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Articles tagués “Londres

Francis CARCO – L’ombre –


Claude Monet – Les Chambres du Parlement , soleil couchant

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Cependant tu n’étais qu’une fille des rues,
Qu’une innocente prostituée,
Comme celle qui apparut,
Dans le quartier de Whitechapel,
Un soir, à Thomas de Quincey
Et qu’il chercha, plus tard, sans jamais la trouver,
De porche en porche et d’hôtel en hôtel …

.

Il le raconte dans un livre.

.

C’est là, pour la première fois, que je t’ai rencontrée.
Tu étais lasse et triste, comme les filles de Londres,
Tes cheveux conservaient une odeur de brouillard
Et, lorsqu’ils te voyaient à la porte des bars,
Les dockers ivres t’insultaient
Ou t’escortaient dans la rue sombre.
Je n’ai pas oublié l’effet que tu me fis
Dans ce livre désespéré,
Ni le vent, ni la pluie, ni le pavé qui luit,
Ni les assassins dans la nuit,
Ni les feux des estaminets,
Ni les remous de la Tamise
Entre ses mornes parapets…
Mais c’est après bien des années
Qu’une autre qui te ressemblait
Devait, le long des maisons grises,
Me faire signe et m’accoster.

.

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Francis CARCO

Poètes d’aujourd’hui

SEGHERS Editeur


Louis Calaferte – LONDONIENNES (extraits)



André DERAIN – Londres Westminster

Pendant que j’allumais une autre cigarette

tu as quitté tes bas

assise au bord du lit

et maintenant tu n’oses pas

dans cette chambre où nous n’avons jamais dormi

lever les yeux sur moi

 

C’est soudain comme si le temps meurt ou s’arrête

un long alinéa

je m’approche du lit

et viens te prendre entre mes bras

dans cette douceur triste et qui nous engourdit

j’ai aussi peur que toi

 

Il y a au-dehors des rumeurs vagabondes

nous ne nous en irons que pour un autre monde

 

A Londres c’est l’automne il est presque minuit

 

 

                    *

 

C’est vrai qu’il pleut à Londres

et que les ponts s’ennuient

 

 

Le ciel mourant et hypocondre

aux nuages noués de suie

 

A Londres il pleut à Londres

paillettes de la pluie

 

On voyait la ville se fondre

comme irréelle comme enfuie

 

Un peuple imprécis correspondre

sous les dômes des parapluies

 

Nos ombres allaient se confondre

dans l’ombre grise de la pluie

 

C’est vrai qu’il pleut à Londres

et que je t’ai suivie

 

 

                *

 

Je ne crois pas te l’avoir dit

lundi mardi ou mercredi

ou quelque jour de la semaine

 

Et pour autant qu’il m’en souvienne

tes dents blanches la bouche ouverte

tu mangeais une pomme verte

 

J’ai rencontré dans Fetter Lane

au bras de la sombre Mary

le fantôme de Frankenstein

 

Et pour autant qu’il m’en souvienne

le jade était surnaturel

dans tes longs yeux de caramel

 

Il y avait aussi Boswell

Milton et puis Dickens aussi

et d’autres ombres magiciennes

 

Mais pour autant qu’il m’en souvienne

le blanc le jade et le vert pomme

je ne voyais que toi en somme

 

Qui réellement me surprennes

lundi mardi ou mercredi

et tous les jours de la semaine

 

 

Ragtime

 

Anthologie de la poésie française

Du XXè siècle

 nrf

Poésie Gallimard

 

 

  
André DERAIN – Londres Westminster

Natasha Kanapé Fontaine – Réserve II


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peinture: T C Cannon

 

Ecoutez le monde
s’effondrer
ponts de béton
routes d’asphalte

Aho pour la joie
Aho pour l’amour

Surgit la femme
poings serrés
vers la lumière

Voici que migrent
les peuples sans terres
nous récrirons la guerre
fable unique

Qui peut gagner sur le mensonge
construire un empire de vainqueurs
et le croire sans limites

Ce qui empoisonne
ne méritera pas de vivre
ce qui blesse ne méritera pas le clan
cinq cents ans plus tard
sept générations après

Tous ces châssis pour barrer les routes
tous ces murs érigés entre les nations
tous ces bateaux d’esclaves
ces bourreaux n’auront eu raison de rien

Si j’étais ce pigeon qui vomit
sur les hommes de bronze
fausses idoles carnassiers ivres
se tâtant le pectoral gauche
avec la main droite
lavée par les colombes

Qui d’autre est capable
de provoquer l’amnésie
octroyer la carence
à ceux qu’il gouverne

Qui d’autre sait appeler union
ce qui est discorde
pour s’arracher le premier
pour s’arracher le meilleur
des confins de toutes les colonies
qui d’autre sait appeler croissance
ce qui est régression
construction
ce qui est destruction
les peuplades pillées à bon escient
au nom du roi et de la reine
au nom du peuple qui meurt de faim
à Paris
à Londres
à Rome
à New York
à Dubaï
à Los Angeles
à Dakar
au nom du peuple
qui se bâtit par douzaine
à Fort-de-France
à Port-au-Prince
à La Havane
à Caracas
à Santiago
à Buenos Aires

Aho pour la joie
Aho pour l’amour

Qui d’autre sait nommer le mensonge
pour le voiler

La ville persiste en moi
assise sur l’avenue des Charognards
je guette l’allégresse
la haine qui me pousse à hurler

Je guette le nom des ruelles
de la grande mer
qui laisse passer les pauvres
à l’abri des vautours

La guerre est en moi comme partout.

