Jean-Baptiste Tati-Loutard – Quelques lampées d’eau ne peuvent éteindre le feu du cœur
Nous avons enfoui l’éclat de noces
En ce bord du haut fleuve,
Et la terre tourne au seul vertige
De notre amour.
Les crues vont sonner l’alerte contre l’arbre
Où l’oiseau des sables sous la feuillée
N’est plus que son propre cri.
Quelques lampées d’eau ne peuvent éteindre
Le feu du cœur.
Tu es le seul pâturage qui me reste,
Étends ton corps comme l’herbe des champs,
Que j’y conduise le troupeau de mes désirs.
Jean-Baptiste Tati-Loutard – la mer n’est plus notre tombe
La Mer n’est plus notre tombe,
C’est notre sarcophage antique,
Notre relique,
Ensevelie sous quatre cents ans de sables
Et recouverte de toutes les peaux du ciel
Jamais vues.
Regarde ! les étoiles sont nues
Dans le lit bleu de la nuit
On voit bien leur sexe de lumière ;
Et la lune qui se lève à l’horizon,
Sent toutes les roses du jardin colonial.
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Jean-Baptiste Tati-Loutard – Congo

peinture Antoni Tapiès: Llencol
Congo
Le silence debout parmi nous atteint le ciel :
Un poète a vécu…
C’était un nègre d’Amérique : un précipité noir
Au fond d’un mélange d’azur et de Yankees.
Les soleils futurs chercheront longtemps son visage
Par les chemins du monde et les champs de bataille.
Son corps de terre cuite s’est brisé dans la lumière :
La cassure est là toute fraîche et toute franche,
Cristal d’une étoile coupée à ras d’azur ;
Et la vie gravite encore autour de l’astre mal éteint.
C’est sûr, ô poète, l’herbe ne poussera pas
Autour de ton nom :
Ton verbe est la source qui nous fournit en eau vive,
Et les âmes de tous les braves en reverdissent.
Que celui qui l’ignore aujourd’hui en soit heurté
Par un jour de grand vent,
Car désormais, il navigue à la proue de l’orage
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Jean Baptiste Tati-Loutard – Nouvelles de ma mère
NOUVELLES DE MA MÈRE
Je suis maintenant très haut dans l’arbre des saisons ;
En bas je contemple la terre ferme du passé.
Quand les champs s’ouvraient aux semailles,
Avant que le baobab n’épaule quelques oiseaux
Au premier signal du soleil,
Ce sont tes pas qui chantaient autour de moi :
Grains de clochettes rythmant mes ablutions.
Je suis maintenant très haut dans l’arbre des saisons.
Apprends par ce quinzième jour de lune,
Que ce sont les larmes ― jusqu’ici ―
Qui comblent ton absence,
Allègent goutte à goutte ton image
Trop lourde sur ma pupille ;
Le soir sur ma natte je veille toute trempée de toi
Comme si tu m’habitais une seconde fois.
Janvier 1965
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Jean-Baptiste Tati Loutard, Poèmes de la mer, C.L.É., Yaoundé, 1968 in Poésie africaine, Anthologie, Six poètes d’Afrique francophone, Éditions Points, 2010
Jean-Baptiste Tati-Loutard – désirs et songes
Nos désirs se sont accomplis dans les songes ;
Les lits, les rues, les mémoires restent vides.
Déjà ta vie s’incline :
Au-dessus de toi, elle s’épaissit
En un ciel de sauterelles.
Jean-Baptiste Tati-Loutard – Voyage dans la nuit
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Voyage dans la nuit
J’ai marché seul longtemps dans la nuit.
Où est le phare qui tourne et donne loin ?
Je suis plus aventurier que les arbres
Qui vont à grand pas dans les savanes
A petit pas dans les bois.
J’ai quitté tôt la bordure du jour
Et j’ai pris le soleil couchant
Pour ma première borne de ma route ;
Je n’ai pas vu l’étoile qui guide
Le berger de la nuit
J’ai plongé dans le temps pour retrouver
Mes ailes perdues au fond des âges ;
En oiseau diurne amoureux de ténèbres,
J’ai parcouru le terrain vague de la nuit.
Je suis presque un vampire,
Je ne demande plus que les antennes.
La vie est parfois plus obscure que le fond
……de ma gorge,
Et je vais par tous monts et vaux de la nuit (…)
Jean-Baptiste Tati-Loutard
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voir aussi la publication de ‘la révolte gronde » du même auteur.
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Jean-Baptiste Tati-Loutard – la vie poétique
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deux extraits de la « vie poétique », de Jean-Baptiste Tati-Loutard , (auteur congolais)
provenant de (L’envers du soleil, Paris, L’Harmattan, 1978, p. 63-67)
XX
Ce que l’homme dit en poésie lui paraît aussi évident que
ce qu’il dit en prose ; la poésie tire avantage du heurt de
ces deux évidences.
XXVII
La poésie ressemble à la mort : elle vous atteint n’importe
où et n’importe quand ; elle frappe souvent au lit et sur la
route : lieux où guette aussi la mort.
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