Rainer Maria Rilke – C’est presque l’invisible qui luit

C’est presque l’invisible qui luit
au-dessus de la pente ailée ;
il reste un peu d’une claire nuit
à ce jour en argent mêlée.
Vois, la lumière ne pèse point
sur ces obéissants contours
et, là-bas, ces hameaux, d’être loin,
quelqu’un les console toujours.
( extrait des quatrains valaisans )
Nous ne jouerons pas aux dés – ( RC )
Je sais qu’il y a cette bête,
– je ne peux nommer -,
Je la maintiens prisonnière.
Je la porte en moi,
comme si je l’avais engendrée
( ainsi la pomme qu’une larve habite
et qui va lentement se développer).

Elle attend le moment favorable
pour me tuer,
serpent invisible
que j’ai nourri
et élevé.
J’espère qu’elle ne grandira pas trop vite
et me laissera le temps de la dénoncer.
Quant à vouloir déjouer
les signes du destin,
gravés dans ma main,
je ne suis pas capable
d’éviter le déclin inéluctable:
cette bête,
nul pourra l’extirper.
Pas la peine de lui tenir tête:
je peux toujours m’en moquer
faire comme si elle n’existait pas:
— rira bien qui rira le dernier.
Nous ne jouerons pas aux dés.
Quand elle aura triomphé
je ne serai plus là pour le constater:
Je n’aurai plus aucune chance:
il est couru d’avance
que je perde la partie:
je porte en moi ma mort :
de la branche se détachera le fruit
qui retournera à sa terre
indulgente et nourricière.
D’après un texte de Lucie Taïeb:
On porte en soi la mort comme un fruit qui mûrit, paraît-il, mais on ne veut pas, pour autant, qu’elle parvienne à maturité.
On préfère qu’elle ne grandisse pas, alors on ne bouge pas, de peur d’accélérer le processus.
Mais, il y a, dans cette immobilité, quelque chose qui ronge, véritablement : un épuisement prématuré des forces, un déclin impassible, une image qui vous fascine et vous empêche de fuir, comme la bête piégée par l’éclat des phares, stoppée net au milieu de la voie, et que le véhicule n’évitera pas
Tirer de l’eau du puits – ( RC )

Se pencher par dessus la margelle,
tirer sur la ficelle,
au milieu même du petit oeil rond
– découpe du ciel tout au fond -.
Lui, renvoie mon reflet,
jamais je ne ferai
taire cet éclat de lumière,
même en lui jetant une pierre.
Un reflet minuscule
tout au fond du noir
d’où je crois voir
crever quelques bulles
Il faut hisser le seau
du puits le plus profond.
Remonterai-je quelques poissons
voulant voir à quoi ressemble en-haut ?
Que ce seau est donc lourd !
est-ce seulement de l’eau
ou un chargement de lingots,
qui me vient en retour ?
une eau si précieuse
valant son pesant d’or,
comme un trésor
tapi dans l’ombre ténébreuse.
… Se pencher par dessus la margelle,
mais voilà qu’une main invisible
me fait perdre l’équilibre :
je bats des bras et chancelle ,
chute brusquement dans l’obscur,
à toute allure .
… au fond du puits
me saisissent soudain, les griffes de la nuit.
Herberto Helder – De Mundo 02
peinture: Evert Lundquist – nat morte 1950
Une cuillère débordante d’huile d’olive
une main tremble à passer
le fil qui partage le monde :
cuillères de feu :
leur reflet calcine paupières et pupilles
– cuillères rasant les braises en équilibre
sous les abîmes d’atomes
des jours.
Parce qu’il doit mourir
dans le sommeil tombe l’eau froide, et elle bout,
dans le sommeil l’eau devient calcaire et froide
ah cette brusque montée de fièvre,
les images insensées.
Le pelage noir des mères suinte sur ce visage d’enfant
qui se détourne.
Seul lui peut ainsi se détourner si longtemps
en dormant,
enfant qui s’étire
Cherchez-moi un nom pour la mémoire
une harmonie sonore
que l’on puisse écrire sans se dévoiler
un nom pour mourir.
Parce que l’enfant traverse tout
et va se heurter au centre même
de lui-même.
…et puis plus aucun n’ose parler, et
chaque chose devient acte
au-dessus de chaque chose, et tout ce
qui est visible bouscule un territoire invisible.
Rendu à la vie – et par cette parole minimale
apparaît alors un presque rien
qui arraché de la feuille et à
l’écriture maladroite semble
la surface imposante de Dieu, c’est ainsi
que tu es rendu à la vie, toi
qui juste un moment avant étais mort.
