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René Maria Rilke – Le livre d’heures 1899-1903 (extrait)


Adalbert STIFTER – Vue sur les maisons de la banlieue viennoise (Beatrixgasse)

.

– Tu vas et viens. Les portes se referment
avec plus de douceur, et sans un souffle presque.
Tu es de tous le plus silencieux,
qui vont par les maisons silencieuses.
On peut si bien s’habituer à toi
qu’on ne relève plus les yeux du livre
quand ses images s’embellissent,
bleuissant sous ton ombre;
car les objets te font écho sans trêve,
mais tantôt en sourdine et tantôt à voix haute.

Souvent quand je te vois en songe
se multiplie ta stature totale;
tu vas comme un troupeau de clairs chevreuils
et je suis la ténèbre et la forêt.
Tu es comme une roue et je me tiens près d’elle:
de tes nombreux essieux obscurs
sans cesse il en est un qui redevient plus lourd
et se tourne un peu plus vers moi,
et mes travaux consentants croissent
de retour en retour.

Le vent du retour

( traduction Claude Vigée)

Arfuyen


Rainer Maria Rilke – Le livre d’heures –


.

_ Tu vas et viens. Les portes se referment

avec plus de douceur, et sans un souffle presque.

Tu es de tous le plus silencieux,

qui vont par les maisons silencieuses.

.

On peut si bien s’habituer à toi

qu’on ne relève plus les yeux du livre

quand ses images s’embellissent,

bleuissant sous ton ombre ;

car les objets te font écho sans trêve,

mais tantôt en sourdine et tantôt à voix haute.

.

Souvent quand je te vois en songe

se multiplie ta stature totale ;

tu vas comme un troupeau de clairs chevreuils

et je suis la ténèbre et la forêt.

.

Tu es comme une roue et je me tiens près d’elle :

de tes nombreux essieux obscurs

sans cesse il en est un qui redevient plus lourd

et se tourne un peu plus vers moi,

et mes travaux consentants croissent

de retour en retour.

.

.

Le vent du retour

traduit par Claude Vigée

Arfuyen


Imagiers de pierre – ( RC )


frise romane Lucques (Italie)

Les imagiers de pierre
nous content les oiseaux :
colombes et corbeaux
des légendes historiées .

Nous ne connaissons plus les temps d’avant
aux côté d’êtres imaginaires,
des monstres aux dents acérées,
assoiffés de sang,
qui peupleraient l’enfer.

On rêverait plutôt aux princesses
et aux reines,
qu’au destin des ânesses.

Confie-toi plutôt aux sirènes
à queue divisée
que voisinent les héros
montés sur les chevaux
dans une autre scène.

C’est un livre ouvert
qui nous étonne,
en haut de chaque colonne,

et presque un millénaire,
traverse les âges :
immobile voyage
du bestiaire de pierre.


Pierre Bergounioux – Liber


dessin d’élève de 5è : Marie Loizeau

Des acceptions primitives du mot liber, un seule a survécu : le livre.

Mais elle combine toutes les autres. C’est à la chose de papier de dispenser l’ivresse, la sève, la liberté que la réalité contemporaine a exilées.

Il y a un goût amer au temps que nous vivons. Mais il contient, comme chacun des moments dont notre histoire est faite, une requête intemporelle.

Il exige que nous tâchions à réaliser, quoiqu’il advienne, la forme entière de notre condition.

Quand les choses qui exaltèrent Rimbaud, l’oiseleur, l’enfant-fée, ont déserté le paysage, c’est au livre qu’il appartient de prodiguer aux enfants leur dû imprescriptible d’images, d’errances, de rêves et de beauté.


Un livre difficile absorbe son temps de lumière – ( RC )


C’est un livre difficile
qui absorbe son temps de lumière
avant que le savoir se diffuse
en pensées lentes
qui grandissent en toi :
heures de vie studieuses
où juste t’accompagne
dans la cellule vide
la flamme d’une chandelle .

Sa lueur vacille
au moindre courant d’air,
et si tu lèves les yeux du livre
pour la regarder,
seules, les ombres
accompagnent ta veillée,
hors du savoir
contenu dans ces pages .

Fais vite avant que la lumière chancelle
et finisse par s’éteindre,
transmets ce que tu apprends
à ceux qui viendront t’écouter.
Tu seras l’éclairage
précédant leur chemin solitaire,
un peu de liberté acquise
qui agrandit
leur vision du monde.

