Une photo des plus ordinaires – ( RC )

photo – anonymus-project
Faut-il sauver la brocante et les greniers ?
Fermer la porte à tout jamais,
descendre l’escalier avec de vieux papiers,
y mettre le feu , les regarder se dissiper
dans un petit nuage gris
de poussière et d’oubli ?
Je suis retourné sur les pas
des heures du passé
et ai découvert par terre
un album photo des plus ordinaires :
la plupart ne vous parleront pas
et ne pourraient vous intéresser.
Ce n’est pas la peine
de feuilleter cet album:
pas de cérémonie mondaine
mais seulement des images pâlies :
on y voit un homme
sur un canapé gris
aux motifs fleuris.
Il s’est allongé et endormi.
Un petit sujet en plastique,
grosse tête , habits à carreaux
tourne les yeux vers une lampe éteinte
où quelques plantes peintes
montent à l’assaut,
sans préoccupation esthétique.
L’ensemble a quelque chose
de familier et pourtant d’incongru
car la lumière du flash ne réveille pas l’inconnu,
qui, peut-être prend la pose
dans cette pièce nue :
photo sans intérêt quand on y pense
mais seulement en apparence.
Il y a des chances que la scène
corresponde aux années soixante :
le pantalon à pinces, la chemise à carreaux
rappelle une pièce modeste à l’américaine
à la décoration absente
où même la lampe et son chapeau
ont l’air d’objets factices
et ne nous donnent aucun indice.
Mais gardons la photographie
dans l’album et le placard,
( c’est d’une actualité en retard
que l’on va sauver de l’oubli ):
—> on change tout pour une vue actuelle
on fait poser une demoiselle
pour une marque d’habits,
négligemment endormie.
Mais je garde la figurine,
et le canapé gris :
pour un magazine,
le mur sera d’une teinte indéfinie;
la lumière vient du côté droit
douce et vaporeuse
la pose est avantageuse,
et les bas du modèle , en soie.
Tirée à des milliers d’exemplaires
ce sera une publicité
pour de petits souliers verts
que l’on voit sur le côté,
une photographie à la Bourdin
sans attrait particulier
( à part la couleur vive des souliers
posés sur le coussin).

photo publicitaire – Guy Bourdin pour Charles Jourdan
Marc Alyn – chien d’ombre dans la nuit

J’entends marcher dehors. Tout est clos. Il est tard.
Ma lampe seule veille.
Pas de vent. Nul oiseau. Qui passe dans le noir
à pattes de soleil ?
C’est un chien d’autrefois parti pour l’au-delà
Comme on va à la chasse
Et qui revient parfois vérifier s’il a
Toujours ici sa place.
En silence il m’appelle, en l’ombre il me regarde
Avec ses yeux d’Ailleurs,
Puis je l’entends courir sur son aire de garde,
J’entends battre son cœur.
Il rôde doucement pour n’éveiller personne
Du portail au vieux puits
Et l’effraie le salue de son long cri qui sonne
En l’air pur de la nuit.
Tendre ami disparu dont l’absence me blesse,
Est-ce toi ? est-ce toi ?
Boiras-tu quelque nuit l’eau fraîche que je verse
Dans ta jarre là-bas ?
Mais rien ne me répond.
Le rond de la caresse
Réintègre mes doigts.
Est-ce mon âme aussi qui tire sur sa laisse,
Mon chien de l’au-delà ?
René Guy Cadou – Journal inachevé

Juan Gris – La lampe
Dormeur inespéré je rêve
Et voici que soudain une petite lampe
Remue très doucement sa paille
Et qu’à cette lueur j’entrevois
Le malheur occupé au loin
Rien à frire
Dans la poêle sans fond de l’avenir !
Rien à tirer de la grenouille de l’enfance !
Mais surtout rien à boire
Dans la coupe de l’espérance
Sinon un vin de tous les jours
Rêvais-je encore ?
Quel ange éberlué me nommait ?
