Paul Gravillon – la tristesse et le jour se ressemblent

Un visage accroché à des algues
un balcon troué par une bombe
des paupières de violettes
des Joues de crépuscule
des yeux d’orient
perles noires dans un jour glauque
tournées vers le futur
illisibles
tous les genres se mélangent
les classes les races
les femmes se donnent et restent vierges
tout le monde est pardonné
la tristesse et la joie se ressemblent
tout se poursuit
plus rien n’importe
la femme cancéreuse se caresse le sein
les grands hommes ne meurent plus
ils remplissent les rues
faire l’amour c’est faire son salut
la main de parkinson
sème l’or à tous vents
les tigresses ont la caresse facile
et les biches sont sanglées comme des femmes
leur tresse comme une loutre endormie sur l’épaule
fatiguée de tant de pays
leur nudité ne se vend plus
elles entrent à l’académie des beaux-arts
les rois hydrocéphales
se couvrent le front d’une feuille d’or
et les princesses aztèques
les yeux brouillés de sable
sont à genoux et prient entre leurs cuisses
déjà la nuit
a mis ses doigts sur leur joue gauche
déjà se cambre leur jeunesse ‘
et le vieil homme a revêtu
son pyjama d’agonisant
près de sa main s’arrête
la fille aux yeux de lit
aux cuisses aspirantes
ou bien selon les jours
la viergeronnette en madras bleu
dont le pied effleure l’ordure
et dont la chair
sent le pain chaud
mais l’homme se meurt et d’autres baisent
voici la fin et le commencement
les sphinx dans le vent
ont perdu leurs cheveux
II y a aussi des combats dans le ciel
souvent volent des débris d’anges
lumineux ou funèbres
tandis que le vent crie en silence
et que brillent
les cuirasses du soleil
les cavaleries de dentelles fuient
au ralenti
sur le silex du ciel
croisées par les corbeaux qu’attire
l’immense tache rousse
qui sourd à l’horizon
alors les éventails verts
constellés de cris d’oiseaux
éventent les colombes
échauffées par le sang
il pleut tant de lumière
sur les coffrets de bijoux de l,a terre
que toutes les portes
restent closes
Louba Astoria – le la de mes étés

L’océan mouvant des épis s’est asséché
Juillet fauché
La paille des blés
A l’odeur sèche et drue
Des hérissons jaunis qu’elle a dressés dans les champs
Les soirs se laissent envoûter
Au ciel, d’étoiles pailletées
Ici-bas, d’une humidité serpentine, grimpante
Entre les vapeurs persistantes et dorées
Séduite par cet entrelacs d’odeurs
Les grésillements des grillons et les grelots des jeunes grenouilles
L’obscurité languissante
S’affaisse et enveloppe les derniers parfums de ces journées grouillantes
Repues de soleil et de poussière
Dans un voile de repos bien mérité
Alors un vent léger déroule sa tresse
Entre les feuilles déjà grillées des cerisiers
Disperse lentement les odeurs de ma jeunesse
Et caresse la nuit pour ne pas l’effrayer
Depuis je m’endors à la belle étoile
Pour goûter encore l’ivresse de ces soirs de moisson
Perdus
Le temps où les éclats du quatorze-juillet
Culminaient en ces enchantements béats
Et donnaient le la de mes étés
Alain Leprest – J’ai peur

J’ai peur des rues des quais du sang
Des croix de l’eau du feu des becs
D’un printemps fragile et cassant
Comme les pattes d’un insecte
J’ai peur de vous de moi j’ai peur
Des yeux terribles des enfants
Du ciel des fleurs du jour de l’heure
D’aimer de vieillir et du vent
J’ai peur de l’aile des oiseaux
Du noir des silences et des cris
J’ai peur des chiens j’ai peur des mots
Et de l’ongle qui les écrit
J’ai peur des notes qui se chantent
J’ai peur des sourires qui se pleurent
Du loup qui hurle dans mon ventre
Quand on parle de lui j’ai peur
J’ai peur, j’ai peur, j’ai peur
J’ai peur
J’ai peur du coeur des pleurs de tout
La trouille des fois la pétoche
Des dents qui claquent et des genoux
Qui tremblent dans le fond des poches
J’ai peur de deux et deux font quatre
