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Bassam Hajjar – Ils recouvrent de blanc ton absence


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Lorsque tu la quittes
ses murs se rapprochent
la maison qui, délaissée,
trouve son âme dans un coin
et devine, depuis un instant seulement,
la toile d’araignée qui pend
dans le familier
devenu vacant.

S’éloigne-t-elle maintenant ?

Ou bien la fais-tu basculer dans le vide

de tes yeux mouillés

dans tes mains

dans le grand air

des lieux éloignés

comme si la fenêtre derrière toi

regardait vers le dedans

et s’éloignait à son tour

tandis que t’absorbent la rue et le tournant
avec une boule dans la gorge
de la taille de l’océan.

Elle ne te voit plus maintenant
la maison qui se blottit dans les entrées désertes de son âme
comme si dans le silence de ceux qui restent, là-bas,
elle baissait la tête et prêtait l’oreille
à l’écho des pas d’hier

à l’écho du rire ou du chuchotement dans les salles de séjour

et les chambres

dans la cuisine

sur les étagères et la table
dans les coeurs étincelants des bouteilles d’eau et de cognac.

Comme si elle devinait
que la petite femme
habitait toujours son coeur
et marchait pieds nus pour ne pas troubler la quiétude
dans son esprit brisé,
comme un murmure
qui s’élèverait en elle, .

et de ses flancs
coulerait l’aigreur de l’attente.

Comme si, quand nous partons, c’était la maison qui nous
quittait,

les tableaux et les étagères descendent des murs
les récipients s’en vont
les meubles aussi
la couleur quitte la maison
tandis que les rideaux restent tirés sur son secret
ainsi que les amantes.

Comme elle est nomade, la lumière
et comme l’ombre est sédentaire

Et les maisons dans la mémoire sont des chambres obscures
des couloirs
la respiration tranquille des draps endormis
réfugiés dans la béatitude de leur bleu
seuls et lisses
seuls et creux comme les veuves
les veuves que sont les maisons
lorsque nous nous éloignons d’elles,
que nous faisons signe de loin
et qu’elles font signe de loin.

Puis la trame de l’horizon se relâche

et l’air se tend,

ni l’oeil ne voit

ni les fenêtres ne clignent

et entre eux la distance commence à se remplir, le temps
commence à creuser.

Ma fille distribue-t-elle en ce moment les rôles du soir ?

Discute-t-elle avec sa voisine la poupée ?

Fait-elle manger Snoopy avec sa petite cuiller ?

Trouble-t-elle l’esprit tranquille de la maison ?
Ou bien dort-elle ?

Et quand la mer passe dans sa nuit
elle se retourne, comme sur l’écume d’une vague,
et son visage s’éclaire, halo de sommeil.

La somnolence c’est aussi les maisons
leur apanage et leurs fantômes cachés
lorsque l’air, alourdi par la fumée et les lampes du soir,
endort la petite femme sur le canapé
tandis que se noie la table du bureau
dans le flot des néons
que bâillent les papiers et les livres
que s’arrête le poème.

Lorsque tu la quittes
ses murs s’écartent

La maison, vaste,
imite le désert des livres
le hurlement des loups au loin
tandis qu’un écho s’écoule de ses flancs.

Qui est l’absent ?

Les choses sont à leur place, sauf toi
les choses sans toi
te cherchent là où tu n’es pas.

Ils te voient là où tu n’es pas.

L’absent est avec eux
dans la photo, sur la chaise, derrière la table,
derrière la fenêtre,

ou bien tu avances, sous leurs yeux, dans la rue
les pieds exilés et le torse maigre.

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Jacques Dupin – Grand vent



oriental  country   108158

 

 

 

 

Nous n’appartenons qu’au sentier de montagne
Qui serpente au soleil entre la sauge et le lichen
Et s’élance à la nuit, chemin de crête,
À la rencontre des constellations.
Nous avons rapproché des sommets
La limite des terres arables.
Les graines éclatent dans nos poings.
Les flammes rentrent dans nos os.
Que le fumier monte à dos d’hommes jusqu’à nous !
Que la vigne et le seigle répliquent
À la vieillesse du volcan !
Les fruits de l’orgueil, les fruits du basalte
Mûriront sous les coups
Qui nous rendent visibles.
La chair endurera ce que l’œil a souffert,
Ce que les loups n’ont pas rêvé
Avant de descendre à la mer.

