Jean-Michel Maulpoix – Chambres –

J’aménage des chambres dans l’encre. J’ouvre les armoires. Je dispose des fleurs dans les vases. Je fais pour la mémoire des lits bien propres. Plus personne n’y viendra dormir. Je reste un instant dans la pièce, puis je ferme la porte. II y a, la nuit , des étoiles et des anges. Au matin, j’ai le cœur défait. Qu’importe que les draps restent tirés et les persiennes closes : ces linges un peu rêches qui sentent la lavande au sortir de l’armoire sont ce qu’il me reste de chair. Les oreillers brodés de fleurs bleues et le gros édredon piqué composent sur le lit la silhouette d’un dormeur imaginaire qu’il serait vain de réveiller.
L’idée de chair
Un dimanche après~midi dans la tête
P.O.L.
Un peu de soleil à l’intérieur – ( RC )

Le soleil a disparu
à force de tourner sur lui-même.
On ne le voit plus.
Le peintre s’est tu.
Juste une poudre de lumière
atteint encore la terre :
une brume de misère
qui la hante.
Beaucoup de plantes
ne savent plus ce qu’il faut faire.
Elles se crispent dans le sol
et se souviennent des jours
où la terre tournait encore autour.
Pourtant des tournesols ont fleuri,
comme des marguerites jaunes,
en tout petit,
qui, dans leur douleur
ne montreraient plus leur coeur.
Entre les doigts de la brise,
elles dialoguent
et refusent de flétrir :
la nouvelle s’est répandue
de la mort de Van Gogh
c’est qu’elles ont encore
assez de soleil et d’or ,
pour qu’à l’intérieur ,
son souvenir
soit leur propre lueur.
une forme douce et un sourire – ( RC )
peinture: Jeremy Annear
J’ai commencé
par une forme douce et indéfinie,
un peu ovale, mais sans bords,
que j’ai remplie d’un sourire
que je ne peux décrire.
Un sourire,
dont tu es l’ombre portée ,
qui s’étend lentement,
sans avoir de centre.
La couleur est apparue,
lente et dense
mais semblant sourdre de l’intérieur.
Il est difficile de l’expliquer
et encore d’en transmettre une image,
que l’oeil pourrait saisir.
Il suffit de se laisser envahir par sa présence,
s’en laisser traverser,
( enfin s’éprendre de ce désir,
qu’on ne peut même pas qualifier ) .
Haruki Murakami – les souvenirs
Memories
are what warm you up from the inside*
But they’re also
what tear you apart.
Les souvenirs sont ce qui vous réchauffent de l’intérieur
- Mais ils sont aussi ce qui peuvent vous déchirer.
Le miroir des pages – ( RC )
Je me suis regardé, à travers l’écho
de lignes écrites, et d’autres mots :
cela fait bien longtemps.
C’était comme remonter les heures,
et se voir autrement,
comme dans un miroir déformant,
mais qui garde les saveurs,
de la terre humide, et des vents .
Quelques uns m’étaient sortis de l’esprit.
Quand je les ai relus,
J’en ai été ému,
En étant un peu surpris,
comme si j’avais ouvert
une boîte, ensevelie sous la poussière,
où la mémoire patiente,
qu’il pleuve ou qu’il vente .
Mais cette mémoire m’a échappé,
elle rassemble des lignes,
pattes de mouches et signes,
restés couchés sur le papier.
Ce coffret ouvert, par distraction,
offerte à mes regards indiscrets,
cachait donc des secrets.
Je les ai ouverts, comme par effraction.
Les phrases se sont envolées ,
comme de la boîte de Pandore :
elles voulaient me dire quelque chose : je l’ignore,
mais sont restées sagement alignées.
Il est donc étrange , de parler à soi-même :
ainsi l’on se penche
avec des décennies de distance,
à relire des poèmes,
à retrouver des émois
