Maintenant, on ne me voit plus – ( RC )

photo André Fromont
Je désigne d’un geste les oiseaux.
Ils glissent derrière la vitre,
silencieux.
Mes mains les imitent,
je les accompagne dans leur reflet.
Ce n’est qu’une image
où flottent mes mains blanches
qui semblent détachées des manches.
Leur vol remplit une partie de la chambre
Je les suis du regard..
Pantomime où le corps s’anime
dans le cadre étroit de la fenêtre.
Puis de plus en plus léger,
volant à son tour, peut-être,
démultiplié.
Je voyage, presque en transparence ,
avec un courant d’air
porté par un temps arrêté.
Rien ne me retient.
Les ailes sont mes mains.
Maintenant, on ne me voit plus.
Trop lourd, pour que je reste debout, à la surface du monde – ( RC )

gravure sur bois Lynd Ward
Le poids de ma tête est trop lourd
pour que je reste debout,
à la surface du monde.
Je le creuse avec les dents,
la face contre terre,
et il m’arrive de trouver,
quand je dévisse un membre,
mon double, sculpté dans le bois,
par ces racines revêches,
qui ont fini par absorber mon sang.
C’est ainsi que ma vue s’est brouillée,
sans doute à cause de la poussière,
qui, elle aussi encombre mon esprit.
Je ne pense qu’aux temps,
où, trop léger sans doute,
je planais à quelques mètres
au-dessus du sol.
Composé de plusieurs parties
prévues pour s’emboîter,
il a fallu les rassembler.
J’étais à la recherche de la pièce manquante,
qu’on déniche par inadvertance :
un visage à modeler,
qui, maintenant que j’y pense,
offre une certaine ressemblance
à celui qui me fait face et me regarde,
dans le dédale des racines .
Le poids de ma tête est trop lourd :
je ne peux que supposer
que trop d’années l’ont plombée :
le jour se confond avec la nuit,
et je ne peux saisir aucune de ces lueurs,
enfouies dans la terre.
Je ne peux que les imaginer…
car, si j’y voyais encore,
je verrais croître les arbres
se nourrissant de morceaux d’étoiles.
La mienne doit être quelque part,
car un jour je l’ai perdue…
J’apprivoise les cailloux – ( RC )