 

du recueil  » le corps  clairvoyant  » –


René-Guy Cadou – Lettre à des amis perdus


zadkine

sculpture  :  Ossip Zadkine

 

Chaque jour je vous ai écrit
Je vous ai fait porter mes pages
Par des ramiers par des enfants
Mais aucun d’eux n’est revenu
Je continue à vous écrire

Tout le mois d’août s’est bien passé
Malgré les obus et les roses
Et j’ai traduit diverses choses
En langue bleue que vous savez

Maintenant j’ai peur de l’automne
Et des soirées d’hiver sans vous
Viendrez-vous pas au rendez-vous
Que cet ami perdu vous donne
En son pays du temps des loups

Venez donc car je vous appelle
Avec tous les mots d’autrefois
Sous mon épaule il fait bien froid
Et j’ai des trous noirs dans les ailes

RENÉ-GUY CADOU


Claude Saguet – Barbares


 

Dessin -Steinlein  métamorphose - des chats  en sorcières

Dessin -Steinlein métamorphose – des chats en sorcières

 

Nos routes sont pavées d’audace,

Nos armes éprises de foudre

et nos tambours voilés, rendus fous de ténèbres,

reflètent la terreur qui résulte des cris.

Le soir, saison perdue,

je reviens à mes loups affamés de distances.

Et de la tour aveugle sauvagement construite,

je salue leur adresse à fracasser les formes.

Ma face est d’étranger, ma voix brute de lumière

(XAMBO éditions Multiples 1980)


Jacques Dupin – Grand vent


 

 

 

 

 

 

Peinture:  Emil Nolde   – mer  d’automne VII  – 1910

 

Grand vent

 

Nous n’appartenons qu’au sentier de montagne
Qui serpente au soleil entre la sauge et le lichen
Et s’élance à la nuit, chemin de crête,
À la rencontre des constellations.
Nous avons rapproché des sommets
La limite des terres arables.
Les graines éclatent dans nos poings.
Les flammes rentrent dans nos os.
Que le fumier monte à dos d’hommes jusqu’à nous !
Que la vigne et le seigle répliquent
À la vieillesse du volcan !
Les fruits de l’orgueil, les fruits du basalte
Mûriront sous les coups
Qui nous rendent visibles.
La chair endurera ce que l’œil a souffert,
Ce que les loups n’ont pas rêvé
Avant de descendre à la mer.

 

Jacques Dupin, Gravir, Gallimard, 1963

 

 


Bête de Gévaudan ( RC )


peinture: Gérard Lattier: la bête du Gévaudan

Dans ces lieux, que je vous décris
Il y a toujours  de ces  champignons
Que l’on prend pour des lumignons
Des brumes, de l’encre  et des cris..

Il n’y a plus grand monde, avant l’hiver
Quelques  boeufs, pas  de tracteurs
Mais  seulement quelques  cultivateurs
Et les environs sont déserts

Dans les labours, ils  jettent  le blé  au vent
Comme  elle  est  bête ,      du Gévaudan…
dans la forêt sombre, luisent  des dents
C’était il y a longtemps,  c’était avant…

Il y a des chemins qui vont au hasard
Et des bandits  de grand  chemin
Qui hantent les  routes  du destin
Lorsque le jour se fait hagard

Si le sombre se pose là, menaçant
Tous les jours ne sont pas  dimanche,
Envers l’inconnu un désir de revanche
Mêle de l’inconnu des désirs de feu et sang

Car on raconte beaucoup de choses
Difficiles à vérifier
Et dont il faut quand  même, se méfier
Qui font  beaucoup de littérature,  – et de prose.

On ne sait plus,      avant que pierres se fendent
Ce qui est du vrai     ou du fantastique,
Le fil du temps, délite  l’historique
Et les traces se diluent  en légendes…

A  trier           du grain  de l’ivraie,
Les contes, enjolivés par l’âge
Ne sont plus,     au reportage
Qu’évènements,  où chercher le vrai

Est comme chercher , quelques indices
Ou l’aiguille  dans la botte  de foin
De ces  échos           lointains
Qui ont intéressé la police…

Mais provoquent l’imaginaire
D’un esprit élastique
A voir des bêtes fantastiques
Un peu partout  sur terre…

Si une  bête  s’est  échappée
C’est  toute  un affaire
—                On parle  d’une panthère
Et toutes les calanques  sont bloquées…

Il faut                verser  de l’encre en litres
Le lecteur des gazettes est poussé à l’achat…
Finalement …… ce n’était qu’un gros  chat
Dont on fit les gros titres…

Les nouvelles  d’ailleurs  ne sont jamais  pareilles
La Sardine   –  (  cétait un record )
Avait bouché le vieux port…
C’est vrai  qu’on était à Marseille…

On dit bien avec  » l’acssent »,    » Bonne Mère »
– Tu vois pas  qu’ils  exagèrent…. ?
Mais  dans  le sombre  Gévaudan
… on en fait tout autant….

Et si la « Bête »  —  ce phénomène
–           Dont on fit affaire  d’état
N’était qu’une suite  d’assassinats
Qui aurait sa forme humaine…. ?

Dont on fit une  « Une »
—  faute  de trouver un coupable
Ce fut la « bête » », le responsable
… les loups  hurlant à la lune….

RC       – 20 octobre 2012

( voir -entre autres la description  détaillée qu’on en a fait, ici… )