des émotions et des pleurs,
et presque les odeurs
des sous-bois .
A propos, c’est comme la blessure,
qu’en son tronc, l’arbre supporte.
Même si ce sont des amours mortes,
le dessin du cœur perdure,
et est toujours en devenir :
quoi de plus banal,
de retrouver les initiales
mais qui ne cessent de grandir.
Ces empreintes volontaires,
ce sont des essais
qui ne partent jamais,
et ne peuvent se taire.
Il y a quelque chose de moi
Je ne saurai dire exactement quoi,
malgré le temps qui passe,
qui revient à la surface.
C’est le miroir des pages
d’où l’on se regarde
si on s’y hasarde …
on y voit son visage
Ou bien ce sont les écritures
qui nous guettent malgré l’oubli
Si on les relit,
on reconnaît notre figure .
Pourtant je racontais des histoires,
peut-être par défi,
qui n’étaient nullement autobiographie :
alors il faut croire,
que, même caché dans le noir,
au plus profond des secrets,
on dessine toujours son auto-portrait.
Cela remplace la mémoire qui s’égare.
L’espace s’est élargi
Je n’en connais plus bien les limites,
Cette écriture manuscrite,
est sortie de sa léthargie :
Au fil je vais me suspendre
à l’intérieur de moi et dérouler
les années accumulées,
et ainsi apprendre
à lire d’une autre façon :
Construire une stratégie
faire de l’archéologie
Explorer la maison,
retrouver d’anciennes graines,
qui n’ont pas éclos
Arroser l’arbrisseau ,
—- en faire tout un poème…
–
RC – juin 2016
A pertes de vues – ( RC )
– Qui connaît le milieu
d’une mer ? : elle se referme sur mes yeux,
> Je n’en situe pas le centre,
ni ce qui les hante…
bien étanches à des sensations…
autres que celle du glissement de l’eau..
C’est peut-être que ceux-ci deviennent poissons,
et se cachent comme ils peuvent sous les flots,
en fuyant mon visage,
( comme si j’écrivais : fuyant le rivage… )
La peau en serait la surface,
Elle se ramollit et s’efface,
On n’en saisit plus les bords
Les yeux fuient bien plus au nord :
On voit bien qu’ils plongent
à mesure que les jours s’allongent,
et le regard se fait plus flou,
en échappant aux remous,
et aux mouvements de l’onde :
> on dirait qu’ils fondent
ils se dissolvent dans le liquide
en délaissant les rides
accrochées aux paupières :
il y a de moins en moins de lumière
quand on s’écarte du soleil :
> C’est la porte du sommeil :
Plus rien ne les anime,
au plus profond de l’abîme:
l’eau ruisselle et glisse,
mais sur une face, désormais lisse :
il n’est pas sûr qu’ils émergent de l’océan :
désormais perdus dans le néant:
Il n’y a plus d’ailleurs
que pour le regard intérieur
comme s’il s’en était allé
dans une immensité d’eau salée…
C’est ainsi que du lointain se dilue
ce que l’on imagine » à pertes de vues « .
–
RC – fev 2016
Nuit rouge – ( RC )
Image: Jakez Daniel
Quand j’appuie sur mes paupières,
je te vois dans une nuit rouge,
floue, comme un souvenir
prêt à se dissoudre ….
mais c’est bien ta cambrure,
une posture familière,
qui danse
dans un désert brûlant
Ce désert est en moi :
> une incandescence,
qui surgit de l’intérieur,
occupe toute la place …
Et ton regard,
a la phosphorescence
la pose altière,
d’un oiseau de proie….
Il y a comme un vent de sable
qui se lève, en moi et envahit tout – soudain
et tu disparais, comme tu es venue…
dans la nuit rouge, virant à l’indigo…
–
RC – mars 2016
( en écho avec un texte de Laetitia Lisa )
Vers des mots d’une autre langue – ( RC )

