Luis Aranha – poème pneumatique
peinture: Umberto Boccioni – Elasticité 1912
Le bolchevisme dans le caniveau
Toutes les explosions sont révolutionnaires
Triangle
Et une bombe de verre provoque l’arrêt
Explosion
Syncope
Je ne crois pas au pneume des stoïciens
Mais les pneumatiques éclatent
Quel ennui !
Il n’y a plus 75 chevaux
Ni de vitesse couleur de verre
Les ronflements du moteur
Le vent se tord
Et défait mes cheveux de ses doigts
Dans la ruche des poumons l’essaim de l’air bourdonne
Bannière de poussière agitée à mon passage
Les canards s’envolent
Et mon sang thermomètre qui monte
Vitesse
Panne
Oh! la curiosité populaire !
Nuit
Le sourire heureux des passants
Enseignes lumineuses
Annonces lumineuses
Broadway fait angle avec la Cinquième Avenue
Gratte-ciels
Vu de la lune Sâo Paulo c’est New York
La vitrine est une scène
Sur une affiche le portrait de la prima donna
Une indienne
Dans ce décor il ne peut y avoir de Guarani
Ni de Guaranà
Le tramway dans le virage hurle d’une force indomptée
Il n’y a plus d’orchestre
La vitrine est une scène
Drame de l’adultère
Une dame en chemise près du lit
Divan coussin abat-jour
Le peuple se concentre
Mon automobile attire l’attention
Je suis un spectateur à qui l’on demande son billet et qui l’a oublié
Tous me regardent
Honteux
Couvert de poussière
Arrivant de Santos
La pompe dans la main du chauffeur
La fièvre intermittente du moteur
La chambre à air s’emplit d’un orgueil bourgeois
J’écris ce poème on répare le pneumatique crevé
Dimanche 8 1 /4 à la Casa Michel
Luis Aranha – Poème Pythagore 11
Après un tableau
Une sculpture
Après une sculpture
Un tableau
Anti-anatomique
Trait de vie sur une toile morte
Extravagant
Je voudrais être peintre !
J’ai dans mon tiroir des esquisses de bateaux
Je n’ai réussi que les marines
Nous sommes les primitifs d’une ère nouvelle
Egypte art synthétique
Mouvement
Excès de lignes
Bas-reliefs de Thèbes et de Memphis
Partir en Egypte
Comme Pythagore
Philosophe et géomètre
Astronome
Je découvrirais peut-être le théorème de l’hypothénuse et la table de multiplication
Je ne me rappelle plus
J’ai besoin de retourner à l’école
Le ciel est un grand tableau noir
Pour les enfants et pour les poètes
Circonférence
Le cercle de la lune
De Vénus je trace une tangente lumineuse qui va toucher quelque planète inconnue
Une ligne droite
Ensuite une perpendiculaire
Et une autre droite
Une sécante
Un secteur
Un segment
Comme la Terre qui est ronde et la lune une circonférence
il doit bien y avoir des planètes polyèdres des planètes coniques des planètes ovoïdes
Evoluant parallèlement elles ne se rencontrent jamais
Trapèzes de feu
Les astres décrivent dans le ciel des cercles des ellipses et des paraboles
Les ronds s’adossent les uns aux autres et tournent comme les roues dentées de machines
Je suis le centre
Autour de moi tournent les étoiles et voltigent les corps célestes
Toutes les planètes sont des ballons de baudruche colorés que je retiens par des ficelles entre mes mains
Je tiens dans mes mains le système planétaire
Et comme les étoiles filantes je change de place fréquemment
La lune pour auréole
Je suis crucifié sur la Croix du Sud
Avec dans le cœur
L’amour universel
Globules de feu
Il y a des astres tétraèdres hexaèdres octaèdres dodécaèdres et isocaèdres
Certains sont des globes de verre opaque avec des lumières à l’intérieur
Il y en a aussi de cylindriques
Les coniques unissent leurs pointes en tournant en sens contraire autour de l’axe commun
Prismes tronqués prismes obliques et parallélépipèdes lumineux
Les corps célestes sont d’immenses cristaux de roche colorés qui tournent dans tous les sens
La chevelure de Bérénice n’est pas une chevelure
Le Centaure n’est pas un centaure et le Cancer n’est pas un crabe
Musique colorée qui résonne dans mes oreilles de poète
Orchestre fantastique
Timbales
Les cymbales de la lune
Claquement des castagnettes des étoiles !
Elles tournent sans cesse
Furieusement
Il n’y a pas d’étoiles fixes
Les fuseaux filent
La voûte céleste est le hangar de zinc d’une usine immense
Et la laine des nuages passe dans l’engrenage
Trépidations
Mon cerveau et mon cœur piles électriques
Arcs voltaïques
Explosions
Combinaisons d’idées et réactions des sentiments
Le ciel est un vaste laboratoire de chimie avec cornues creusets tubes éprouvettes et tous les vases nécessaires
Qui m’empêcherait de croire que les astres sont des ballons de verre pleins de gaz légers qui se sont échappés par les fenêtres des laboratoires
Les chimistes sont tous des imbéciles
Ils n’ont découvert ni l’elixir de longue vie ni la pierre philosophale
Seuls les pyrotechniciens sont intelligents
Ils sont plus intelligents que les poètes car ils ont rempli le ciel de planètes nouvelles
Multicolores
Les astres explosent comme des grenades
Les noyaux tombent
D’autres montent de la terre et ont une vie éphémère
Astéroïdes astérisques
Fusées de larmes
Les comètes se désagrègent
Fin de leur existence
D’autres explosent comme des démons du Moyen Âge et des sorcières du Sabbat
Feux d’antimoine feux de Bengale
Moi aussi je me désagrégerai en larmes colorées le jour de ma mort
Mon cœur vaguera dans le ciel étoile filante ou bolide éteint comme maintenant il erre enflammé sur la terre Etoile intelligente étoile averroïste
Vertigineusement
En l’enroulant dans le fil de la Voie Lactée
J’ai jeté la toupie de la Terre
Et elle vrombit
Dans le mouvement perpétuel
Je vois tout
Bandes de couleurs
Mers
Montagnes
Forêts
Dans une vitesse prodigieuse
Toutes les couleurs superposées
Je suis seul
Grelottant
Debout sur la croûte refroidie
Il n’y a plus de végétation
Ni d’animaux
Comme les anciens je crois que la Terre est le centre
La Terre est une grande éponge qui s’imbibe des tristesses de l’univers
Mon cœur est une éponge qui absorbe toute la tristesse de la Terre
Bulles de savon !