Les heures comme des carpes se retournaient
Tout près
Sur le sommier du fleuve
Et pour la première fois peut-être j’entendis
La corde d’un violon casser
Voici que l’acajou verdit que la chambre s’emplit
De la marée inaugurale d’un poème
Et que cet enfant d’autrefois
Se met à vivre à la fenêtre !
Laissez entrer tous ceux qui rêvent
Laissez-moi m’habituer
Au récipient à peu près vide de la lune
Qu’un chien traîne en hurlant sur le pavé du quai
Je te vois mon amour
Ensoleillée par les persiennes de l’enfance
Comme un matin trop beau couleur de thym
Avec ce frétillement d’ablettes de tes jambes
Et cette lente odeur de lessive et de pain
Marche un peu dans la rue sans ombre
Vers la flamme !
Redresse-toi un peu que j’accède à présent
Par le puits de tes yeux aux sources de ton âme
Où n’ont jamais plongé les racines du temps.
Comme un oiseau dans la tête
Poésie Points
Pierre Béarn – les clefs du voyage
peinture : Jozsef Rippl-Ronai
J’apportai les clefs du voyage
à la prisonnière effrayée
de se découvrir vulnérable…
Négligeant l’azur arraché
qui parait d’attraits la magie
l’éléphant piétina les roses.
Quand tu partis vêtue de nuit
serrant ton cœur telle une lampe
éclairant ta honte soumise
l’éléphant n’aimait plus les roses.
Quine Chevalier – ensorcelées sous le soleil
Ensorcelées sous le soleil
les ombres sont féroces
l’aube sans voix décline ses miroirs
et le vent dans tout ça
qui palabre
violente.
Ensemble nous marchons
dans nos creux
soulevant
l’herbe des secrets
que nous buvons le soir
dans la lampe qui brûle.
Quel hameau a quitté
l’enfant de nos désirs
sur quel arbre d’oubli
a-t-il planté ses rêves ?
La main n’est plus qu’un nid
l’ombre se repose
les yeux ardent la plaine
où passe le gerfaut.
Susanne Derève – l’alphabet du regard
peinture: Giovanni Segantini
Il me semble voir ta main
Attirer doucement l’objet dans la lumière
Le tenir à portée
Dans le reflet tamisé de la lampe
Faire pivoter l’objet lentement
Afin que la lumière l’épouse
Et le révèle
Dans l’alphabet du regard
Prendre une à une les images
Et les toucher comme on ferait
Du front des yeux et de la bouche
D’un visage aimé
Et puis les reposer dans le cadre
A leur place
Et reculer de quelques pas
Pour juger de l’effet produit
Sur celui qui n’a pas les clés
Et qui découvre médusé
Comme on tire un rideau de théâtre
Le don que tu lui fais
De la beauté .
Rentré dans la nuit, en négatif – ( RC )
Je suis rentré dans la nuit
en négatif:
la lampe posée sur mon bureau
n’émet que du noir,
et absorbe un peu plus
à chaque instant
les parties saillantes;
les ombres, au contraire
vont vers une clarté trompeuse :
c’est ce qu’il reste
de la présence des choses .
Le jour s’est enfui,
absorbé par ce trou de lumière,
comme si c’était un puits
où j’allais tomber
dans l’infini
la tête la première .
–
RC – sept 2017
Benjamin Fondane – là nous voyageons ensemble .
––
Je ne suis pas le pilote
de ce bateau que les aubes ont lavé à grande eau –
et les soirs. Je n’ai pas
le droit de commander aux houles
ni mettre de côté
un peu d’écume pour mes vieux jours. Toutes ces autres
écumes, les mouettes,
obéissent à d’autres regards. Je n’ai pas,
voyageur toléré sur le pont, en partage
avec vous, que le droit d’être jeté dessus
le bord, à l’achevé du cycle. De ce droit
ce n’est pas mon dessein d’user. Je vous respecte
marins et vous pilote,
je vous serre la main, commandant. Sur ce pont
vous êtes tous chez vous. Oui, mais moi-même
je ne suis pas d’ici
et me laisse laver par les aubes. Je triche.