travail de Daniella Spinat
–
Vers des mots d’une autre langue, le silence résonne,
Des mots lui donnent suite ,comme
Happés de l’intérieur, ils restent submergés,
Et en attendant qu’ils se retournent,
Et prennent leur envol, il y a toujours un temps,
Une distance.
Elle mesure leur poids, toujours considérable,
Ce qu’il faut de temps, pour prolonger leur sens,
Et peut-être les comprendre.
–
RC- décembre 2013
–
Issu d’une parole d’Alain Veinstein:
»
Après un silence, un mot ne donne suite à la phrase qu’une faible part de lui-même. »
Ariane n’a pas laissé de fil ici ( RC )

fil d’Ariane – voir l’article très instructif sur le mythe d’Ariane… (mythe et symboles)
–
Je tire sur les fils, tendus qui traversent les esprits.
Je parcours ainsi la trame des jours,.
Ils s’approprient toutes créatures,
Et les conduisent, dirigés par ces fils,
A leur propre intérieur,
Qu’ils dévident lentement,
A chacun sa pelote.
–
Cet intérieur se tapisse, ainsi,
D’épaisseurs croisées, un cocon…
Mais ne préparant à aucune métamorphose.
Et si d’accident, la trame s’accroche
Au passage à celle d’un autre.
( C’est une rencontre, un mariage, une union)…
– cela crée bien sûr des attaches.
–
Mais, contre les « toujours », les liens se distendent,
Et le tissu, va,s’effilochant ,
Pâlit à la longueur des années.
Pour se reconstruire, d’autres filaments viennent panser les plaies.
L’araignée répare sa toile déchirée.
Elle persiste à occuper les mêmes endroits.
Ceux que peuvent emprunter ses proies.
–
Peut-être y a-t-il aussi dans nos têtes,
Ce genre de coin, que l’on calfeutre,
Pour éviter les courants d’air,
Et amortir les chocs….
Mais si on gagne en confort,
A tout occulter,
C’est aussi mieux s’isoler, du reste du monde .
–
On n’y voit plus assez,
Pour se diriger,
Et aller de l’avant
On ne sent plus les vents,
Et le passage du temps…
D’ailleurs qu’importe,
S’il avale la pelote…
–
Ariane n’a pas laissé de fil ici,
Pour retrouver la sortie….
–
RC- 17 octobre 2013
–
Sabine Vadeleux – Etre le miroir de l’autre
Säb –
photo: Bruce Davidson. Chicago – 1963
–
Regarde encore et encore
Est-ce ton reflet sous cette lune ?
Ma main se lève lentement, doucement
Chaque mouvement reproduit à l’identique
Comme Une.
Ce que j’aimerais c’est connaître ton intérieur
Ton être vrai et véridique
Miroir de mon âme, je lâche les armes
Comme une hérétique.
Les grains de sable s’envolent emportés
Par le vent…
Les temps s’échappe toujours
Tu sais… difficile d’arrêter à temps
Rien ne peut enrayer sa course
Effrénée soufflée à la craie de nos incertitudes
Et de nos désirs secrets.
Pourtant une plongée dans ton iris
Me réveille
En sursaut, tel un serpent surpris par l’eau
Nagé par mont et par vaux … être le miroir
De l’autre…
Une essence une intensité intimement nouée,
Une confusion des sens dans un souffle inné.
Une intension où les corps et feux se dilue peu à peu
Et se répand poète.
Les grains continuent et glissent toujours
Escalades d’émotions qui ne s’attardent
Et surgissent.
Mais quelle hypocrisie de l’histoire
Que ces espèces de lignes qui nous tissent
Le visage.
Regarde encore et encore dis-moi tout… parle-moi de cette statue
Est-ce toi ? est-ce moi ?
Est-ce mon émoi ?
Que d’être le miroir de l’autre
Ou les deux confondus.
—

dessin: MC Escher
et beaucoup d’autres textes d’auteurs, visibles sur les Carnets de Poésie de GuessWho
–
Que faire des idées qui encombrent ? ( RC )

