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Philippe Delaveau – tout est musique


peinture E Vuillard – les collines bleues 1900

Le soleil au pupitre et sa baguette oblique
sur la prairie.
Jusqu’aux petits orchestres des sables
et des fontaines.
Jusqu’aux sous-bois emplis de murmures,
de harpes, de cascades.

Et la philharmonie de l’océan devant les colonnes d’Hercule :
au-delà, c’est Wagner, un mastic incolore.
Mais ici, une salle attentive.

Ils écoutent passionnément gronder
l’express vigoureux de Beethoven
sur la voie qui tressaille
dans le cerveau, profond tunnel.

Sur ces voies qui longent le précipice
du cœur, d’où tout est simple et visible.
Où le signal s’ouvre et se ferme.
Leurs narines frémissent comme dans la colère.
Leurs lèvres gonflent
dans cet amour aussi impérieux
qu’aux corps brûlants, l’orgasme.

L’orchestre en noir et blanc,
et les abeilles grises, étincelles de gris.
La pluie et ses marteaux sur le xylophone de la saison.
Les arbres, frères du violoncelle.
Tout est musique.

C’est vrai, certains ne l’entendent pas.
Ils préfèrent le bruit.
Les robinets des radios gouttent de sons échevelés.
Chutes du Niagara des écrans plats, image sur image.

Certains préfèrent les écouteurs à leurs oreilles
comme l’œillère des chevaux
qui tournaient, tournaient dans les nuits sous la terre.
Sans lune, sans étoiles,
sans feuilles d’arbres.
Mines, sordides catacombes.


Jean-Claude Goiri – Complètement sorti de chez moi


Un jour, je suis complètement sorti de chez moi. Je n’ai rien laissé
derrière. Tout habillé d’outils et d’avenirs, je marchais sans compter
mes pas, le corps à découvert, à portée de tout regard. Je traversais la
route sans arrêt, d’un trottoir à l’autre, bien décidé à me rendre
partout. Et, malgré la grande absence de soleil, je remarquais que je
traînais devant moi mon ombre. Aussi concrète que mon corps, elle
me précédait sans concession, aussi large que j’étais chargé.
Quand une femme s’arrêta sur cette ombre. Je stoppai aussi, je lui fis
face, abasourdi. Elle me proposa de découdre mon ombre en attendant
le soleil, ce qu’elle fit, là, sans tarder, sur le trottoir. J’en profitais pour
lui découdre les lèvres. Elle en profita pour me dire que ce n’était pas
la peine de tout se trimballer quand on sort de chez soi. Mon ombre
sur les bras, elle m’accompagna jusqu’à chez moi. Une fois
complètement rentrés, nous déposâmes l’ombre sur le lit. Et nous en
profitâmes pour découdre les draps.
Depuis ce jour, je ne sors plus jamais complètement de chez nous.


Raie Manta – ( RC )


photo du site technosciences


Les abîmes d’eau portent l’éventail du rêve
où les étoiles rencontrent les profondeurs.
Le miroir de la surface, a cessé d’être
au-dessus de la brousse des vagues.

Les coraux aux mille couleurs
s’emparent d’oriflammes de soleil,
et mes ailes battent la mesure
comme si elles allaient vers le ciel.

Elles ont l’envergure de celles d’un aigle
mais leurs ombres demeurent .
Elles effraient les bancs de poissons,
qui furtifs contournent les rochers :
( autant de boucliers pour les crustacés
et coquillages ).

Je n’ai pu déposer un baiser
sur les lèvres bleues des bénitiers,
qui priaient , dans leur coquille,
solitaires aux vents de mer,
alors j’ai fini par m’envoler,
luisante et noire,
vers d’autres contrées.