Je ne partage pas votre vie. Ma sueur
ne se joint pas à votre travail. Mon visage
est loin. Oui, mais le soir
sous la lampe j’exprime le jus de la journée
sous mon pressoir. Le temps est fini. On commence
un autre voyage. Mais là
nous voyageons ensemble
dans un poème dont je suis le pilote
en un temps, en un temps où il n’y a pas de temps.
Sadegh Hedayat – je n’écris que pour mon ombre
dessins Ernest Pignon-Ernest
Je n’écris que pour mon ombre projetée par la lampe sur le mur ; il faut que je me fasse comprendre d’elle.
Quine Chevalier – ensorcelées sous le soleil
–
Pour Annie Estèves
Ensorcelées sous le soleil
les ombres sont féroces
l’aube sans voix décline ses miroirs
et le vent dans tout ça
qui palabre
violente.
Ensemble nous marchons
dans nos creux
soulevant
l’herbe des secrets
que nous buvons le soir
dans la lampe qui brûle.
Quel hameau a quitté
l’enfant de nos désirs
sur quel arbre d’oubli
a-t-il planté ses rêves ?
La main n’est plus qu’un nid
l’ombre se repose
les yeux ardent la plaine
où passe le gerfaut.
Jacques Ancet – N’importe où
Installation : United Visual Artists
—
N’importe où une salle d’attente
par exemple les chaises rangées
le froissement des pages l’ennui
sur les visages ou n’importe quand
la porte s’ouvre grince se referme
celui qui entre dit messieurs-dames
bonjour les yeux se lèvent se baissent
on pense que c’est peut-être là
tout près on ne sait pas ce que c’est
*
Là aussi devant le soir qui tombe
collines bleues brume etc
les mots peu à peu deviennent sombres
on croit deviner que c’est à cause
de ce qui s’en va du noir qui vient
pourtant c’est autre chose la lampe
fait de l’ombre les murs se resserrent
on écoute le bruit de la voix
elle s’approche on la reconnaît
N’importe où – 1998
Bassam Hajjar – maisons pas encore achevées
Maisons improvisées dans l’étendue vide
pas encore achevées
et vides encore
d’ habitants.
Mais elles sont, depuis le commencement, habitées par le personnage
des souvenirs.
( Comme s’il n’y avait pas de mur et qu’avec cela, malgré cela,
on y ouvrait une porte. Comme s’il n’y avait pas de père, de
mère, d’enfants, et qu’avec cela, malgré cela, il y avait des
lits, des vases, des livres et une table. Comme s’il n’y avait pas
de salle de séjour et qu’avec cela, malgré cela, il y avait des
canapés, une table basse, une lampe, une télévision, des tiroirs
pour le papier à lettres, les journaux intimes,
les numéros de téléphone, les adresses postales, la note de l’épicier, la facture d’électricité, la boîte d’aspirine, les stylos à encre, les crayons à papier, le livret de famille, le vieux passeport, la boîte de dragées et la vieille montre, la boucle d’oreille qui reste en
attendant de retrouver l’autre, le carnet, beaucoup de clés,
dispersées ou reliées par un anneau et personne ne se souvient
maintenant si elles ouvraient des portes et où sont ces
portes…)
–
extrait de « Tu me survivras – «
Beatrice Douvre – présence d’un visage
Son chemin la terre jointe
Sa voix cette lampe droite
Ce qui tremble
Plus haut
Comme qui eut froid
De précéder le jour
Poids de celui qui parle
Et veut se perdre loin
Sa lumière file devant
On se souvient
D’une ombre digitale
C’est qu’une main portait
Nos lampes
Béatrice Douvre
Kenneth White – que personne n’aille dire que tu as eu peur du silence
–
Nourris le feu allume ta lampe
Sans te soucier du froid ni du noir qui s’en vient
Prends tes bouquins continue tes études
Et que personne n’aille dire que tu as eu peur du silence
Ou qu’à t’apitoyer sur toi-même tu t’es pourri
Les bêtes hurlent à la lune elle les fascine
Mais toi prends-lui sa force et tourne-lui le dos
Et puis écris dans ta propre blancheur
Trace ton propre parcours
Toutes les mues cachées de l’hiver
Laisse la vieille buse jeter sa morve et faire des siennes
De la neige tisse-toi une chemise de flanelle
Avec un pan épais pour te couvrir les fesses
Fais usage de la pluie pour fabriquer ton grog
Et du vent pour tourner les pages de ton livre
La force personnelle peut faire des prodiges
Sans elle le talent n’est rien
Augmente ta vie
Trempe-toi le caractère
Et tire profit à plein de cet hiver
In « En toute candeur »
Embrasser le monde, même à courte échelle – ( RC )
–
Avec quelques idées, des pas hésitants sur la berge,
Il se hasarde sur le seuil de l’existence,
Et quelquefois trempe son corps en entier,
Ou juste un doigt, histoire de « tester ».