De n’importe quand n’importe où
De la maladie délicate
Qui plante ses crocs sur tes joues
J’ai peur du souvenir des voix
Tremblant dans les magnétophones
J’ai peur de l’ombre qui convoie
Des poignées de feu vers l’automne
J’ai peur des généraux du froid
Qui foudroient l’épi sur les champs
Et de l’orchestre du Norrois
Sur la barque des pauvre gens
J’ai peur, j’ai peur, j’ai peur
J’ai peur
J’ai peur de tout seul et d’ensemble
Et de l’archet du violoncelle
J’ai peur de là-haut dans tes jambes
Et d’une étoile qui ruisselle
J’ai peur de l’âge qui dépèce
De la pointe de son canif
Le manteau bleu de la jeunesse
La chair et les baisers à vif
J’ai peur d’une pipe qui fume
J’ai peur de ta peur dans ma main
L’oiseau-lyre et le poisson-lune
Eclairent pierres du chemin
J’ai peur de l’acier qui hérisse
Le mur des lendemains qui chantent
Du ventre lisse où je me hisse
Et du drap glacé où je rentre
J’ai peur, j’ai peur, j’ai peur
J’ai peur
J’ai peur de pousser la barrière
De la maison des églantines
Où le souvenir de ma mère
Berce sans cesse un berceau vide
J’ai peur du silence des feuilles
Qui prophétise le terreau
La nuit ouverte comme un oeil
Retourné au fond du cerveau
J’ai peur de l’odeur des marais
Palpitante dans l’ombre douce
J’ai peur de l’aube qui paraît
Et de mille autres qui la poussent
J’ai peur de tout ce que je serre
Inutilement dans mes bras
Face à l’horloge nécessaire
Du temps qui me les reprendra
J’ai peur, j’ai peur, j’ai peur
J’ai peur
J’ai peur
Ils ont croqué le jour – (Susanne Derève)
-
-
Raoul Dufy – coquillages
Ils ont croqué le jour
de leurs quenottes blanches
et ri jusqu’au-dedans des nuits
Mais le matin leur va si bien
– les tartines beurrées et les fruits du matin –
et les frasques du jour roulant leur robe
de turquoise
l’air , la mer, le ciel , la conque grise
des nuages
Ont-ils jamais prêté l’oreille ?
De la paume des coquillages
nait le vent
l’espace infini du vent
bercé du blanc roulis des vagues
traçant ses roses de sable
jusqu’aux portes de l’océan
Eaux vives, routes de sel
Pressés, ils ont mordu le cœur orange
de midi
de leurs dents blanches
ils ont fini de dévorer la nuit
Prêteront-ils jamais l’oreille au murmure
des jours enfuis ?
Eugenio de Andrade – traverser l’été pour te voir
photo Frank Vic
J’avais traversé l’été pour te voir
dormir, et rapportais d’autres contrées
un soleil de blé dans la pupille ;
quelquefois la lumière s’attarde
sur des mains fatiguées ; je ne sais en lequel
de nous explosa une soudaine
jeunesse – explosa, ou chantait :
l’air était plus frais.
Qui chante en plein été espère voir la mer.
Louisa Siefert – il est des pistes
peinture Emil Nolde :mer avec ciel rouge
–
Au clair soleil de la jeunesse,
Pauvre enfant d’été, moi, j’ai cru.
– Est-il sûr qu’un jour tout renaisse,
Après que tout a disparu ?
Pauvre enfant d’été, moi, j’ai cru !
Et tout manque où ma main s’appuie.
– Après que tout a disparu
Je regarde tomber la pluie.
Et tout manque où ma main s’appuie
Hélas! les beaux jours ne sont plus.
– Je regarde tomber la pluie…
Vraiment, j’ai vingt ans révolus.
Louisa SIEFERT « Les rayons perdus »
(Albin Michel)
C’est pour celà que tu l’as reconnue – ( RC )
–
Que se passe-t-il, une fois retraversé le temps ?
Ou plutôt que le temps nous ait retraversé.
Tu as enfoui dans ta mémoire un évènement
vécu dans ta jeunesse… oh, rien de spectaculaire :
une impression, un bruit, une odeur , une image.
Et tout cela s’est transformé en une petite boule invisible,
une graine, comme il doit y en avoir tant d’autres.
Puis un jour tu es revenu au même endroit,
et ces impressions, ces odeurs, identiques
sont venues te traverser, comme si tu étais passé
de l’autre côté d’une surface, qui serait venue
s’interposer, entre ce que tu étais
et ce que tu es aujourd’hui.
