voir l'art autrement – en relation avec les textes

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le livre est trop pesant – ( RC )



Si le livre est trop pesant,
et la lumière faible,
alors, je ferme les yeux
sur le défilé des pages.

Ce qui se passe dedans ?
j’ignore encore
ce que réservent
les détours de l’histoire.

Elle se déroule sans moi.
Ce sont des récits secrets
auxquels d’autres
pourront accéder.

En attendant me voila reparti
derrière le rempart du sommeil,
avec l’âme qui s’invente
tout un parcours.

C’est comme un insecte
prisonnier dans une boîte
dont les elytres
heurtent les bords.

Il en cherche la sortie,
et le rêve, de même
voudrait repousser les remparts,
en écarter les limites

pour vivre sa vie aventureuse,
détachée du corps,
et des cieux intérieurs
pour s’élancer au-dehors

hors de la conscience,
avec beaucoup de choses
encore inconnues ici :
de la musique, des odeurs

et une couleur de l’arc-en-ciel
qu’il faudrait inventer,
car on ne peut pas la saisir :
elle s’échappe comme le temps

elle est toujours en fuite,
traversant le noir
avec ses propres images
que l’on retrouve en désordre

quand par quelque hasard
on en trouve des traces,
éparpillées au petit bonheur
lorsque le réveil sonne.

Le livre est fermé,
tout à côté,
et on pourrait penser
que des idées ont filtré

dans l’espace nocturne,
comme un joute silencieuse,
une sarabande où les astres
se combattent

et rusent avec l’esprit :
la logique est abolie,
tout est alors possible,
et juste quelques bribes

se retrouvent au matin.
Il faut faire attention
car ces traces fragiles
disparaissent rapidement

– ainsi des bulles éphémères,
lorsque la lumière
commence à filtrer
à travers les volets .

RC – oct 2016


Une construction venue d’autre part – ( RC )


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volume :Geneviève  Seillé  

 

On dirait une construction venue d’autre part.
C’est une forme étrange, où les matériaux s’assemblent,
tissés ensemble par la soie invisible d’un esprit,
repoussant les vents de sable.
On pourrait dire que c’est une tour de Babel,
toujours en cours
à la recherche d’une certaine idée de la perfection.
Je ne connais pas son architecte,
et sans doute n’y en a-t-il pas :
c’est juste une réalité, née de sa propre necessité.

Je lis, de la même façon,
les textes du poète :
tout est caché et visible en même temps:
des mots sont nés, le temps de l’écriture,
et du voyage de la pensée,
relayés par la main qui les a inscrits:
une parole en volutes
sur le papier offrant sa virginité:
Tout est visible et tout demeure secret:
fleuri de sa propre logique et croissance.

Il n’est de toute façon pas nécessaire
de comprendre comment ça tient ;
comment ça peut , par moments,
toucher les étoiles:
il n’est pas sûr
qu’on puisse retrouver la clef,
>      l’auteur lui-même
ne sait pas qui la possède,
construisant de ses propres rêves
une réalité
qui lui prend la main.

RC – fev 2016

 


 

 


W H Auden – Atlantide


 

Obsédé par l’idée
d’atteindre l’Atlantide,
tu as, bien sûr, trouvé
que seule la Nef des Fous
fait le voyage cette année,
parce qu’on prévoit des tempêtes
d’une violence exceptionnelle
et que tu dois donc être prêt
à te montrer assez absurde
pour être accepté dans la bande
en faisant tout au moins semblant
d’aimer l’alcool, la farce et le tapage.

Si, comme il se peut, les tempêtes
devaient t’amener à mouiller une semaine
dans quelque vieux port d’Ionie,
parle avec ses savants retors,
des gens qui ont prouvé l’impossibilité
d’un endroit tel que l’Atlantide ;
apprends leur logique, mais note
que leur subtilité trahit
une simple, énorme tristesse ;
ils t’enseigneront la façon
de douter que tu puisses croire.

Si, plus tard, tu viens à échouer
sur les promontoires de Thrace,
où, torche en main, toute la nuit,
une race barbare et nue
fait des bonds forcenés aux sons
de la conque et du gong discordant,
sur ces rivages durs, sauvages,
arrache tes habits et danse,
car si tu n’es pas capable
d’oublier complètement
l’Atlantide, ton voyage
ne s’achèvera jamais.