C’est sûr, sa vue ne porte pas loin, pas plus
que la lueur d’une lampe de poche, pointée sans grande portée.
Nous dirons que c’est la nuit, ou un soir bien avancé.
Ce n’est pas un phare, qui fend l’obscurité.
Mais plutôt une luciole .
Une pensée qui jouit de sa propre lumière .
L’étreinte de l’extérieur, est un espace .
qui semble se refermer sur lui à mesure qu’il avance .
L’arbre était immobile , sentinelle de plein vent .
Une présence, qu’il aurait pu ne pas voir ,
s’il était passé une dizaine de mètres sur le côté .
En fait, la marche porte son propre aveuglement .
Il est difficile d’embrasser le monde, même à courte échelle,
Sans se faire porter par la lumière d’un astre .
Celle d’un livre, par exemple .
Sans être universel, le regard en sera plus étendu .
—
RC – nov 2014
Marina Poydenot – chemin de lumières
Chemin de lumières
Chaque journée, plus brève une poignée de lumière dans la forêt sombre. « Cette brièveté est infinie » te murmure ta vie passée directement de l’adolescence au vieillissement. As-tu grandi en petitesse ? Bientôt il n’y aura plus qu’un rayon sur ton pas et tu verras que la forêt était un champ d’étoiles. Tu découvriras enfin le visage de celui qui tenait la lampe de poche.
Romain Verger -La nuit, les étoiles

peinture: J Whistler: nocturne en noir et or
La nuit, les étoiles sont des ouvertures sur des possibles inconnus, sur des visions du calme infini, sur des rassemblements d’ancêtres.
La nuit est ouverte en des millions de points par lesquels on peut passer pour rejoindre ceux qui nous ont précédés, ceux qui nous accompagnent, ceux qui nous suivront.
Hier soir, pour la première fois depuis des mois, j’ai pris un livre & j’ai lu, à la lueur de ma vieille lampe à alcool, jusqu’à m’effondrer de fatigue.
J’ai dormi longtemps.
Lorsque je dors ainsi, je n’ai plus besoin de parler, je ne me regarde plus, je n’ai plus besoin de vivre à la surface de moi-même, je n’ai plus besoin de ne pas m’aimer…
J’ai les yeux fermés, je ne me déçois plus, je m’échappe, je reviens, je suis seulement un souffle, un souffle léger.
extrait du « Carnet des morts » – site de l’auteur ( un nécessaire malentendu)
–
Elle, dans le miroir ( RC )

photo Sciences et Avenir: lune en croissant se déplaçant
Bascule doucement l’horizon
Qui s’étire au fil des heures…
Il y a plus haut, une course
Entre deux cercles
L’un s’éteint d’orange, et l’autre
Monte blanchâtre en son halo
Partie de ping-pong dans les nuages
Et lentement se déplace
Il paraît même qu’elle me regarde
Le dos à la fenêtre, quand j’écris
C’est ce que me dit le miroir
En face
Au dessus du reflet de ma lampe
Quand arrive la nuit
Qui l’enveloppe
Et lui sourit
–
RC – 25 décembre 2012
–
Softly Toggles the horizon
Stretching over hours …
There is above, a race
Between two circles
One turns off orange, and the other
Rises whitish in its halo
A part of ping-pong in the clouds
And slowly moves
It even seems to me that it looks at me
Back to the window, when I’m writing
That is what the mirror tells me
in front of me
Above the reflection of my lamp
When the night comes
Which envelopes it
And smiled at it.