RC


Un effet d’hiver – ( RC )


photo Caroline D – tempête douce

C’est sans doute un effet d’hiver.
Les lèvres sont fermées.
Ne m’en veux pas de t’avoir jeté la pierre…
Le livre a les pages raides,
les corneilles ont laissé leur empreinte noire
sur un ciel gris au-dessus de nous.
Qu’est devenu ton sourire ?
maintiendra-t-il aussi les lèvres fermées
comme au moment de ton départ:
j’irai le découper dans le papier
pour le coller sur la photo floue
que tu trouvais laide.
Ce n’est rien qu’un détour d’écriture
qui cachera un peu ma blessure…


Alicia Galienne – Nous nous noyons de fleurs grandissantes et vulnérables


Isoler tes lèvres
Les fleurs nouvelles

Et tes grands yeux d’eau
Qui vont la nuit sur les toits
Cueillir d’autres fleurs
Promener les champs de nuit

Isoler tes regards
Les cacher sans malice
Lorsque tu baisses les yeux
Sur moi sur nous

Nous marchons les fleurs
Sans trop nous approcher des fenêtres
Vacantes d’espace
Et les toits remplis de pluie
Se vernissent de lune

Je n’ai jamais eu de souliers vernis
« L’amour est enfant de bohème »
Et je danse pieds nus
Ruisselantes les ardoises du ciel
Et toutes les fleurs nouvelles
Amène-moi dans ta bouche de pluie
Boire les lacs sucrés
Qui s’en vont dérisoires
Au-delà de mes cheveux
Nous nous noyons de fleurs
Grandissantes et vulnérables
Sur des murs rampants
Comme des astres
Tu m’envoies
Chaque jour davantage
Tu m’en voles
Par centaines de fois
C’est la danse aux fleurs
Au-dessus des toits navigués
Isoler tes gestes dans l’air
Pour te répéter lorsque tu manques
Au petit matin

extrait de «  » l’Autre moitié du songe m’appartient  » ( ed Sophie Noleau )


Jean-Pierre Balpe – Solo de flûte narh Rajastan


photo RC – temple hindou à Mersing – Malaisie

Là regarde elle elle a l’air fragile si fragile la regarde voudrait la toucher savoir si elle est de chair et de sang comme lui ou d’une autre matière voudrait la toucher ne cesse de la regarder toucher son cou son pied son ventre ses seins ses lèvres la toucher rien que la toucher pour voir pour être sûr sûr de ce quelle est être sûr que ça vaut le coup de penser à elle la regarder sans peur de la détruire ou même d’altérer simplement altérer l’équilibre subtil des teintes de sa peau depuis les si légers cernes violines qui soulignent la profondeur de son regard jusqu’à l’incarnat purpurin qui ferme les plis amplifie le relief de ses lèvres la regarde ne peut faire autrement la regarde se dit que le rose transparent peut-être transparent diaphane translucide oui translucide de ses joues comme celui plus ferme qui courbe ses épaules ne peut pas ne peut pas être réel qu’il y a quelque chose qui lui échappe sûrement quelque chose qui lui échappe que ça ne peut pas être vrai tout ça pas longtemps


Georges Jean – dans le désordre des choses


photo RC retravaillée – Bretagne

Les fruits sur la prairie pourrissent
Les sentiers mènent aux étangs
Où le ciel ouvre sa pulpe
Les dernières roses construisent
Le réseau profond de la mort
Les maisons prennent dans leurs mains
Les personnages de la brume
Nous sommes dans la chair du temps
Les arbres noirs de la nuit
Les oiseaux gris dans le matin
Il semble que le soleil
Va déchirer ces voiles blancs

Ainsi dans le matin du temps
Les paroles simples se lèvent

Alors éclatent les ailes
Se fendent les rameaux
Saigne l’Orient

Et quelques mots dans le silence
Permettent d’entendre la danse
Et rêver de l’Océan

Pour les regards du dedans
Les pierres sont en gésine
Au cœur de la forêt proche

Là dans les sentiers de silex
Le plaisir bat comme le cœur

Voici les traces les sillages
Les filles des longs retours
Et dans l’ombre d’alentour
Les absents se sont levés

Et le jour ouvre nos lèvres
Et les mots entrent dans les choses.

extrait de « parcours immobile »