1632 Rideau de douche avec le tableau Le Philosophe en méditation de Rembrandt van Rijn
voir le « philosophe » , de Rembrandt

d’après « la solitude du rêveur de chandelle » ( Bachelard )


Michel Pierre – un seul mot



du site theconversation.com

À l’intérieur d’un seul mot vous ne respirez plus. La phrase vous laisse l’oxygène indispensable pour en revenir à l’idée, elle-même ombre du paradoxe qui retenait vos poings liés à la page blanche. Sinon des animaux sauvages s’emparent de votre délire. Vous parcourez toutes les savanes, remontez les déluges, appliquez à votre mémoire le vide circonstancié qui aspire faits et gestes anciens, lesquels couturent votre calotte ou, si vous préférez, votre bonnet d’enfance. Suffirait de bégayer dans l’oreille d’un imbécile qui vous prend illico pour un fieffé poète. Alors, ce qui doit être dit, laissez-le raconter par le plus prestigieux d’entre nous, celui dont la panse est couverte de médailles surannées, triste devant la connaissance qui rend obèse, aspire l’inspiration, asphyxie les phénomènes grammaticaux, l’ensemble prêt à rendre les ours comestibles. Bref, souriez sans réfléchir. Toute bulle vous conduit au firmament de l’impossible. Vos voisins sont des bâtisseurs et déjà vous n’apercevez plus la mer qui gronde, ignorez la torpeur des marais, n’entretenez plus le geste qui sauve et que, pourtant, vous avez déniché dans le bréviaire sacré de votre solitude. Et ce livre, écrit à l’intérieur d’un seul mot, ne sera jamais ouvert à la page de la moindre illumination.

Michel Pierre, L’enfer vaut l’endroit = ( publication des éditions des vanneaux )


Embarqué…pour un voyage au Montana – ( RC )


Montage perso

J’ai mangé les pissenlits
qui parsemaient la pelouse.
Elle s’est vengée,
ne s’est jamais habituée,
à mes pas de deux ,
entre les pages d’un Richard Brautigan.

Il avait sorti d’une boîte
de petits cigares,
et me regardait
sur la couverture de ses livres
avec un chapeau mou,
et de petits yeux
derrière ses lunettes.

Je me suis laissé embarqué
pour un voyage au Montana
dans un train improbable
filant vers Tokyo,
oubliant la couverture cornée
et même la pelouse

aux pissenlits.


Guy Goffette – dans ce petit creux d’ombre et d’oubli


Et tu finis par ranger le livre, là-haut,
à sa place exacte, ce petit creux d’ombre et d’oubli
comme le coin de terre qui te revient.
Tu reviens toi aussi

à ta place, devant la fenêtre, la table,
ce carré de neige que nul encore n’a forcé
et qui va dans tous les sens comme ta vie
parmi les mots, les morts.

Tu sais bien qu’aucun signe ne guérit de l’absence,
pas plus que le merle en tombant ne renverse
l’axe de la terre, mais tu persiste, ô scribe,
à soudoyer les anges :

un peu d’or dans la boue, dites, que la nuit reste ouverte.

extrait de « La Vie Promise, »  1991


Murièle Modely – début


tracés  sur  trottoir  Vllb 02.jpg

photo perso: Villeurbanne  nov 2019

 

je n’ai pas pu relire le livre
problème de vue ou de langue
l’enfance est illisible
les pages indéchiffrables à force d’être mangées
par des mains trop fébriles
je n’ai pas pu le livre, relire, relier
– adieu le cuir, la fibre, le cœur des souvenirs
le temps passe, tout devient noir
comme ma peau
complexe et incompréhensible


Personnages – ( RC )


Anna Malina    anim perso  livre  PERSONNAGE.gif

animation: Anna Malina

Ici, le récit prend une autre tournure:
il y a des êtres qui prennent consistance,
quand les pages se tournent .
L’auteur sait faire s’agiter
les lignes imprimées,
et, au fil des chapitres,
les personnages apparaissent.

Ils commencent à vivre, répondent aux situations.
Leur caractère se dessine,
se précise,
et on ne serait pas surpris de les reconnaître,
si un film s’emparait du scénario.
Ils seraient animés  » pour de vrai »,
mais nous seraient déjà familiers .

