regard ne voyait      qu’en dedans,
la prolongation du sourire,
Et les lèvres  épaisses , se sont closes,
Dans leur secrètes pensées.

Qui peut dire  que ces figures de pierres,
Ne sont que des œuvres oubliées ?
Lorsque les hommes ont délaissé les lieux,
Et laissé les arbres les enlacer
Jusqu’à les enfouir
sous le fouillis végétal….

C’est leur sommeil, sans doute,
Qui gravite autour  du temps ;
>    Et celui-ci est immobile.
(  La pierre ,  gardant la mémoire,
    du regard intérieur,
Continue de nous contempler,

Avec son sourire   )  ,
Comme  si elle  était    habitée
De l’âme de ceux qui les ont créées,
Dépositaire d’un accord
dont nous ne percevons que la surface   :
Les mains de la pensée,

Caressent encore la sérénité de leur visage   .

RC  –  mai 2015

 

Art Khmer: Musée Guimet . Paris

Art Khmer: Musée Guimet . Paris


L’eau est morte, ce soir – ( RC )


 

L’eau est morte, ce soir,
Au bord de ses lèvres sales,

Le saule s’y abandonne,
Et égare son reflet,

Au milieu de remous jaunes,
Et d’un ciel

Qui semble ne jamais
S’extirper des marais.

Le profond n’est plus visible  .
… Il pâtit d’incertain.

Quelques poissons,
Au ventre blanc,   dérivent  .

Une barque a coulé,   d’immobile,
Comme sont désertés les souvenirs,

Envahis par la vase,
Et la moisissure.

Le voyage tant espéré,
N’aura jamais lieu.


RC -mars 2014


En témoin immobile – ( RC )


photo perso  : empreintes de dinosaures-  Azoia  - Portugal

photo perso : empreintes de dinosaures- Azoia – Portugal

 

 

En témoin immobile,
Personne ne crie,
Et dans l’attente,
Le mouvement de la terre
Se poursuit, jusqu’aux collines,
Sans tester la distance,
Qui m’en sépare,
Puisque je suis soudé à elle …

Cette terre , avec sa vie propre,
Qui glisse sur elle-même,
Avalant l’impact sourd
Des météorites,
Et des ères salutaires,
Courues d’espèces,
Dont on retrouve les fossiles,
Eux même englués dans la roche.

Et même si des indices,
Nous écrivent ce passé,
Dicté sous nos pieds,
Encore aujourd’hui,
S’étire l’argile,
Détrempée des fins d’hivers,
Comme aussi, sur les pentes,
Se détachent des blocs mutiques.

Laissés sur place,
Au seuil au sommeil ,
Des mers basculées.
>  Elles ne disent que leurs lointains.
Et les vagues sont loin,
Justement,
Gelées dans des mémoires.
Les nôtres ne pouvant les contenir.

On se demande,
Quels furent ses habits,
A la terre, encore,
Où ce qui fut forêts denses,
Est maintenant soustrait,
Dans l’étendue ventée ,
D’horizons de pierres,
Et de montagnes effacées…


RC – février 2014

 

 


Lamelles immobiles ( RC )


Claude Monet Cathédrale Rouen

Claude Monet Cathédrale Rouen

Immobile  dans l’image,

Epinglé dans le ciel,

Au théâtre des objets,

L’oiseau n’est pas réel…

Dessin de son passage,

Une portion de trajet,

Le bout  d’une ligne,

Un instant de grâce,

Et peut-être le signe,

Le reflet dans une flaque

D’un ange qui passe

Et qu’à peine on remarque…

———–

Voyageurs en émotion lente

Le passager du jour

Succède à celui

D’une lourde obscurité

Et s’étonne encore

Que les choses en sommeil

Se révèlent au lendemain,

Cousines, ou bien semblables

A la même place

Et jouent à la permanence,

Même si l’atmosphère, leur peint des habits

De brume et de lumière.

Il y a des instants fugitifs

Qui modifient les  contours,

Ajoutent des touches de couleur

Et désignent autrement

– La cathédrale de Rouen – que l’on croyait connaître

Quand  s’élancent, immobiles

Les dentelles  gothiques

A travers les siècles .

Mais, même plus modestes

Les images les plus offertes,

Qu’on voit sur les présentoirs,

Se trouvent reproduites

Presque à l’identique

Sur les cartes postales.

Les vues générales,

Prises du promontoire

En couleurs ou en gris pâle,

Sont des moments d’histoire .

Le décompte des heures,

Les transformations ( et petites différences)

A identifier  – au jeu des sept erreurs-

D’un village de Provence …

En prenant la photo

Le passager du jour

Prélève, une fraction de seconde

Une infime portion du temps,

Et un peu de lumière

Comme une prise de sang

Aspirant le visible du monde,

Une piqûre  éphémère,

Où se précipite, hâtif

Le paysage, en périmètre limité

A l’intérieur de l’objectif,

… un instant d’éternité.