Candice Nguyen – la nourriture des méduses


photo provenance

Ces mots prisonniers des rochers et l’eau qui bat entre, inlassablement.
C’est une lumière noire qui décline sur la peau de visages rougis par le froid et les sourires piqués par les sels sont laissés là en feu sur la route des marées. Ils flotteront dans le bleu de l’obscurité toute la nuit et disparaîtront dès les premières agitations au matin. C’est la Baltique, en octobre, une nuit, c’est un silence lourd cassé par le ronronnement des machines et le reflux des méduses qui capturent en leur ombrelle toute la lumière des étoiles dont elles se repaissent avides, exclusives, affamées, en ces heures creuses du monde. Elles ne partagent pas. Elles conservent jalousement le trésor précieux et dans une lenteur agressive et gracieuse, elles attendent la mort pour renaître. Les méduses se reproduisent lors de leur mort. Coefficients, force des vents et l’écume blanche qui dégouline alors de nos corps mouillés, souillés, à bout, c’est dans la vase maintenant que nos lèvres se débattent et nos langues abandonnées au vide et l’absence de sens fouillent et triturent la nourriture des méduses en espérant y retrouver leur jeunesse et les balbutiements des premiers instants, des premiers jours – les premiers mots, inlassablement.

parution originale sur le site de Candice Nguyen


Romane Della Gaspera – l’arbre


gravure – Claude Lorrain

L’arbre
Il reste tant à faire encore pour devenir humain
Trouver en soi le tronc, la racine et la branche
Jusqu’à la souche la plus enfouie et la racine la plus épouse du ciel
Comment rendre l’écorce souple, la salive amoureuse
Comment être canal de toutes les sèves du monde
Celles qui montent aux lèvres et celles qu’on vomit
Celles qui brûlent au ventre et toutes celles qui saignent
Tant de vents vont passer trembler dans mes narines
Tant de mes feuilles sanglotent dans leur papier d’automne
Je ne suis que, ployante, un bambou de grand vent
Tout à la fois la brise et la branche brisée
Tout à la fois l’orage et la fleur d’oranger


Hala Mohammad – Le sourire qui n’a pas trouvé son chemin


photo Everett Egripos

Le sourire

Qui n’a pas trouvé son chemin vers mes lèvres

Les jours de bonheur,

Tel un vent silencieux

Telle une pierre tombale

Fend mon visage

Dans mon chagrin 


Le coeur funambule – Ecchymoses


peinture – acrylique sur toile – voir le site de l’auteur

Sur les ecchymoses du jour

Perlent quelques gouttes de ciel

L’onguent du crépuscule

Brode un ourlet pourpre

Aux jupes élimées des vagues


Brindilles de mer

Le souffle du courant

Efface les taches de l’oubli

Sur les visages de l’eau


Toutes les teintes du vent

Accrochées aux ailes des mots

En friselis d’écume

Dansent aux marges des rochers


Le bavardage des algues

En strophes d’ombre et de lumière

Sème les graines des phrases

Au chant muet de nos lèvres


Face aux festins des couleurs

Nous habitons tout à la fois

Le paysage et son reflet

Le brasier montant aux joues de la lune


Dans le silence aiguisé du jusant

Les rouges gorges des braises du couchant

En rayons brûlants pénètrent lentement

Le ventre humide de l’océan

avec l’autorisation d’Olivier ( voir son site )


Sans noms – ( RC ) – d’après Paul Celan


dessin: Zoran Music

Ils veulent effacer nos noms
comme nos corps,
anonymes et juste identifiables
grâce à un matricule,
              en apposant des scellés
dans le non-dit,
sur les lèvres éteintes
de l’histoire,             la rendant muette,
aussi innommable que nous .

Or ce n’est pas notre fin,
qui s’écrit,       taciturne
         mais le commencement
         d’une écriture,
même si nos noms
ne nous sont rendus,
qu’avec des caractères
inscrits par milliers
dans des plaques de mémoire.