Nous les avons déjà rencontrés.
            Ils dessinent leur contour flou
            à l’intérieur même du livre
et peut-être ne demandent-ils
qu’à en sortir.
                                         Le font-ils ?
                  et à l’insu de l’auteur ?

Il est difficile de le savoir,
car, s’ils le font,
c’est quand nous dormons,
et ils s’emparent de nos rêves
pour les transformer à leur guise.
                         C’est pour cela qu’à notre réveil
l’oubli passant au-dessus,  nous ne remarquons rien.

Je me rappelle toutefois,
qu’un jour des personnages
que l’on croyait fictifs,
soumis au rang modeste
de créatures de papier
ont réellement demandé à être reçus
par l’auteur les ayant négligés.

C’étaient des gens bien ordinaires,
certes au profil un peu plat
( pouvant rentrer sans dommage dans les livres),
mais qui étaient parvenus à grignoter ceux-ci
de l’intérieur…
survivant , en se nourrissant du récit même
                  qui n’avait pas trouvé de conclusion.

Bien entendu, c’est une affaire qui a fait grand bruit,
et un dramaturge assez connu
a exploité ce fait divers
pour prétendre leur trouver un autre auteur,
et, par là même les intégrer dans sa pièce
( une pièce qui était toujours en construction…
–    ou plutôt qu’il n’arrivait pas à terminer )…

On peut imaginer le décor classique d’une pièce
de théâtre de boulevard:             un buffet,
      un canapé,           une bibliothèque
une table            où l’on a disposé des assiettes,
                                              et surtout des portes
où les comédiens peuvent passer selon les scènes
de côté cour à jardin ( et inversement ).

Ce qu’on sait moins,
c’est qu’une fois nos personnages
« concrétisés » pour jouer leur propre rôle
dans la pièce –    qui n’était pas encore faite  –
n’ont pas tardé à se trouver
dans la même situation
que celle du livre           dont ils étaient sortis.

                     A la première:
beaucoup de monde voulut assister ,
cette représentation des « six personnages en quête d’auteur »
                ( on allait enfin savoir le fin mot de l’histoire ! ).
Au lever de rideau on ne s’attendait tout de même pas
à ce que le décor soit entièrement grignoté
par les personnages.

Eux-même avaient disparu
                          dans un grand trou
qu’ils sont arrivés à creuser dans le plateau.
                   On ne les a jamais retrouvés.
Peut-être hantent-ils les rues,
les gares ou les ministères
ou sont-ils aller habiter jusque dans nos esprits ?

RC – nov 2019


Jeanne Benameur – j’attends


( extrait de son recueil: « l’exil n’a pas  d’ombre » )

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Ils ont déchiré mon unique livre.
Je marche.

Ont-ils brûlé ma maison?
Qui se souviendra de moi?
Je tape dans mes mains.

Fort. Plus fort.

Je tape dans mes mains et je crie.
Je tape mon talon, fort, sur la terre.
Personne ne pourra m’enlever mon pas.

Et je tape. Et je tape.
La terre ne répond pas.

Ni le soleil ni les étoiles ne m’ont répondu.
Trois jours et trois nuits je suis restée.

J’ai attendu.

Il fallait bien me dire pourquoi.
Pourquoi.

Il n’y a pas eu de réponse dans le ciel.

Il n’y a pas de réponse dans la terre.
Alors je tape le pied, fort, de toute la force qui a fait couler mes larmes.

J’attends.
Dans le soleil.
Dans le vent.

J’attends.

Que vienne ce qui de rien retourne à rien et que je com­prenne.
J’ai quitté l’ombre des maisons.
Je vais. Loin.

Loin.              Pas de mot dans ma bouche.


Sonia Branglido – Une étrange lumière jaune 


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Une étrange lumière jaune 
Surgie de la page froissée 
D’un très vieux livre 
Dessine sur le mur aux oiseaux 
L’ombre d’un chant mystérieux 
Rêve éveillé sous un bel arbre 
L’écorce d’un jeu de mots dits 
Le silence se fait mélodie 
Pour donner des couleurs aux voyelles 
Écrire la musique des larmes de l’automne 
Entre mémoire et des espoirs 
La poésie au cœur des arts 


la musique a été transportée ailleurs – ( RC )


peinture: Paul Delvaux

J’entends le silence,
comme un souffle en négatif,
.. et c’est la nuit.
Evidemment la musique est toujours là.
Mais elle a été prélevée, et se trouve ailleurs

en-dehors de la ville,
dans une petite pièce
où deux femmes en miroir lisent un petit livre,
accompagnées dans leur pensée
par la mélodie du chalumeau.