RC –   13 novembre 2012

– texte auquel j’ai trouvé un écho,  dans le blog  de « le vent qui souffle »

Interfaces

La photographie n’était que le reflet arbitraire d’un instant arraché à la fosse béante du temps, et ne livrerait pas d’autre secret que cette fixité étrange et ce témoignage troublant d’une vie abolie mais qui avait existé. Ce n’était qu’une trace, aussi bouleversante que les empreintes de mains retrouvées dans les grottes préhistoriques. Elle continuerait pourtant, avec déraison,

parce que cette vie retournée au néant continuait de l’émouvoir, à scruter la profondeur de ce regard, à suivre le mouvement de ces lèvres qui essaient avec peine d’esquisser un sourire, à interroger ce front trop grand sous les cheveux relevés, à examiner cette broche dorée qui rehausse le corsage sombre, à s’émerveiller devant le col de dentelle fine fabriqué par des mains délicates.

Sa mémoire avait conservé des milliers d’images plus récentes, en mouvement comme dans un film. Ces images-là, douloureuses, s’enfonçaient peu à peu dans les couches inférieures de la conscience, accompagnées d’une sorte de sentinelle chargée de les veiller, de les protéger contre l’oubli définitif, mais aussi et peut-être surtout d’empêcher la souffrance d’une remontée à l’air libre…

Une sorte de filtre magique ne laissait passer que les formes simplifiées ou mythiques du souvenir. Il n’était pas impossible de croire que ces formes pourraient revivre de la même façon que les vestiges d’une civilisation disparue, avec le recul et la passion des archéologues, la passion préservant l’émotion, le recul faisant barrage à la douleur. Il devenait possible également de croire que ces empreintes de vie laissées par une morte rétabliraient un passage avec elle, la « encore vivante ».

Et tous ces signes, il fallait désormais les déchiffrer, les décrypter, les interpréter comme des indices sur son propre destin, contenu dans la forme ronde de ce petit miroir de poche, cruellement figé et glacé côté pile, insaisissable comme l’eau courante, imprévisible, inquiétant, effrayant comme un torrent dévastateur, côté face.


Luis Cernuda – Cimetière dans la ville


 

 

 

photo:                  H Cartier-Bresson,      1934 – Mexique

 

Derrière la grille ouverte entre les murs,

la terre noire sans arbres, sans une herbe,

les bancs de bois où vers le soir

s’assoient quelques vieillards silencieux.

Autour sont les maisons, pas loin quelques boutiques,

des rues où jouent les enfants, et les trains

passent tout près des tombes. C’est un quartier pauvre.

 

Comme des raccommodages aux façades grises,

le linge humide de pluie pend aux fenêtres.

Les inscriptions sont déjà effacées

sur les dalles aux morts d’il y a deux siècles,

sans amis pour les oublier, aux morts

clandestins. Mais quand le soleil paraît,

car le soleil brille quelques jours vers le mois de juin,

dans leur trou les vieux os le sentent, peut-être.

 

Pas une feuille, pas un oiseau. La pierre seulement. La terre.

L’enfer est-il ainsi. La douleur y est sans oubli,

dans le bruit, la misère, le froid interminable et sans espoir.

Ici n’existe pas le sommeil silencieux

de la mort, car la vie encore

poursuit son commerce sous la nuit immobile.

Quand l’ombre descend du ciel nuageux

et que la fumée des usines s’apaise

en poussière grise, du bistrot sortent des voix,

puis un train qui passe

agite de longs échos tel un bronze en colère.

 

Ce n’est pas encore le jugement, morts anonymes.

Dormez en paix, dormez si vous le pouvez.

Peut-être Dieu lui-même vous a-t-il oubliés.

 

 

 

Tras la reja abierta entre los muros,

La tierra negra sin árboles ni hierba,

Con bancos de madera donde allá a la tarde

Se sientan silenciosos unos viejos.

En torno están las casas, cerca hay tiendas,

Calles por las que juegan niños, y los trenes

Pasan al lado de las tumbas. Es un barrio pobre.

 

Tal remiendosde las fachadas grises,

Cuelgan en las ventanas trapos húmedos de lluvia.

Borradas están ya las inscripciones

De las losas con muertos de dos siglos,

Sin amigos que les olviden, muertos

Clandestinos. Mas cuando el sol despierta,

Porque el sol brilla algunos dias hacia junio,

En lo hondo algo deben sentir los huesos viejos.

 

Ni una hoja ni un pájaro. La piedra nada más. La tierra.

Es el infierno así ? Hay dolor sin olvido,

Con ruido y miseria, frío largo y sin esperanza.

