Renaître et revenir à son point de départ – ( RC )

S’il faut jouer à pile ou face
je n’ai rien décidé de mon destin…
je vais me prendre en main
( impair ou passe )
pour décider de mon voyage,
mais la terre est-elle ronde ou plate ?
Je commence à la parcourir sans hâte
avec très peu de bagages.
S’il faut débuter par son lieu de naissance
chaque foulée m’en éloigne au fur et à mesure
gagnant en envergure
pour retrouver mon innocence ;
je sème au passage quelques pierres
histoire de retrouver mon chemin
en suivant les méridiens :
on se demande à quoi ça sert:
peut-être à retrouver la mémoire
quand on égraine les kilomètres
est-ce ainsi renaître
que revenir à son point de départ ?
Pier Paolo Pasolini – Sans manteau , dans l’odeur de jasmin –

Sans manteau, dans l’odeur de jasmin je me perds dans ma promenade vespérale, respirant — avide et prostré, jusqu’à ne plus exister, à être fièvre dans l’air, la pluie qui germe et le ciel bleu qui plombe aride sur les chaussées, signaux, chantiers, troupeaux de gratte-ciel, amas de déblais et d’usines, pénétrés d’obscurité et de misère... Je marche sur une sordide boue durcie, et je rase des taudis récents et délabrés, à la lisière de chauds terrains herbeux... Souvent l’expérience répand autour d’elle plus de gaieté, plus de vie, que l’innocence; mais ce vent muet remonte de la région ensoleillée de l’innocence…L’odeur précoce et fragile de printemps qu’il répand, dissout toute défense dans ce coeur que j’ai racheté par la seule clarté : je reconnais d’anciens désirs, délires, tendresses éperdues, dans ce monde agité de feuilles. *
Poésie
1943-1970
nrf Gallimard
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Feston d’automne – (Susanne Derève)

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Rouge feston des mues d’automne ,
qui vient aux nervures des feuilles
comme on suivrait les lignes de la main.
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Je serrais si fort dans la mienne sa petite main d’enfant,
chaude et vibrante – le cœur battant d’un petit animal
palpitant sous mes doigts –
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Son babil m’emportait, ses joues flambaient de froid.
Nous épuisions les jours à fouler dans les bois
d’épais tapis de feuilles mortes qui finiraient
en feux de joie.
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J’aurais voulu saisir les bronzes et les ors
les soies brillantes de l’automne,
les écus de lumière inondant les futaies
mais déjà il n’était plus temps.
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Les branches ne portaient plus
que le rire cristallin de l’enfant
étincelant dans le silence .
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Puis, les bois se sont tus …
et d’un pas ingénu s’en est allée l’enfance.
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Lointaine enfance – (Susanne Derève) –

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C’était si proche encore l’enfance
si irrémédiablement proche
et lointain .
Je la cherchais dans le vacillement
des couleurs dans les balbutiements
du ciel,
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en toute chose qui fragile pure
ingénue viendrait combler
l’irrémédiable perte ,
dans la grâce imparfaite d’un chant ,
le froissement ténu d’une aile ,
la pâle carnation d’un pétale ,
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cette tendre innocence,
cette limpidité de source
dont je poursuivais inlassablement la trace
en vos yeux .
François Montmaneix -Visage de l’eau (extraits)

František Kupka, L’Eau (La baigneuse)
Tes mains ont la douceur de l’eau
passe-les lentement sur mes yeux
ce sera un silence clair
où choisir parmi les pensées
celles qui rentrent de la mer
en lâchant au-dessus du monde
un envol d’oiseaux blancs
que nul ne peut toucher
s’il n’a les gestes d’un enfant
* * *
L’eau a pour nom un village en hiver
arraché au vent de la nuit
mais si tu veux vivre encore
viens respirer le bois qui brûle
il pleure et rit un peu
je l’ai vêtu de fumée de sapin
et du miracle d’un vin de paille
pour que la dernière porte
nous paraisse légère
* * *
Il y a ce brouillard
premier-né de l’automne
il y a les plus fines
colonnes du silence
dans le soir gonflé d’arbres
il y a tout au fond du verger
cette absence d’enfants
et sur le fleuve
qui m’a donné ton visage
un temple est là
dont nul ne connaît l’entrée
* * *
Je parcours je bois la lumière
qui te vêt d’un habit de sel
dont l’amertume est douce sur tes lèvres
et j’écoute à travers l’arbre
un passage d’oiseaux
comme il en vient aux villes de la mer
lorsqu’un enfant montre le ciel
après avoir écrit le nom aimé
sur un trottoir de craie
Visage de l’eau Ed. Pierre Belfond
Enfance – (Susanne Derève)

