Laure Gauthier – Une pluie sans orage

Une pluie sans orage ,
justement,
sans nuage,
une pluie de lassitude, d’un paysage
qui n’essaie plus,
d’une nature qui n’a plus que l’humide à opposer
déraillée
C’est comme un poème mou et sucré,
un poème de salon, c’est la pluie hors-saison
une pluie trempe-touriste
Même pas l’anti-mousson,
une pluie à rabats
qui rabat les touristes sous les vitrines,
une pluie-cabas
Rattraper les invendus, du lèche-vitrine impromptu
ça marche parfois
Amasser, ramasser, et si on s’arrêtait ?”
extrait de Rodez Blues dans les « Corps Caverneux «
Une petite heure de calligraphie – ( RC )
Le plateau a ses reflets de rose
et d’orange.
Le soleil soupire de lassitude
avant de se coucher
derrière la ouate de nuages
aux dentelles dorées.
Le soir n’a pas encore
déposé sa cendre grise,
les arbres écrivent
pour une petite heure
leur calligraphie .
Saint-Pol Roux – Des flammes
Des langues !
Une fois la semaine, une douzaine de fantoches
(et ce citron de perspective qu’ils seront
pions de province demain) envahissent ma table.
Après qu’avec les tisonniers
jaillis de leurs yeux ils se sont réciproquement
écarté leurs cendres de moustache,
une flamme avivée rampe, se tord,
pétille, gicle en chacune des douze bouches
aux joues réfractaires,
et ces flammes tant s’expriment
qu’on ne distingue plus qu’elles bientôt
et que leur somme parvient
à symboliser un bûcher de sectaires ridicules,
martyrisant la pureté, la vaillance,
la gloire vraie, la merveille absolue,
et les femmes et les amis absents…
0 ces opiniâtres aspics !
Ce jour-là, le Supplice du Feu m’est familier
dans son intégrale épouvante.
Aussi passer devant un rôtisseur me rappelle que,
chez moi, l’on rôtit hebdomadairement,
et que ma patience (ô ma pauvre, ta lassitude ?)
m’y transforme en oie (suis-je modeste !)
de première grandeur.
D’écœurement mon front se dore,
de dépit mon foie se racornit,
de stupeur mes os craquètent…
A se jeter par la fenêtre dans la faim des mendiants qui rôdent !
Mais le devoir d’hôte me rive à la broche.
Des langues !
Paris, 1888 SAINT-POL-ROUX « Les Reposoirs de la Procession » (II)
Greffées contre le mur de la nuit – ( RC )
–
Tu pénètres dans une forêt particulière,
où les arbres sont des mains
fichées dans le sol,
remuant dans le crépuscule du quotidien.
Et le fil tendu des lignes blanches,
des tracés des avions,
que les doigts ne peuvent pas attraper .
Ils saignent d’une sève incolore,
ne pouvant se refermer que sur l’air,
dont l’atmosphère trompe sur son épaisseur,
habitée des ombres du soir.
Il reste le vol noir des oiseaux
qui ne renonce pas, à leur échappée,
et se joue du mouvement maladroit des mains .
Elles se referment de lassitude,
comme ces fleurs lorsque la lumière s’éteint ;
Plantes étranges rétrécies d’un coup par la terre ,
Le corps dissimulé.
Peut-être incarné dans un sol,
parcouru de longs filaments sanguins,
racines bien fragiles, prolongements d’un coeur lointain .
Il faut s’attendre à ne trouver demain,
que des manches , au tissu raidi par le froid,
et des gants vidés de substance,
mous et inertes ,
Comme si la greffe
n’avait pas réussi
à franchir le mur de la nuit.
–
RC – juill 2015
Maurice Fickelson – pratique de la mélancolie – Le visiteur