A force de marcher sur l’eau,
j’apprivoise les cailloux,
qui se font plus légers
dans l’éclat des reflets
et de l’eau pure :
maintenant elle a baissé,
je peux traverser la rivière
en équilibre sur le gué.
Ce galet plat,
je l’ai conservé :
c’est une semelle qui me va
adaptée à ma pointure,
je n’aurai plus qu’à y adapter
des sangles de cuir :
m’en faire une chaussure neuve
naviguer sur le fleuve,
que la rivière ira grossir.
Pour faire la paire
il faudra que je déniche
un autre caillou lisse
pour m’emporter dans les airs :
que les écrevisses me pardonnent
elles trouveront d’autres abris
et d’autres pierres…
Esther Tellermann – Terre exacte
photo: la faille de Djobouti
Lieu là
tenu à la lèvre
suffoque
dans l’image
non franchie
dans l’appel
écorcé
Qui t’éprouve à l’arête
d’un point de l’incendie ?
Pour nous ne reste
dans le milieu du rayon
ou du plus léger
sur l’autre rive où
se ramifia
la suture ?
Qui déchire
qui rejoint qui
clôt la prunelle qui
engage le cercle non
rien
n’assemble
en surplomb
des chocs de la lumière
rien ni
clavier
mais précipite
le point douloureux
près des tempes
ce que nous sommes.
Mike Stern – la marche du danseur
spectacle de Lucinda Childs
La marche du danseur
J’adore voir un danseur marcher
sur une surface ordinaire
hors scène et hors service
Gracieux même quand il pousse un caddy
le corps spontanément
devient si détendu si léger
que la pesante loi de gravité
semble n’être qu’une rumeur
La terre tourne sous les pieds du danseur
La lune et autres satellites
ajustent leurs orbites
Tout cherche sa place de nuit
Le danseur, de retour chez lui,
coupe des tomates en tranches et fait frire des oignons
debout dans la cuisine
comme un héron faisant une pause entre le rivage
et le soleil couchant.
Un escalier vers l’infini ( RC )
Installation : David McCracken
-
Je ne sais combien de marches il faut
pour gravir l’infini.
On dira qu’il y a le temps,
puisqu’on nous a promis
l’accès au paradis :
Il y a une contrepartie :
On ne peut y accéder qu’après
avoir laissé son corps
au magasin des antiquités ,
ceci dit on est beaucoup plus léger
et on ne compte plus ses efforts
pour emprunter l’escalier
qui a necessité d’abord
je ne sais combien
de menuisiers.
Au début on est très nombreux
à vouloir accéder à l’infini
que certains appellent
le Royaume des cieux
mais certains s’impatientent
ils trouvent la progression trop lente
– ( étant pris de doute
sur la destination de la route ,
et pourquoi cette pente ).
Bien entendu pour accéder au ciel
il faut penser à l’essentiel,
non pas au monotone :
et comme pas mal abandonnent
– ont-ils perdu la foi ?
– pourtant ils ne portent pas de croix !
Toujours est-il que , sur les inscrits
les candidats se raréfient,
c’est ce qui explique,
en toute logique
que l’escalier se rétrécit .
La progression est plus facile,
quand la population est divisée par mille,
– où sont passés les autres encore
– ça je l’ignore
car ils ne visent pas le haut.
-
Comme dans les jeux vidéo
ils sont bloqués au niveau inférieur
et pour leur plus grand malheur
ne disposent pas de vie de rechange,
de quelque astuce ou ficelle
( ni de l’aide des anges
qui ne prêtent pas leurs ailes ).
Et puis — est-ce une vision d’optique,
correspondant aux mathématiques :
les côtés de l’escalier
sont difficiles à mesurer :
la vie éternelle
ne tient pas compte des parallèles :
ne vous inquiétez pas pour autant:
comme je l’ai dit : vous avez tout votre temps
déjà vous avez dépassé les nuages
vous êtes sur le bon chemin
à cheval sur votre destin
n’oubliez pas vos prières,
ne croyez pas aux chimères
ne regardez pas en bas
– Attention au vertige !
Progressez comme ça :
c’est déjà un prodige
d’avoir quitté la terre
Comment, vous ne voyez toujours rien ?
Ah , mais tous les paroissiens
qui entreprennent ce voyage
clés en mains
ne peuvent tirer avantage
de rencontrer les saints
enfin pas tout de suite :
la visite, certes, ….est gratuite,
mais de ce belvédère
il est difficile de voir St Pierre :
Ce n’est pas un défaut de vision,
mais cela doit beaucoup aux conditions
atmosphériques : même avec un guide
c’est encore Dieu qui décide,
et ses desseins son impénétrables…
Comment ça, c’est discutable ?
Si vous avez une réclamation à faire
après votre grimpette
adressez-vous au secrétaire
qui examinera votre requête…
–
RC – janv 2017
Egon Schiele – Sensation
–
De vastes vents violents ont tourné le dos à la glace
et j’ai été forcé de plisser les yeux.
Sur un mur rugueux j’ai vu
le monde entier
avec tous ses vallées, ses montagnes et ses lacs,
avec tous les animaux qui courent autour
Les ombres des arbres et les taches de soleil
m’ont rappelé les nuages.
Je marchais sur la terre
Et je ne ressentais rien dans mes membres
je me sentais si léger.
(trad RC )
–
Hohe Grosswinde machten kalt mein Rückgrat
und da schielte ich.
Auf einer krätzigen Mauer sah ich
die ganze Welt
mit allen Tälern und Bergen und Seen,
mit all den Tieren, die da umliefen –
Die Schatten der Bäume und die Sonnenflecken erinnerten
mich an die Wolken.
Auf der Erde schritt ich
und spürte meine Glieder nicht,
so leicht war mir.
–
Egon Schiele est, bien sûr, l’artiste expressioniste autrichien bien connu, dont ce site propose les oeuvres complètes…
–
Theo Léger – Le courtisan

photo extraite du film « Ridicule »
-LE COURTISAN
Pareil à la sculpture indispensable aux palais
à l’architecture d’une salle de bal
Virtuose des redoutes, Cicérone des alcôves de la cour,
tel le voilà! si léger qu’il tourne à tout vent.
Il s’exerce à la danse : art très utile
Aux temps du carnaval
d’un tour de valse il fait tomber dans la disgrâce
des tribus tout entières.
Rompu aux méandres du jeu,
il suffit qu’au moment juste
un nom lui tombe des lèvres entre deux airs,
avant que sa main ne marque la nouvelle cadence
un bouquet de têtes ennemies
déjà s’est fané aux potences.
Il est tout agilité, mémoires de balcons secrets,
d’un toucher de prophète si parfait
qu’en te serrant la main
il connaîtra ta place au banquet de l’an prochain.
Il peut si nécessaire (on ne soupçonne les amoureux)
s’éprendre d’une Juliette
traînant tête vide une clameur de ragots
qui lui dira le temps précis d’abandonner des murs branlants
et d’attendre que pâlissent les traces de sang.
Puis, à l’heure où les maîtres nouveaux regardent
écœurés d’ail, obèses de choucroute, nostalgiques
l’île déserte d’un morne trône, le revoilà!
–
{Théo Léger) (1963)
Légèreté du corps-lumière ( RC )
Une brise soudaine le poussait , léger, oh, si léger,
contre le banc, au pied de la buvette.
Il était cette enveloppe, qu’habite la lumière.
Une lumière que personne ne voit , même pas lui,
Mais qui n’a pas de secret, et donnait la couleur de son regard.
Un regard d’ombre, qui ne connaît du corps, que la pensée fugitive
D’une apparition d’années.
Ces années qui même en accumulées n’ont pas serti leur poids à l’épaisseur des jours. Il est, l’âme légère et le corps absent.
Et la brise le portait, un peu plus loin, avec la poussière.., quand le corps n’existe plus , à proprement parler : léger, léger.
RC – 19 juin 2012
voir aussi dans une interprétation très proche chez « traces du souffle »