Aquí no existe el sueño silencioso

De la muerte, que todavia la vida

Se agita entre estas tumbas, como una prostituta

Prosigue su negocio bajo la noche inmóvil.

 

Cuando la sombra cae desde el cielo nublado

Y del humo de las fábricas se aquieta,

En polvo gris, vienen de la taberna voces,

Y luego un tren que pasa

Agita largos ecos como un bronce iracundo.

 

No es el juicio aún, muertos anónimos.

Sosegaos, dormid ; dormid si es que podéis.

Acaso Dios también se olvida de vosotros.

 

Luis Cernuda, La Réalité et le Désir (La Realidad y el Deseo)

 


Variation peu crédible, sur des évènements d’antan ( RC )


 

manuscrit         Bodleian Library      Oxford

 

 

 

 

 

 

 
Marie est au bout d’une ficelle, à dépenser idées congèles
C’est un jeu de maux, jeu de vilains qui joint le geste
Aux paroles des étoiles, à compter les pieds, de nez,
Mettant voile et vapeurs, rien n’est sûr, ni le pied marin

Ce qui souffle en rêves coincés, s’étale dans la ruelle
Les murs ont des oreilles, les forêts appellent
Des doigts de velours, et rondement

Les confidences de vieille dame indigneFondements de détours, aux regards hagards
Feuilletant le libre air ( par le plus grand des hasards)
Marre debout, roue dantesque, rien n’avance
Dans un passé, où l’orne hier, restant présent.

Idées congelées et mouvements suspects,
Voici un autre chapitre, qui se dépense
En gestes immobiles, alors qu’autour, tout remue
Madame, derrière son voile

Est assise et médite, sa fenêtre entr’ouverte
Juste un rayon de lumière filtre, d’entre nuages
Il apporte une bonne nouvelle,, — un ange passe
Et d’une flèche, illumine son visage

A cette venue, s’il est bien des mystères,
Il faut peu de choses, parfois
Pour faire parler de soi, sur la terre,
L’annonce aura mission de livrer un garçon!

RC  – 30 septembre 2012

Journée immobile ( RC )


peinture: Franticek Kupka

peinture: Franticek Kupka

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La muse est malade

Conduit un astre ,pâle

Couleur de fiel

En coulures de miel

Une vague d’argent déferle

En un éclair, pareil

Confisque un soleil

D’or et de perles

La lune reste fade,

Une journée lointaine, râle

Laissée en rade

Aux couleurs sales

Les navires sont immobiles,

Se découpent en nombre

De coques sombres

Tout près de l’île.

Ma terre est encore si lointaine

Quand je revois son éclat

Malgré le soleil là;

Si las – et la route qui y mène.

RC  –   30 septembre 2012


Jules Supervielle – Livrez vos mains aux miennes


 

 

 

 

peinture :           Georges de La Tour               détail de            Job et sa femme

Livrez vos mains aux miennes,
Ecoutez la rumeur:
Nos âmes attardées
Viennent de leurs frontières.

Voici qu’elles se touchent.
C’est l’ombre et la lumière
Qui se croient immobiles
Et tremblent de changer.

Jules  Supervielle

peinture:       Georges de La Tour:       détail : le nouveau né


Anne Penders – Aujourd’hui, l’envers de la pluie…


 

dessin perso: encre de chine 1995

 

 

Aujourd’hui.
L’envers de la pluie, ce serait :
retrousser ses manches, apprendre à dire au revoir.
Tout ce qui s’achève promet -de beaux jours à l’oubli.

L’envers n’est pas linéaire.
Il a sa propre révolution.
Au besoin, il hausse le ton/tour.
Au besoin, il rompt sa progression.
Fige le geste qui le porte, pousse la porte, contourne l’obstacle.

L’envers concentre la force de l’immobile -centrifuge être subtile.
Eclat de ciel en tous points lumineux.
Sa révolution ne conduit pas la guerre.
Elle la pressent, elle l’étourdit.

[dévie sa trajectoire, ne rate pas sa cible]
En orbite / elle voudrait.
D’un lieu phare, un hameau.
D’un repère, tout un troupeau.
D’une circulaire, un rythme / pas une formalité.

[certains mots mériteraient d’être déracinés]
-parfois, le sens multiple estropie la langue.

Marseille/Bruxelles/Paris février 2009 (extrait de « l’envers », essai poétique en cours d’écriture)

 


Au dédale de l’obscur – ( RC )


dessin préhistorique: grotte de Niaux ( Ariège)

Au dédale  de l’obscur

C’est d’un lieu retiré,
La falaise vertigineuse
Marqué d’incidents géologiques
D’indices des géants
Ayant perdu leurs sabots
Lors des sauts de sept lieues,
Les vases de pierre
Sortant des ombrages

J’ai inventé, dans l’obscurité les signes
Au creux d’un dédale d’aventure
S’ouvrant  au pied des arbres
Une coquille, qu’habitaient les ours
Maintenant vide         – ou bien, qui sait ?
Magnifié d’orgues stalactites
Qui se créent en secret
Au coeur même  de la roche.