–
Anna Niarakis – Atterrissage

peinture: aquarelle 22, de Annik Reymond, voir son site:
Atterrissage
Moi. Que la pluie.
Restée à tordre cigarettes
la solitude sous une
lampe de la municipalité.
Brisée.
Goutte à goutte à passer
de l’inexistence
A la lumière de dôme
puis à nouveau dans le néant.
Chaque fois que les nuages sont pressés
secrètement dans le poussage de la nuit
je recherche anxieusement d’une lampe brisée.
Avec l’espoir de me revois
briller faible, dissoute
dans un passage éphémère
avant l’atterrissage.
–
–
Alain Grandbois – l’aube ensevelie
L’AUBE ENSEVELIE
Plus bas encore mon amour taisons-nous
Ce fruit ouvert dans le soleil
Tes yeux comme l’haleine de l’aurore
Comme le sel des buissons révélateurs
Taisons-nous taisons-nous il y a quelque part
Un coeur qui pleure sur un coeur
Pour la dernière aventure
Pour le déchirement total
Taisons-nous rien ne peut recommencer
Il faut oublier les lampes les heures sacrées
Il faut oublier les faux feux du jour
Notre délice nous foudroie
Plus bas encore mon amour
Ah plus bas mon cher amour
Ces choses doivent être murmurées
Comme entre deux mourants
Bientôt nous ne voudrons plus distinguer
La frange des rides sur nos fronts
Ah regardons bondir les étoiles
Aux justes secrets de nos doigts
Regardons ce que refuse
L’or détruit du souvenir
La belle chambre insolite
Et ses bras d’éclairs sourds
Taisons-nous oublions tout
Noyons les mots magiques
Préparons nos tendres cendres
Pour le grand silence inexorable
Alain GRANDBOIS (1900-1975)
Antonella Anedda – Avant le dîner
Antonella Anedda ( Prima di cena )
Avant le dîner, avant que les lampes ne chauffent les lits et que le feuillage des arbres ne devienne vert-noir et la nuit déserte. Dans le court espace du crépuscule défilent des saisons entières et méconnues; le ciel alors se charge de nuages, de courants qui soulèvent bûches et ronces. Contre les vitres de la fenêtre bat l’ombre d’une tempête mystérieuse. L’eau renverse les buissons, les bêtes chancellent sur les feuilles mouillées. L’ombre des pins s’abat sur les planchers; l’eau est gelée, de la forêt. Le temps s’arrête, disparaît. Soudainement, dans le calme solennel des allées, dans le vide des fontaines, dans les pavillons éclairés toute la nuit, l’hôpital resplendit tel une résidence de Saint-Pétersbourg en hiver. Il y aura un cauchemar pire entrouvert entre les feuilles des jours aucune porte ne claquera et les clous plantés au commencement de la vie plieront à peine. Il y aura un assassin étendu sur le palier son visage dans les draps, l’arme à ses côtés. Lentement la cuisine s’entrouvrira sans le bruit des vitres brisées dans le silence d’un après-midi d’hiver. Ce ne sera pas l’amertume, ni la rancune, seule - pour un instant – la vaisselle deviendra immense d’une splendeur marine. Alors il faudra s’approcher, monter peut-être là où le futur s’étrécit à l’étagère remplie de pots à l’air renversé de la cour au vol sans déploiement de l’oie, avec la mélancolie du patineur nocturne qui d’un coup connaît le sens du corps et de la glace se tourner à peine, s’en aller.