LE VISITEUR
Le roi vient me voir. Oui, seul, en toute simplicité, chaque jour, à la tombée de la nuit. Il entre, il s’assoit, toujours près de la fenêtre. Puis nous causons. C’est devenu comme une habitude
-je veux dire, une chose qu’il fait, lui, sans y penser, je le suppose, je ne peux que le supposer, car comment oserais-je formuler la moindre, la plus anodine question ?
Sans y penser, distraitement – c’est l’impression qu’il me donne.
Avec une sorte de lassitude – que j’attribue aux soucis de la royauté qui ont pesé sur ses épaules jusqu’au soir, et qu’il abandonne pour un moment, ici, dans ma maison, délivre de l’exigence de paraître, seul avec moi.
Pourquoi m’a-t-il choisi ? Rien ne me désignait, moi qui vis retiré le peu de jours qu’il me reste. Mais aussi bien, ce n’est peut-être pas un choix qu’il a fait, quelque chose de délibéré, de voulu, l’accomplissement réfléchi d’une intention. J’admets que les rois peuvent avoir des raisons qui nous échappent, mais il est tellement plus vraisemblable qu’il soit entré ici par hasard.
Puis il serait revenu en se disant : là ou ailleurs, pourquoi changer ? Comme on ne peut s’empêcher de vouloir des causes compréhensibles aux faits qui ne le sont pas, je me suis dit que ce devait être la situation de ma maison, un peu à l’écart, en retrait de la rue, qui avait attiré le roi, la seule à être précédée d’un jardin auquel je consacre le plus clair de mon temps et mes dernières forces. Oui, le roi aurait pu être attiré par les fleurs, bien qu’il ne leur accorde, durant ses visites, aucune attention, pas même un regard.
Je me suis aussi demandé, du moins au début, tout à fait au début, si c’était réellement le roi. Car il vient sans les attributs de la royauté. Sinon cet air de tristesse sur le visage, de profonde, de rêveuse tristesse. Est-ce bien de la tristesse, d’ailleurs ?
Je veux dire, celle que nous connaissons. Comment la situer sur la carte de nos sentiments, quand il n’existe pas de critère et qu’aucune comparaison n’est possible ? Le premier soir, en entrant, il m’a dit : Je suis le roi. nous nous ne sommes jamais revenus là-dessus.s’ assoit près de la fenêtre, et nous causons. lui avec cette sorte d’indifférence – mais il arrive à certains moments, il arrive qu’il s’anime, qu’il montre de l’intérêt.
Je serais bien embarrassé de dire à propos de quoi. Là non plus je ne parviens pas à suivre les cheminements de son esprit royal : il attache une importance inexplicable à des choses apparemment insignifiantes, sur lesquelles il paraît anxieux de connaître mon opinion. J’ai quelquefois l’impression qu’il aimerait s’assurer qu’il n’y a pas eu une erreur commise, je ne saurais dire où.
Quand il est détendu, il s’intéresse aux oiseaux. Il en parle, me demande ce que je sais de telle ou telle variété, discute de leurs habitudes de vol et s’interroge sur les significations diverses de leur chant. Il lui arrive alors de lever les yeux vers le ciel où l’on aperçoit, très haut, immobile, et seulement à cette heure-là, juste après le coucher du soleil, un aigle. Est-ce son aigle, à lui ? Mais pourquoi aurait-il pour l’observer ce regard si morne ? Il ne veut pas que j’allume la lampe. Il se complaît dans la pénombre du crépuscule, et moi, dans ces minutes, je le vois comme à travers une pluie de fines cendres.
Claude Esteban – Mémoire
Non, la mémoire ne se résume nullement à la somme des choses mortes entassées
dans la tête. Elle est tapie au creux d’une odeur, d’une feuille froissée par la pluie, d’un
murmure. Et que l’on fasse taire en soi le bruissement de la pensée; qu’on s’arrache à
ce théâtre de mauvais rêves, le paysage se recompose, les formes s’animent, les
couleurs recommencent à vibrer. Rien ne bouge pour celui qui se détourne, tout
s’éveille au-devant de celui qui reste à l’écoute et il ne craint plus. On cherche à
l’endroit d’une ancienne blessure, et c’est à peine si la peau tressaille. Et c’est à
présent l’immobile qui devient une fiction, et cette lassitude d’avoir tant vécu
comme une invitation à poursuivre encore.
Claude Esteban
in » La mort à distance «
Claude Esteban – l’immobile qui devient une fiction

photo Willy Ronnis quai Malaquais
Ne garderai-je du jour que cette longue lassitude et la poussière des chemins au fond des yeux ?
Je m’assiérai n’importe où, je tenterai seulement de reprendre souffle, sans hâte et comme pour mieux me souvenir. L’espoir, quand on s’arrête de marcher, devient inutile, mais le vieux désir d’être encore ne disparaît pas avec lui.
Et je suis là, comme quelqu’un qui s’étonne que son corps le soutienne et le défende,
ce corps meurtri, ce corps appesanti, le mien pourtant, et que je méprisais.
Les grandes lois du soleil et de l’ombre nous échappent, nous mesurons l’espace
aux battements d’un coeur quand il est neuf, mais que la machine au-dedans hésite ou s’emballe, les repères se dissipent
et chaque pas devient une épine dans la chair.
N’importe, je suis là, je regarde mes mains, je n’oublie pas qu’elles ont touché la splendeur intacte du monde et qu’il y eut des moments d’allégresse à sentir la sève trembler sous les doigts.
Non, la mémoire ne se résume nullement à la somme des choses mortes entassées dans la tête.
Elle est tapie au creux d’une odeur, d’une feuille froissée par la pluie, d’un murmure.
Et que l’on fasse taire en soi le bruissement de la pensée; qu’on s’arrache à ce théâtre de mauvais rêves, le paysage se recompose, les formes s’animent, les couleurs recommencent à vibrer.
Rien ne bouge pour celui qui se détourne, tout s’éveille au-devant de celui qui reste à l’écoute et il ne craint plus.
On cherche à l’endroit d’une ancienne blessure, et c’est à peine si la peau tressaille.
Et c’est à présent l’immobile qui devient une fiction, et cette lassitude d’avoir tant vécu comme une invitation à poursuivre encore.
Claude Esteban, La mort à distance, Gallimard, 2007
–
Lutin – Froid bleu – (cold blue)

photo: Steven Dempsey: voir notamment ses photos de " landscapes"
A travers tous les écrits intéressants que nous proposent les créateurs bloggeurs, il est sûr que je n’ai pas l’occasion de « suivre tout le monde »,
et , naviguer un peu au hasard, notamment par rapport à ceux qui laissent des commentaires, permet de les revisiter… et donc d’apprécier la richesse de leur écriture…
C’est le cas de lutin, dans ses « secrets de lutin »
et d’un des articles de février dernier: Froid bleu, qu’elle m’a permis de retranscrire ici..
—-
Repli foetal
alors que la clef est tombée dans l’eau
ce n’était pas une maladresse
cet instant là
lorsque tu as crocheté ton coeur à l’arbre
.
Ce n’était que lassitude
l’envie de partir
courbé dans l’hiver
Et ta main a chassé les étoiles
comme l’on repousse le vent de sable
la clef s’en est allée tout au fond de ta mémoire
éteignant la lumière
–
lutin – 03 – 02 – 2012
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Fetal downturn ,
while the key dropped into water
it was not a fumble
this time there
when you have hooked your heart to the tree
.
It was only weariness
the desire to leave
curved in the winter
And your hand chased the stars
as it pushes the sandstorm
In the bottom of your memory, deep, has gone the key
turning off the light