Henry Potthast – A Summer’s Night
A caresser des yeux la grâce
et l’innocence le temps passait
comme glisse l’été
une note sur la portée
en gymnopédie du silence
qu’y avait-il à raconter
on vivait le temps de l’enfance
Maria Grazia CALANDRONE – Chanson
Odilon Redon ( Tête d’enfant avec fleurs)
Je chante pour que tu reviennes
quand je chante
je chante pour que tu traverses tous les jours
des milliers de solitudes
pour essuyer mes larmes.
Mais j’ai honte de te demander tant
et je cesse mon chant.
Je chante et je suis léger
comme une fleur de tilleul
je chante et je m’assieds vraiment
là où je m’étonne :
au début du monde
il y a l’ombre blanche des premières roses
qui ne sont plus amères
parce que je chante et je te vois revenir
comme reviennent les choses sur le rivage :
sans passé,
avec la poitrine lavée
par la mer.
Voilà !,
tu montes les escaliers comme un petit garçon
qui fait tomber de ses cils une couronne de sel,
donne deux coups d’index
à la porte, s’agenouille
à la hâte, en hâte
dit : « Viens !,
je t’emmène à la mer » et me sourit, de sa stature
de grésil et de roses, de sa gaze d’âme sauvée
des petites choses.
Par sa bouche blanche le monde rit
et rient les choses
transparentes du ciel
si, en se tournant à peine
par pudeur, il dit : « Tu vois, je n’ai plus peur »
comme en parlant à une ombre évaporée
dans l’innocence
calme des genêts, à un souffle de roses
envolé par les fenêtres
ouvertes
jusqu’aux fondations.
Ainsi tu me laisses à découvert privé
de poids. Et alors je chante
d’être assis
dans le vif, tout l’amour privé,
pour que ne s’arrête pas
la présence parfaite
de qui n’a pas de poids
mais c’est sans volonté, sans décombres, sans l’avènement
de la matière
la poussière seule tend à la lumière.
Canzone
Canto perché ritorni
quando canto
canto perché attraversi tutti i giorni
miglia di solitudine
per asciugarmi il pianto.
Ma ho vergogna di chiederti tanto
e smetto il canto.
Canto e sono leggero
come un fiore di tiglio
canto e siedo davvero
dove mi meraviglio:
all’inizio del mondo
c’è l’ombra bianca delle prime rose
che non sono più amare
perché canto e ti vedo tornare
come tornano a riva le cose:
senza passato,
con il petto lavato
dal mare.
Ecco !,
sali le scale come un ragazzino
che scrolla dalle ciglia una corona di sale,
dà due beccate d’indice
alla porta, s’inginocchia
in fretta, in fretta
dice: “Vieni !,
ti porto al mare” e mi sorride, dalla sua statura
di nevischio e di rose, dalla sua garza d’anima salvata
dalle piccole cose.
Dalla sua bocca bianca ride il mondo
e ridono le cose
trasparenti del cielo
se, girandosi appena
per pudore, dice: “Lo vedi, non ho più paura”
come parlando a un’ombra evaporata
nell’innocenza
calma delle ginestre, a un fiatare di rose
andato via per le finestre
aperte
fino alle fondamenta.
Cosi mi lasci nell’aperto privo
di peso. E allora canto
lo stare seduti
nel vivo, tutto l’amore privo,
che non smetta
la presenza perfetta
di chi non pesa
ma è senza volontà, senza maceria, senza l’avvenimento
della materia
è solo polvere che tende alla luce.
Rome, 30 septembre 2010
Poème extrait de Le Bien moral, 2012.
Traduits par Claire Pellissier
Ailes sur le sol – ( RC )
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Les ailes des anges,
Eux-même surgis du marbre,
Ont repris le chemin du sol,
Brisées en mille morceaux.
Ainsi les plumes de la bécasse,
Eparpillées dans l’herbe,
Ou bien encore Icare,
Oubliant sa pesanteur.
C’est un rappel à l’ordre,
Pour qui s’affuble du masque
De l’innocence,
Taillé dans la pierre.
L’idée de l’ange pouvait y rester.
Prisonnière, et le marbre, intouché.
Le destin a courbé les éléments,
Pesé de sa masse sur la voûte,
Aidé de fissures multipliées,
Ainsi les racines d’une plante.
Un frémissement de la terre
A fait le reste.
Il n’y a plus, de la chapelle,
Que ses murs blessés, et ses arcs.
Ceux-ci osent encore,
Affronter le ciel .
La rosace n’est plus qu’un cercle,
Où le vent se promène.
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RC – avril 2014
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Incitation/dialogue: un texte de Laetitia Lisa
Nwesla Biyong – Fils de la lumière
Irions-nous jusqu’à crever pour notre cause
Cette quête aphone des jours de l’innocence
Course proprette des astres avant que ne fourche
La langue de la providence
Aussi vrai que le verbe origine la vie
Patients dans les trompes divines avons-nous été tous
Ovulés par le rayonnement de novae sexuées
Pour que lumière dissipe les ténèbres terrestres
Oui nous sommes ce front altier de la vérité
Qui freine le règne de l’incompétence !
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NWESLA BIYONG
Eugene Durif – L’étreinte, le temps- 09

Peinture-collage: P Picasso, nature morte à la bouteille et aux dés - 1914
.Soudain dans le rire,
le coeur au bord des lèvres,
éclat recroquevillé.
(Dés lancés jamais ne retombèrent,
pour jouer l’ innocence
en simulacre)
Vire-volte de lace défaite, douceur aiguë, approcher la semblance.
Le visage s efface, le vrai au miroir, plus pâle.
Ce si peu de corps, legs abandonne.
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