Luis Mizon – je voudrais quitter ma ville et mon corps

Je voudrais quitter ma ville
et mon corps
pour aller vivre ailleurs
si le ciel était la lumière de l’instant
je partirais en quête du ciel
si le ciel habitait notre regard
je chercherais la transparence
pour voir le vol des oiseaux traverser tes yeux
et l’instant de lumière
se poser près de nous
jour après jour
j’imite je colle je reconstruis avec des mots
les morceaux dépareillés de l’instant
une maison éphémère entourée de cigales
de bidons et de vieux pneus
Instant – (Susanne Derève )

Au lever d’un jour incertain,
la vitre me renvoie une image figée
que noient les verts humides du matin,
la ligne bleue des toits sagement alignés,
un paysage urbain
On croirait entrevoir un tableau de Hopper :
silhouette oisive accotée au comptoir
d’un bar ou d’une chambre vide
un mannequin de cire aux prunelles livides
au regard orphelin …
Ce n’est que mon reflet traquant mes rêves
souterrains,
la table de cuisine et le pain
une tasse jaunie où tiédit le café :
le même néant sans objet.
À tasse vide coupe pleine,
trinquons aux instants qu’on égrène
… comme des pans d’éternité
A cet instant précis – ( RC )
Un peu de blanc, et du noir dedans,
et des lignes qui s’étirent :
des images , un instant
figées, et c’est une cascade
qui ne tombe plus,
saisie dans son élan par le gel .
Le regard saisit les formes,
où la lumière s’est posée :
il cherche dans les ombres ,
un peu de vie cachée ,
et déjà, arriver à deviner
la couleur des choses .
A cet instant précis.
–
RC – nov 2017
Samuel Beckett – sans ce monde sans visage ,sans questions
–
que ferais-je sans ce monde
sans visage sans questions
où être ne dure qu’un instant
où chaque instant
verse dans le vide
dans l’oubli d’avoir été
Samuel Beckett
Jean-Pierre Duprey – Saveur d’homme
Donnez-moi de quoi changer les pierres,
De quoi me faire des yeux
Avec autre chose que ma chair
Et des os avec la couleur de l’air ;
Et changez l’air dont j’étouffe
En un soupir qui le respire
Et me porte ma valise
De porte en porte ;
Qu’à ce soupir je pense : sourire
Derrière une autre porte.
Détestable saveur d’homme.
En vérité, une main ne tremble
Que pour vieillir sa mémoire ;
L’autre ne vieillit que d’avoir
Trop bougé de vie depuis le temps
Où le monde l’a basculée
Dans l’histoire du temps et du moment,
Qui, sans jamais se ressembler,
Se retrouve à chaque instant
Dans le sac noirci de son éternité
–
G M Chenot – Au toucher ou à l’ouïe
AU TOUCHER OU A L’OUÏE
L’Afrique en bandoulière
Et les yeux émerveillés
Par de tant de couleurs
Ou de nuances de noir
La lumière en héritage
Comme la douceur d’un fardeau
Qui s’évapore en souriant
Dans l’ombre des frondaisons
Et cette voix de femme ensorceleuse
Dont on fait des miracles
Des baisers ou des caresses
Dans la saveur de l’instant
–
écrit provenant du riche blog poétique de GMC
–
Taire le silence ( RC )
Si j’apprends à taire le silence
En jetant quelques cailloux dans l’eau
Alors, la surface remue, et se souvient
En cercles concentriques, des éclaboussures
Et des gestes ténus,
Qui repoussent quelques secondes la léthargie,
En laissant , une place à la vie.
Mon geste n’est plus là, mais seulement sa trace
Comme lorsque je passe un doigt distrait
Sur la couche de poussière recouvrant le buffet.
J’apprends à lire, les instants fugitifs,
Le murmure de l’histoire, et l’invisible est crédible
Les brioches dorées, le zeste des parfums,
Le sillage d’un regard, au détour d’un reflet,
Le souffle des choses, agitant les feuillets
Les chapitres du bonheur, que révèle
Un pinceau de lumière à travers les nuées
Eloignées des étoiles, et dénuées
De l’ombre – qui fait l’importance.
Si j’apprends à taire le silence,
C’est pour mieux traduire
Une langue d’avant qui te ressemble
La prolongation d’une grâce
Que n’offrent ni les mots
Ni la parole rhétorique,
Les doigts ouverts de l’invisible
Quand ils te dessinent à mes yeux:
Une veine qui palpite à ton front,
Et la courbe d’une hanche…
J’apprends à lire, les instants fugitifs,
A rassembler les indices,
Peut-être à inventer,
A rajouter des brillances
Et des couleurs de voix,
Imiter rivières et cascades,
Et l’ombre des collines
Qui dessine des courbes
Sur le désir de l’instant
Que les lèvres promettent.
RC – 6 octobre 2012 ( évocation d’une démarche créative… je pensais à la photographie )
–
Luce Guilbaud – l’instrument du temps et ma bouche
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toujours extrait de « la chair à vif des roses » (1978)
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Les hommes s’engloutissent dans leurs yeux refermés longs escaliers de l’ombre au fond gît la clarté.
Pour le dire je n’aurai d’autre instrument que le temps et ma bouche
aux paroles de pierres friables polies roulées
usées par le temps gangue émaciée à cœur
la mort le mot solide et lumineux le temps l’oeuvre au noir
creuset de l’or pirate de la boue au miracle
peinture: Hans Hofman Berkeley
Pour le dire du matin au volcan de la racine
à la torture du bâillon au silence
Pour le dire j’aurai l’amour immobile et ce temps qui est le tien
et qui concorde avec mon temps quelque part entre le scintillement
et l’étoile qui file l’instant.
Chemin de soif entre deux eaux
chemin de soir et de ciel plein mornes fossés
où les yeux d’ancolies arrachent aux départs
un peu de paix jusqu’à la tour où s’arriment les siècles
——–
Vesna Parun – L’accord final de l’hiver
L’accord final de l’hiver
11/06/09
Et voilà je sens
à chaque instant
comment s’éveille
la pensée de la pierre.
A midi elle respire
saturée de la germination des herbes,
aussi loin
du soleil
que mon obscurité…
—– voir la suite sur Poezibao.. ainsi que des liens pour d’autres textes:
- peinture J Bosch, Christ Child with Walking Frame 1480
Jean-Jacques Dorio: – instants
Le temps n’a qu’une réalité, celle de l’Instant.
Gaston BACHELARD
——–
Comme si parfois on cherchait à rendre
Une certaine exactitude de l’existence
Ceci est du pain suédois
De la pastèque cuite au chaudron
Ceci est un chat européen
C’est-à-dire de gouttière
Le bruit d’un réveil
Les paroles des proches
Mangeant le pain et la pastèque
Flattant le chat
Disant les choses du jour
Lançant l’argile dont chacun fait les statuettes de ses rêves
Comme si parfois on auscultait
Ces contours lents
D’un instant
Intact
Jean-Jacques Dorio