De même, si tu arrives
à la joyeuse Carthage
ou à Corinthe, prends part
à leurs amusements sans fin ;
et si, dans un bar, une fille
dit, en caressant tes cheveux :
« Chérie, c’est ici l’Atlantide »,
écoute avec grande attention
l’histoire de sa vie : à moins
de connaître dès à présent
chaque refuge qui s’efforce
de jouer l’Atlantide, à quoi
reconnaître la véritable ?

À supposer que tu échoues enfin
près de l’Atlantide et commences
le terrible voyage à pied
à travers les forêts sinistres et les steppes
glacées où tous seront bientôt perdus,
si, abandonné, tu te trouves
rejeté de tous les côtés,
pierre et neige, air vide et silence,
rappelle-toi les nobles morts
et fais honneur à ton destin,
toi le voyageur tourmenté,
le dialecticien bizarre.

Trébuche, avance et réjouis-toi ;
et si, peut-être parvenu enfin
jusqu’au dernier col, tu t’effondres?
avec l’Atlantide entière qui rayonne
à tes pieds sans que tu puisses
y descendre, sois fier pourtant
d’apercevoir cette Atlantide
dans une vision poétique,
rends grâces et repose en paix,
car tu auras vu ton salut.

Tous les petits dieux domestiques
sont en pleurs, mais fais tes adieux
à présent, et embarque-toi.
Bon voyage, ami, bon voyage,
puissent Hermès, le dieu des routes,
et les quatre nains Cabires
te protéger et te servir
toujours, et puisse l’Éternel
t’offrir pour ce que tu dois faire
sa direction invisible
en répandant, ami, sur toi
la lumière de Son visage.

Wystan Hugh Auden, in Poésies choisies,


Au bord de l’image – ( RC )


peinture  Tammy Zebruck-

 

 

Je suis resté là,          au bord du miroir,

Prêt à y allonger le pas,

Pour,             comme Alice,

Passer à travers,

Si,              sur le  lac,

La pellicule de glace     casse,

Et qu’ainsi je me retrouve,

Happé              par les nuages,

Et    dans la flaque,

–        L’onde replie ce qu’elle boit,

Dans l’autre sens …

 

Car on sait,

Que l’eau se fait un plaisir,

D’inverser le cours de la logique,

Enfin,         celle que l’on croit posséder.

Et je suis resté             là,

En équilibre,

Les pieds devant l’image,

Un monde qui n’existait

Plus         que par son reflet,

Et son illusion,

Doutant même          de son existence,

Juste sous la surface,

Des choses.

 

 

RC – avril 2014

 

 

Et avec bien entendu,        sur ce thème, les célèbres « nymphéas » de C Monet


Derrière les masques riants d’aujourd’hui ( RC )


peinture: Henri Rousseau ( le douanier)

peinture: Henri Rousseau ( le douanier):        la guerre

Lorsque l’effervescence  s’empare des  esprits,
Que la lumière bondit d’arbre en arbre,
Si, encore,  la vie crie à perdre haleine,

Comment oublier, il y a quelques  jours encore,
Les fureurs, et les bruits destructeurs,
Les tronçons d’arbre  et les murs,
Marqués par la guerre et les incendies ?

Chacun peut  chercher  en soi sa voix,
Et aussi essayer de saisir un univers
Qui échappe à sa propre logique,

Mais l’élan qui revient, le retour du printemps,
Canalisé de murs de béton,et de ruisseaux  d’acier,
Porte encore en lui, une noirceur d’à-venir
Derrière les masques riants d’aujourd’hui.

RC – 12 juin 2013

– en relation avec le texte  de  Claudio Pozzani; » Cherche en toi la voix que tu n’entends pas »


Le rêve efface la logique ( RC )


peinture  Giorgio de Chirico

peinture    Giorgio de Chirico

Les trains  n’arrivent pas à l’heure
Au rebrousse-sommeil du dormeur
Ce sont les images  élastiques
Qui proposent leur ombre gratuite

Piquetées  d’étoiles folles,
Emballées, sans  frein, en course-poursuite
Au-dessus  des boules de pins-parasol
Flottant à quelque distance de la terre

Ouvrent leur grande bouche et leurs dents en or
A avaler le ciel et ses grands mystères
Le jour qui dépasse et dort encore
Je regarde mon rêve, et reste coi.

Ainsi, dans ma tête se multiplient les fleurs.
Question.
Pourquoi, la rose est-elle sans pourquoi ?
Allons vite chercher médecins et docteurs

Même au repos, les pensées font des bulles,
N’obéissant pas aux mathématiques,
Ni à aucun calcul
Le rêve  efface la logique.

RC –  27 mars 2013