Jacques Ancet – Courbe du temps –

souvenons-nous toujours de la lumière sur les fleurs roses du pêcher de la lenteur des gestes une main sur un front de la lenteur des choses cette lenteur terrible de la vie comme une boucle qu'on dénoue
Courbe du temps – 1971-1972 ( épuisé)
voir les blogs de Jacques Ancet :
http://jacques.ancet.pagesperso-orange.fr/textes.htm
Jacques Ancet – l’heure de cendre
Ecoute-moi, simplement
sans cesser tes gestes quotidiens : écrire une lettre, faire chauffer la soupe, mettre le couvert, que sais-je
l’eau qui coule les bruits ne me gêneront pas : le tintement des cuillers, le froissement bleu des flammes du gaz, l’eau qui coule du robinet, et
même si tu ne comprends pas tout, si tu oublies de m’écouter, tant pis, tu seras là, encore un peu
je saurai qu’il me suffit presque de tendre la main pour sentir ta chaleur.
Mais les mots me suffisent l’espace de ta présence que je sens, même si je ne te vois pas avec la nuit
tout ce qui fait cet instant si différent des autres malgré l’angoisse – ou peut-être à cause d’elle transparence noire où brillerait chaque éclat de la vie
Laisse-moi m’approcher un peu plus, avec ces mots que je cherche
de longues heures nous séparent du matin. Traversons-les ensemble
J A 1980
Jacques Ancet – Diptyque avec une ombre
—
Tu passes toujours et tu reviens.
D’autres t’ont donné un nom. Pourtant
tu n’en as aucun, tu les as tous.
Je dis cendrier, purée, pollen,
je dis visage, herbe, bol, silex.
Tu sors de l’un pour entrer dans l’autre.
Tu tisses des fils qu’on ne voit pas
mais qu’on sent partout. J’ouvre la porte,
je suis sur le seuil: tu me regardes.
Diptyque avec une ombre 2005
Jacques Ancet – dire la beauté
*
sculpture H Matisse
Mais dire la beauté ,c’est dire un mot
qu’on écoute pour voir ce qui brûle
les yeux ou simplement les caresse
entre la transparence du ciel
et le regard s’étend le mystère
de l’apparence on cherche à franchir
cet infranchissable en remuant
les doigts et les lèvres il en résulte
ni chant ni mot un petit bruit.
Jacques Ancet – l’orage
Tu arrives de plus loin.
On ne sait pas d’où tu es
ni quel visage tu as.
On entend une musique
sous le silence. On voudrait
la garder trouver un nom
pour la dire. Mais on n’a pas
de bouche, pas de main
pour l’écrire. Seul de feu
du désir. L’orage vient
Jacques Ancet – N’importe où
Installation : United Visual Artists
—
N’importe où une salle d’attente
par exemple les chaises rangées
le froissement des pages l’ennui
sur les visages ou n’importe quand
la porte s’ouvre grince se referme
celui qui entre dit messieurs-dames
bonjour les yeux se lèvent se baissent
on pense que c’est peut-être là
tout près on ne sait pas ce que c’est
*
Là aussi devant le soir qui tombe
collines bleues brume etc
les mots peu à peu deviennent sombres
on croit deviner que c’est à cause
de ce qui s’en va du noir qui vient
pourtant c’est autre chose la lampe
fait de l’ombre les murs se resserrent
on écoute le bruit de la voix
elle s’approche on la reconnaît
N’importe où – 1998
Jacques Ancet – A Schubert et autres élégies
A Schubert et autres élégies (1987-1997)
CELUI QUI SE SOUVIENT de la lumière
regarde en lui le vide. Ses mains sont
seules d’avoir poursuivi l’air. Il parle
par énigmes, sourit parfois, de loin,
comme quelqu’un qu’il aurait reconnu
s’approchant dans le soir. Puis il s’éloigne.
Quelques traces demeurent: une chaise
déplacée, sur la vitre une ombre, un mot,
(le silence soudain est plus profond)
quelque chose de bleu, comme la mer.
(Wanderer)
–
Jacques Ancet de « chronique d’un égarement »
Je voudrais continuer, mais tout vacille. L’heure, le jour, la rue, le verre sur la table, le visage dans la glace… Les certitudes, il y a longtemps qu’elles se sont écroulées. Je suis soudain au cœur d’un présent brutal, grelottant, comme si j’ouvrais les yeux pour la première fois.
Alors je déterre la lumière. Je lui rends sa splendeur. Je retrouve soudain le chien fidèle de mon ombre couché à mes pieds. Je reprends mon souffle. J’ouvre les bras et tout s’y loge : l’espace, la violence et la douceur, le ciel blanc, la stupeur de la montagne, un bougé de feuilles, le cri passant d’invisibles oiseaux, la douleur et le chant, l’amour et ce qui nous déchire. Je ris. L’air me traverse. Je traverse l’air. Nous sommes le même éclat, la même transparence.
Extrait de Chronique d’un égarement, inédit.