Franchir le seuil – ( RC )
C’est encore loin,
( je n’envisage pas encore le voyage ),
mais tu as franchi le seuil,
tout à coup, – là -,
sous tes pieds
et ton visage s’est fondu dans les ténèbres ,
délaissant la lumière,
soudain inutile.
Ou peut-être, inversement,
l’as-tu bue,
la lumière , entièrement,
pour nous laisser la nuit ,
rapetissés.
Alors que s’étend devant toi
l’immensité, et son inconnu,
toi – devenue invisible à nos yeux.
–
RC – août 2017
Les doigts marchent au ralenti sur une plage – ( RC )
Les doigts marchent au ralenti sur une plage,
elle est déserte, et j’assemble les mots en vrac.
Ici, il n’y a pas de ressac,
mais l’univers encore vierge d’une page.
Mes doigts tiennent fermement un crayon ,
( on voit que blanchissent les phalanges,
quand je pars à la poursuite de l’ange ),
et de l’ astre j’accroche ses rayons .
Comment fixer ce qui est invisible ?
par le moyen d’une voix clandestine,
( le bout du crayon suivant la mine ) ,
cette voix , alors, me devient audible ,
il faut juste qu’elle me traverse,
portée par des ondes, en-dedans :
c’est peut-être juste le vent
ou une soudaine averse :
( je ne saurai la décrire,
ni, ce qui la déclenche ):
les pensées ne sont pas étanches,
quand je me mets à écrire.
–
RC – nov 2016
Je perçois de nouvelles esquisses – ( RC )
–
Je danse contre le feu,
et l’être se découpe en contre-jour,
parfois bu de fumées .
Dans la musique, se fondent
les arpèges, le violon,
le sel et la neige.
Je suis une ombre
jetée face à la lumière,
un tourbillon qui s’oublie
et distribue un corps en bribes .
L’oeil a du mal à en fixer
ses mouvements .
Le rythme les dissout,
ou peut-être je redistribue
les cartes, je change le jeu
et les couleurs :
je me suspends à l’invisible,
en modèle une autre existence .
Les traits ne se superposent
pas aux anciens,
On doute de ses traces ,
on se demande quelles sont
les vérités : Elles s’effacent .
Je perçois de nouvelles esquisses.
–
RC
Un corps à l’épreuve – ( RC )
Montage perso 2016
Il y a quelque chose du désert,
là où tout s’arrête,
et même la mer,
coupée en deux,
se dresse, immobilisée.
Passé par le chas des ténèbres,
le corps reste extérieur,
une paroi invisible se tend
entre les espaces ;
Je n’arrive pas à les franchir .
Est-ce un astre noir,
qui absorbe la nuit entière,
et la défait ?
Le monde s’est échoué
à portée de main .
Mais c’est encore trop loin :
mes bras ont beau s’étendre ,
ils ne touchent rien.
Comme la parole dite : elle
se fige sur place, même avec un porte-voix .
–
RC – juin 2017
incitation: une création d’ Anna Jouy
Roger Cibien – Où êtes-vous, bergers
J’aimais, j’aimais beaucoup rencontrer sur ma route
Les vénérables pâtres, lents à se confier,
Parlant à petits mots, avec des gestes de sorciers,
Dans l’immense silence, ils me disaient… Ecoute !
Et alors subjugué, effrayé par mes doutes
J’écoutais, le vent, la terre, les sentiers
Parler, jaser, siffler.
Le grand monde alors m’épiait
Mais le pâtre était là, expliquant ma déroute.
Mais les bergers sont morts …
C’est un fil électrique
Qui garde le troupeau.
Finies les images d’Attique,
Rompu le trait d’union de Dieu et des Bergers.
Les secrets de la terre, les mystères du ciel
S’arrêtent à un fil invisible et cruel !
Où êtes-vous Pasteurs ? Où êtes-vous Bergers ?
Roger CIBIEN ( extrait d’une anthologie de la poésie lozérienne )
Je n’ai jamais su la couleur des étoiles – ( RC )
peinture: Pisanello
–
On peut lire, – paraît-il – , son destin,
inscrit dans la conjonction des astres.
Des figures s’y croisent, s’interpénètrent ,
se déforment, puis se détachent
lentement les unes des autres.
On prétend que chacun a son étoile,
mais où la situer dans toute cette galaxie?
Elle nous mènerait, le temps qu’elle nous suive,
par une sorte de fil invisible .
Seulement voila…
il est connu que les astres palpitent à distance,
rayonnent, s’attirent, se repoussent,
et adoptent quelquefois de folles trajectoires.