( vous savez, cette toute petit flûte
qui a accompagné
la traversée de l’eau
dans l’histoire du musicien d’Hamelin
entraînant avec lui rongeurs, et enfants ) .

Ici c’est un homme
en grand manteau rouge
comme sorti
d’une peinture allemande.
Une étrange lueur nimbe les lectrices .

Une fausse perspective,
au sol en damiers rigides
curieusement ouverte
permet pourtant aux roses
de s’épanouir,        malgré l’obscur .

RC – oct 2017

 

( d’après une peinture de Paul Delvaux )


Est-ce un homme qui pleure ? – ( RC )


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en « réponse »  au texte  précédent, de Susanne  Derève

 

Est-ce un témoignage d’amour,
cette plume qui est
le marque page
de notre livre ?

Est-ce que nos vies
sont liées
par ce serment écrit ,
avec cette plume, justement ?

Mais les pages se sont tournées,
avec les années :
il n’y a plus
que les miettes du passé .

Si la tendresse se conjugue maintenant
à l’imparfait,
faut-il regretter d’avoir dit,
 » je t’aimais ? « 

J’ai connu d’autres chapitres    ;
l’oiseau de l’amour
est revenu reprendre sa plume, et s’est envolé 
mais je n’ai pas de regrets .

RC

 


Leon Felipe – Don Quichotte et le rêve prométhéen (extrait )


 

 

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Le Poète Prométhéen apparaît toujours dans l’Histoire comme un personnage imaginaire… mais l’imaginaire prométhéen gagne du réel… et la réalité domestique… se perd dans les ombres de l’Histoire.
Les rêves des hommes fabriquent l’Histoire… Les rêves sont la semence de la réalité de demain et ils fleurissent quand le sang les arrose et les féconde…
L’Histoire… est sang et rêves.
Et il arrive que le rêve se fait chair et la chair rêve.
Le Poète prométhéen s’échappe des ombres de la Mythologie… de l’imagination infantile des hommes, des livres sacrés… et de la maison même de Dieu… Et le Verbe… se fait chair…
Chair et symbole…


Xavier Grall – Solo


 

 

 

Chapelle  Méné  Bré   520.jpg

 

photo perso  . Le Méné-Bré   2011

 

Seigneur me voici c’est moi
Je viens de petite Bretagne
Mon havresac est lourd de rimes
De chagrins et de larmes
J’ai marché
Jusqu’à votre grand pays
Ce fut ma foi un long voyage
Trouvère
J’ai marché par les villes
Et les bourgades
François Villon
Dormait dans une auberge
A Montfaucon
Dans les Ardennes des corbeaux
Et des hêtres
Rimbaud interpellait les écluses
Les canaux et les fleuves
Verlaine pleurait comme une veuve
Dans un bistrot de Lorraine
Seigneur me voici c’est moi
De Bretagne suis
Ma maison est à Botzulan
Mes enfants mon épouse y résident
Mon chien mes deux cyprès
Y ont demeurance
M’accorderez-vous leur recouvrance ?
Seigneur mettez vos doigts
Dans mes poumons pourris
J’ai froid je suis exténué
O mon corps blanc tout ex-voté
J’ai marché
Les grands chemins chantaient dans les chapelles
Les saints dansaient dans les prairies
Parmi les chênes erraient les calvaires
O les pardons populaires
O ma patrie J’ai marché
J’ai marché sur des terres bleues
Et pèlerines
J’ai croisé les albatros
Et les grives
Mais je ne saurais dire
Jusques aux cieux
L’exaltation des oiseaux
Tant mes mots dérivent
Et tant je suis malheureux
Seigneur me voici c’est moi
Je viens à vous malade et nu
J’ai fermé tout livre
Et tout poème
Afin que ne surgisse
De mon esprit …./

 

( début du long poème  « Solo »…  ed Calligrammes )


Décalqués dans le relief des choses – ( RC )


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photo : Pentthi Sammallahti

 

 

Je suis rentré par hasard dans un enclos,
je m’en suis approché, comme si j’avais tourné
une page d’un livre,         et que la photographie du lieu
me chuchote la chanson de son infini.