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Jean Blot – Les cosmopolites


photo perso  quartier chinois  de Dublin - 2007

photo perso quartier chinois de Dublin – 2007

 

 

 

A force de courir  le monde…
la vie devient  étrange et plus docile à l’espace qu’au temps…
C’était Paris, Londres, New York, ou Genève, mais  était-ce avant ou bien après ?
En chaque ville, quand on la  retrouve, la  durée se ressoude, son tissu se refait, comme  si l’absence avait été une  blessure et le retour une guérison.
Qui vit en un lieu suit le temps dans sa marche et épouse son mouvement.
Mais le vagabond reprend à chaque  étape  le jour qu’il avait laissé là, qui s’était endormi et qu’il réveille en revenant. Ou bien, au contraire, un fil relié sans cause des lieux  éloignés et telle  conversation commencée à New York se poursuit à Genève, rebondit à Londres, et se conclut à Paris.
Cet ami rencontré sur la 5è avenue, on le retrouve sur le pont du Mont-Blanc, on le quitte  dans un café  de Montparnasse.
Ou encore on oublie le lieu, le temps: l’amitié  seule demeure.
Il semble parfois qu’il n’est ni passé, ni avenir;  ni lieux  distincts, mais un seul présent aux  facettes  nombreuses qui résistent  au classement et n’obéissent  
qu’aux  lois  secrètes  du sentiment.

Voyages départs  et retours font  que la  vie prend  de l’épaisseur, mais  qu’elle  ne  coule pas comme  elle  devrait.
Quand  on revient, on dirait que le temps se fait réversible:  tout  recommence…

 

Les cosmopolites   ( Gallimard)


Un miroir refuse de répondre ( RC )


 

Les  sorcières  de Macbeth, en effet
Se posent des questions
En ne voyant plus, de la lune, le reflet
A l’intérieur du chaudron.

Ce sont dans les vieilles  casseroles
Qu’on fait les meilleures  soupes
Mais ce n’est plus très drôle
Quelle que soit la taille  de la croupe

De ces dames, qui s’activent,
Incantations  et recettes
En préparation corrosive
Qui nous laisse stupéfaite…

Et le bouillon, qui tangue
Dans son récipient  de cuivre
Mêlé de cheveux et de langues,
De son fumet va poursuivre,

Sa matière épaisse et visqueuse,
Mais confisquer la lumière
Déchirure pouilleuse
Des mondes temporaires

Une planète noire
S’est échappée des reflets
D’habituelles trajectoires
D’un coup de balai

Comme les bassins des Tuileries
Décrits par Proust, comme des yeux
Vides de regard,          où aucun ciel ne rit
Et un absurde jet d’eau, jaillissant d’un creux.

La fresque des frasques du temps
Va soudain se dissoudre
En un combat de géants
Et territoire des foudres.

Le miroir refuse de répondre
Et de renvoyer les  rayons
Comme dans l’épaisse brume de Londres
L’emprisonnant d’un bâillon .

C’est sans doute qu’il n’y a  rien à voir
Qu’une suite gigogne, emboîte
Ne pouvant percer le brouillard
Ni les volumes, recouverts  d’ouate.

RC  – 3 février 2013


Charing Cross, au matin ( RC )


peinture André Derain: Charing Cross Point 1906

 

 

 

 

 

Je  vois      une  large avenue  en arc,    verte
Où balbutient des branches  sans feuilles,
Et de vielles  autos      bleues
Le long d’un quai de Tamise
C’est un Londres ,    au matin
Encore  sous l’émotion de sa brume changeante,
En touches suspendues
D’ors  d’ocres et verts incertains,
Charing Cross, dans un tableau de Derain
Devant les barres bleues d’ombre
Ces bâtiments vides
Je ne distingue plus les voix,
Seulement le murmure, d’une ville
Qui s’éveille et s’étire aux heures,

Et la patience immobile
Des statues  sur leur  socle
Encombrées de mousse,
Au charme  des squares,
Encore à l’ombre,      à cet instant.
Une nappe de vapeur s’étale
Et glisse ,        nonchalante
Des péniches lourdes,
Jusqu’aux berges lasses.
Les verticales des réverbères
Sont, aux quais, des signes bleutés
Qui attendent,
La musique  du jour
Et les cris  des marchands de journaux
En décalquant l’invisible

RC   – 24 octobre  2012