Tu saisis une limite mystérieuse,
qui n’a pas de consistance,
encore moins que celle du tain d’une glace
où tu sembles regarder un autre toi-même
avec lequel tu serais prêt à dialoguer.
Bien entendu, d’autres morceaux d’existence ,
d’autres graines seraient prêtes à éclore,
si les circonstances s’y prêtent…
en fait il suffirait de plonger au plus profond de soi,
que l’espace qui nous en sépare se dissolve .
Çà peut arriver. C’est une sorte de réminiscence,
qui franchit des limites mystérieuses.
Mais plus encore, quand ces impressions,
une fois exprimées, sont aussi partagées par d’autres .
comme si elles n’avaient plus d’hier ni demeure ,
comme si on passait en-dehors de notre enveloppe,
à travers soi, pour rejoindre l’autre personne :
elle a peut-être vécu sur un rythme aux phases identiques
quelque part, elle s’est égarée dans les mêmes labyrinthes.
C’est pour celà que tu l’as reconnue.
–
RC – avr 2017
Des mains sur le fauteuil – ( RC )
sculpture: Urs Fischer – 2015
Sur un fauteuil style Louis XVI
sorti de chez l’antiquaire
il y a les mains de ma mère
( qui auraient pu préférer les chaises ) ….
Pour être plus précis dans le décor,
celui-ci n’a rien de spécial,
mais quand même, c’est pas normal…
il y a juste les mains, pas le corps .
Il existe peut-être,
mais dans l’au-delà :
– en tout cas on ne le voit pas – :
ça a l’allure d’un spectre
qui voudrait se faire inviter
pour partager le dessert
avec mon frère
à l’heure du thé :
C’est une sorte d’ambassadrice ,
qui ne s’encombre pas d’apparence
et joue sur la transparence ,
( sauf pour ses mains lisses )
Elles n’ont rien de squelettiques ,
pleines de jeunesse,
elles sont d’une tendresse
bien énigmatique….
Ces mains , d’une autre époque
se posent doucement ,
plutôt affecteusement ,
quand c’est le « five o’clock » ;
– toujours avec exactitude – ,
avant bientôt, de s’évanouir
comme un tendre souvenir
( un rendez-vous quotidien, dont j’ai pris l’habitude ).
–
RC – juill 2017
Ismaël Kadare – la locomotive
La locomotive (extrait)
Dans le calme de la mer, près des vagues
Ta jeunesse au milieu des flammes te revient en mémoire.
D’un bout de l’Europe à l’autre.
D’un front à un autre front,
En fonçant au travers des sifflets, des sirènes et des larmes
D’un sombre horizon à un sombre horizon,
Tu allais toujours plus loin au-devant des jours et des nuits,
En jetant des cris perçants d’oiseau de proie,
En sonnant de la trompette guerrière,
Dans des paysages, des ruines, des reflets de feu.
Dans les villes, dont tu prenais les fils,
A travers des milliers de mains et de pleurs,
Tu te propulsais vers l’avant,
Tu ululais
Dans le désert des séparations.
Derrière toi
Tu laissais en écho à l’espace,
La tristesse des rails.
Sous les nuages, la pluie, les alertes, sous les avions
Tu traînais, terrible,
Des divisions, encore des divisions,
Des divisions d’hommes,
Des corps d’armée de rêves,
A grand-peine, en jetant des étincelles, en haletant,
Car ils étaient lourds.
Trop lourds,
Les corps d’armée des rêves.
Quelquefois,
Sous la pluie monotone,
Au milieu des décombres
Tu rentrais à vide du front
Avec seulement les âmes des soldats
Plus lourdes
Que les canons, les chars, que les soldats eux-mêmes,
Plus encore que les rêves.
Tu rentrais tristement
Et ton hurlement était plus déchirant,
Et tu ressemblais tout à fait à un noir mouvement,
Portefaix terrible de la guerre,
Locomotive de la mort.
Ismaîl KADARE in « La nouvelle poésie albanaise »
–
voir aussi sur le thème de la déportation « trains sans retour »
Marina Tsvetaieva – A Alia
À Alia*
Un jour, ô ma gracieuse créature,
Je deviendrai pour toi un souvenir,
Perdu dans tes yeux bleus, au loin
De ta mémoire, dans le lointain.
