Paul Gravillon – un feu d’artifice suspendu
Un feu d’artifice suspendu
s’enfonce dans le passé de la nuit
et l’illumine
Il jette des pièces d’argent
qui ont toutes les couleurs de la nacre
tous les mariages de la nuit et du jour
auxquels font contrepoint les basses
des mains entr’ouvertes
aux gris diaphanes
et des doigts demi joints
aux velours mauve
les bois s’estompent
à la lisière du soir
et tu t’avances
derrière ton masque de dentelles
froissées
ton œil pervenche
ta joue ambrée
ta moiteur crépusculaire
deux gouttes blanches
jaillissent de ton bouquet de plumes
des chauves-souris aux cris orange
fixées dans le vol
par le cerf-volant mordoré de leur beauté
déchirent un duvet rosé
leur élan vert
zigzague derrière elles
comme les veines du ciel
et de ton ventre
un doux tourbillon de papillons
saumon et pourpre
palpite
dans la transparence marine
où je m’enfonce
–
P G
Agnes Schnell – Rêves chagrinés
gravure: Raoul Ubac: lisières du devenir
On pensait jouir de l’infime
ombre d’un oiseau
chaîne rongée des barques
chuchotis des herbes
sous la caresse du fleuve…
En nos ravins et gravats
en nos lisières floues
la voix jaillissait
et berçante nous dominait.
Il y a de toi à moi
des pierres que l’on traîne
et le sable toujours irritant.
Il y a la lumière
le tumulte de l’ignition
et la faim houleuse.
Nous sommes soudain
déplacés destitués
tels des insectes évidés
un jour de pierre humide
et d’enfance éteinte.
Françoise Ascal – Arpenter le pays

Il faut choisir où mène ce petit jeu irrépressible. Main appartenant à celle qui aurait aimé marcher en direction des étangs, qui était venue dans ce pays pour “ça”, et qui croyant avoir choisi n’ a fait que se soumettre. Non seulement main-aveugle, mais pire: Vouloir-aveugle. Vouloir envahissant logé sous la langue peut-être, ou dans la gorge, ou bien encore lové comme un serpent à l’endroit précis du plexus, anneaux repliés sous la chaleur de juillet, si bien que le corps tout entier de celle qui écrit n’est qu’un repaire de forces étrangères à elle-même. L’arpentée, c’est elle. Non les étangs du désir, non la page noircie en vain, toujours en vain. L’arpentée est sans repos, sans possession. Seule la table de trois planches mal équarries semble lui appartenir.
–Paul Celan : Cologne (adaptation de) – Ahmed Bengriche
A visiter ce site foisonnant de textes, d’auteurs très intéressants dont Ahmed Bengriche se fait l’écho, ainsi que des adaptations personnelles, dont voici l’une d’entre elle prise « au hasard », mais j’y ai tout de suite perçu une sensibilité de haute volée…

intérieur cathédrale de Cologne
Cologne
Temps du cœur, ils sont debout
les rêvés
pour les chiffres de minuit.
un peu parla dans le silence immobile, un peu se tut
un peu alla son chemin.
Banni et perdu
étaient chez eux.
Vous cathédrales.
Vous cathédrales, pas vu
vous fleuves, pas entendu
vos horloges si profondes en nous.
Lit de neige
Yeux, aveugles au monde, dans la faille du mourir : je viens,
pousse rude au cœur.
je viens.
Mur de l’abrupt, miroir de la lune. En bas.
(Lueur tachée de souffle. Sang strié.
Âme nuageuse qui encore une fois est proche d’une figure.
Ombre des dix doigts-enserrés)
Yeux, aveugles au monde
yeux dans la faille du mourir,
Yeux, yeux ;
Le lit de neige sous nous deux, le lit de neige.
Cristal sur cristal,
au temps profond emprisonné, nous tombons,
nous tombons et gisons et tombons,
et tombons :
Nous fûmes, nous sommes.
Nous sommes une chair avec la nuit,
à la lisière, à la lisière.
–
–
Bernard Noël – la face du silence
la face du silence
—
au ciel de tête
mon ombre mûre a fait mûrir l’oubli
qui fut moi
cet autre attaché à la roue
ou ce sourire pour mémoire
flottant
laissé
quelqu’un rêve d’une journée durable
vague culminante qui ne retomberait
mais le sang s’arrête à la lisière
et l’idée recule
amer repli
qui préfère la cendre
au diamant immobile
et le seuil aperçu se vitrifie sous l’ongle
tandis que la nuit close se transforme en cri blanc
Bernard Noël, la face du silence [1963-1964], dans Poèmes 1,
photogramme – Eugène Studitsky – voir ses photos sur flickR
—
et je complète par une autre parution de Bernard Noël, qu’on l’on peut voir dans la « petite librairie des champs »…
un extrait de La fable et le vent de Bernard Noël
pluie d’espace poudre ou poussière