Ci sarà un incubo peggiore socchiuso tra i fogli dei giorni non sbatterà nessuna porta e i chiodi piantati all’inizio della vita si piegheranno appena. Ci sarà un assassino disteso sul ballatoio il viso tra le lenzuola, l’arma posata di lato. Lentamente si schiuderà la cucina senza fragore di vetri infranti nel silenzio del pomeriggio invernale. Non sarà l’amarezza, né il rancore, solo - per un attimo - le stoviglie si faranno immense di splendore marino. Allora occorrerà avvicinarsi, forse salire là dove il futuro si restringe alla mensola fitta di vasi all’aria rovesciata del cortile al volo senza slargo dell’oca, con la malinconia del pattinatore notturno che a un tratto conosce il verso del corpo e del ghiaccio voltarsi appena, andare. 1992 - On peut trouver d'autres textes de Antonella A, sur ce site, ainsi que de nombreux auteurs de poésie italienne
Paul Celan- Voix dans le vert
–
Voix dans le vert
–
Paul Celan, in Grille de parole, traduit par Martine Broda, Christian Bourgois éd

peinture: E Vuillard
Muhammad IQBAl – dialogue
DIALOGUE
DIEU.
J’ai fait ce monde d’eau et d’argile !
toi tu as fait l’Iran, la Tartarie, le Zanzibar.
Avec de la terre j’ai fait l’acier ;
toi tu as fait l’épée, la flèche, le fusil,
tu as fait la hache pour l’arbre de la prairie,
tu as fait la cage pour l’oiseau chanteur.
L’HOMME.
Tu as fait la nuit, moi j’ai fait la lampe.
Tu as fait l’argile, moi j’ai fait la coupe.
Tu as créé les déserts, les vallées, les montagnes,
moi j’ai fait les parterres, les jardins, les roseraies.
Moi, de la pierre, j’ai tiré le verre
et, du poison, l’antidote.
Muhammad IQBAl
Nabokov, —- la chambre ( 1950)
Grâce au blog de schabrieres ( beauty will save the world ), je me fais l’écho d’un beau texte de V Nabokov
Vladimir Nabokov – La chambre (The Room, 1950)
La chambre que prit un poète
mourant, un soir, dans un hôtel mort
figurait dans les deux annuaires:
celui du Ciel, celui de Perséphone.
Elle avait un miroir, une chaise,
et une fenêtre et un lit,
ses côtes laissaient entrer l’ombre
où la pluie luisait et saignait une enseigne.
Ni larmes, ni terreurs, un mélange
d’anonymat et de malédiction,
elle paraissait, cette chambre,
être l’imitation d’une chambre.
Chaque fois que, subliminale,
une auto déchirait la nuit,
aux murs, au plafond tournoyait
tout un squelette de lumière.
Peu après la chambre m’échut.
Bagnard rayé, cherchant la lampe,
sur le mur je trouvai ce vers:
« Je meurs sans amour, solitaire, anonyme »
au crayon au-dessus du lit.
On eût dit une citation.
Etait-ce une femme affolée de lecture,
Ou un gros homme au cheveu rare?
J’interrogeai l’aimable bonne noire.
J’interrogeai le capitaine et ses marins.
J’interrogeai le gardien de nuit. Obstiné,
j’interrogeai un ivrogne. Nul ne savait.
Peut-être, ayant trouvé l’interrupteur
avait-il vu le tableau sur le mur
et maudit l’éruption rougeoyante
se voulant « érables en automne »?
Dans le meilleur style artistique
de Winston Churchill à son faîte,
ils avancaient en double file
de Glen Lake à Restricted Rest.
Mon texte est peut-être incomplet.
Pour finir, la mort d’un poète,
c’est de la technique: un rejet
parfait, une chute harmonieuse.
Une vie s’était brisée là,
dans le noir, et la chambre était comme
un thorax de fantôme, avec un coeur
mal aimé, anonyme, mais point solitaire.
***