RC –  mars  2020

Claude Lanzmann à propos du "Mur des noms" : "La nomination est la  sépulture même"

d’après le texte de Paul Celan, évoquant la Shoah ( dans Zeigehöft, )
Das Nichts, um unsrer
Namen willen
—-sie sammeln uns ein—-,
siegelt,

das Ende glaubt uns
den Anfang,

vor den uns
umschweigenden
Meistern,
im Ungescheidnen, bezeugt sich
die klamme
Helle.


dans son allocution de réception du prix de la ville de Brême, en 1958, Paul Celan déclare :

Accessible, proche et non perdue, au milieu de tant de pertes, il ne restait qu’une chose : la langue. Elle, la langue, restait non perdue. Oui, malgré tout. Mais il lui fallut alors traverser ses propres absences de réponse, traverser l’horreur des voix qui se sont tues, traverser les mille ténèbres du discours porteur de mort. Elle traversa et ne trouva pas de mots pour ce qui était arrivé. Mais elle traversa cet événement et put remonter au jour “enrichie” de tout cela. C’est dans cette langue que, au cours de ces années-là et de celles qui suivirent, j’ai essayé d’écrire des poèmes afin de parler, de m’orienter, afin de savoir où j’étais et où cela m’entraînait, afin de me donner un projet de réalité


Gérard Titus-Carmel – cet arrière-goût de nuit


cet arrière-goût de nuit
a tant dévasté ma langue
qu’il ne m’est plus alliance avec le monde
que dans les seuls mots
ciel et lilas

des mots
dont je me frotte les lèvres
chaque fois que j’observe
les craquelures du mur
où parfois les lézards s’affolent
vers midi


Marine Giangregorio – Signe


photo: Francesca Woodman

Un signe, elle attendait
Un signe, une pluie
Un regard, une odeur
Le sursaut!

Elle en vint à prier
La larme
De lui offrir une caresse
Pour que la peau vive
Sente, que ses lèvres
Gouttent une présence

Mais comme le mot
La larme résiste
La peau est froide
Le signe, croyait-elle

Irriguerait
L’inspiration
La faim
Le désir
La colère
Le regret

Ses artères seraient
Semblables à de petits torrents
Où la vie s’emporte, se révolte
Il lui fallait

Que lui aurait-il fallut?
Un peu d’amour de soi
Un peu de dégoût aussi

Non de l’indifférence
« L’absence à soi
C’est le pire des sentiments »
Se dit-elle,
Attendant un signe

Un signe d’elle
Et comme rien n’arrivait
Elle se mit face au grand miroir
Scellé au mur

Regarda longuement
L’image reflétée
Y enfonça le crane
Tête baissée

on peut consulter  d’autres  textes  de M Giangregorio en allant sur son site


James Joyce – musique de chambre – XVII


femme ange.jpg

photo  Francesca  Woodman

XVII

Ma colombe, belle et si chère,
Eveille-toi, éveille-toi
Sur mes lèvres et mes paupières,
Rosée de nuit repose là.

Le vent fleurant tisse en concert
Tous les soupirs comme des voix
Ma colombe, belle et si chère,
Eveille-toi, éveille-toi !

Près du cèdre là je t’attends,
O toi ma sœur et mon amie,
Ô colombe de ton sein blanc,
Ma poitrine sera le lit.

Pâle rosée vient se poser
Comme un voile par-dessus moi.
Ma colombe, belle et aimée,.
Eveille-toi éveille-toi.

My dove, my beautiful one,
Arise, arise !
The night-dew lies
Upon my lips and eyes.

The odorous winds are weaving
A music of sighs :
Arise, arise,
My dove, my beautiful one !

I wait by the cedar tree,
My sister, my love,
White breast of the dove,
My breast shall be your bed.

