Jean-Pierre Duprey – le plus beau jardin

peinture: Gustave Klimt – grand peuplier
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Le plus beau jardin cache un mensonge.
Qu’est-ce donc mon dieu ces peupliers vagues,
des morts peut-être ?
Ils déchirent leurs feuilles et les collent sur la rivière.
(Jean-Pierre Duprey)
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The most beautiful garden conceals a lie.
What are they, , my god, these vague poplars
Maybe some deads ?
They tear their leaves, and sticks them upon the river.
Jean-Pierre Duprey – Une station de vie
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J’ai dominé toute une station de vie
Ma première enfance est entrée dans la pierre
Mes premières larmes sont sorties avec les passereaux
J’ai vu un Dieu, j’ai vu les hommes
Et mes yeux ne se cherchent même plus
Hier je suis allé sur la montagne qu’habita la lune
Et je suis revenu le cœur plein de tristesse
Il ne me reste plus qu’un souvenir et une guitare brisée
Un saule pleureur se dépouille et m’habille de larmes
Qu’est-il de plus triste au monde que de partir sans chanter
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Jean-Pierre Duprey – Saveur d’homme
Donnez-moi de quoi changer les pierres,
De quoi me faire des yeux
Avec autre chose que ma chair
Et des os avec la couleur de l’air ;
Et changez l’air dont j’étouffe
En un soupir qui le respire
Et me porte ma valise
De porte en porte ;
Qu’à ce soupir je pense : sourire
Derrière une autre porte.
Détestable saveur d’homme.
En vérité, une main ne tremble
Que pour vieillir sa mémoire ;
L’autre ne vieillit que d’avoir
Trop bougé de vie depuis le temps
Où le monde l’a basculée
Dans l’histoire du temps et du moment,
Qui, sans jamais se ressembler,
Se retrouve à chaque instant
Dans le sac noirci de son éternité
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Jean-Pierre Duprey – A la grimace
masque Buaku Kyogen, Japon
« Allez-vous-en, vous n’êtes pas joués ! Il fait si noir qu’on n’a jamais gravé les cartes. Allez-vous-en, on vous a joués. Le soleil n’a jamais fait partie des livraisons du jour et la terre n’est qu’une ride de vieillesse. Celui qui aime l’atome ne mange que du néant. Celui qui croit prendre un chemin ne prend que son corps par la fatigue.
J’avais pourtant trouvé de la viande dans les statues…et quelque chose de touchable qui s’insérait, ne quittait jamais la main, cette main, ma main.
Mais la main, l’ombre d’un geste, n’avait jamais quitté cette sépulture anticipée, ce grand dortoir des autres, peuplé, peuplé…
D’un grand fauteuil qui n’invite personne…
D’une clef oeuvrée qui n’explique rien,
Trouvée dans la main
D’un pensionnaire de la maison détruite, quelqu’un payé très cher pour rien.
Et dans un coin du sommeil des autres, lui, là-bas, sa peau se déplace. A quoi t’entraînes-tu ? Qui donc te rêve ? Il n’a rien vu, rien entendu ; son corps l’avait porté à la dernière dimension nocturne, jusqu’à l’issue du dernier hasard.
Le dernier hasard…Un grand brouillard en place. En avant, drapeau noir ! Les démons, on vous somme, plus d’hésitation ! L’habitude de la réalité exige une belle autorité.
Moi, je n’aurais jamais dû me prendre les pieds dans cette galaxie ! »
Jean-Pierre Duprey – Sommeil dont j’ai peur
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Un jour je dormirai du sommeil dont j’ai peur
Pour ne plus m’éveiller
Je descendrai au fond de ces temps oubliés
Où les sirènes pleurent.
Et les très longs voyages repliés dans ma tête
Seront chiffons de rêve
L’archange qui nous garde et sans nous ne s’élève
Sera l’ange de la fête
Puisse durer longtemps le phare du vaisseau
Qui nous porte sur terre
L’abri que se construisent les marins sous les flots
Me semble bien précaire
Allégés de leur poids ils sont bulles de verre
Portés par les anges
Un rêve qui les cogne claque comme une orange
Entre deux bras de mer.
Jean-Pierre Duprey
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Jean Pierre Duprey – M’a-t-on coupé le fil de la mémoire ?
M’a-t-on coupé le fil de la mémoire
Que je n’entende plus le ventre du passé ?
Il m’étrangle en mon cri dépassé dans le noir
Jusqu’à la flamme unique où le fil a brûlé
L’avenir a cassé dans ma tête le vent
Le passé a repris les cloches de ses soirs
Le remords a rongé les sons de la mémoire
Et le bruit d’un baiser déchire les instants
Au sein des toits la flamme détord ses étoiles
La mort a pris l’allure d’un fauteuil de vieux
La rage du souvenir souffle toutes les voiles
Jusqu’au dernier murmure des yeux.