peinture : Paul Klee – maisons rouges et amaryllis – Tunis 1914
–
Que faire des idées qui encombrent ?
En venir en tableau blanc…
où tout est à inventer.
à construire le réel au souffle de la couleur,
ce qui n’est pas tout à fait la réalité,
puisque je l’ai inventée…
L’innomable a suivi :
On peut saisir et toucher de la main
ce qui n’existait pas , un instant avant
des calligraphies jetées sur le papier
à la douceur des peaux de marbre,
creusées dans le bloc brut de carrière…
Que faire des images qui encombrent ?
Avec le tableau vierge ?
c’est ré-inventer le langage d’origine
et le chercher là – où personne ne l’a entendu –
La réalité inventée
celle des tableaux de Klee
celle d’un intérieur enfoui quelque part
qui soudain se donne à voir
———– sans jouer au miroir…
Tout est fiction peut-être
et, qui ouvre la fenêtre
met au jour l’esprit de l’enfance,
s’aventure sans méfiance .
.. Si c’est musique , – des accords inouïs…
Pour les artistes , aucun mot ne traduit
l’invisible devenu visible, et si oui,
résumer que le peintre a jouï,
rejetant dans les étoiles
et la culture et les idées bancales.
C’est une fiction, peut-être,
en nous portant, pourtant, elle nous fait renaître..
Et s’il est question d’écrire,
je laisse les mots advenir
avancer, reculer, avancer,
—– et enfin nous bousculer..
–
RC – St Louis – 25 février 2013 —
–
Cribas – Brûlure indigeste
Brûlure indigeste ou Impitoyable farniente
– Cribas 2010 – Lien permanent
Il y a le temps qui s’arrête
La télévision
Les Monk et autres merveilles
Les histoires secrètes
Un peu de musique
Parfois un livre
Pas trop près des yeux.
Deux mois sans vivre à l’extérieur
Et mon fort intérieur
Agrandit ses remparts :
Ces petits riens nulle part
Avides de bonheur.
Il y a la mélancolie
Cette sournoise silencieuse
Se prêtant au jeu, rieuse,
De l’âme tout contre sa folie.
Il y a enfin la vie
L’invisible
Celle qui est toujours en fuite
Celle qui gicle.
Il y a le temps à terre
En noir
Et blanc vers les cieux
Entre les deux
Ça fait plutôt pissotières.
La fatigue use
Et la terre tourne
Encore et toujours autour des fusées
Séjourne le soleil sans ruse.
Il faut se battre
Comme la lumière au travers des volets,
En frappant fort
Sur son corps déjà violet.
Un peu de vin
De la musique
Beaucoup de musique
Autant de vin
Je bats l’enfer lorsqu’il est froid
Je prévoirai demain.
–
Cribas Par Cribas le samedi 17 juillet 2010.2010
Hasia – Quête aveugle
Figé
ton visage marqué
un instant se retire
au creux de la solitude
exilée
à l’obscur de ton corps
parmi traces et cicatrices
intenables
Défaite des étoiles
dans la nuit immobile
l’heure livre
ses béatitudes instantanées
tandis que le fleuve du temps
sculpte notre présent
sur le versant corrodé
des survivances
Au bord du monde
nos incertitudes
enfouies dans l’absence
occupent la noirceur de la vie
seul le silence intérieur
creuse cette brèche
qui nous retient
et nous sauve un peu
en cet abri
qu’est l’amour
en nous
–Hasia
( Hasia publie ses textes dans toutelapoesie… voir ses écrits ici)
—
Christine Clairmont – le pays
Le pays que je préfère
Est à l’intérieur de moi
La montagne des chimères
Plantée d’arbres à pourquoi.
Il faut tracer un chemin
Dans un bois impénétrable
Sous l’écorce du destin
Chercher le sens de la fable.
Trouver l’harmonie du Temps
Dans les branches du mélèze
Pour que la peine d’antan
Au vif du printemps se taise.
Découvrir sous la fougère
La pervenche aux yeux d’enfant
Qui dans le feu de la guerre
Gardait son contentement.
Aboutir dans la clairière
Où dort l’étang du futur
Tandis que la pensée mère
Monte sans frein vers l’Azur.
Christine Clairmont. « Sur un air d’éternité » 1986
–
G Titus-Carmel – Ici est le pays sans déception
« Ici est le pays sans déception.
Car la nuit, toujours souveraine, se montre magnanime : elle se déverse généreusement en nous, sans mesure ni remords, et rafraîchit celui qu’une trop forte passion consume à l’intérieur.
Chaque soir, elle s’ouvre ainsi qu’une vaste et accueillante étendue d’eau noire, plus vastement encore que les plus larges fleuves connus, plus sombre que les grands lacs, avec des berges qui s’ourlent de lointain dès qu’on avance.
Et c’est de tout son mystère qu’elle nous introduit à sa lumière ― à son «obscure clarté» au sein de quoi se dilue notre ardent désir de paix et d’oubli.
On dit alors qu’on a la nuit au corps.
Eugenio de Andrade – le sourire

peinture: André Derain: la nièce du peintre, assise , musée de l'Orangerie
Eugénio de Andrade – Le Sourire
Je crois que ce fut le sourire,
le sourire, lui, qui ouvrit la porte.
C’était un sourire avec beaucoup de lumière
à l’intérieur, il me plaisait
d’y entrer, de me dévêtir, de rester
nu à l’intérieur de ce sourire.
Courir, naviguer, mourir dans ce sourire.
———
plus d’informations sur E de Andrade , voir l’article des éditions de la Différence.
–