Tu oublieras : et mon profil au nez busqué,
Et mon front couronné de fumée,
Mon rire importun et fréquent
Ma main calleuse aux bagues d’argent,
Notre logis d’amant, notre grenier cabine,
De mes papiers la confusion divine,
L’année terrible : malheurs et liesse
De ton enfance, de ma jeunesse.
(Moscou 1919, sa fille Ariadna allait avoir huit ans.)
Rabindranath Tagore – au coeur de la création
–
Tu es venu un moment auprès de moi, et tu m’as ému par le grand mystère de la femme,
qui palpite au coeur de la création.
C’est elle toujours qui retourne à Dieu le flot de sa douceur;
elle est la beauté toujours fraîche, la jeunesse dans la nature;
elle danse dans les huiles de l’eau, elle chante dans la lumière du matin;
en vagues bondissantes elle apaise la soif de la terre; en elle éclate l’Éternel,
jaillissant en une joie qui ne peut se contraindre plus longtemps et s’épand
dans la douleur de l’amour.
LVI.
( extrait de la « Corbeille de fruits » )
Il est minuit depuis si longtemps – (RC )
–
Il est minuit depuis si longtemps
…. Le long des parcours du jour.
J’ai traversé le sommeil,
> Et dehors, la caresse
Des courants tièdes,
N’atteignait pas le mur.
J’y étais enfermé,
Et mes bras menus ne pouvaient rien
Contre le froid, contre l’attente …
Et la douceur des choses
N’était qu’à deux pas.
Des promesses de l’été.
Les paroles gelées sous les lèvres,
La jeunesse habillée d’oublis,
Les yeux grand ouverts
Derrière des paupières inutiles
Sont à l’écart des champs de jeunes blés,
Où le vent s’ondoie.
Il faudrait que la terre tremble,
Que les lézardes prolifèrent,
Et que les pierres se descellent,
Pour que le sortilège tombe avec,
Et que le regard puisse enfin,
Goûter vraiment, à la douceur des choses.
Le baiser à la terre,
La ronde du soleil …
Le temps d’un autre départ,
Pour retrouver le désir,
Sa propre route, au dedans,
Pour y courir librement, les pieds nus .
–
RC – juillet 2014
–
Gaspar Jaén i Urban – A l’amour actuel
photo perso … tirage argentique 1988
A l’amour actuel
De Del temps present /Du livre Du temps présent (Edicions Bromera, Alzira)
à J.V.P.
Je voudrais tant que tu sois tous ceux
Pour qui j’ai écrit une fois un poème,
Avoir vu avec toi des villes du Nord de l’Italie,
Des hivers, des automnes de l’Europe centrale,
Et lors des nuits rougies au feu, d’aube et de jasmin,
Avoir traversé avec toi d’anciennes routes
De palmes près de la mer,
D’oranges et de cyprès sur les lèvres.
Je voudrais tant que ce présent que tu es,
Plaisant et aimable aujourd’hui,
Vienne de très loin,
De ces années sans toi qui nous laissaient sur la peau
Des nuits d’écume et des étoiles,
Un perpétuel désir qui ne cessait jamais,
Une première jeunesse qui n’était pas consciente
D’être elle-même.
Mais je sais combien est inutile le désir qui m’habite
Dans cette nuit de pluie et de printemps
Qui fuira comme les autres.
D’autres amours étaient là, avant toi,
Et ont occupé la place que nous occupons maintenant,
Ainsi que nos pensées, nos bras,
Et notre bref présent.
Nous le savons sans le dire.
Nous n’avons besoin ni de faits ni de témoins.
–
Com voldria que fosses tots aquells
pels qui alguna vegada he escrit algun poema,
haver mirat amb tu ciutats del nord d’Itàlia,
hiverns, tardors a l’Europa central,
i, en nits de foc roent, d’albada i gessamí,
haver creuat amb tu antigues carreteres
amb palmes vora mar,
taronges i xiprers a frec de llavis.
Com voldria que el present que tu ets,
plaent i amable ara,
vingués de molt lluny,
d’uns altres anys sens tu que a la pell ens deixaven
nits d’escuma i estels,
un perpetu desig que no finia mai,
una joventut primera que no era conscient
de ser ella mateixa.
Mes sé com és d’inútil el desig que m’habita
en una nit de pluja i primavera
que haurà de passar com totes.