Leur trace peut se voir,
sur les fresques des églises,
Des représentants
de leur commerce apparaissent…
sous la figure des anges :
Ils sont un peu plus proches,
( quoique leur figure poupine reste énigmatique ).
Ils ont entre leurs mains les fils du destin.
Ceux-ci, bien qu’échappant au regard,
arrivent à s’emmêler avec ceux des autres,
et tressent quelquefois une étoffe commune,
en quelques mois ou quelques semaines,
dont hélas , on ne peut se vêtir,
ni dissimuler ses blessures .
D’autre part, personne ne sait
de quoi sont faites les robes des anges.
Il y a ceux qui embrassent la lumière ,
qui la créent , d’une certaine façon.
Et d’autres qui la consomment,
jusqu’à ce qu’elle se vide de sa substance.
Il arrive que l’étoile clignote, puis s’éteigne,
comme une vulgaire ampoule .
C’est juste que le courant ne passe plus,
ou que le fil est brisé.
Comment savoir ?
On joue alors une musique funèbre,
et sur les murs, la figure de l’ange disparaît,
progressivement de moins en moins nette,
jusqu’à ce que les traits s’effacent définitivement.
L’étoile qui nous était destinée au plafond du ciel,
quitte aussi la scène , mais ,
on n’est plus là pour s’en aperçevoir.
–
RC – fev 2016
Sur une photographie de Dora Maar – Man Ray – 1936 ( RC )
Les mains posées sur le mur,
aplaties , blanches, sous leur poussée,
et même transparent, invisible obstacle,
celui-ci porte aussi leur ombre.
Elles se mêlent, d’un défi obscur
à la promesse du vivant.
Le visage voisine son négatif,
à la façon d’un masque.
Lui aussi regarde un au-delà
caché derrière nous.
Des fentes le parcourent.
Ou bien est-ce inscrit dans notre oeil?
Ainsi ce serait ce poids de ciment,
griffé par les années,
supportant son être et l’enfermement
en empreintes négatives.
–
RC – janv 2016
Gema Gorga – Le livre des procès-verbaux – ( 39 )
39.
per exemple, l’aire conserva l’escalfor del teu cos durant una
estona, així com la sorra guarda tota la nit la tebior trista del sol.
Quan marxes, per continuar amb el mateix exemple, les meves
mans persisteixen en la carícia, malgrat que ja no hi ha pell per
acariciar, només la carcanada del record descomponent-se al buit
de l’escala. Quan marxes, deixes enrere un tu invisible adherit a
les coses més petites: potser un cabell a la coixinera, una mirada
que s’ha entortolligat amb els tirants del desig, una crosteta de
saliva a les comissures del sofà, una molècula de tendresa al plat
de la dutxa. No és difícil trobar-te: l’amor em fa de lupa.
Ta silhouette habite l’invisible – ( RC )
–
Toi, encore présente,
Tout a été effacé, pourtant,
Comme le vent dispersant les cendres,
une fois éteintes les braises du foyer .
C’est sans doute que tu habites l’invisible,
Quelque part incrustée dans le cœur,
– Où que tu sois.
Au sein du silence et d’un sourire,
tu te révèles pourtant, avec le soleil,
permettant de voir la silhouette,
modèle mêlé aux ombres d’une vigne vierge,
mouvante, comme pourrait l’être
ta présence, sur ma page…
—
RC – octobre 2015
–
d’après un écrit de Philippe Jaccottet
Toi cependant,
ou tout à fait effacé
et nous laissant moins de cendres
que feu d’un soir au foyer,
ou invisible habitant l’invisible,
ou graine dans la loge de nos coeurs,
quoiqu’il en soit,
demeure en modèle de patience et de sourire,
tel le soleil dans notre dos encore
qui éclaire la table, et la page, et les raisins.
P. Jaccottet
Mireille Fargier-Caruso – Ferveur

gouache: Alexander Calder
–
Persiennes closes pour la sieste
une échancrure où se dénouent nos soifs
passage à gué entre songe et éveil
on suit le fil d’un cerf-volant
dans un pays qui nous échappe
on met à nu nos visages
à l’écoute des commencements
accord solaire dans la ferveur des mains
sans crier gare
la trame de nos gestes a signé l’invisible .
Li-Young Lee – Attends le soir
–
Attends le soir.
Après, tu seras seul.
Attends que le terrain de jeu soit vide.
Puis appelles tes compagnons d’enfance:
Celui qui ferme les yeux
et fait semblant d’être invisible.
Celui à qui tu as dit tous les secrets.
Celui qui a fait tout un monde d’une cachette.