The pale dew lies
Like a veil on my head.
My fair one, my fair dove,
Arise, arise !

texte paru aux  éditions  « le Bousquet la Barthe « 


Jean-Claude Pinson – Saison des civelles


( extrait de son ouvrage    » J’habite ici )

Tard un soir que nous traversions la Loire à Nantes
nous fascina le spectacle de dizaines de bateaux

qui allaient et venaient entre les ponts semblant fouiller les eaux avec leurs projecteurs
on était en mars et c’était comme si dans ce remuement nocturne le printemps
bientôt à naître avait
eu un cœur et qu’il battait au rythme étouffé
des diesels nous avions laissé la voiture sur la berge pour marcher
et mieux respirer l’odeur de la marée
montante, celle qui pousse les civelles
dans les eaux de l’estuaire
Le long du quai il y avait aussi des pêcheurs à pied ceux-là; ils trempaient des tamis
dans les remous
du mascaret avec des gestes graves d’orpailleurs nous nous étions approchés: au fond des épuisettes ce qu’ils remontaient ressemblait à du verre en
fusion ou plutôt à des spermatozoïdes vibrionnant désormais en vain et nous avions parlé aux enfants
d’une odyssée commencée là où dort dans les grands fonds l’Atlantide engloutie
du moins c’est la légende, avions-nous ajouté en remontant dans la voiture
je songeai à me servir de cet exemple dans un cours sur la nature et la finalité
je poserais la question de savoir s’il y a un sens à dire qu’une intention quelconque a présidé au long voyage des civelles comme si quelque main anonyme et connaissant les cartes marines les avait guidées jour après jour depuis qu’elles sont confiées aux bras infatigables du courant et en quel sens leur transhumance témoigne pour la force d’une mémoire, d’une lumière d’avant les hommes- droit d’aînesse que d’ailleurs il leur faut payer au prix fort
Ainsi je fais moins fi des variations du temps,sèche avec le vent d’est, revis lorsqu’une dépression approche son haleine, humecte l’horizon d’un front bas de nuages
alors le corps est comme une maison où des chambranles gonflent où des parquets respirent  les lèvres colmatent leurs fissures prêtes pour la pluie ou plutôt le crachin qui est comme les postillons d’une grande parole le regard intérieur s’assouplit tandis qu’à l’horizon le bocage lève comme un gâteau on dirait même que les viscères sont prêts (pourtant les miens sont franchement athées)
à écouter la pluie et son crépi jeté évanescent sur les fenêtres comme une aria céleste
mais c’est évidemment trop dire
Au printemps j’ai des chemins creux qui poussent dans la tête, des envies de campagne
rarement je passe à l’acte je me complais plutôt à choyer la mémoire d’un jour à l’île aux Moines où nous avons marché entre deux fanfares d’aubépines (la métaphore tant pis trahit la paix du lieu)

le vert d’une île en face faisait comme un motif mit la très grande assiette de la mer

Pourquoi étions-nous si sereins?
Etait-ce au bout du chemin la certitude que serait une plage où ramasser des coquillages?
Ce matin j’ai senti un avant-goût d’été
il suffisait que soit ouverte une fenêtre de cuisine que s’en échappent des bruits légers de vaisselle qu’on range fugitivement faisant tinter comme des sous du nouvel an
les beaux jours à venir et que sur le rebord fume la tache rose des langoustines
dans un grand plat qu’on avait mises à refroidir


Renée Vivien – un éclair qui laisse les bras vides


 

me l   - 011.jpg

 

Ta forme est un éclair qui laisse les bras vides,
Ton sourire est l’instant que l’on ne peut saisir…
Tu fuis, lorsque l’appel de mes lèvres avides
T’implore, ô mon Désir !

Plus froide que l’Espoir, ta caresse est cruelle
Passe comme un parfum et meurt comme un reflet.
Ah ! l’éternelle faim et soif éternelle
Et l’éternel regret !

Tu frôles sans étreindre, ainsi que la Chimère
Vers qui tendent toujours les vœux inapaisés…
Rien ne vaut ce tourment ni cette extase amère
De tes rares baisers !