Les télescopes pointent le ciel
Canons géants
De près
Je vois la lune
Accidents de la croûte refroidie
L’anneau d’Anaxagore
L’anneau de Pythagore
Volcans éteints
Près d’elle
Une pyramide phosphorescente
Pyramide d’Egypte qui est montée au ciel
Aujourd’hui elle est intégrée dans le système planétaire
Lumineuse
Son itinéraire calculé par tous les observatoires
Elle est montée quand la bibliothèque d’Alexandrie était un brasier illuminant le monde
Les crânes antiques éclatent dans les parchemins qui se consument
Pythagore l’a vue quand elle était encore sur terre Il a voyagé en Egypte
Il a vu le fleuve du Nil les crocodiles les papyrus et les embarcations de santal
Il a vu le sphynx les obélisques le temple de Karnak et le bœuf Apis
Il a vu la lune à l’intérieur du caveau où se trouvait le roi Amenemhat
Mais il n’a pas vu la bibliothèque d’Alexandrie ni les galères de Cléopâtre ni la domination anglaise
Maspero découvre des momies
Et moi je ne vois plus rien
Les nuages ont éteint ma géométrie céleste
Sur le tableau noir
Je ne vois plus la lune ni ma pyrotechnie planétaire
Une grande paupière bleue tremble dans le ciel et cligne
Un éclair farouche zèbre le ciel
Le baromètre annonce la pluie
Tous les observatoires communiquent entre eux par la télégraphie sans fil
Je ne pense plus car l’obscurité de la nuit tempétueuse pénètre en moi
Je ne peux plus mathématiser l’univers comme les pythagoriciens
Je suis seul
J’ai froid
Je ne peux écrire les vers dorés de Pythagore!…
Luis Aranha – L’aéroplane 25
Je voudrais être un as de l’aviation pour voler
Au-dessus de la ville de ma naissance !
Bien plus haut que les lamentos de bronze
Des cathédrales cataleptiques ;
Tout près de l’azur, montant presque au ciel
Loin des maisons qui diminuent
Loin, bien loin de ce sol d’asphalte…
Je voudrais planer au-dessus de la ville !…
Le moteur chanterait
Dans l’amphithéâtre lambrissé de bleu
Sa ronflante symphonie…
Oh! voler sans escales dans l’espace qui s’étire
Pour moi, seulement pour moi ;
Traversant les vents effrayés
Par mon audace ascensionnelle
Jusqu’où eux seuls sont parvenus !…
Tournoyer en altitude
Et d’une descente rapide
Tomber en tourbillon
Comme un oiseau blessé…
Faire de subites cabrioles
Des loopings fantastiques
Des sauts de la mort
Comme un athlète élastique en acier
L’âpre crissement du moteur…
Dans l’amphithéâtre tapissé de nuages Tambour…
Si un jour
Mon corps s’échappait de l’aéroplane
J’ouvrirais ardemment les bras
Pour le bleu plongeon dans le soir transparent…
Comme je serais pareil
À un ange au corps déployé
Ailes ouvertes, précipité
Vers la terre distante…
Fendant le ciel dans ma chute brusque
Rapide et précise,
Déchirant l’air en extase dans l’espace
Mon corps chanterait
En sifflant
La symphonie de la vitesse
Et je tomberais
Dans la ville parmi les bras ouverts…
Être aviateur pour voler bien haut !
Luis Aranha – Chine
J’étais un disciple de Confucius.
Je brûlais pour lui des bâtons de cire parfumée
J’aidai à la construction de la grande muraille
Et vis flamber le brasier dans lequel l’empereur Huang-Ti fit brûler les livres sacrés
Il persécuta les poètes et les lettrés… Poète
Je fus contraint de fuir
Et me fis pêcheur avec corbeaux marins sur le fleuve de Canton
Puis je devins droguiste dans une rue étroite et sale
Tapis lanternes et écriteaux
Tablettes peintes en rouge et noir…
Je vendais de l’opium sans craindre la police…
Sur leurs couches
Des momies avec des pipes en bambou jouaient de la flûte
La tresse de cheveux s’enroulant sur leur corps
La fumée empestait l’atmosphère…
Heureux sans craindre la police !
Stupeur !
Le canal de la monotonie éclate !
Les Boxers me tombent dessus…
Visages dilatés par la haine
Pas d’innovations !
Ils ont dans les mains des dictionnaires de rimes et des mètres de bambou de douze syllabes Vers creux et sonores
La chinoiserie de l’immuabilité
Les nœuds du bambou marquent la césure…
Je dus fuir avec mes poèmes pour ne pas subir la torture du ling-chi
Et ouvrir une droguerie avec l’autorisation de la police…