Et n’oublies pas celui qui écoutait en silence
tandis que tu te demandais à haute voix:
L’univers est un miroir vide? Un arbre en fleurs?
Est –ce que c’est l’univers du sommeil d’une femme?
Attends dernier bleu du ciel
(La couleur de ta nostalgie).
Alors tu connais la réponse.
Attends le premier or de l’air ( cette couleur de l’Amen).
Alors tu iras espionner la progression des pieds nus du vent.
Tu te rappèleras cette histoire , au début
avec cet enfant qui s’égare dans les bois.
Sa recherche se passe dans l’ombre grandissante
De l’horloge.
Et le visage derrière le visage de l’horloge
n’est pas le visage de son père.
Et les mains derrière les aiguilles de l’horloge
ne sont pas les mains de sa mère.
Cà a toujours commencé quand tu as répondu
aux noms que votre père et mère t’ont donné.
Bientôt, ces noms se déplaceront avec les feuilles.
Ensuite,tu pourras changer de place avec le vent.
Alors tu te souviendras de ta vie
comme d’un livre aux chandelles,
chaque page étant lue par la lumière de leur propre combustion.
–
( tentative de traduction: RC )
–
Quand la lumière ne vient plus – ( RC )
–
Quand la lumière ne vient plus,
Ou qu’il n’est plus possible,
De la percevoir
Si je n’y accède plus,
–
Elle serait quelque part,
– Suspendue, –
Invisible,
Je ne pourrai plus la toucher,
–
Comme elle, nue,
Quand elle caresse les formes,
Et ondule sur la matière…
Elle a tant donné de chaleur,
–
Et , de toutes les couleurs,
Que je l’ai imprimée,
Au fond de ma mémoire,
Si, plongé dans le noir,
–
Je ne peux que l’imaginer,
> Avec mes yeux soudés,
A jamais,
Je ne pourrai que regarder,
–
A l’intérieur…
Un « jour » viendra, alors
Invisible, emporter mon corps,
Mais j’aurai en mémoire,
–
Malgré mon désespoir,
La conscience de son prix,
Ne pouvant m’accrocher , à rien d’autre,
que mon cri…
–
…. Encore un peu de vie,
Avant de sombrer,
> Dans la nuit.
– Incitation: Brigitte Tosi: Un jour la mer.
–
RC – 26 novembre 2013 –
Ismaël – la page de Tunis
la page de tunis par ismaël
Je n’ai d’autre chevelure, à tresser d’azur. Que celle de la nuit. Tombant,
opaque, et malléable, sur le jasmin du mur. Son image. Le miroir n’est
pas un miroir. S’il consent à la forme. Et la nuit, n’est pas nuit. Si elle
ne tombe, que sur sa propre image. La mort est perpétuelle. Tresser la
nuit. Briser le miroir. Ce n’est que faire trembler l’invisible. Ce n’est que
chatouiller l’arbre, lorsque le désir du fruit cueille la faim. Déraciner la perpétuation,
en lieu et place, laisser l’inconnu germer. Le seul travail de la terre,
qui vaille la peine d’oublier l’horizon.
Je n’ai aucun devoir de mémoire, sauf celui du rêve. Sauf le devoir de verser
au sommeil, à boire, à se désaltérer, du nuage. Les nuits sont faites du même
rêve exactement de la même manière, que les mers sont faites de la même eau.
Le rêve du jour n’est pas un rêve, c’est la négation du rêve.
Peut-être la mémoire du rêve, est-elle le sommeil de l’altérité.
Peut-être que c’est le sommeil qui se meut dans le rêve, non le contraire.
Peut-être que les inconnus que nous croisons en rêve ne sont-ils pas
imaginaires, mais qu’ils se sont perdus dans notre sommeil. Ou bien
peut-être que c’est nous, qui nous sommes perdus dans leur sommeil, à
eux. Peut-être qu’eux aussi nous prennent pour des personnages imaginaires.
Peut-être que l’homme qui a cherché toute sa vie, la femme qu’il a aimée en
rêve, savait-il, lui, qu’elle était endormie, comme lui, qu’elle s’était éveillée,
aussi. Peut-être espérait-il qu’elle le chercherait, aussi. Et qu’ils finiraient, par
se perdre, l’un dans l’éclat, de l’autre.
Peut-être le rêve est-il l’au-delà, du feu.
Je n’ai pas d’étoiles, à éplucher. Elle ne m’a laissé, qu’une ombre, inhabitable, dans la bouche.
–
Les chemins de Séraphine ( RC )
Avec d’autres chemins
Pourquoi les suivre..;
effet du hasard ?
Tirer la bonne paille… ?