____________(Études et préludes, 1901)


Alain Helissen – ( my life on a horse back ) 10027810


 
437.JPG
photo: montage  perso  2014
n’écoutez pas aux portes le bruit des prépa-
ratifs dispersez-vous mouvements des marées
le hasard emportait parfois des victimes
vous cherchez bien entendu à vous tailler
la part du lion à lion lion et demi vous
n’avez pas les crocs de l’emploi qui vous
a appris ténacité mensonge outrecuidance
feintise arrogance calomnie pègre intesti-
nale il vous faut beaucoup monnayer votre
pignon sur rue votre obésité tranquille à
peine écorchée par quelques morts subites
hygiène précaire boum boum/rada boum trou-
bles cardiaques ah tourne-broche handicaps
cornes hargneuses et dans l’obscurité
l’infime mouvement des lèvres les langues
se rapprochaient cinématographie

Jacques Borel – la plaie


Image associée

 

Pourquoi es-tu mort, père,

Après m’avoir craché,

Inutile noyau,

Dans cette longue plaie

Qui ne se ferme plus ?

J’ai grandi, arbre d’os,

Dans une combe humide,

Arrachant une à une

A leurs lèvres de soif

Mes ingrates racines,

Mais quel hoquet là-bas,

Quel caillot, quel appel,

Quel cri toujours ouvert !

De ce versant d’adieu,

Je l’entends, agonie

Jalouse sous la terre.


James Joyce – Ma colombe


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montage-peinture: Max Ernst

 

My dove, my beautiful one,
Arise, arise !
The night-dew lies
Upon my lips and eyes.

The odorous winds are weaving
A music of sighs :
Arise, arise,
My dove, my beautiful one !

I wait by the cedar tree,
My sister, my love,
White breast of the dove,
My breast shall be your bed.

The pale dew lies
Like a veil on my head.
My fair one, my fair dove,
Arise, arise !

 

XVII

 

 

Ma colombe, belle et si chère,
Eveille-toi, éveille-toi
Sur mes lèvres et mes paupières,
Rosée de nuit repose là.

Le vent fleurant tisse en concert
Tous les soupirs comme des voix
Ma colombe, belle et si chère,
Eveille-toi, éveille-toi !

Près du cèdre là je t’attends,
O toi ma sœur et mon amie,
O colombe de ton sein blanc,
Ma poitrine sera le lit.

 

Pâle rosée vient se poser
Comme un voile par-dessus moi.
Ma colombe, belle et aimée,
Eveille-toi éveille-toi.

 

  • extrait du recueil  « musique de chambre « 

Bernat Manciet – L’écorce du cours d’eau


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La soie
efface
l’écorce
du cours d’eau

petit jour
goutte noire
la branche
bronche

aérienne
mais œuvre
de givre

la neige
prononce
les lèvres


Cécile Sauvage – Le vallon


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dessin perso  RC

 
Le cœur tremblant, la joue en feu, 
J’emporte dans mes cheveux 
Tes lèvres encore tièdes.
Tes baisers restent suspendus 
Sur mon front et mes bras nus 
Comme des papillons humides. 
Je garde aussi ton bras d’amant, 
Autoritaire enlacement, 
Comme une ceinture à ma taille.

Cécile Sauvage.


Justo Jorge Padrôn – Origine de l’étonnement


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sculpture grecque : tête  d’Aphrodite

 

 

