Jean- Claude Pirotte – vesper –

la douceur c’est le passage des péniches dans le soir puis les berges de la nuit et les vallées du sommeil on voit s’allumer l’enseigne du Café de la Marine les bateliers se saluent d’Anseremme à Rotterdam ils ont transporté le sel le ciment le manganèse ils boivent des bières noires le genièvre de Hasselt et sur le marbre des tables ils frappent leurs paumes larges et parlent toutes les langues dont les fleuves sont l’écho
Ardennes
Le promenoir magique et autres poèmes
Ed La table ronde
Jean-Claude Pirotte – retour du vent

ce que nous enseigne le vent
vers les parages de la mer
c’est le secret du mouvement
des ombres c’est le passage
d’un automne liquide et sombre
et si lumineux cependant
un automne trop émouvant
nous ne savons guère qu’attendre
son retour et qu’il nous enchante
encore aux fenêtres des chambres
où nous guettons des signes vagues
parmi les grands arbres qui tremblent
et le miroitement des vagues
Strass – (Susanne Derève) –

.
Ce ne sont que petits éclats
de verre de strass de mica *
que recouvrent les pas
que ternissent les ombres
qu’engloutissent les nuits
.
Est-ce un rayon de lune
un diamant désuni ?
Un soulier sonore
claque sur le bitume …
.
Qu’a t il trahi de rêves
celui qui foule aux pieds
et passe sans les voir
ces étoiles pâlies,
ces perles égarées,
.
petits éclats de verre
de strass ou de mica *
qu’enserre le granit
et qu’étreignent les pas
.
* emprunt à Jean Claude Pirotte
Jean-Claude Pirotte – la mer ne dort pas

Vous avez remarqué dit-il
que la mer ne dort pas
elle est depuis toujours sujette
à l’insomnie c’est le vieil
Hésiode qui l’observe
la mer et moi nous ne cessons
de nous défier sous le ciel noir
quelquefois je joue à l’aveugle
au paralytique je joue au mort
elle en profite pour répandre
du sable et du temps sur mon corps
Jean-Claude Pirotte – leçons de solfège

René Chabrière – Tourneur de pages
nous avons connu la province
les volets clos les sourds
appels du soir les parlers lourds
et les portes qui grincent
on croit que ça dure toujours
cette chanson qui pince
un peu le cœur écho si mince
et presque sans retour
or cette voix comme une neige
au bord tremblant des nuits
c’était celle du doux ennui
des leçons de solfège
Veilleurs
Ajoie
Poésie/ Gallimard
Jean-Claude Pirotte – la dame et le dentiste (extrait )
en revanche il est vrai
que les poèmes philosophiques
ont bonne mine et que
le poète couronné
par une calvitie précoce
est nourri de soupe à l’oignon
de fromage de tête et de
cervelle d’agneau (mystique)
c’est un auteur qui ne répond jamais
au téléphone et qui dort
d’un œil de chat jusqu’à midi
or le poète va chez le dentiste il montre sa dent au dentiste elle est joliment emballée dans du papier de soie
le dentiste dit : je vois ce n’est rien mais tout de même deux précautions valent mieux qu’une nous allons procéder à la petite radiographie de contrôle est-ce douloureux ? non ce n’est pas douloureux posez-vous là tenez la dent bien droite et serrez fort voilà c’est fait, merci dit le poète de rien dit le dentiste combien je vous dois ? revenez la semaine prochaine avec votre dent on verra
Jean-Claude Pirotte – tu ne sauras jamais qui je suis
–
tu ne sauras jamais qui je suis
dit l’enfant je passe mon chemin
je vais vers les prairies lointaines,
où l’herbe chante à minuit près des saules
qui pleurent car c’est ainsi
que s’ouvre à mon cœur la musique fidèle
et que le monde enfin commence à vivre
et que je commence à mourir
tu ne me verras pas vieillir
ni ne reconnaîtras mon ombre
adossée au talus là où le sentier noir
se perd dans un fouillis d’épines
et les étoiles des compagnons blancs
tu as beau regarder sans cesse derrière
toi comme si tu craignais l’orage
et que tu te hâtais poursuivi par l’éclair
jamais tu ne surprendras mon sourire
tendrement cruel comme celui d’un tueur triste
in
Veilleurs, Passage des ombres
Jean-Claude Pirotte – Blues 05 – contrée lointaine où campent nos aïeux
–
lorsque nous partirons
pour la contrée lointaine
où campent nos aïeux
nous aurons de quoi rire
de nos jeunes terreurs
sans faiblir nous aurons
parcouru la prairie
et nous regarderons
l’horizon se mirer
dans les sources du vent
–
Jean-Claude Pirotte – blues ( suite )
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Je vais dormir ni ce soir,
ni demain ni jamais peut-être,
pendant que le blues est dans ma tête,
les douze temps du désespoir
Si futiles si dérisoires
Les balais sur la vieille caisse
Et les mots que la nuit tresse
et qu’inspire le soleil noir
—
c’est le dernier signal
l’ultime éclat de braise
on se voit disparaître
au coude du canal
et l’écluse est fermée
immobile à jamais
———-
nous avions reconnu
la péniche des morts
mais elle était au loin
si lente que la nuit
nous la perdions de vue
or chaque lendemain
elle approchait du port
désert que nous quittions
Jean-Claude Pirotte – Blues 03

