Qui a saisi ce sourire doux-amer ? – ( RC )

Les trains du soir
se sont enfuis dans la nuit,
et ton sourire a ces lèvres absentes
de la beauté fanée
d’une photographie
qui a mal vieilli.
Une pellicule dans un album photo
oublié au fond d’une armoire.
Je ne sais plus qui a saisi cet instant,
ce sourire doux-amer
qui rappelle celui de la Joconde,
derrière son épaisse armure de verre
– le mystère d’une perspective
difficile à saisir – ,
une fleur épinglée sur la poitrine
laissant échapper son parfum.
Qui se souvient des fêtes et de la joie,
des portes qui grincent,
des fenêtres ouvertes sur l’azur ,
des verres qui tintent,
de la guerre tendre des regards ?
une guerre qui pâlit
comme s’effacent les voix
de ceux qui t’ont connue.
L’or des cheveux
retrouverait-il son feu,
ton oeil, son incandescence
le vent , son insolence ,
si le sort était levé,
tu reviennes à la vie,
extraite comme par magie
de la photographie ?
Jacques Tournier – un son pur, sans attache
Comment pouvez-vous croire qu’une mort se raconte ?
Elle se vit, jour par jour, pendant des semaines, […]
C’est votre douleur qui vous trompe.
J’emploie les mots comme ils me viennent. Derrière ce que vous m’écrivez, derrière votre ironie, votre mépris, votre insolence, je sais qu’il y a la douleur.
Vous parlez de votre maison comme d’une maison double. J’y vois plutôt un labyrinthe où vous tournez en rond à la recherche d’une issue que votre douleur, – j’y reviens – vous empêche d’apercevoir.
Contrairement à ce qu’il redoutait, cette musique ne réveille rien du passé.
C’est un son pur , sans attache, qui déroule son propre chant hors du temps et de la mémoire, et l’émotion qu’il fait naître ressemble si fort au plaisir que Jean s’effraie de l’avouer.
Il augmente le son. La chambre devient lumineuse.
Il s’oblige à fermer les yeux pour que cette lumière ne soit qu’intérieure, liée à sa seule écoute, la première frontière entrouverte. Les trois mouvements de la sonate dissipent les dernières ténèbres et s’achèvent sur trois accords. Il les laisse sonner longtemps avant d’éteindre l’appareil. […] Sur la dernière note, il sait qu’il y a quelqu’un dans la chambre. Il écarte les mains vers ce qui pourrait être une présence. Il s’entend dire : « – Toi ? »
Il parle à Julia. Il essaie, du moins. Il apprend. – Parler seul, c’est facile.
Quand tu ne vois personne et que l’envie te prend, autant te parler à toi-même, d’un fou à un autre, et alors ? Ricane qui voudra.
Mais te parler à toi, après un tel silence… Il hésite. – Nous avons parlé du silence à New-York, après l’enterrement de Serge. Tu t’en souviens ? Tu m’as dit que c’était simple de se taire lorsqu’on était deux. Un voyage qu’on faisait ensemble, à partir d’un bruit, d’une odeur, en se regardant simplement pour être sûrs de faire le même.
( extrait de Jacques Tournier : A l’intérieur du chien ( Ed. Grasset – 2002 )

Soleils de nuit ( RC )
Soleils de nuit
—
Poussés par nos pas alignés
Sur la crête de tant d’ années
D’errance et d’insolence
A ne pas voir les soleils de nuit.
L’acharnement du survivre
A la faim et tempêtes
De sable, aura obscurci le nôtre
Notre regard limpide d’enfant
Porté en revers décisif
Se heurtant aux filets du court
Ou sortant des limites étroites
Du terrain de vie, en jeu
Il nous faudrait l’oracle,
La chamane du destin
Jardinier de l’infini,
La tête satellite
Pour traduire
Les leçons à venir
Devin de l’histoire en marche
Et prévenir le parcours des astres
Arrêtant dans leur élan
La chute des sources
Réparant blessures et drames
Incendies ravalés et flammes
Et aligner dans le bon ordre
Les numéros de l’espérance
Pour qu’au ciel on danse
Et qu’on rectifie le passé…
Mais la joie d’être mortels
De macérer dans nos défaites
Et de toujours tenir tête
Interdit de relire le manuel
De changer de mode d’emploi.
A chacun de porter sa croix
Il n’existe aucun raccourci
Pour voir de plus près les paradis.