Je ne regarde pas ce monde ;
                                             c’est lui qui me regarde,
car l’immobilité ne semble qu’un faux semblant.

Les chiens et oiseaux solitaires,         je les reconnais,
mais il semblent des survivants dans un monde pétrifié,
la lumière sourdant de l’intérieur, même…

Il y a aussi des hommes, se découpant sur celui-ci,
mais                   qui ne semblent pas à leur place ,
survivants aussi d’un lieu, décalqués dans le relief des choses,
                       happés par l’étrangeté des instants,

où la lune se cristallise,
les arbres dépouillés peints par Bruegel
semblant y trouver leur place.

C’est qu’une fois après avoir longé cet enclos,
y être entré comme par effraction ,
il est difficile d’échapper  aux noirs profonds, et bruns tourbeux,
et à la neige qui semble attendre.

Cela demeure, à la façon d’une image      qui s’inscrit en creux,
comme la persistance rétinienne . :
on ne peut se contenter de tourner la page pour revenir au point de départ ;

rien ne coule,              le méandre du fleuve fait vœu de silence ,
et on dirait que l’origine du monde est tout à côté.
           Ce qu’on prend pour une esquisse
          a quelque chose de définitif.


RC – juin 2017


Yôko Ogawa – La formule préférée du professeur


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peinture: Bronzino

Tout le monde ne lit pas le même livre.

Les mots ont beau être les mêmes,

ils ne nous parlent pas à tous

de façon identique.


le livre est trop pesant – ( RC )



Si le livre est trop pesant,
et la lumière faible,
alors, je ferme les yeux
sur le défilé des pages.

Ce qui se passe dedans ?
j’ignore encore
ce que réservent
les détours de l’histoire.

Elle se déroule sans moi.
Ce sont des récits secrets
auxquels d’autres
pourront accéder.

En attendant me voila reparti
derrière le rempart du sommeil,
avec l’âme qui s’invente
tout un parcours.

C’est comme un insecte
prisonnier dans une boîte
dont les elytres
heurtent les bords.

Il en cherche la sortie,
et le rêve, de même
voudrait repousser les remparts,
en écarter les limites

pour vivre sa vie aventureuse,
détachée du corps,
et des cieux intérieurs
pour s’élancer au-dehors

hors de la conscience,
avec beaucoup de choses
encore inconnues ici :
de la musique, des odeurs

et une couleur de l’arc-en-ciel
qu’il faudrait inventer,
car on ne peut pas la saisir :
elle s’échappe comme le temps

elle est toujours en fuite,
traversant le noir
avec ses propres images
que l’on retrouve en désordre

quand par quelque hasard
on en trouve des traces,
éparpillées au petit bonheur
lorsque le réveil sonne.

Le livre est fermé,
tout à côté,
et on pourrait penser
que des idées ont filtré

dans l’espace nocturne,
comme un joute silencieuse,
une sarabande où les astres
se combattent

et rusent avec l’esprit :
la logique est abolie,
tout est alors possible,
et juste quelques bribes

se retrouvent au matin.
Il faut faire attention
car ces traces fragiles
disparaissent rapidement

– ainsi des bulles éphémères,
lorsque la lumière
commence à filtrer
à travers les volets .

RC – oct 2016


Gemma Gorga – le livre des procès-verbaux ( 13 )


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                       dessin – Wilfredo Lam

On pesait le corps quelques instants avant la mort. On pesait le même corps quelques minutes après la mort. Une simple opération de soustraction devait indiquer le poids de l’âme. J’y pense maintenant alors que j’ai le nouveau livre entre mes mains, les mots encore poisseux comme les plumes d’un oiseau
qui vient de naître. Et je me demande si une fois qu’il sera lu il pèsera moins. Comme un corps quand il perd son âme.