Altres amors t’han precedit
i han ocupat el lloc que ocupem ara nosaltres,
els nostres pensaments, els nostres braços,
el nostre breu present.
Ho sabem sense dir-ho.
No cal tenir dades ni testimonis.
Wislawa Szymborska – Contribution à la statistique
–
Sur cent personnes :
sachant tout très bien, – cinquante deux.
Incertaines de chaque pas, – presque tout le reste.
Prêtes à aider, pourvu que cela ne dure pas longtemps, – jusqu’à quarante neuf.
Bonnes toujours car ne sachant pas faire autrement, – quatre, cinq peut-être.
Enclines à admirer sans envie, – dix-huit.
vivre dans la peur constante devant quelqu’un ou quelque chose
– soixante-dix-sept.
Avec qui on ne rigole pas, – quarante-quatre.
Douées pour le bonheur, – vingt et quelques, tout au plus.
Inoffensives une à une mais sauvages en foule, – plus de la moitié assurément.
Cruelles si les circonstances les y obligent, – il vaut mieux ne pas le savoir, même approximativement.
Echaudées craignant l’eau froide, – guère plus nombreuses que celles qui la craignent sans avoir été échaudées.
N’empruntant rien à la vie sauf les choses, – trente, j’aimerais me tromper.
Percluses, dolentes sans le moindre falot dans le noir, – quatre-vingt-trois.
Justes, – beaucoup, trente-cinq.
Mais si cette vertu s’accompagne d’un effort de compréhension, trois.
Dignes de compassion, – quatre-vingt-dix-neuf.
Mortelles, – cent sur cent,
Nombre qui pour l’instant ne change pas.
–
Habillé de ton portrait – ( RC )

– photographe non identifié
–
Habillée de brume,
Elle enveloppe l’air,
Qu’une lueur allume,
C’est tout un mystère,
Si tu fuis le noir,
Et navigues, en puissance,
Dans le laboratoire,
Avec tes expériences…
Finissons en du tragique,
Voilà ce qu’il faut que tu crées ,
D’un coup de baguette magique,
En ouvrant le tiroir aux secrets.
Et qu’ensuite, je m’endorme,
Habillé de ton portrait,
( tu vois, j’ai changé de forme ),
En empruntant tes traits.
Il n’est pas besoin d’une messe,
Ni de prier la Vierge
Pour la caresse d’une déesse,
Encore moins, de brûler des cierges .
Juste la promesse,
De ton sourire,
Me redonne une jeunesse,
Que rien ne peut ternir.
–
RC- avril 2014

masque « sourire du jaguar » art traditionnel mexicain.
Au sujet des masques mexicains, que je trouve souvent exceptionnel, grâce à leur inventivité, une page synthétique de pinterest en donne une bonne idée…
–
Luis Cernuda – Je dirai la naissance
–
Je dirai la naissance
Je dirai la naissance des plaisirs interdits,
Comme un désir qui naît sur des tours d’épouvante,
Barreaux menaçants, fiel décoloré,
Nuit pétrifiée sous la force des poings,
Devant vous tous, même le plus rebelle,
Qui ne s’épanouir que dans la vie sans murs.
Cuirasse impénétrable, lances ou poignards,
Tout peut servir à déformer un corps ;
Ton désir est de boire à ces feuilles lascives,
Ou dormir dans cette eau caressante.
Qu’importe;
On l’a proclamé : ton esprit est impur.
La pureté, qu’importe, les dons que le destin a portés jusqu’au ciel, de ses mains immortelles ;
Qu’importe la Jeunesse, un rêve plutôt qu’un homme,
Au sourire aussi noble, plage de soie dans le déchaînement
Ces plaisirs interdits, ces planètes terrestres ,
Membres de marbre à la saveur d’été,
Suc des éponges abandonnées par la mer,
Fleurs de métal, sonores comme la poitrine d’un homme.
Solitudes hautaines, couronnes renversées,
Libertés mémorables manteau de jeunesses;
Qui insulte ces fruits, ténèbres sur la langue.
Est aussi vil qu’un roi, ou qu’une ombre de roi
Qui se traînerait aux pieds de la terre
Pour ne quémander qu’un lambeau de vie.
Il ignorait les limites dictées.
Limites de métal ou de papier,
Car le hasard lui fit ouvrir les yeux sous un jour si intense
Que n’atteignent pas des réalités vides,
D’immondes lois, des codes, des rues de paysages en ruines,
et si l’on tend alors la main,
On se heurte à des montagnes d’interdits.