Le long des parois
Que nulle lumière n’atteint
Il faudrait ,               à tâtons
Ressentir de la pierre, le grain,
La pâte glissante de glaise
Jusqu’aux mains négatives,
Les tracés charbonneux des rennes
Et des boeufs couleurs  d’ocre
Qui ruent         toujours,    immobiles

Et les verticales des failles
S’élargissant peut-être en couloirs
Où se perdait un torrent.
En chutes bruyantes qui cascadent
Ou gouttes-à-gouttes lentes,
Si lentes qu’elles silencent
Dépôts des siècles, en patience,
Loin d’un dehors,dont on oublie le nom.

peinture: main préhistorique – négative,      grotte Cosquer  –  Bouches du Rhône

RC  –  10 août  2012


Fernand Dumont – Il a neigé longtemps


dessin-       Georges Bru

 

 

 

 

Il a neigé longtemps

Il a neigé longtemps sur les tables de l’absence
où je grave ton nom avec un doigt de feu
en t’attendant
comme je suis seul à savoir t’attendre
immobile et désertique
jusqu’au milieu du siècle
s’il le faut
avec ce coeur de caillou noir
taillé pour ne jamais mourir
comme celui que j’ai trouvé un jour
dans le village où tu es née
Ce caillou taillé en amande
il y a si longtemps
qu’on ne peut même plus imaginer
qu’il y avait déjà des hommes
en ce-temps-là
dans le pays où tu es né

Je t’attendrai
avec ce coeur de pierre
et personne ne voudra me croire
quand j’annoncerai ton arrivée
au seul fait
que la neige de la table deviendra grise
et triste
comme la cendre des anciens jours

Fernand Dumont; « La région du coeur » poète surréaliste belge.


Claude Esteban – l’immobile qui devient une fiction


photo Willy Ronnis        quai Malaquais

 

 

Ne garderai-je du jour que cette longue lassitude et la poussière des chemins au fond des yeux ?

Je m’assiérai n’importe où, je tenterai seulement de reprendre souffle, sans hâte et comme pour mieux me souvenir. L’espoir, quand on s’arrête de marcher, devient inutile, mais le vieux désir d’être encore ne disparaît pas avec lui.

Et je suis là, comme quelqu’un qui s’étonne que son corps le soutienne et le défende,

ce corps meurtri, ce corps appesanti, le mien pourtant, et que je méprisais.

Les grandes lois du soleil et de l’ombre nous échappent, nous mesurons l’espace

aux battements d’un coeur quand il est neuf, mais que la machine au-dedans hésite ou s’emballe, les repères se dissipent

et chaque pas devient une épine dans la chair.

N’importe, je suis là, je regarde mes mains, je n’oublie pas qu’elles ont touché la splendeur intacte du monde et qu’il y eut des moments d’allégresse à sentir la sève trembler sous les doigts.

Non, la mémoire ne se résume nullement à la somme des choses mortes entassées dans la tête.

Elle est tapie au creux d’une odeur, d’une feuille froissée par la pluie, d’un murmure.

Et que l’on fasse taire en soi le bruissement de la pensée; qu’on s’arrache à ce théâtre de mauvais rêves, le paysage se recompose, les formes s’animent, les couleurs recommencent à vibrer.

Rien ne bouge pour celui qui se détourne, tout s’éveille au-devant de celui qui reste à l’écoute et il ne craint plus.

On cherche à l’endroit d’une ancienne blessure, et c’est à peine si la peau tressaille.

Et c’est à présent l’immobile qui devient une fiction, et cette lassitude d’avoir tant vécu comme une invitation à poursuivre encore.

 

Claude Esteban, La mort à distance, Gallimard, 2007

 


Dernier acte ( RC )


image – photo de mise en scène de Bob Wilson – Zürich 2002

 

 

 

 

Au décor, le fond  du cyclo
Les rideaux  suspendus,
La scène , une présence en lumière
Les acteurs, éclairés côté cour
Portent leur ombre étirée, au jardin
Et de grand manteaux  sombres

Les mouvements de la main
Et les gestes  de l’âme
Qui rythment le destin
Celui des personnages
D’une tragédie classique
Aux visages immobiles,

Sous les projecteurs,
Celui des masques
Ne s’anime de vie
Que par les répliques
Déplacements, silences
A la succession des actes.

Lorsque  la pièce s’achève,
Sous les  acclamations
Et que les  acteurs saluent
Ils ôtent          leur masque d’artifice,
Aux spectateurs,          qui découvrent
Que ceux-ci ne recouvraient  que du vide…

RC  – 24 juin 2012