ORIGINE DE L’ÉTONNEMENT
Je la désirais belle comme une hache.
Aussi ferme que le silex
pour être orgueil et force que rien n‘ébranle, l’imaginais toujours apparaissant
quand je la pressentais dans la sérénité,
Combien d’années me fallut-il pour m’exercer
à l’habitude étrange d’une étrange attente?
Elle était là soudain étendue dans les feuilles.
Vivante, Inhabitée,
seule comme à l’origine des temps.
J’ai entendu son cœur qui blessait l’air
et tintait dans mes veines au point ou presque de faire éclater
la peau entière de mes rêves.
Et j’ai glissé mes lèvres sur son corps devenu lèvres,
Sans réussir pourtant à la réveiller,
J’ai supplié devant la nuit,
Seul le délire du silence grandissait.
Je suis tombé auprès d’elle, épuisé, vaincu,
dans une somnolence d’ombres j’entendais
un fracas de sabots croiser la plaine froide.
Du coeur des nuages, de la rose des vents,
des mers limpides et corallines,
du fond des bois d’étoiles parfumés,
de l’obscurité indomptée,
resplendissants, libres, splendides,
galopaient vers moi les chevaux,
J’ai, pour les apaiser, éteint leurs crins,
J’ai noué leurs longues queues à ce corps endormi
et dans son sexe d’ombre allumé un brasier,
Le feu de l’inquiétude à nouveau a brûlé,
le désir de vertige des chevaux,
Et chacun, invoquant ses origines,
a pris le chemin de son destin d’eaux,
leur fougue était si grande qu’ils ont,
lentement, en déployant leurs queues,
réveillé ce corps svelte.
Et tel un arbre de lumière,
telle une fontaine en sa nudité
ou comme une femme unique dressée face au soleil
pour la première fois s’est mise debout
ma parole.


Jacques Ancet – dire la beauté


*

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sculpture  H Matisse

 

Mais dire la beauté ,c’est dire un mot
qu’on écoute pour voir ce qui brûle
les yeux ou simplement les caresse
entre la transparence du ciel
et le regard s’étend le mystère
de l’apparence on cherche à franchir
cet infranchissable en remuant
les doigts et les lèvres il en résulte
ni chant ni mot un petit bruit.


Ce que dissimule le désert – ( RC )


photo: pochette de CD « Silencio »   Gidon Kremer

 

Il y a une  étendue plate,
–  Elle  se perd dans l’infini  – .
>        Elle  appelle un désert,
un océan,
ou un simple terrain inhospitalier.

Et rester immobile  tout ce temps,
debout,
on compte les heures en suspens –
ou plutôt on ne les  compte plus ;

c’est une  attente,
le regard  dans le vague.
Le ciel est trop haut,
Il écrase de son poids
tout ce qui s’échappe de l’horizontale.

Mais tu espères sans t’en rendre compte,
au-delà de la solitude,
La rupture des écluses,
que les lèvres  du temps  s’entr’ouvent.

Et la crainte, en même  temps,
Que les yeux  ne sachent pas  voir,
Ce que  dissimule  la surface unie
–   Un guetteur du désert des tartares  –
«  Anne, ma sœur Anne,  ne vois-tu rien venir ? »

Et si le vide  était une illusion,
et que continue dessous,
l’échappée des heures,
…Une  simple  dilution.

La vie est souterraine .
Elle  fait un grand détour,
vers toi
pour contourner le froid.

T’en rends-tu compte ?

RC – juill 2015


Théo Léger – Beauté des temps révolus


Portrait-de la marquise Luisa Casati (1908)

 

Peinture: Giovanni Boldini

Elles traversaient les profondeurs de l’argent des miroirs.
D’une fragrance de chevelure aux parfums érotiques,

d’une jaillissante malice de dentelles couvrant leur chair
où luisaient les globes fragiles soumis aux caresses de l’homme,
de leur murmure d’éventails, de leur secret de bagues
dont les fourmis laborieuses ont mémoire au musée
sous les racines d’un monde vert

qu’est-il resté ? Rien.           Ton seul sourire :
un papillon de cils battant contre une lèvre d’amant
la crispation de doigts malhabiles.

Sur les draps de la nuit était-ce
cris de naissance ou de mort? Cela, les horloges l’ignorent.

Théo Léger      (1960)


Vanité – ( RC )


peinture: Pieter Claez - Vanité

peinture:         Pieter Claesz – Vanité

 

il est dit
que le son
ne franchira pas
tes lèvres.

Si c’est d’un miel
le temps qu’il s’écoule,
une pâte lourde,
où des miettes noires s’agitent.

Fourmis actives,
aussi nombreuses
que les secondes
courant dans une heure.

Alors, – parlons des jours,
voire, des années,
Les pensées en sont les étoiles,
tapissant la voûte céleste

d’un crâne …

 

RC –  juill 2015