Des bois impénétrables qui disent non,
Une mer qui dévore des adolescents rebelles.
Mais si l’opprobre et la mort , la colère et l’outrage ,
Ces dents avides qui attendent leur proie,
Menacent de déchaîner leurs torrents,
Vous autres, en revanche, mes plaisirs interdits,
Orgueil d’airain, ou blasphème qui ne renverse rien,
Vous offrez dans vos mains le mystère.
Un goût qui n’est souillé par nulle amertume,
Un ciel, un ciel chargé d’éclairs dévastateurs.
A bas. statues anonymes,
Ombre de l’ombre, misère, préceptes de brume
Une étincelle de ces plaisirs
Brille en cette heure vengeresse.
Son éclat peut détruire votre monde.
——
extrait de » Plaisirs interdits »
–
Edith de Cornulier – Les soeurs douloureuses
Les sœurs douloureuses
Minuit dans le hangar ! et nos sœurs douloureuses
S’avançaient à genoux, fuyant la paille en feu.
La nuit de la Saint-Jean s’achevait malheureuse.
Qu’avions-nous fait, Seigneur ? de terrible à tes yeux.
Amis, Ô survivants ! Il fallait fuir. La lune,
Masquée de brume grise éclairait nos adieux.
Moi, je me retournai depuis la haute dune,
Pour un dernier regard aux frères malchanceux.
Ils étaient morts déjà. Seules les sœurs en lutte
Rampaient hors de la grange et leurs cris silencieux
Sonnaient comme un remords qui titille et percute
Comme je cheminais à rebours sous les cieux
De fonte. Savaient-elles au milieu de leur mort,
Qu’elles mouraient ? Bien sûr ! Et ces anges précieux
S’étonnaient en douleur de la frontière hardcore
Qui séparait nos vies de leur départ affreux.
Fêtes de la jeunesse, à ceux qui vous survivent,
Vous ressemblez parfois à de douces chansons.
Mais les anges qui sombrent et se noient sur vos rives
Sont le tribut payé par la génération.
Nous étions trente gars, trente filles en fleurs
A la dernière fête estivale de l’an.
Nous étions quinze gars, quinze filles en pleurs
Au village le jour du grand enterrement.
–
Edith de CL, juillet-août 2010
–
Ahmed Mehaoudi – ombrage chanté
gravure: Georges Braque
comment arrive t-il de ses ailes
à venir décrire de ses yeux de songeur
le feu nourri de nos théoriques certitudes
la course évidente du monde qui passe
comment arrive t-il
à murmurer sur nos lits fermer au soleil
la verité du livre des vérités
puis à l’aurore siroter
la ligne blanche de la nuit
où se croisent étoiles partantes
et lumière du matin
comment de ses ailes
atterrir
clamer que l’homme est le dernier à rire
quand c’est aux oiseaux d’en être les derniers
chanter au plus profond de la gorge
que c’est sa jeunesse qui fait défaut
et alors s’envoler à nouveau
là haut à l’écoute d’autres chants mystérieux…
–
-21 novembre 2010
–
Jean-Claude Pirotte – jeunesse intouchable
extrait du « promenoir magique »
c’était la jeunesse et comme chacun je la croyais furieusement intouchable, tu ne t’inquiétais ni de Dieu ni des flammes tu portais des cravates de soie dans les rues étourdies par l’été
tu trouvais tout à fait naturel d’être enveloppé de lumière et cependant déjà sans l’avouer tu rejoignais tes premiers morts
Marina TSVETAIEVA – A Alia
Toujours extrait de l’anthologie des « inédits de Vanves », de MARINA TSVETAIEVA
———–
À Alia*
Un jour, ô ma gracieuse créature,
Je deviendrai pour toi un souvenir,
Perdu dans tes yeux bleus, au loin
De ta mémoire, dans le lointain.
Tu oublieras : et mon profil au nez busqué,
Et mon front couronné de fumée,
Mon rire importun et fréquent
Ma main calleuse aux bagues d’argent,
Notre logis d’amant, notre grenier cabine,
De mes papiers la confusion divine,
L’année terrible : malheurs et liesse
De ton enfance, de ma jeunesse.
(Moscou 1919, sa fille Ariadna allait avoir huit ans.)