Le destin aux lignes de la main,
la barque qui dérive
qui peut-être s’égare
Où qu’elle aille ….
Il n’y a pas besoin d’être vieux
pour découvrir, à tous vents
la passion qui nous porte
sans qu’on l’imagine…
Elle nous porterait aux cieux
se transformant en talent…
Je pense à une femme forte,
la peintre Séraphine
qui invente son univers
en éclats de couleurs
Et rendit possible
d’autres lendemains
Détachée de la terre
en éclats de douleurs
elle fait voir l’invisible
qui est à portée de mains…
C’est tout un monde étrange
où le certain, n’a plus cours
où bascule notre regard
En abolissant nos repères;
C’est un monde qui dérange
une folie sans contours
où l’on comprend que l’art
Est solitaire, et salutaire…
–
RC- 8 octobre 2012
–
Charing Cross, au matin ( RC )
Je vois une large avenue en arc, verte
Où balbutient des branches sans feuilles,
Et de vielles autos bleues
Le long d’un quai de Tamise
C’est un Londres , au matin
Encore sous l’émotion de sa brume changeante,
En touches suspendues
D’ors d’ocres et verts incertains,
Charing Cross, dans un tableau de Derain
Devant les barres bleues d’ombre
Ces bâtiments vides
Je ne distingue plus les voix,
Seulement le murmure, d’une ville
Qui s’éveille et s’étire aux heures,
Et la patience immobile
Des statues sur leur socle
Encombrées de mousse,
Au charme des squares,
Encore à l’ombre, à cet instant.
Une nappe de vapeur s’étale
Et glisse , nonchalante
Des péniches lourdes,
Jusqu’aux berges lasses.
Les verticales des réverbères
Sont, aux quais, des signes bleutés
Qui attendent,
La musique du jour
Et les cris des marchands de journaux
En décalquant l’invisible
–
RC – 24 octobre 2012
–
Taire le silence ( RC )
Si j’apprends à taire le silence
En jetant quelques cailloux dans l’eau
Alors, la surface remue, et se souvient
En cercles concentriques, des éclaboussures
Et des gestes ténus,
Qui repoussent quelques secondes la léthargie,
En laissant , une place à la vie.
Mon geste n’est plus là, mais seulement sa trace
Comme lorsque je passe un doigt distrait
Sur la couche de poussière recouvrant le buffet.
J’apprends à lire, les instants fugitifs,
Le murmure de l’histoire, et l’invisible est crédible
Les brioches dorées, le zeste des parfums,
Le sillage d’un regard, au détour d’un reflet,
Le souffle des choses, agitant les feuillets
Les chapitres du bonheur, que révèle
Un pinceau de lumière à travers les nuées
Eloignées des étoiles, et dénuées
De l’ombre – qui fait l’importance.
Si j’apprends à taire le silence,
C’est pour mieux traduire
Une langue d’avant qui te ressemble
La prolongation d’une grâce
Que n’offrent ni les mots
Ni la parole rhétorique,
Les doigts ouverts de l’invisible
Quand ils te dessinent à mes yeux:
Une veine qui palpite à ton front,
Et la courbe d’une hanche…
J’apprends à lire, les instants fugitifs,
A rassembler les indices,
Peut-être à inventer,
A rajouter des brillances
Et des couleurs de voix,
Imiter rivières et cascades,
Et l’ombre des collines
Qui dessine des courbes
Sur le désir de l’instant
Que les lèvres promettent.
RC – 6 octobre 2012 ( évocation d’une démarche créative… je pensais à la photographie )
–
Claude Esteban – l’œil est au centre et chaque chose est juste
L’œil ne connaît pas
l’œil, il est
au centre et chaque chose devant lui
est juste et se confirme, l’œil
ne regarde pas, il sait
d’abord et comme il sait, il voit
il trébuche, tout
près,
sur l’invisible. »
—–
extrait de
Étranger devant la porte (I. Varitions), Claude Esteban, Farrago / éditions Léo Scheer, 2001, p. 31.
—-
Roland Dauxois – Max Ernst
Roland Dauxois, dont je cite encore une de ses parutions, voir son blog… « les imprévisibles »
fait ici directement référence à Max Ernst, le peintre surréaliste, dont j’ai appris à « apprivoiser » la production multiforme…
En cette forêt dernière
des crânes bleus dorment profondément sous les racines,
la terre frémit à peine sous les cavalcades de ces ombres
chevauchant tout là-haut l’immense pour féconder l’invisible,
pour la nourrir de subtils venins et poisons.
Nos noces sont d’acier sous les arches de cette nuit végétale
en ces vallées où l’esprit ne connait plus ni semailles ni moissons.