Luis Cardoza Y Aragon – Cité natale
CITE NATALE ( Guatemala-la-Vieille )

Le grincement d’un grillon ouvre une porte
sur un ciel de conte de fées.
Tu surgis, les chemins creusent ton lit, navigable Solitude.
Le temps n’existe pas; être… Tout est déjà !
Jours d’un autre monde. Ciel sans rêve : paupières
Nuits comme d’obscurs bâillements, immobiles…
au centre de toutes les heures, indélébiles, infinies, et mûres.
Toi, malhabile, sur un trapèze
accroché à un jour et à une nuit
très hauts, profonds et sans maître,
te balançant largement, lentement,
ruminant tes monologues de fumée.
Car tu n’es que l’écho
de ton ombre sans corps,
écho de lumière, ombre de voix, très loin.
Quand atteindras-tu la surface
de la terre, du ciel ou de la mer,
depuis cette route où tu vas, nocturne,
vers le soleil de limbes innocents
qui t’attend, mais oublié déjà,
debout, endormi comme un phare,
en quelle péninsule d’ombre ?
Distance parallèle au regard :
rafales d’infini, ailes coupées,
coups de vent dans les rues.
Haut zénith parvenant de l’autre côté
en criant : « Oui » dans les paratonnerres.
Nadir, tourbillon de routes nocturnes,
porte voix de tombe hurlant : « Non ».
Toi, au milieu, comme une marguerite
de « jamais plus », perdue en tes oracles.
Tu clignotes parfois : jours, nuits…
Tu t’oublies… Soudain, cinq,
vingt jours ensemble, comme un éboulement ;
trois, quatre nuits télescopées
avec une étrange violence obscure.
Un songe de méduses et de cristaux
de part en part traversent les miroirs :
on sait de quoi sont faits
les chants des oiseaux,
ceux de l’eau, occultes et diaphanes.
On entend grandir les ongles de tes morts,
jaillir tes sources qui portent
en dansant un temps d’or sans arête
et sans valeur ;
tes jours évanouis sur des coussins
de douceur et d’ennui,
et mes cris qui brésillaient
avec une lente et croissante résonance
d’arcades et de coupoles.
Ne bouge pas, le vent pleurerait.
Ne respire pas, ton équilibre
d’arentelle se briserait
Ainsi, telle qu’en mon souvenir,
qui te reconnaîtrait ?
Ange des orties et des lys,
ne bouge pas, car je t’aime ainsi :
lunaire, mentale, intacte,
égale à toi-même en ma mémoire,
plus que toi-même.
Demeure dure, exacte et taciturne,
avec mon enfance de platine et de brouillard,
sur ta clairière de terre éboulée…
LUIS CARDOZA Y ARAGON. (Fragments) Version de F. Verhesen.
L C Y A: né au Guatemala en 1902.
El Sonâmbulo – Pequena Sinfoma del Nuevo Mundo – Poesia (1948).