peinture: Hiéronymus Bosch, la nef des fous
parce que je descends de l’arbre
les gens me traitent de singe
mais si je descendais du ciel
me traiteraient-ils d’ange ?
je devrais décider
de quitter les enfers
en me voyant monter
par le trou du souffleur
ils diront c’est le diable
ou peut-être l’auteur
extrait du recueil » le promenoir Magique » ( La Table Ronde)
–
Jean-Claude Pirotte – on ignore quoi quelle attente
-peinture- Ch Soutine – route peu rassurante
on n’a jamais le temps l’hiver décoiffe ses villes au marché les petites pommes sont vieilles
il faudrait raconter à l’ami qui est loin que ce n’est pas le froid qui nous épuise
ni le poids des nuées la pauvreté soumise mais on ignore quoi quelle attente ou quel signe
entre les bouleaux nus dans le bois délabré ou dans les yeux des chiens quand ils vont au hasard
–
Jean-Claude Pirotte – jeunesse intouchable
extrait du « promenoir magique »
c’était la jeunesse et comme chacun je la croyais furieusement intouchable, tu ne t’inquiétais ni de Dieu ni des flammes tu portais des cravates de soie dans les rues étourdies par l’été
tu trouvais tout à fait naturel d’être enveloppé de lumière et cependant déjà sans l’avouer tu rejoignais tes premiers morts
Jean-Claude Pirotte – Blues – 02
—
tu brûles de parler encore
à ton fantôme
pour ne pas dire adieu
ce que tu dis l’éloigné
or parler de si loin
te rapproche du ciel (crois-tu)
mais le malheur
on l’entend dans les mots
qui ne touchent personne
c’est l’adieu des fantômes
d’on ne sait quel ailleurs
où tu n’iras jamais
—
extrait du recueil » le promenoir Magique » ( La Table Ronde)
Jean-Claude Pirotte – blues 01 ( l’homme est blanc comme linge)
Extrait du gros « pavé » le recueil du « Promenoir Magique »
( paru à la Table Ronde)
l’homme est blanc
comme un linge
il se déplace en crabe
il a peur de son ombre
il a honte du diable
qui se démène en lui
et ronge ses méninges
l’homme est soumis
au prince du jour et des ténèbres
l’homme est un assassin
l’homme est un spadassin
qui ne dort pas la nuit
et que son âme ennuie
J Cl Pirotte s’est vu décerné de « prix Apollinaire de la Poésie »
—
Jean-Claude Pirotte – la fille, le bossu
Extrait du « Promenoir magique »
à la fille qui lui dit viens
l’homme promet sa chemise
les néons luisent dans le noir
et le filet d’eau du trottoir,
le bossu qui passe en boitant
ne peut jamais se retourner
à cause de sa bosse
et puis aussi du fardeau des années
mais les bossus deviennent rares
les tout derniers sont clandestins
comme dans la chanson
si tu vois un bossu
pense à ton destin
Jean-Claude Pirotte – nourrir l’autre humain
extrait – comme toutes mes autres parutions de J Cl Pirotte, du recueil » le promenoir magique » editions de la Table Ronde
- peinture – :la fille aux cerises – attribué à Giovanni Ambrogio de Predis – Metropolitan Museum of Art – N Y C
une côte de porc un soupçon de romarin (souviens-toi des hautaines garrigues grises) il faut de l’argent pour la soupe
oui dans le cochon tout est bon dans les cochons sur les trottoirs est-ce que vraiment tout est bon ? il faut goûter à la cravate
et lécher le pan de chemise avale en te pinçant le nez les avanies de l’avenue tiens tes tripes à pleines mains
et quel argent pour le libraire si tu veux nourrir l’autre humain qui se dandine dans ton corps et trébuche dans ton chemin ?
Jean-Claude Pirotte – le temps c’est une perte de temps
le temps c’est une perte de temps et la vie c’est pareil
.je n’y suis pour personne à commencer par moi-même
tant pis si la pluie chante
doucement dans la rue dans novembre
et l’aube qui ne voit rien de rien,
la pluie elle peut chanter je sais
qu’elle n’est pas une jeune fille
ni la veuve d’un dieu ni l’âme
d’une dernière nuit d’amour
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texte extrait du « pavé » de JCl Pirotte ( plus de mille pages »)… « le promenoir magique »…- – voir l’article de Poezibao à ce sujet…
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Jean-Claude Pirotte – un matin gonflé d’oiseaux
Extrait du « promenoir magique »
c’est un matin gonflé d’oiseaux
rien qu’à cause du
hêtre pourpre ébouriffé
qui s’est fait teindre par un figaro
décadent
le soleil safrane un haut mur qui
réverbère un carillon je
suis là et je me demande quel
autre miracle j’attends