 

Pesaven el cos uns minuts abans de morir. Pesaven el mateix cos
uns minuts després de morir. Una simple sostracció matemàtica els
havia d’indicar el pes de l’ànima. Hi penso, ara, mentre sostinc el
llibre nou entre les mans, les paraules encara untoses com les plomes
d’un ocell nascut de poc. I em pregunto si, un cop llegit, també
pesarà menys. Com un cos quan perd l’ànima.
© Gemma Gorga                        ( traduit du catalan par Jep Gouzy)


Embrasser le monde, même à courte échelle – ( RC )


peinture Antoni Tapies_- 1951 Asia _Sao Paulo Museum of Modern Art, Brazil

peinture Antoni Tapies_- 1951 Asia            Sao Paulo Museum of Modern Art,           Brazil

 

 

Avec quelques idées, des pas hésitants sur la berge,

Il se hasarde sur le seuil de l’existence,

 

Et quelquefois trempe son corps         en entier,

Ou juste un doigt,   histoire de « tester ».

 

C’est sûr,                sa vue ne porte pas loin, pas plus

que la lueur d’une lampe de poche, pointée sans grande portée.

 

Nous dirons que c’est la nuit, ou un soir bien avancé.

Ce n’est pas un phare, qui fend l’obscurité.

 

Mais plutôt une luciole .

Une pensée qui jouit de sa propre lumière .

 

L’étreinte de l’extérieur,             est un espace .

qui semble se refermer sur lui à mesure qu’il avance .

 

L’arbre était immobile ,  sentinelle de plein vent .

Une présence,   qu’il aurait pu ne pas voir ,

 

s’il était passé une dizaine de mètres sur le côté .

En fait,        la marche porte son propre aveuglement .

 

Il est difficile d’embrasser le monde, même à courte échelle,

Sans se faire porter par la lumière d’un astre .

 

Celle d’un livre, par exemple .

Sans être universel,           le regard en sera plus étendu .

 

 

RC – nov 2014


Raymond Carver- Boire au volant


jeu simulateur de conduite

 

 

Nous sommes  en août et je n’ ai pas
Lu un livre en six mois
sauf celui qui s’ appelle:  la retraite de Moscou
par Caulaincourt
Néanmoins, je suis heureux
de monter  avec mon frère en voiture
et de boire une pinte de Old Crow.

Nous n’avons plus de place pour l’esprit  ,
nous sommes en train de conduire .

Si je fermais les yeux pendant une minute
Je serais perdu, encore
Je pourrais volontiers me coucher et dormir pour toujours
à côté de cette route
Mon frère me pousse du coude.

D’une minute à l’autre, quelque chose va arriver.

tentative  de traduction  ( RC ) de l’original, ci-dessous
It's August and I have not 
Read a book in six months 
except something called The Retreat from Moscow
by Caulaincourt 
Nevertheless, I am happy 
Riding in a car with my brother 
and drinking from a pint of Old Crow.
 
We do not have any place in mind to go, 
we are just driving.
 
If I closed my eyes for a minute 
I would be lost, yet 
I could gladly lie down and sleep forever 
beside this road 
My brother nudges me.
 
Any minute now, something will happen.

Emily Dickinson – Nous avons tout appris de l’Amour


di148bl

Nous avons Tout appris de l’Amour
L’Alphabet – les Mots –
Un Chapitre – tout le Livre grandiose –
Puis – la Révélation s’est refermée –

Mais dans les yeux de l’Autre
Chacun contemplait une Ignorance –
Plus Divine que celle de l’Enfance
Et chacun redevenu Enfant, pour l’autre –

A tenté d’exposer ce que
Ni l’un ni l’autre – ne comprenait –
Quel dommage, que la Sagesse soit si vaste –
Et la Vérité – si variée !

-(poème 531)

extrait du site de ladySil: « passionément , Emilie D. » où ceux qui cherchent de la « matière », pour lire cette poétesse, n’auront  que l’embarras du choix…

photo: Vivan Sassen

photo: Vivian Sassen

-En voici le texte  original

We learned the Whole of Love —

We learned the Whole of Love —
The Alphabet — the Words —
A Chapter — then the mighty Book —
Then — Revelation closed —But in Each Other’s eyes
An Ignorance beheld —
Diviner than the Childhood’s —
And each to each, a Child —Attempted to expound
What neither — understood —
Alas, that Wisdom is so large —
And Truth — so manifold!

