Venise en hiver – ( RC )

As-tu encore des souvenirs
du film de Visconti ,
de Venise en hiver,
de la neige sur les gondoles
alignées sur les pontons de bois ?
Plutôt que des photographies,
tu en fis un carnet de voyage,
avec des traits subtils
les traces versatiles
de lavis poursuivant les nuages.
La ville est silencieuse
dans ses habits d’ocre rouge,
et des palais aux colonnes de marbre
penchés sur la lagune
comme à regret.
La Salute est en équilibre,
un peu effacée par la brume.
Elle a abandonné ses reflets
à la matité d’un hiver
couronnant les rives de gel.
Tout est immobile,
le silence est dans le cœur
de la terre et du ciel,
les pieds dans la vase et les flots
sans qu’on en voie les limites.
C’est un instant prélevé sur l’éternel,
où tout ce qui scintille
s’évanouit dès qu’on approche la main.
Tu nous décriras San Michele,
le cimetière en dehors de la ville
où les poètes
dans leur profond sommeil
ne sont pas dérangés par les touristes
venus pour le Carnaval ,
les vaporetti du Grand Canal.
Les peintres n’ont pas de mots
pour dire la beauté des lieux
traversés par les siècles
et la ville qui doucement sombre
dans le miroir les eaux.
RC
( texte en rapport avec l’ouvrage de dessins de Jean-Gilles Badaire » Venise » )
Réminiscences des fleurs d’ailleurs – ( RC )
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C’est une coque vide,
Aux murs carrelés de blanc, jusqu’au plafond.
Les meuglements des animaux,
La vapeur qui s’échappait de leur corps,
Tout à coup arrachés à l’étable,
Aux pentes douces, et leur pâture humide…
Leur chaleur, et l’odeur animale
S’est perdue dans le silence ;
Leur masse suspendue à de solides crochets,
Se comptait en poids de viande.
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Le lieu est devenu incongru, et froid.
Même les aérateurs,
Les conduits immobilisés,
Rouillent lentement sur place .
Le sol de ciment bien sec, proprement nettoyé,
Permet qu’on le traverse, sans qu’on y glisse,
Sur des excréments,
Ou une flaque de sang :
L’abattoir municipal
est devenu un lieu d’arts.
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Des oeuvres sombres
Aux fleurs brunes et violines,
Parfois aux accents métalliques,
Comme de vénéneux prolongements,
Aux plantes privées de lumières ;
Elles s’étalent sur les toiles noires,
Engluées de pourpre mat,
Et de vermillon terne.
Comme les animaux de jadis,
Extraites de leur terre,
Le souffle coupé,
Suspendues à un reste de couleur .
Ce qui a existé, des réminiscences…
Quelque part ailleurs…
On sait que les fleurs mortes,
Diffusent encore un peu de parfum .
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RC – avril 2015
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texte écrit à selon les sensations laissées par l’exposition de Jean-Gilles Badaire, … voir la parution précédente avec son propre texte…
Jean-Gilles Badaire – L’atelier
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L’Atelier
Bien d’autres y verraient la forge du vent, le ventre du chaudron, l’irréconciliable,
mais non plutôt l’odeur des roues dans la neige et les efforts calleux.
Je vis dans ce marécage aux accents roux et mauves d’un au-delà de magicien.
La peinture est collée contre les vitres, le ciel est d’araignée,
les pots attendent qu’un maelstrom interne les habite.
Et la pensée ravaude le moindre effet du réel.
J’absorbe jusqu’à l’étouffement les torpeurs des goudrons et des graisses
et les restitue ainsi mouillées sur la toile d’or et de lin.
La mort dort certainement ici.
Les ongles noircis.
J-G. BADAIRE