Quelle est la mémoire des pierres ? – ( RC )


pierres du musée lapidaire:                         photo ville de Narbonne

 

 

Quelle  est la mémoire des pierres,

Celles qui se cachent  sous la mousse,

Aux traces  noires incendiaires,

Sous le lierre qui repousse ?

 

Des  siècles  traversés

Qui se souvient, des hommes trépassés….?

Peut-être les statues renversées,

Aux bras mutilés et  têtes fracassées …

 

La mémoire des pierres attend,

Derrière de nouveaux murs,

De l’histoire, les mouvements,

Les révoltes  et les  fêlures…

 

Les combats  et les guerres,

Les armées en déroute,

Nous parlent  des hiers,

Jusque dans les  voûtes.

 

Portées en arabesques,

Par des colonnes massives,

Et la peinture écaillée des fresques,

Sous d’autres perspectives,

 

D’autres  époques et manières de vivre,

Recouvrant églises et temples,

Telles les pages  d’un livre,

Ouvertes à celui qui les contemple.

 

La mémoire des pierres s’mprègne du temps,

Et  du labeur des hommes, la trace

Même parfois teintées de sang,

Indifférentes  aux ans qui s’entassent.

 

Elles sont comme des sentinelles,

Tout au sein de leur masse,

Une part d’éternel,

Alors que les hommes passent.

 

Les dressant comme un défi, debout

Contre le soleil et la tempête…

Elles parlent encore de nous,

Offrant au futur,le récit de leur parole muette.

 

 

RC –  juin  2014


La couleur fluide, tout au long des pages du livre – ( RC )


page d'almanach "revival"  editions du Rouergue

page d’almanach « revival » editions du Rouergue

 

 

 

Il y a des lignes qui s’écrivent,
De la couleur fluide,
Qui l’accompagne et la guide,
Tout au long des pages des livres.

Ils s’ouvrent et se déplient,
Et les mots s’espacent ou se pressent,
Comme le temps d’une caresse,
– le temps évanescent d’une folie –

 


RC – avril 2014


Miquel Marti I Pol – Métamorphose


 

observatoryroom.org- secret museum 0[1]

 

 

 

 

 

 

Métamorphose

 

 

Parfois la mort et moi ne faisons qu’un :

nous mangeons la même tranche de pain

et buvons le vin de la même coupe,

en bons amis nous partageons les heures

sans rien dire, lisant le même livre.

Parfois, je suis tout seul à la maison,

et voilà que la mort, ma mort, m’est présente.

Nous discutons alors tranquillement

des événements du monde et des filles

que je ne peux avoir. Tranquillement

nous parlons, la mort et moi, de cela.

Parfois — et seulement à ce moment —

c’est elle, la mort, qui écrit mes poèmes

et me les lit quand je tiens lieu de mort,

je l’écoute en silence, c’est ainsi

qu’elle doit m’écouter lorsque je lis.

Parfois la mort et moi ne faisons qu’un.

Ma mort et moi ne faisons qu’un,

le temps s’effeuille lentement et nous le partageons,

la mort et moi, sans faire de manières,

dignes, si je puis m’exprimer ainsi.

Puis les choses se remettent à leur place

et chacun reprend son chemin.

 


Délire = lire à l’envers ( RC )


Tu as essayé de combler la muraille des mots
>                             en froissant l’écriture du feu,
Il a laissé des traînées noires sur le chapitre des hommes,

Il était question de prophéties,
C’était écrit dans le grand livre,
Tu as essayé d’en arracher les pages,

S’il fallait dévier le cours du temps,
Comme installer un barrage,
Contre une apocalypse annoncée,

Tu as changé le feu en glace, alors
Se mêlant de l’hiver,                                           étendu aux orgues du blizzard,
Et la succession d’arbres revêches,  accrochés de leurs serres aux pentes.

Tu as été sourd à ce que dit la terre,
Commandé aux éléments,    creusé des canaux,    abattu des forêts immenses
Mais si tu as lu à l’envers,                                               ou traduit avec contresens,

Joué l’apprenti-sourcier,          et en guise de semeur
Semé les erreurs,               comme autant d’incendies
>                 Le retour en arrière n’est plus possible.

Le pouvoir enivre                                et file entre les doigts comme du sable,
>       Lire à l’envers, délire
…  Et maintenant,                               que fais-tu, dans ta maison détruite ?

RC –           11 juillet 2013